Inquisition au Moyen-Âge.

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Louis Mc Duff
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(col. 870)

Procédures de l’Inquisition.

(suite)

II est un second cas où l'Inquisition eut à s'occuper des Juifs. Elle voulut préserver de leur lente infiltration la pureté du christianisme et, pour cela, elle poursuivit les faux convertis qui n'adoptaient la forme extérieure du christianisme que pour mieux dissimuler leur origine et leur qualité. En un temps où l'ordre social était établi sur la distinction des races et des religions, et où juifs et chrétiens avaient leur statut particulier et leurs privilèges propres, on comprend que l'Inquisition, agissant dans l'intérêt de la société autant que dans celui de l'Eglise, ait poursuivi les Juifs hypocritement convertis an christianisme, tandis qu'elle respectait, d'une part, les Juifs qui restaient fidèles à leur religion et, d'autre part, ceux qui, sans arrière-pensée, recevaient le baptême.

« L'Eglise, dit fort bien M. REINACH.ne défendait pas aux Juifs d'être juifs; mais elle interdisait aux chrétiens de judaïser et aux Juifs de les pousser dans cette voie. » (Ibid.) Ce fut l'Inquisition d'Espagne qui, au XVe et au XVIe siècle, organisa les persécutions antisémites; mais ce fut pour des raisons politiques, sous la pression des souverains, plutôt que pour des raisons religieuses et sous l'impulsion du catholicisme; de sorte que les Juifs, dit M. Reinach, « eurent d'autant plus à souffrir de l'Inquisition qu'elle s'écarta davantage de son objet propre et du rôle que lui avait tracé l'Eglise ».

En un mot, l'Inquisition religieuse du Moyen Age a respecté les Juifs quand eux-mêmes respectaient les chrétiens ; l'Inquisition politique de la Renaissance les a poursuivis et durement condamnés.

Limitant leur action répressive à l'hérésie, les inquisiteurs ne punissaient pas tous les hérétiques. « Le rejet des définitions ecclésiastiques, s'il reste interne strictement, ne relève, en cas de culpabilité, que de la justice divine; car les actes purement internes échappent forcément à toute coercition humaine. Aussi très sagement, l'adage scolastique disait: Ecclesia de internis non judicat. Restée interne, l'hérésie n'aurait pas ému la société ecclésiastique du Moyen Age. La cause de son émotion d'abord, ensuite des mesures de répression qu'elle crut devoir prendre, fut la manifestation de l'hérésie interne par des discussions ou des controverses publiques, surtout par des groupements de sectaires annonçant ouvertement leur intention de transformer la société, d'abolir ou du moins de réformer l'Eglise de fond en comble. » (DE CAUZONS, Histoire de l'Inquisition en France, II, p. 134.)

On ne saurait mieux définir la position de l'Inquisition en face de l'hérésie; elle respecta les opinions individuelles, personnelles; elle ne les punit que lorsque, passant de la spéculation à l'action, elles menacèrent l'ordre social et religieux; elle ne poursuivit que les hérétiques manifestes.

S'il en est ainsi, pourquoi l'Église a-t-elle ordonné la recherche, l'inquisitio d'hérétiques manifestes?...
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Louis Mc Duff
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(col. 870-871)

Procédures de l’Inquisition.
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S'il en est ainsi, pourquoi l'Église a-t-elle ordonné la recherche, l'inquisitio d'hérétiques manifestes? S'ils étaient manifestes, était-il besoin de les rechercher, et si on les a recherchés, souvent au prix de mille difficultés, n'est-ce pas la preuve qu'ils n'étaient pas manifestes, et que par conséquent les affirmations que nous venons d'énoncer vont à rencontre des faits ?

L'objection vaudrait s'il y avait eu une distinction bien tranchée entre les hérétiques manifestes et les autres. Mais, à dater du jour où l'Inquisition fonctionna régulièrement, il se forma une troisième catégorie d'hérétiques, bientôt la plus nombreuse. Elle comprenait ceux qui faisaient acte d'hérétiques, mais en cachette, ils se livraient à leur propagande antichrétienne et antisociale, ils recrutaient des adhérents, préparaient des complots contre l'orthodoxie, mais dans le mystère des bois et de la nuit, dans le secret de réunions occultes. Ils étaient hérétiques manifestes ; car ils manifestaient leur hérésie par des actes chaque fois qu'ils en avaient l'occasion; mais le plus souvent, ils dissimulaient ces manifestations par crainte de poursuites et ainsi, tout en étant des hérétiques manifestes, ils devaient être recherchés et convaincus lorsqu'ils niaient les faits relevés contre eux.

