PRÉDESTINATION. RÉPROBATION. — PETIT NOMBRE DES ÉLUS.
AVERTISSEMENT.
Comme la Persévérance dans la grâce, dans l'exercice des vertus et dans
le service de Dieu, a une étroite liaison avec la Rechute dans le péché, la
plupart des prédicateurs les joignent ensemble. Aussi est-il bien difficile de
parler de l'une sans dire quelque chose de l'autre. Cela n'empêche pas néanmoins
qu'on n'en puisse faire deux sujets de discours, et qu'on ne les puisse
traiter séparément. Car on peut exhorter à la persévérance dans le service de
Dieu en montrant l'indignité de le quitter pour mener une vie mondaine, et
on peut détourner les pécheurs de se replonger dans les vices dont la miseri-
corde de Dieu les a retirés.
Ainsi, nous réunirons ici ce que nous avons trouvé de plus remarquable
sur ce sujet de la Persévérance, ne parlant qu'indirectement de la rechute :
comme nous parlerons en son lieu de la Rechute sans parler directement de la Persévérance.
Il faut seulement bien remarquer que nous parlons de la Persévérance en tant qu'elle est une vertu,pour laquelle la grâce ne nous manque jamais ;
et non pas de la Persévérance finale, qui est un don et une faveur spéciale
que Dieu ne doit à personne, et qui dépend uniquement de sa pure bonté,
ainsi que nous l'expliquerons dans la suite.
Ce sujet se traite ordinairement après Pâques, pour exhorter les fidèles à
conserver la grâce qu'ils ont reçue en cette fête, et à ne point retomber dans le
péché, dont ils se sont repentis ;quoique cette matière puisse être très-utile en
tout temps.
A SUIVRE...
(Tiré de LA BIBLIOTHÈQUE DES PRÉDICATEURS, par LE R. P. VINCENT HOUDRY, De la Compagnie de Jésus, Paris, 1867.)
La crainte et l'espérance sont, pour parler en général, les deux choses
absolument nécessaires à un chrétien pour conserver l'innocence, pour
persévérer dans la pratique de la vertu et pour parvenir au bonheur éternel :
crainte d'être réprouvé par la malice de sa volonté, espérance d'aller
au ciel dont la mort et les mérites du Sauveur du monde lui ont acquis le
droit.Or, le mystère de la prédestination nous inspire ces deux sentiments.
— 1° Sentiment d'humiliation et d'une crainte salutaire, par ce
qu'il contient d'effrayant pour nous. — 2°. Sentiment de consolation et
d'espérance, par ce qu'il a de consolant pour tous les hommes, et de capable
de les animer à travailler à leur salut. — C'est ce qui doit faire le
partage de ce discours.
Premier Point. — Quelque système que l'on embrasse sur la matière
delà prédestination, trois choses demeurent toujours incontestables. — 1.Le nombre des prédestinés est très-petit, et se réduit à fort peu de
personnes.C'est un oracle émané de la bouche même de Jésus-Christ;
nul Père ne l'a interprété ni adouci, ni pris dans un sens moins rigoureux;
nul hérétique ne s'est encore avisé de le révoquer en doute. De quelque
manière qu'on l'explique pour se rassurer l'esprit sur un sujet de crainte
que le Fils de Dieu même a jugé nécessaire aux chrétiens les mieux affermis
dans les vérités de la religion et les plus réguliers dans leurs
moeurs, cet oracle sera toujours véritable à l'égard non-seulement des
hommes en général, mais des chrétiens même adultes, qui, par un bienfait
particulier qu'il n'a pas accordé à une infinité de païens, ont été
appelés à la foi et à la connaissance du vrai Dieu; puisque les termes de
cet oracle le portent expressément :Multi vocati, pauci verò electi. Il y a donc de quoi nous humilier et nous confondre en réfléchissant sur la conduite
de Dieu envers les hommes, et de s'écrier avec S. Paul, qui était
lui-même saisi de frayeur dans cette pensée:O Altitudo divitiarum sapientiae
et scientiae DEI! quàm incomprehensibila judicia ejus et investigabiles viae
ejus ! (Rom. XI). O profondeur des jugements de Dieu ! ô abîme impénétrable
de ses desseins! Je sais que Dieu fait tout avec justice, et c'est
assez pour moi ; mais quel sujet de craindre pour moi, en considérant
combien ma vie est éloignée de celle des saints et des prédestinés !
