Des devoirs à rendre aux morts.

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Laetitia
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Des devoirs à rendre aux morts.

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  Saint Augustin a écrit :

Devoirs à rendre aux morts
(écrit vers l'an de J.-C. 421).

Ce traité fut écrit pour répondre à saint Paulin, évêque de Nole, qui avait demandé à l'auteur si la sépulture dans les églises des martyrs est de quelque utilité aux âmes des morts. — Les morts eux-mêmes ne souffrent pas lorsque leurs corps sont privés de sépulture. — Le lieu où leurs corps sont ensevelit ne leur est pas utile par lui-même, mais seulement par occasion, en ce que le souvenir de ce lieu excite et augmente l'affection de ceux qui prient pour les morts. — Le soin d'ensevelir les morts vient du sentiment naturel d'affection que l'homme éprouve pour sa chair, et les saints martyrs n'y furent pas sensibles, parce qu'il est indifférent au bonheur ou au malheur. — Dissertation incidente sur les apparitions des morts aux vivants, pour réclamer la sépulture. — Plusieurs exemples de ces visions, pour montrer de quelle manière elles ont lieu. — Dernière question : les morts interviennent-ils dans les affaires des vivants ?

CHAPITRE PREMIER. EST-IL UTILE A UN MORT D'ÊTRE ENSEVELI AUPRÈS DU TOMBEAU D'UN MARTYR ?

1. Je suis votre débiteur depuis longtemps, cher collègue dans l'épiscopat, vénérable Paulin ; car il y a longtemps que vous m'avez fait remettre une lettre par les gens de notre très-religieuse fille Flora, pour me demander s'il est utile à quelqu'un qui est mort que son corps soit enseveli auprès du tombeau d'un saint. La veuve susnommée vous avait fait une demande de ce genre pour son fils décédé dans votre pays; et vous lui avez répondu par une lettre de consolation, lui annonçant en même temps que le vœu de sa piété et de son amour maternel était accompli , et que le cadavre du fidèle jeune homme Cynégius était déposé dans la basilique du bienheureux confesseur Félix.

A cette occasion vous m'avez écrit à moi-même, par les messagers porteurs de la lettre destinée à la veuve. En me soumettant la question, vous me demandez de vous faire connaître mon opinion, sans me taire la vôtre. A votre avis, ce ne sont pas de vains sentiments qui portent les âmes religieuses et fidèles à rendre ces sortes de soins à leurs morts. Vous ajoutez de plus qu'on ne peut taxer de vaine pratiques la coutume universelle dans l’Église d'adresser des supplications pour les défunts; et vous croyez pouvoir aussi conclure de là qu'il est utile à un homme, après la mort, que la piété de ses proches pourvoie à l'inhumation de son corps en choisissant un lieu de sépulture tel, qu'il apparaisse qu'on réclame pour lui le secours des saints.
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Laetitia
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  Saint Augustin a écrit :
2. Cela posé, vous vous objectez ce que dit l'Apôtre : « Nous comparaîtrons tous devant le tribunal du Christ, pour être traités chacun selon ce que nous aurons fait dans notre corps, de bien ou de mal » ; et vous dites que vous ne voyez pas bien comment ce texte peut s'accorder avec notre opinion. Car cette sentence de l'Apôtre nous avertit que ce qui peut être utile après la mort doit être avant la mort, et non pas alors que le moment sera venu de recevoir en proportion de ce que nous aurons fait avant de mourir. Mais voici la solution : c'est qu'il est une manière de vivre par laquelle on mérite, durant la vie du corps, que les soins donnés aux morts soient utiles ; et c'est en ce sens que les actes religieux qu'on fait pour eux après la vie du corps, les aident selon ce qu'ils ont fait durant cette vie du corps. Car il en est qui ne retirent aucune aide de ce qu'on fait pour eux; savoir ceux qui ont fait tant de mal qu'ils sont indignes d'être ainsi secourus, et ceux qui ont fait tant de bien qu'ils n'ont plus besoin de cette sorte de secours. Ainsi le genre de vie que chacun a mené durant la vie du corps, est la cause de l'utilité ou de l'inutilité de tous les pieux devoirs qu'on peut leur rendre après cette vie. En effet, s'ils n'ont acquis en-deçà du tombeau aucun mérite en vertu duquel ces devoirs peuvent leur être utiles, vous ne leur en trouverez pas davantage au delà.

