L'acte du corps mystique du Christ, par Mgr. Fenton (1939)

[chartreux]

C'est une puissance instrumentale subsistante, qui ne rentre donc pas naturellement dans la seconde espèce de qualité, mais qui s'y réduit. C'est une puissance instrumentale par ce qu'elle rend l'homme capable d'une certaine activité dont le Christ est la cause principale dans sa passion (25). L'homme ayant ce caractère baptismal appartient à une société qui rend un culte à Dieu en tant qu'instrument du Christ. Le culte ou encore activité religieuse du possesseur du caractère baptismal n'est pas seulement individuel, mais véritablement corporatif.

(25) Ibid., III, q. 63, art. 2 et q. 62, art. 5.

[chartreux]

L'opération de la cause principale est un acte très-précis, le sacrifice du Christ. Le caractère sacramentel rend l'homme capable d'agir comme instrument de ce sacrifice, d'une certaine manière. Le sacrifice eucharistique, le vrai sacrifice de la messe, dans lequel le catholique participe suivant son rang dans le Corps Mystique est l'activité propre de l'Église en tant qu'instrument, et est aussi l'opération propre au catholique en tant que tel. Le culte rendu à Dieu par le Corps Mystique est résumé et exprimé par un acte précis, le sacrifice eucharistique.

La cause principale, combinée avec l'instrument, forment un acte unique avec un effet unique. L'acte de la cause principale est aussi celui de l'instrument. Dans le sacrifice eucharistique, le Corps Mystique agit comme instrument de la passion du Christ, et par cette opération sacrificielle l'Église fait sienne cet acte de la passion du Christ. Le sacrifice de la messe est donc, en un sens spécial et métaphysique, l'acte du Corps Mystique, la fonction instrumentale à laquelle la personne baptisée est habilitée.

[chartreux]

Si on la définit par sa fonction propre et immédiate, l'Église Catholique est donc cette société qui est là pour offrir le sacrifice de la messe. Le chrétien, ou encore le baptisé, se distingue des autres hommes en ce qu'il est habilité à participer à l'activité essentiellement corporative du sacrifice eucharistique.

Quand elle accomplit le sacrifice eucharistique, l'Église n'agit pas comme un ensemble amorphe. L'Église est par constitution ordonnée et hiérarchisée. Et comme l'acte d'une chose est proportionnée à sa nature, l'acte propre de l'Église Catholique, le sacrifice de la messe, est, lui aussi, un acte ordonné et hiérarchisé. Dans cette opération propre au Corps Mystique du Christ, certains membres sont appelés à un rôle plus actif que les autres : ce sont ceux qui sont marqués du caractère du sacrement de l'ordre. Ceux qui possèdent l'intégralité du caractère sacerdotal sont habilités à confectionner le sacrement de la très-sainte eucharistie, et donc à remplir complètement l'office sacerdotal du sacrifice. Les autres participent à cette fonction corporative plus ou moins activement, chacun suivant la perfection de son ordre.

[chartreux]

Ceux dont le rôle est relativement passif, ceux qui sont agis plus qu'ils n'agissent dans l'activité propre à l'Église, sont les possesseurs du caractère baptismal, qui sont par là habilités à recevoir les autres sacrements. Ce pouvoir concerne surtout en la très-sainte eucharistie, "en quoi le culte divin consiste principalement, dans la mesure où c'est le sacrifice de l'Église" (26).

(26) Ibid., III, q. 63, art. 6.

[chartreux]

L'adoration ou culte divin est "une certaine protestation de foi par des signes extérieurs." Et puisque cette protestation de foi est destinée à être perpétuée jusqu'à la fin des temps contre l'inévitable opposition des ennemis de la croix du Christ, il existe un caractère sacramentel habilitant et désignant officiellement les membres de l'Église destinés au conflit spirituel contre les ennemis de la foi (27). C'est le caractère de confirmation, qui habilite donc à défendre le sacrifice eucharistique contre les attaques qui lui sont faites. Vincent Contenson (28), dans son commentaire sur cette phase de l'économie sacramentelle, montre l'analogie étroite entre le caractère sacramentel et la désignation militaire dans les affaires naturelles. Tout citoyen peut certes combattre les ennemis de son pays, mais le soldat est le seul qui soit officiellement habilité et désigné à cet effet. Le chrétien confirmé est ainsi le défendeur officiellement désigné du sacrifice eucharistique.