— 2º. L'incertitude de notre prédestination même.Si mon sort doit être semblable
à celui de Jacob ou au sort d'Esau,c'est une énigme pour moi, c'est un
mystère que le Seigneur n'a pas voulu nous révéler, de peur que la sécurité
ne produisît l'indolence.Or, quoi de plus capable de nous effrayer,
et de nous humilier en même temps, que cette incertitude où nous vivons
sur un avenir douteux ? Dans l'esprit de Dieu, mon arrêt est déià prononcé ;
il est écrit dans l'un ou dans l'autre de ces livres qui renferment
la vie ou la mort: Dieu, de toute éternité, connaît ceux qui seront à lui : Cognovit Dominus qui sunt ejus.Et moi je vis dans l'ignorance de ce qui
est nécessaire pour bien vivre, et me rendre digne d'être du nombre des
prédestinés !
— 3°. La grâce, principe de notre prédestination, et moyen
absolument nécessaire pour avancer et conclure cette grande affaire. Or, quel sujet d'humiliation et de terreur pour nous de savoir que toutes les
grâces sont dans la main de Dieu, qui les distribue à qui il lui plaît et
quand il lui plaît, et cela gratuitement; et, entre toutes les grâces, celles
particulièrement qui commencent et qui consomment le salut ! — Les
conclusions que nous devons tirer de ces vérités, qui doivent à la vérité
nous effrayer, mais non pas nous désespérer, sont— 1°.Que, si le nombre
des prédestinés est petit, et si la porte du ciel est étroite,il faut faire
tous ses efforts pour y entrer :Contendite intrare.—2°.Notre prédestination
étant incertaine à notre égard,il faut faire en sorte, selon l'avis de
S. Pierre, de l'assurer par les bonnes oeuvres:Satagite ut per bona opera
certam vestram electionem faciatis.—Au regard de la grâce finale qui met
le sceau à notre prédestination, il faut employer la prière la plus fervente
pour la demander, puisque Dieu l'a attachée à la prière.
Second Point. — Ce que je trouve de consolant dans le mystère de la
prédestination sont ces deux vérités certaines, et qu'il est facile de démontrer
par raison et par autorité : La première,que Dieu de toute éternité
a voulu sincèrement notre salut ;La seconde,que nous pouvons et qu'il
ne tiendra qu'à nous d'être sauvés :deux vérités bien capables de nous
consoler et de nous encourager.
II. — Trois choses nous doivent rassurer clans la crainte inquiète et
dans la défiance que nous pourrions avoir sur notre prédestination.
1º.Le Dieu créateur a eu de toute éternité une volonté sincère de
nous sauver.Ainsi l'ont décidé deux conciles, celui d'Orange autrefois,
et le concile de Trente dans ces derniers siècles. Ainsi le déclare S. Paul
en termes exprès : Deus vult omnes homines salvos fiem et ad agnitionem
veritatis venire (I Tim. II): et l'on peut rapporter toutes les preuves qui
peuvent consoler et rassurer les personnes qu'un naturel timide alarme
quelquefois jusqu'au désespoir.
2º.Le Dieu rédempteur a répandu son sang pour tous les hommes.
Quel trésor de salut n'avons-nous point dans la vertu de ce sang, et quel
nombre de péchés serait capable de l'épuiser, sinon le désespoir seul de
notre salut !
3º.Le Dieu sanctificateur fournit des grâces qui sont les moyens du
salut pour tous les hommes :il ne tient donc qu'à nous de nous en servir
pour coopérer avec Dieu à l'ouvrage de notre salut.