Donc, d'une part, ni l’Église, ni les familles ne font une chose vaine en entourant les défunts de tant de soins religieux; et d’un autre côté, chacun n’en est pas moins traité selon ce qu’il a fait de bien ou de mal durant la vie du corps, et le Seigneur le rend à chacun selon ses œuvres. Car si les soins pieux sont utiles à quelqu'un après la mort, c'est qu'il l'a mérité durant cette vie.

3. Cette courte solution pourrait suffire pour répondre à votre demande. Mais je réclame quelque temps votre attention pour traiter d'autres questions qu'elle soulève. Nous lisons dans, les livres des Machabées (II Mach. XII, 43.) qu'un sacrifice fut offert pour les morts. Mais lors même qu'on ne lirait rien de semblable dans les anciennes Écritures, nous avons sur ce point l'autorité si grave de l’Église universelle, évidemment constatée par la coutume, puisque la recommandation des morts a sa place dans les prières que le prêtre adresse au Seigneur Dieu à son autel.
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  Saint Augustin a écrit :
CHAPITRE II. DE QUELLE UTILITÉ SONT LES HONNEURS DE LA SÉPULTURE. LE DÉFAUT DE SÉPULTURE NE NUIT PAS AUX MORTS CHRÉTIENS.


Examinons avec plus de soin s'il est de quelque utilité à l'âme d'un mort que son corps soit enseveli. Et d'abord le défaut de sépulture des corps est-il cause d'une souffrance ou d'une augmentation de souffrance pour les âmes des hommes après cette vie ? C'est ce que nous allons rechercher non pas en consultant l'opinion vulgaire et générales mais à la lumière des saints livres de notre religion. Il n'est point à croire, en effet, comme on le lit dans Virgile, que ceux qui meurent sans sépulture sont repoussés, de la barque sur laquelle on passe le fleuve infernal :

Nec ripas datur horrendas, nec rauca fluenta
Transportare prius, quam sedibus ossa quierunt
(Enéid., liv. VI, 327, 328.).