(27) Ibid., III, q. 72, art. 5.
(28) Theologia Mentis et Cordis, (Lyon 1687), Lib. XI, pars 1, diss. 1, cap 2.

[chartreux]

Enfin, tout l'enseignement sur la très-sainte eucharistie elle-même ne cesse de souligner que c'est l'opération immédiate, l'acte propre et la perfection du Corps Mystique. Elle est justement appelée sacrifice dans la mesure où elle commémore la passion du Seigneur (29). Que la messe est un vrai et réel sacrifice est un dogme de la foi catholique (30). C'est de plus un sacrifice qui appartient d'une manière spéciale au Corps Mystique du Christ en tant que société. Même ces messes ou seul le prêtre communie sacramentellement "doivent, elles aussi, être regardées comme vraiment publiques, en partie parce que le peuple y communie spirituellement, en partie parce qu'elles sont célébrées par un ministre public de l'Église, non pas pour lui seulement, mais pour tous les fidèles qui appartiennent au corps du Christ" (31).


(29) Summa Theologica, III, q. 73, art. 4.
(30) Trente, sess. 22, can. 1, Denz. 948.
(31) Ibid., chap. 6, Denz. 944.

[chartreux]

Saint Thomas dit la même chose en sa somme théologique : "Dans les messes privées, il suffit d'avoir un seul ministre, qui tient la place de tout le peuple catholique, à la place duquel il répond au prêtre en employant le pluriel" (32).

(32) Summa Theologica, III, q. 83, art. 5 et 12.

[chartreux]

La très-sainte eucharistie est le sacrement perfectif en ce qu'il signifie et cause notre union au Christ par la charité. Elle est en même temps le sacrifice du peuple de Dieu. Puisque l'opération propre du Corps Mystique est le sacrifice de la messe, une fonction qui est plus sociale qu'individuelle, les membres de l'Église dans leur ensemble sont appelés par saint Pierre "race choisie, sacerdoce royal, peuple acquis". Et comme le sacrifice est l'acte suprême de la religion, qui résume et exprime les actes d'adoration intérieure de Dieu et témoignant d'une façon unique de l'excellence divine, saint Pierre dit ensuite à ces membres "afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (33).

(33) 1 Pierre 2:9.

[chartreux]

Comme cette action est celle dans laquelle l'Église fait sienne la passion même du Rédempteur, le prêtre qui accomplit cet acte de sacrifice est très-justement dit assumer la personne du Christ lui-même. C'est dans le sacrifice eucharistique, l'opération propre à l'Église de Dieu, que les paroles de Malachie sont réalisées : "depuis le lever du soleil jusqu’au couchant, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu, on sacrifie et l’on offre à mon nom une oblation pure ; car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur des armées"(34).

(34) Mal. 1:11.

[chartreux]

Comprendre le Corps Mystique du Christ à la lumière de son opération propre présente l'avantage certain de souligner l'unité de l'activité de l'Église. L'opération dans laquelle l'Église trouve sa perfection immédiate, celle qui est l'acte prééminent du Corps Mystique, c'est la messe, qui est un vrai et réel sacrifice. Un sacrifice est un signe, une expression des actes intérieurs de la religion, et particulièrement de dévotion et de prière.

L'acte de consécration exprime les actes de prière et de dévotion qui constituent le texte de la messe. Les prières elles-mêmes expriment des désirs et des espoirs qui, pour être sincères, imposent toute la complexité de la vie pleinement chrétienne. Les actes de vertu sont à l'arrière-plan de la prière, et le sacrifice eucharistique, offert par le prêtre en le nom et la personne du Christ, pour les membres de son Corps Mystique, exige la sincérité de la prière et la dévotion de ceux pour qui il est offert.

Ainsi la vie du Corps Mystique, si brillamment analysée dans le travail du père Mura, est toute entière reliée à son expression publique dans le sacrifice eucharistique, l'acte du Corps Mystique.

Joseph C. Fenton, Washington, D. C.

FIN