Ainsi reste vraie la distinction établie par M. de Cauzons à la suite de la plupart des historiens de l'Inquisition : la pensée hérétique restait libre; mais la manifestation de l'hérésie dans le domaine religieux et social était punie, parce qu'elle constituait un danger public.

On s'est élevé avec indignation contre l'Inquisition parce qu'elle refusait de livrer les noms des dénonciateurs et des témoins à charge, et de les confronter avec l'accusé. « L'accusé, écrit LEA, était jugé sur des pièces qu'il n'avait pas vues, émanant de témoins dont il ignorait l'existence... L'inquisiteur pouvait se permettre sans scrupule tout ce qui lui semblait conforme aux intérêts de la foi. » (Histoire de l'Inquisition, I, p. 495. Voir aussi l'indignation de M. CH. V. LANGLOIS, dans L'Inquisition d'après des travaux récents.)

« Cette coutume, observe avec raison M. DE CAUZONS, n'avait pas été imaginée pour entraver la défense des prévenus; elle était née des circonstances spéciales où l'Inquisition s'était fondée. Les témoins, les dénonciateurs des hérétiques avaient eu à souffrir de leurs dépositions devant les juges; beaucoup avaient disparu, poignardés ou jetés dans les ravins des montagnes par les parents, les amis, les coreligionnaires des accusés. Ce fut ce danger de représailles sanglantes qui fit imposer la loi dont nous nous occupons. Sans elle, ni dénonciateurs ni témoins n'eussent voulu risquer leur vie et déposer à ce prix devant le tribunal. »

Quand on pense aux nombreuses vendettas que les dépositions en justice amènent en Corse et en Italie, à la difficulté que les tribunaux rencontrent parfois à obtenir des dépositions de témoins oculaires refusant de parler par crainte de la vengeance des accusés, de leurs amis et de leurs parents, on s'explique, dans une certaine mesure, cette pratique de l'Inquisition; car s'il est bon de respecter les droits de la défense, il n'est ni moins bon ni moins juste de sauvegarder la sécurité des témoins dont les dépositions permettent à la justice de s'éclairer. Il y a, dans ces cas, conflit entre deux intérêts également graves; notre législation sacrifie l'un à l'autre, en livrant à la défense les noms des accusateurs et des témoins à charge; l'Inquisition a essayé de les concilier.

Ce n'était pas en effet en toute circonstance, comme semble l'indiquer l'affirmation absolue de Lea, que l'Inquisition gardait secrets les noms des dénonciateurs et des témoins :…
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Louis Mc Duff
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(col. 871-872)

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(suite)

Ce n'était pas en effet en toute circonstance, comme semble l'indiquer l'affirmation absolue de Lea, que l'Inquisition gardait secrets les noms des dénonciateurs et des témoins : c'était seulement lorsque, à le faire, il y aurait eu danger pour eux; et c'est ce que reconnaît Lea lui-même, quelques lignes plus loin. « Lorsque Boniface VIII incorpora dans le droit canonique la règle de taire les noms, il exhorta expressément les évêques et les inquisiteurs à agir à cet égard avec des intentions pures, à ne point taire les noms quand il n'y avait point de péril à les communiquer, et à les révéler si le péril venait à disparaître. En 1299, les Juifs de Rome se plaignirent à Boniface que les inquisiteurs leur dissimulaient les noms des accusateurs et des témoins. Le pape répliqua que les Juifs, bien que fort riches, étaient sans défense et ne devaient pas être exposés à l'oppression et à l'injustice résultant des procédés dont ils se plaignaient... en fin de compte, ils obtinrent ce qu'ils demandaient. » (LEA, op. cit., p. 494)

Il en était de même des confrontations; elles étaient supprimées quand il y avait, à les faire, péril pour les témoins ; on y procédait lorsque le danger n'existait pas ou avait disparu. C'est ce qui explique que, dans le procès de Bernard Délicieux, en 1319, seize témoins sur quarante furent mis en présence de l'accusé (ibid.).