Quel cœur de chrétien pourrait sentir de l'attrait pour ces imaginations de la poésie et de la fable, quand nous voyons le Seigneur Jésus, pour rassurer les chrétiens qui devaient tomber entre les mains de leurs ennemis, et laisser en mourant leurs corps à la merci des bourreaux, leur dire qu'un cheveu de leur tête ne peut périr, et les exhorter à ne pas craindre ceux qui, après avoir tué le corps, n'ont plus ensuite aucun pouvoir ? Aussi, je crois en avoir assez dit, dans le premier livre de la Cité de Dieu, pour fermer la bouche à ceux qui rendant l'ère chrétienne responsable des ravages des barbares, et en particulier du saccage récent de Rome, objectaient encore aux chrétiens que le Christ ne leur était point venu en aide dans cette affliction. Lorsqu'on leur répondait que le Christ avait recueilli les âmes des fidèles en considération des mérites de leur foi, ils se rejetaient sur les cadavres laissés sans sépulture, et en faisaient le thème de leurs déclamations. Voici le texte entier de ma réponse sur cette question de la sépulture.
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  Saint Augustin a écrit :
4. « ... Mais dans cet immense massacre les cadavres ne purent même être ensevelis ! — La piété des fidèles ne s'effraie pas plus que de raison à cette pensée, parce qu'ils savent que les corps même dévorés par les bêtes farouches n'en ressusciteront pas moins, et qu'un cheveu de leur tête ne peut périr. En vain la Vérité dirait : « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme (Matt. X, 28, 30; Luc, XII, 4, 7.) » , si tous les mauvais traitements possibles exercés par les méchants sur les corps de ceux qu'ils ont tués pouvaient nuire tant soit peu à la vie future. Se trouvera-t-il un esprit assez absurde pour prétendre, au sujet de ceux qui tuent le corps, qu'il ne faut pas les craindre avant la mort, parce qu'il importe peu qu'ils tuent le corps ; mais qu'il faut les craindre après la mort, de peur qu'ils ne laissent les corps des tués sans sépulture ? Alors le Christ aurait donc erré en disant : « Ceux qui tuent le corps, et qui ensuite n'ont plus aucun pouvoir ? » Car ils en auraient encore beaucoup dans ce cas, en maltraitant les cadavres. Loin de nous la pensée que ce que la Vérité a dit soit une fausseté. Elle a dit en effet qu'ils ont du pouvoir lorsqu'ils tuent, parce que le sentiment existe dans le corps que l'on tue ; mais ils n'en ont plus ensuite, parce que le corps tué est complètement privé de sentiment. Aussi, bien des cadavres de chrétiens sont restés gisants, et la terre ne les a pas recouverts. Mais personne au monde n'a pu en tirer un seul du ciel ni de la terre ; de la terre, que remplit tout entière de sa présence Celui qui sait comment ressusciter ce qu'il a lui-même créé. Il est vrai qu'on lit dans les Psaumes : « Ils ont livré les dépouilles mortelles de vos serviteurs en nourriture aux oiseaux du ciel, et les chairs de vos saints aux bêles ;de la terre, ils ont répandu leur sang comme de l'eau autour de Jérusalem ; et il n'y avait personne pour donner la sépulture (Ps. LXXVIII, 2, 3.)». Mais ces paroles témoignent éloquemment de la cruauté de ceux qui ont commis ces forfaits, plutôt que du malheur de ceux qui en ont été les victimes. Aux yeux des hommes, ces scènes paraissent affreuses et barbares, mais « aux yeux de Dieu la mort de ses saints est précieuse (Ps. CXV, 15. ) ».

Concluons donc que tous ces devoirs rendus aux morts, les soins funèbres, la manière d'ensevelir, la pompe des obsèques, sont plutôt des consolations pour les vivants, que des bienfaits pour les morts. Si une sépulture distinguée est de quelque utilité pour l'impie, l'homme pieux pâtira donc d'un humble enterrement ou même d'un manque de sépulture ? Mais voici que la foule de ses serviteurs a fait au riche vêtu de pourpre des funérailles splendides aux yeux des hommes ; et cependant celles que les anges firent au pauvre couvert d'ulcères le furent bien autrement aux yeux du Seigneur. Ils ne l'ont pas descendu dans un tombeau de marbre, mais ils l'ont transporté dans le sein d'Abraham (Luc, XVI, 19-22.). Ils rient de ce que nous disons, ceux contre qui nous avons entrepris de défendre la Cité de Dieu ; et pourtant leurs philosophes eux-mêmes ont fait peu de cas du soin de leur sépulture ; souvent des armées entières se sont fort peu souciées du lieu où elles demeureraient gisantes, des bêtes de la terre dont elles seraient la pâture ; et leurs poètes ont pu exprimer ces faits par ce langage non dépourvu de raison.

Le ciel recouvre ainsi ceux à qui l'urne manque.


A combien plus forte raison doivent-ils s'abstenir de prendre le défaut de sépulture des corps pour thème de leurs déclamations contre les chrétiens, à qui en outre cette grande promesse est faite : cette même chair et tous ces membres se reformeront un jour ; en un instant, ils reprendront non-seulement à la terre, mais dans les entrailles les plus profondes des autres éléments, les parcelles dispersées et subtilisées de leurs cadavres, et leur forme première leur sera rendue, complète et indestructible.
(à suivre)
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 Saint Augustin a écrit :
CHAPITRE III. POURQUOI LE SOIN DES FUNÉRAILLES ET DE LA SÉPULTURE EST LOUABLE.