III. — 1°. Ce que nous devons savoir du mystère de la prédestination,
avec reconnaissance et confiance en Dieu.
2°.Ce que nous devons ignorer, avec humilité, touchant ce même mystère.
3°.Ce que nous devons pratiquer avec fidélité, avec courage et persévérance,
pour assurer notre prédestination.
IV. — 1°.Dieu veut sincèrement nous sauver ;mais il ne nous sauvera
jamais malgré nous et si nous ne le voulons tout de bon.
2°.Dieu nous donne les moyens nécessaires pour nous sauver ;mais ils
seront inutiles si nous ne nous en servons, et nous justifierons la providence
de Dieu, dans notre réprobation.
3°.Dieu nous sauvera effectivement si nous sommes fidèles à ses grâces,
et nous serons du nombre des prédestinés.
V. — 1°.La recherche trop curieuse sur le sujet de notre prédestination
est inutile, dangereuse et injurieuse à Dieu,puisque c'est manquer
de confiance.
2°.Se mettre en peine d'assurer l'affaire de notre salut et de notre
prédestination, ce doit être le premier et le plus grand de tous nos
soins.
VI. — Il y a deux grands désordres auxquels nous sommes exposés à
l'égard de la prédestination, et deux écueils dont nous avons à nous préserver:
savoir,la présomption et le désespoir.Ce sont ces deux désor-
dres que j'entreprends de combattre dans ce discours, en vous faisant voir
que la prédestination de Dieu ne favorise ni l'un ni l'autre, et que nous
sommes inexcusables lorsqu'en conséquence de ce mystère nous nous
abandonnons :
1°.Ou à la présomption, qui nous fait oublier le soin de notre salut :
ce sera le premier point.
2°.Ou au désespoir, qui nous fait renoncer au salut : ce sera le second
point. (Bourdaloue,Sermon sur ce sujet).
VII. — Quelque décret que Dieu ait formé avant tous les siècles, et
quelque résolution qu'il ait prise sur notre sort éternel.
1º.Il est certain qu'il veut nous sauver :c'est la première réflexion que
nous devons faire sur le sujet de la prédestination.
2°.Il est certain que nous pouvons nous sauver :c'est la seconde. — Or, de quelque manière qu'on explique ce mystère caché, il est certain
qu'il ne détruit ni dans Dieu la volonté de sauver les hommes, ni dans les
hommes la liberté de faire eux-mêmes leur salut, avec la grâce du Ciel,
qui ne leur manque jamais pour cet effet.(Le P. de la Colombière).
VIII. — -1°. Dieu nous fait un secret de ce qu'il y a d'inutile à savoir
dans la prédestination, et nous voulons le pénétrer. Il est de la bonté et
de la sagesse de Dieu de nous le cacher. C'est ma première partie.
2°. Dieu nous découvre ce qu'il y a de nécessaire à savoir dans cette
prédestination, et nous le voulons ignorer. Il est de sa justice de nous le
découvrir. C'est la seconde. (Le P. de la Rue).
IX. — Trois vérités nous doivent rassurer sur le doute et sur la défiance
de notre salut, et sur ce que Dieu a résolu touchant notre prédestination
ou notre réprobation.
La première :Que l'ouvrage de notre salut est un ouvrage qui dépend
de Dieu et de l'homme.
La deuxième :Qu'il est entre nos mains par nos bonnes oeuvres.
La troisième :Que le secours de Dieu ne nous manque jamais pour cela.
(Pris du même).
X. — Sur le petit nombre des élus. — Sans disputer de la certitude de
ce petit nombre,je veux examiner les causes qui rendent ce nombre si
petit, et j'en trouve trois principales : c'est le plan de ce discours.
La premièreest la rareté de l'innocence conservée ou réparée par la
pénitence.
La secondeest la force des usages du monde, que suit la multitude.
La troisièmeest le violement des devoirs les plus indispensables et des engagements les plus saints du christianisme.