Même pour les cas où il n'y avait ni confrontation des témoins ni communication de leurs noms, il est injuste de dire, avec LEA, que « l'inquisiteur pouvait se permettre sans scrupule tout ce qui lui paraissait conforme aux intérêts de la foi ».

D'abord, l'inquisiteur n'était pas seul à connaître les noms, même quand il ne les livrait pas aux accusés. Il les communiquait forcément aux notaires, aux assesseurs, en un mot, à tous les auxiliaires qui avaient le devoir de contrôler les actes de l'inquisiteur et de les dénoncer, s'ils étaient coupables ou irréguliers, au pape, aux évêques, aux dignitaires des ordres mendiants.

Dans sa bulle Licet ex omnibus, du 16 mars 1261, Urbain IV faisait un devoir de donner ces noms à un certain nombre de personnes qui devaient assister le juge dans la procédure et le jugement : ipsorum nomina non publice sed secrete, coram aliquibus personis providis et honestis, religiosis et aliis ad hoc vocatis, de quorum consilio ad sententiam vel condemnationem procedi volumus, exprimentur (Corpus juris canonici; Sexte, V, II 20). Ces personnes honnêtes et discrètes formaient une sorte de jury qui appréciait la valeur des témoins et de leurs témoignages; leur appréciation suppléait, dans une certaine mesure, au contrôle de la publicité.

Enfin, Mgr DOUAIS fait remarquer, d'après les documents qu'il a lui-même publiés, « que le prévenu était invité à faire connaître s'il avait des ennemis mortels; si oui, il devait le prouver, dire pourquoi et les désigner par leur nom; ils étaient aussitôt récusés et écartés de la cause » par l'inquisiteur ou « les personnes honnêtes et discrètes » qui l'assistaient (L'Inquisition, p. 178).

Afin d'enlever aux témoins la tentation de profiter du mystère où on les tenait pour charger des innocents, de graves pénalités frappaient les fausses dépositions. « Quand on démasquait un faux témoin, dit LEA, on le traitait avec autant de sévérité qu'un hérétique. » Après toutes sortes de cérémonies humiliantes, « il était généralement jeté en prison pour le reste de sa vie... Les quatre faussaires de Narbonne, en 1328, furent considérés comme particulièrement coupables parce qu'ils avaient été subornés par des ennemis personnels de l'accusé; on les condamna à l'emprisonnement perpétuel, au pain et à l'eau, avec des chaînes aux mains et aux pieds. L'assemblée d'experts tenue à Pamiers, lors de l'auto de janvier 1329, décida que les faux témoins devraient non seulement subir la prison, mais réparer les dommages qu'ils avaient fait subir aux accusés » (LEA, op. cit., I, p. 499).

Pour ameuter contre l'Inquisition les fureurs de l'opinion publique, on a insisté de toutes manières sur la torture qu'elle infligeait aux prévenus…
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Louis Mc Duff
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(col. 872-873)

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Pour ameuter contre l'Inquisition les fureurs de l'opinion publique, on a insisté de toutes manières sur la torture qu'elle infligeait aux prévenus ; les romanciers, les historiens anticléricaux, les artistes eux-mêmes nous ont montré les bourreaux s'acharnant avec des raffinements de cruauté contre les malheureux prévenus, sous les regards haineux de prêtres et de moines. Il faut nous garder à ce sujet de toute exagération, et pour cela, il nous suffit de laisser parler les textes.

Il est certain que la procédure inquisitoriale a fait appel à la torture pour arracher des aveux aux accusés. Elle fut ordonnée par la bulle Ad extirpanda du pape INNOCENT IV, en date du 15 mai 1252. « Le podestat ou le recteur de la cité, disait-elle, sera tenu de contraindre les hérétiques qu'il aura capturés à faire des aveux et à dénoncer leurs complices sans toutefois leur faire perdre un membre ou mettre leur vie en danger. » (Bullarum amplissima collectio, III, p. 326.) Cette constitution promulguant plusieurs règles de l'Inquisition en Romagne, Lombardie et dans la Marche de Trévise, fut confirmée par ALEXANDRE IV, le 30 novembre 1259, et CLÉMENT IV, le 3 novembre 1260 (POTTHAST, 17714 et 19433). Les inquisiteurs, d'ailleurs, n'avaient pas attendu ces décisions pontificales pour faire usage de la torture, puisque nous en avons des exemples dans le midi de la France dès 1243 (DOUAIS, Documents, p. CCXL).