5. « Toutefois ce n'est point là un motif de mépriser et de jeter à la voirie les corps des défunts, surtout ceux des justes et des fidèles, qui ont été comme les instruments et les vases dont l'âme s'est saintement servie pour opérer toutes sortes de bonnes œuvres. Le vêtement et l'anneau d'un père, ou tout autre souvenir semblable sont d'autant plus chers à ses enfants que leur affection pour lui fut plus vive : à quel titre mépriserait-on les corps mêmes, qui nous sont unis bien plus étroitement que n'importe quel vêtement ? Le corps ne nous a pas été donné comme un ornement ou un aide extérieur, il appartient à la nature même de l'homme. De là vient qu'une piété attentive s'est empressée de rendre aux anciens justes les soins funèbres, de célébrer leurs obsèques, et de pourvoir à leur sépulture ; et tandis qu'ils vivaient, ils ont eux-mêmes prescrit à leurs enfants d'ensevelir leurs corps et parfois aussi de les transporter d'un lieu en un autre (Gen. XXIII, XXV, 9, 10, et XLVII, 30.).

C'est en ensevelissant les morts que Tobie a mérité les faveurs de Dieu : c'est à ce titre qu'il est loué, et un ange même en rend témoignage (Tob. II, 9, et XII, 12.). Le Seigneur lui-même, qui devait pourtant ressusciter le troisième jour, publie et recommande de publier la bonne œuvre de cette femme pieuse qui avait répandu une huile parfumée sur ses membres, et parce qu'elle l'avait fait en vue de sa sépulture (Matt. XXVI, 7-13.). L’Évangile mentionne encore avec éloge ceux qui prirent soin de recueillir son corps sur la croix, de le couvrir avec un soin pieux et de l'ensevelir avec honneur (Joan. XIX, 38. ).

Toutefois ces faits autorisés ne signifient pas qu'il reste aucun sentiment dans les cadavres ; mais ils nous montrent que les corps mêmes des morts ne sont pas étrangers à la Providence de Dieu, qui a pour agréables ces pieux devoirs, parce qu'ils servent à établir la foi en la résurrection. Il y a là aussi un enseignement salutaire ; et nous pouvons y voir combien sont nécessaires les œuvres de miséricorde pratiquées à l'égard des vivants qui en sentent les effets, puisque Dieu ne laisse pas sans récompense les devoirs et les soins rendus aux membres glacés des mortels. II y a encore d'autres dispositions des saints patriarches sur leur sépulture ou le transport de leurs corps, et auquel ils ont attaché un sens prophétique (Gen. XLVII, 30, et L, 24.). Mais ce n'est pas ici le lieu d'en disserter, et les traits que nous venons de citer suffisent.

Reprenons, et faisons une réflexion sur les choses nécessaires pour sustenter les vivants, telles que le vêtement et la nourriture. La privation ne s'en fait pas sentir sans une grande affliction, et pourtant loin de briser la vertu dans les bons, je dis la patience courageuse qui s'y soumet, loin de déraciner la piété de leurs âmes, elle l'exerce au contraire, et la rend plus féconde. A plus forte raison, la privation des funérailles et de la sépulture ordinaire ne peut-elle rendre malheureux ceux qui habitent déjà dans la paix les demeures invisibles des Justes. Par conséquent, lorsque dans la dévastation de cette grande ville et des autres, les cadavres des chrétiens furent privés de ces honneurs, il n'en résulta ni une faute pour les vivants qui ne purent les leur rendre, ni une punition pour les morts qui ne purent en rien sentir (Cité de Dieu, liv. I, ch. XII, XIII.) ».