(Massillon,Vendredi de la semaine de la Passion).
XI — On peut considérer la prédestination par trois différents rapports :
Le premier regarde Dieu qui nous prédestine, c'est-à-dire qui dispose
une conduite de miséricorde pour le salut des hommes, et qui leur prépare
des moyens pour arriver à la fin heureuse à laquelle il les destine.
Le second regarde Jésus-Christ, dont les prédestinés doivent porter
tous les traits, puisqu'il est nécessaire qu'ils soient conformes à son
image : Quos praedestinavit conformes fieri imagini Filiis sui (Rom. VIII).
Le troisième regarde notre volonté et notre liberté: car Dieu, qui nous
a faits sans nous, ne nous sauvera pas sans nous.
XII. — Dans quelque incertitude que nous puissions être sur l'affaire
de notre salut et de notre prédestination, voici trois vérités qui nous y
doivent faire travailler avec confiance :
La première est que tous ceux qui sont fidèles à la grâce sont du nombre
des prédestinés.
La seconde, que cette fidélité à la grâce dépend de nous.
La troisième que la grâce ne manque à personne.
XIII. — 1°.Sur l'affaire de notre salut il n'y a point à craindre du
côté de Dieu, qui n'a rien omis de ce qui était nécessaire pour nous procurer
le bonheur éternel.
2°.Nous avons tout à craindre de nous-mêmes :ce qui nous oblige à
veiller et à travailler pour assurer par nos bonnes oeuvres notre prédestination.
(V. Houdry,mercredi de la 5e sem. de Carême).
[Les SS. Pères].—S.Augustin, II Praedest. et Persev. 1, enseigne de
quelle manière il faut parler au peuple de la prédestination. — Au ch. 14,
il parle des habitants de Tyr et de Sidon, que Dieu a laissés dans leur
aveuglement, et qui eussent cru s'ils eussent vu les miracles du Sauveur.
Aux 17e et 18e chap., il donne plusieurs définitions de la prédestination,
ou plutôt il définit la même chose en différents termes. — V Contrà Julianum, il attribue à la dureté du coeur de plusieurs pécheurs la cause de
leur impénitence,et montre que Dieu ne permet pas qu'aucun de ceux
qu'il a prédestinés périssent. — Epître 105 Ad Sixtum : dans la prédestination,
Dieu n'a acception de personne. — Ad articulos sibi falsò impositos,
12 : la prédestination de Dieu est immuable et aura infailliblement
son effet. — IV Contra duos Episc. Pelag. 6 : Demander pourquoi Dieu
prédestine les uns et laisse les autres est une chose qu'on ne doit pas
mettre en question, et il est dangereux de vouloir pénétrer les secrets
jugements de Dieu sur cet article.
Le même,Enchirid.,rapporte tout le mystère de la prédestination
à la miséricorde et à la justice de Dieu.— II Praedest. sanct. 24 : la justification
est accordée aux pécheurs sans aucun mérite précédent. — 26 in
Joann. : il ne faut pas rechercher trop curieusement le secret de la prédestination.
— Soliloques, 26 et 28 : de la prédestination secret impénétrable.
— Hypognost. . différence entre la prescience de Dieu et la prédestination.
— III Contra Cresconium 37 : combien le nombre de ceux
qui se sauvent est petit, en comparaison de la multitude de ceux qui se
damnent.— In ps. 39 : il y a peu de chrétiens qui suivent la voie étroite,
et par conséquent peu de personnes qui se sauvent. — Serm. 102 de tempore :
réflexions sur le petit nombre de ceux qui entrèrent dans la terre
promise, de tant de milliers qui étaient sortis de l'Egypte. — Serm. 32 de verbis Domini , à ces paroles du ch. 3 de S. Luc, Domine si pauci sunt
qui salventur : que le nombre des pécheurs est incomparablement plus
grand que celui des justes et des gens de bien : il y a par conséquent
plus de réprouvés que de prédestinés. — In ps. 54 et 58, il se sert de la
même preuve.
