Ainsi donc, mes frères, quiconque règle sa vie de manière à mériter d'être compté parmi les pieuses brebis du Christ, celui-là ne sera pas abattu par la pauvreté, ne se consumera pas de chagrin, ne sera pas blessé des traits de l'envie, ne sera brisé par aucun désastre ni aucun fléau. La détresse est pour lui l'abondance ; les maladies de son corps fortifient son âme; quand il paraît s'éteindre, c'est alors qu'il jouit pleinement de la vie. Un tel homme n'a donc à redouter l'invasion d'aucun mal. Car le ciel s'abîmera, la terre périra dans une conflagration universelle, toute la nature enfin sera détruite ; mais la parole de Dieu sera toujours vraie.
En effet, dans Isaïe, Dieu fait aux justes cette promesse : « Levez les yeux au ciel, et rabaissez-les vers la terre ; car le ciel disparaîtra comme la fumée, la terre s'en ira en poudre comme un vêtement usé, et ceux qui l'habitent périront de la même manière; mais le salut que je donnerai sera éternel, et ma justice ne sera point anéantie. Isa. LI, 6. Si donc le salut, que Dieu apporte à ses amis, défie tous les obstacles, comme on le voit par ce passage ; si la justice de Dieu, qui ne fait qu'un avec sa fidélité et avec sa vérité, est éternelle ; il s'ensuit que ceux à qui s'applique cette magnifique promesse trouvent dans la protection divine la paix et la sécurité. « Celui qui les touche, dit le prophète Zacharie, touche la prunelle de l’œil du Seigneur. » Zach. 11, 8. Cela étant, le Psalmiste n'a -t-il pas raison de dire : « Quand je marcherais au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec moi? »
De ce qui précède, il résulte clairement que ce seul bienfait de la protection divine, quand il n'y en aurait pas d'autre, serait assez et par-delà pour que les méchants, gagnés par une si grande espérance, revinssent à la voie de la justice, et pour que les hommes pieux menassent une vie tranquille et sereine, dans quelque condition que ce fût. Mais ce n'est pas encore la fin des miséricordes du Seigneur. Car le Prophète dit ensuite :
« Votre verge et votre bâton m'ont consolé. » La verge est destinée à corriger, et le bâton destiné à soutenir. Or, notre pasteur emploie l'un et l'autre avec ses brebis : il les châtie de la verge, pour peu qu'elles s'écartent de la voie ; et, tout en les corrigeant, il les soutient du bâton, de peur que le poids du malheur ne soit trop lourd pour elles. Il dit lui-même dans son Apocalypse : « Ceux que j'aime, je les reprends et les châtie. » Apoc. III, 19. Et par la voix de l'Apôtre : « Dieu châtie celui qu'il aime; il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants. » Hebr. XII, 6 .
Cependant quand Dieu nous châtie et nous laisse tenter, il nous fait tirer avantage de la tentation, afin que nous puissions persévérer ; c'est ce qu'indique le bâton, dont l'office est de soutenir notre faiblesse, et de nous empêcher de tomber. Or, il n'est pas douteux que le bâton, joint à la verge, ne procure une grande consolation aux justes. Car la verge sans le bâton ne console pas; au contraire, elle tue. Pharaon a senti la verge ; Sennacherib, roi d'Assyrie, l'a sentie ; mais le bâton ayant fait défaut, l'un et l'autre ont péri. David sentit aussi la verge, après avoir ordonné le dénombrement du peuple ; Nabuchodonosor la sentit également quand l'orgueil l'aveugla ; mais le bâton de soutien étant venu en aide, l'un et l'autre trouvèrent le salut, et par conséquent la consolation.
En effet, quelle plus grande source de consolation et de joie pour les justes que de voir ouvertement qu'ils doivent au bienfait et à la providence du Seigneur d'être délivrés des plus grands périls et des plus grands malheurs ? Le Psalmiste le sentait quand il disait : « Il a séché la mer ; ses serviteurs ont passé la mer à pied sec ; alors nous nous sommes réjouis en lui. » Ps. LXV, 6. C'est-à -dire, quand le Seigneur, par le bienfait de sa présence, nous délivre des périls qui nous assiègent, certes il inonde nos cœurs d'une vive joie, et il ouvre nos bouches pour qu'elles louent et proclament son nom. Oui, cette alliance salutaire de la verge et du bâton, le Seigneur la promet clairement par l'organe du même Prophète, quand, parlant du juste, il dit : « Je serai avec lui dans son affliction, je l'en tirerai et l'élèverai en gloire. » Cum ipso sum in tribulatione, eripiam eum et glorificabo eum. Ps. XC, 15.
(à suivre)