Voilà comment j'ai raisonné cette matière de la sépulture, et tel est mon sentiment formulé ailleurs. Je l'ai transcrit ici, parce qu'il m'était plus facile de le copier, que de l'exprimer de nouveau d'une autre manière.
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CHAPITRE IV. LE LIEU DE LA SÉPULTURE D'UN MORT NE LUI EST PAS UTILE PAR LUI-MÊME, MAIS PARCE QU'IL EXCITE À PRIER POUR LE DÉFUNT.

6. S'il en est ainsi, c'est évidemment une œuvre de pieuse affection pour les morts, que de choisir leur lieu de sépulture auprès des tombeaux des saints. Car si c'est un acte de religion de les ensevelir, c'en sera un aussi, on le sent, de s'occuper du choix du lieu. Mais en examinant ces soins que les vivants rendent aux morts pour se consoler, et qui révèlent en même temps leur pieuse affection pour leurs proches, il faut voir quel profit peuvent en retirer les morts eux-mêmes. Je n'en vois qu'un. C'est qu'en se rappelant le lieu où ces corps chéris reposent, les vivants les recommandent à ces mêmes saints comme à des patrons à qui ils les ont confiés pour les aider par leurs prières auprès de Dieu. Or on pourrait en agir ainsi, lors même qu'il ne serait pas possible d'inhumer les morts dans ces lieux choisis.

Mais pourquoi appelle-t-on Mémoires ou Monuments ces tombeaux remarquables que l'on construit aux défunts, sinon pour soustraire à l'oubli du cœur ceux que la mort a soustraits aux yeux des vivants ? En effet, ils le rappellent à notre souvenir, et ils nous avertissent de penser à eux. C'est ce que fait voir très-clairement le nom même de Mémoire, aussi bien que celui de Monument, (de monere mentem) qui signifie avertissement. Aussi les Grecs appellent-ils munemeion, ce que nous appelons Mémoire ou Monument, parce que dans leur langue la mémoire ou la faculté de se souvenir se dit muneme. Lors donc que le cœur se porte vers l'endroit où repose le corps d'une personne bien chère, et que le lieu vénérable qui porte le nom du martyr se présente en même temps à l'esprit, celui qui mêle la prière au souvenir du cœur recommande affectueusement l'âme bien-aimée à ce saint martyr. Or il n'est pas douteux que cet acte de la vive charité des fidèles pour les défunts, ne soit utile à ceux d'entre eux qui ont mérité, tandis qu'ils vivaient, de recevoir ce soulagement après leur mort.

Toutefois, lorsque, pour un motif grave et impérieux, il est impossible ou d'inhumer les corps, ou de les inhumer dans ces lieux, on ne doit pas pour cela omettre les supplications pour les esprits des morts. L’Église a pris à tâche de les faire en général pour tous ceux qui sont morts dans la société chrétienne et catholique, même sans les nommer, ainsi, à défaut de parents, d'enfants, de proches ou d'amis, cette tendre Mère, unique et universelle, leur rend ce pieux devoir. Que si ces supplications offertes pour les morts par une foi et une piété légitimes venaient à manquer, je suis d'avis qu'il ne servirait de rien à leurs âmes de déposer leurs corps privés de vie dans n'importe quels lieux saints.
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  Saint Augustin a écrit :
CHAPITRE V. EN QUELLE MESURE LE LIEU DE LA SÉPULTURE EST UTILE AUX MORTS.

7. Lorsque la fidèle mère d'un fils défunt a désiré voir le corps déposé dans la basilique du martyr, elle s'est persuadée certainement que les mérites du martyr viendraient en aide à l'âme. Or cette persuasion équivalait à une supplication ; c'est là ce qui fut utile au mort, et rien autre chose. Elle va maintenant par la pensée visiter ce tombeau, et elle recommande de plus en plus son fils dans ses prières : comment, en cela, l'esprit du mort est-il aidé ? est-ce le lieu où est le corps mort qui l'aide ? Non ; c'est le vivant amour de sa mère qu'excite le souvenir du lieu. Car elle pense à la fois et à celui qu'elle recommande, et à celui à qui elle le recommande ; et ce double souvenir n'émeut pas en vain cette âme religieuse.

En effet, ceux qui prient font avec les membres de leurs corps des gestes en harmonie avec la supplication ; ils ploient les genoux, ils étendent les mains, ils se prosternent sur le sol, et  d’autres mouvements visibles semblables, quoique leur volonté invisible et l'intention cachée au fond de leur cœur soient connues de Dieu, et qu'il n'ait pas besoin de ces signes pour lire dans l'âme humaine comme dans un livre ouvert. Cependant c'est ainsi que l'homme s'excite lui-même à prier et à gémir avec plus d'humilité et de ferveur. Et, je ne sais comment cela se fait, mais, quoique ces mouvements du corps ne puissent avoir lieu, sans qu'un mouvement de l'âme les ait précédés, il n'en arrive pas moins que ces signes visibles eux-mêmes rendent à leur tour plus puissant le mouvement intérieur qui les a causés ; et ainsi le sentiment d'affection qui a dû les précéder pour qu'ils pussent se produire, s'accroît parce qu'ils se sont produits. Toutefois, si quelqu'un était empêché, lié même, de telle sorte qu'il ne pût faire cet usage de ses membres, l'homme intérieur ne laisserait pas de prier en lui, et de se prosterner devant Dieu dans ces profondeurs cachées où habite la componction. De même, Celui qui adresse à Dieu des supplications pour l'âme d'un des siens qui est mort, s'intéresse vivement au lieu ou il déposera le corps ; un premier sentiment d'affection choisit un lieu sanctifié, et lorsque le corps y est déposé, le souvenir du lieu sanctifié, renouvelle et augmente à son tour ce sentiment d'amour qui a précédé et produit le choix de la sépulture.

Mais lors même que cette âme religieuse ne peut inhumer celui qu'elle aime, dans le lieu qu'elle préfère, elle n'en doit pas moins continuer les supplications nécessaires et ne pas cesser de le recommander. Peu importe le lieu où gît ou ne gît pas la chair du défunt, c'est à son esprit qu'il faut procurer le repos. Lorsque l'esprit est sorti de la chair, il a emporté avec lui le sentiment, par lequel seul il est possible de s'intéresser au sort heureux ou malheureux de quelqu'un. Ce n'est donc pas de cette chair qu'il attend d'être aidé pour vivre ; parce que c'est lui-même qui la faisait vivre, et il en a emporté la vie en en sortant, comme il la lui rapportera en y rentrant. Non, ce n'est pas la chair qui mérite pour l'esprit, c'est l'esprit qui mérite pour la chair jusqu'à la résurrection elle-même, et c'est lui qui la fera revivre soit pour le châtiment, soit pour la gloire.
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CHAPITRE VI. CORPS DE MARTYRS BRÛLÉS, ET LEURS CENDRES JETÉES DANS LE RHÔNE.

8. Nous lisons le fait suivant dans l'Histoire ecclésiastique, écrite en grec par Eusèbe, et traduite en latin par Ruffin. Dans la Gaule des corps de martyrs furent jetés aux chiens ; ce que les chiens en laissèrent fut jeté dans les flammes avec les os et entièrement consumé ; et les cendres jetées à leur tour dans le fleuve du Rhône, afin qu'il n'en restât aucun souvenir. Nous devons croire que Dieu n'eut pas d'autre dessein, en permettant ces incroyables sévices, que d'apprendre aux chrétiens qui méprisent la vie présente en confessant le Christ, à mépriser à plus forte raison la sépulture. Car si de pareils traitements exercés sur les corps des martyrs étaient un obstacle au bienheureux repos de leurs âmes victorieuses, assurément Dieu ne le permettrait pas. Le sens des paroles du Seigneur est donc éclairci par le fait même. Lorsqu'il a dit : « Ne  craignez pas ceux qui tuent le corps, et qui a ensuite n'ont plus aucun pouvoir s, il n'a pas voulu dire qu'il ne leur laisserait aucun pouvoir sur les corps des morts, mais bien que, quoi qu'ils fissent, la félicité des chrétiens défunts n'en serait aucunement amoindrie, que les sens de ceux qui sont pleins de vie après la mort n'en seraient nullement affectés, et que leurs  corps eux-mêmes n'en souffriraient aucun dommage, au moins en ce qui regarde l'intégrité de leur résurrection.
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CHAPITRE VII. LE SOIN DE LA SÉPULTURE VIENT DU SENTIMENT D'AFFECTION QUE L'HOMME ÉPROUVE POUR SON PROPRE CORPS.

9. Cependant, il est un vif sentiment dans le cœur de l'homme, c'est celui en vertu duquel jamais personne n'a haï sa propre chair (Ephes. V, 29.). Aussi, si les hommes viennent à savoir que, après leur mort, leurs corps seront privés de quelqu'un de ces soins que comporte la solennité de la sépulture en usage dans leur famille ou dans leur patrie, ils s'en attristent en leur qualité d'hommes ; et ils craignent pour leurs corps avant la mort, ce qui leur est indifférent après la mort. C'est pour cela que Dieu, comme nous le voyons dans les livres des Règnes, menace un prophète par un autre prophète de ne point laisser ensevelir son cadavre dans le sépulcre de ses pères, parce qu'il avait transgressé ses ordres. L’Écriture rapporte le fait en ces termes : « Voici ce que dit le Seigneur : Parce que tu as désobéi à la parole du Seigneur, et que tu n'as pas observé le commandement qu'il t'avait fait, parce que tu es revenu sur tes pas, que tu as mangé du pain et bu de l'eau dans un lieu où il t'avait commandé de ne pas manger de pain ni boire de l'eau, ton cadavre ne sera pas porté dans le sépulcre de tes pères (III Reg. XIII, 24-32.) ».

Si nous pesons la valeur de cette punition au poids de l’Évangile, nous trouverons qu'elle n'en mérite même pas le nom ; car nous venons de voir que lorsque le corps est tué il n'y a absolument aucune souffrance à craindre pour les membres privés de vie. Mais si nous considérons l'affection naturelle de l'homme pour sa propre chair, nous comprenons qu'il peut pendant sa vie éprouver terreur et crainte en vue de choses auxquelles il sera insensible après la mort. Et telle fut cette peine que le cœur du prophète souffrait de ce qui devait arriver à son corps, bien qu'il ne dût pas en souffrir alors que l'événement aurait lieu. C'est dans cette mesure que le Seigneur voulut punir son serviteur qui n'avait pas méprisé par orgueil le précepte divin, mais qui avait cru obéir en désobéissant, et s'était laissé tromper par la fourberie d'autrui. En effet, lorsque la dent d'une bête féroce lui donna la mort, cette mort ne fut pas de celles qui précipitent l'âme dans les supplices de l'enfer; on doit le croire, quand on voit le lion qui l'avait tué garder son corps même, laisser intacte sa monture, et celle-ci assister sans trembler avec cette terrible bête féroce aux funérailles de son maître. A ce signe extraordinaire, on reconnaît que cet homme de Dieu fut frappé d'une peine temporaire jusqu'à sa mort, plutôt que d'avoir été puni après sa mort.

L'Apôtre a des paroles qui se rapportent à notre sujet; après avoir rappelé les maladies et la mort de plusieurs comme punition de certaines offenses, il ajoute : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu. Et s'il arrive qu'il nous juge, « c'est, pour nous corriger, afin que nous ne « soyons pas damnés avec le monde (I Cor. XI, 31, 32.)». Celui qui avait trompé le prophète dont nous parlons l'ensevelit honorablement dans son propre sépulcre, et il voulut à son tour être enseveli auprès de lui. Il espérait ainsi que ses propres ossements seraient épargnés ; lorsque s'accomplirait la prophétie de cet homme de Dieu, comme il arriva au temps où Josias roi de Juda déterra en ce pays les ossements d'un grand nombre de morts, et s'en servit pour polluer les autels sacrilègement élevés aux idoles. Josias épargna en effet ce monument où reposait le prophète qui plus de trois cents ans à l'avance avait prédit ces événements ; et à cause de lui, la sépulture de celui qui l'avait trompé fut elle-même respectée (III Reg.XIII, 24-32, et IV Reg. XXIII, 16-18.). Et celui qui avait donné la mort à son âme par le mensonge avait ainsi pourvu au soin de son cadavre, stimulé par ce sentiment en vertu duquel personne n'a jamais haï sa propre chair.

C'est donc à cause de cette affection naturelle que nous avons tous pour notre chair, que l'un se sentit puni en apprenant que son corps ne serait pas porté au sépulcre de ses ancêtres, et que l'autre prit soin d'épargner à ses ossements la profanation, en se faisant ensevelir auprès de celui dont le sépulcre ne devait point être violé.
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CHAPITRE VIII. LES MARTYRS ONT DÉDAIGNÉ LE SOIN DE LEUR SÉPULTURE.

10. Les martyrs combattant pour la vérité du Christ ont triomphé de ce sentiment naturel. Il n'est en cela rien d'étonnant. Comment auraient-ils tenu compte de ce qu'ils ne devaient pas ressentir après la mort, ceux que ne purent vaincre les tourments qu'ils ressentaient étant en vie ? Sans doute Dieu pouvait disposer autrement de leurs restes, lui qui permit au lion de tuer le prophète, et ne lui permit pas de toucher ensuite à son cadavre, et qui fit de ce bourreau le gardien du supplicié. Dieu avait mille ressources pour éloigner les chiens des cadavres de ses fidèles, pour effrayer la cruauté des hommes mêmes, et les empêcher d'oser brûler les cadavres et de jeter leurs cendres dans les flots. Mais il entrait dans ses desseins que cette épreuve ne fût pas épargnée à ceux qui devaient passer par toutes les épreuves.

Il ne devait pas être dit que le courage des confesseurs, intrépide en face des cruels tourments qui devaient leur arracher la vie du corps, pâlirait devant la crainte d'être privés de l'honneur d'une sépulture ; ni que leur foi en la résurrection redouterait de voir leurs corps consumés par les flammes. Enfin, il y avait encore une raison de permettre tant d'horribles excès, qui firent ressortir tant de gloire. Les martyrs ardents à confesser le Christ rendirent ainsi témoignage à cette Vérité qui leur avait appris que ceux qui tueraient leurs corps n'auraient plus ensuite aucun pouvoir ; que tout ce qu'ils essaieraient contre les corps morts ne serait rien, puisque l'âme sortie d'une chair privée de vie ne pourrait en rien sentir, ni le Créateur de cette chair en rien perdre. Mais tandis que les martyrs souffraient avec un grand courage, sans rien craindre de ces sévices exercés sur les corps de ceux qui déjà avaient été tués, un deuil immense attristait leurs frères, impuissants à leur rendre les derniers devoirs, et à soustraire la moindre partie de leurs restes à la vigilance de cruels gardiens. Ainsi l'atteste la même histoire ( Euseb. Hist. eccl. liv. V, ch. 1.). Mais voyez : en vain on lacérait les membres des suppliciés, en vain on brûlait leurs os, en vain on dispersait leurs cendres, aucune douleur ne les atteignait. Et en même temps un grand sentiment de pitié affligeait le cœur de ceux qui ne pouvaient les ensevelir. Ils sentaient, pour ainsi dire, en ceux qui n'avaient plus aucun sentiment ; et la compassion s'inclinait vers ceux qui déjà étaient exempts de la souffrance.
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