L'emploi de la torture dans les procès d'hérésie est d'autant plus étonnant que jusqu'alors l'Eglise s'était efforcée de faire disparaître de toute procédure criminelle cet usage barbare.

Dès le IXe siècle, le pape NICOLAS Ier, répondant à une consultation des Bulgares, avait réprouvé ce moyen cruel d'enquête (LABBE, Concilia, VIII, 544) qui, disait-il, « n'était admis ni par les lois divines ni par les lois humaines; car l'aveu doit être spontané et non arraché par la violence » ; et reprenant cette formule, le Décret de Gratien, code de la procédure canonique du XIIe siècle, disait : « Confessio non extorqueri debet sed potius sponte profiteri. »

Deux raisons expliquent historiquement la réapparition de la torture dans le droit canonique. Elle était déjà d'un usage courant dans les tribunaux séculiers. Avec la renaissance du droit romain, dit LEA, « les légistes commencèrent à sentir le besoin de recourir à la torture comme à un moyen expéditif d'information. Les plus anciens exemples que j'ai rencontrés se trouvent dans le Code Véronais de 1228 et les Constitutions siciliennes de Frédéric II en 1231 » (Histoire de l'Inquisition, I, p. 421).

L'Inquisition du XIIIe siècle ne fit donc qu'emprunter la torture aux juridictions laïques; elle subit sur ce point l'influence de son temps. Ce qui l'y poussa, ce fut la gravité du péril que l'hérésie faisait courir à l'Eglise et à la société, et la nécessité d'y remédier avec efficacité et rapidité. Sans prétendre le moins du monde justifier ce cruel usage, rappelons que des siècles fort civilisés, tels que le XVIIe et le XVIIIe, l'ont trouvé naturel, et qu'il a fallu arriver jusqu'à Louis XVI pour le voir enfin disparaître de nos lois françaises.

A la décharge de l'Inquisition il faut dire qu'elle…
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(col. 873-874)

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A la décharge de l'Inquisition il faut dire qu'elle employa la torture, non pas avec cette cruauté raffinée que lui prêtent ses adversaires, mais avec les plus grandes précautions et dans des cas tout à fait exceptionnels. Les papes répétèrent à plusieurs reprises que la torture ne serait jamais poussée jusqu'à la perte d'un membre et encore moins jusqu’à la mort, citra membri diminutionem et mortis periculum, et ainsi ils fixaient une limite à ses rigueurs.

D'autre part, les manuels des inquisiteurs faisaient tous remarquer que la question ne devait être infligée que dans des cas fort graves et lorsque les présomptions de culpabilité étaient déjà fort sérieuses.

« D'une manière générale, pour mettre quelqu'un à la torture, il était nécessaire d'avoir déjà sur son crime ce qu'on appelait une demi-preuve, par exemple deux indices sérieux, deux indices véhéments, selon le langage inquisitorial, comme la déposition d'un témoin grave, d'une part, et, d'autre part, la mauvaise réputation, les mauvaises mœurs ou encore les tentatives de fuite (DE CAUZONS, op. cit., II, p. 237, d'après le Directorium d'EYMERIC). Elle n'était infligée que lorsque tous les autres moyens d'investigation étaient épuisés.

Enfin on ne laissait pas à l'arbitraire de l'inquisiteur, excité peut-être par la recherche de la vérité, le soin de l'ordonner. Le concile de Vienne de 1311 décida qu'un jugement devrait intervenir pour cela et que l'évêque diocésain participerait à la sentence qui serait rendue dans ce cas (Clément. V, III, 1) et aurait à lui donner son consentement.

Dans ces conditions, l'Inquisition n'eut recours que fort rarement à la torture. Dans le midi de la France où elle fut si active au XIIIe et au commencement du XIVe siècle, elle l'employa si peu que les historiens ses ennemis en ont été désagréablement surpris, et ont dû supposer — sans en fournir la moindre preuve — que l'emploi de la torture était mentionné dans des registres spéciaux aujourd'hui perdus. « Il est digne de remarque, déclare LEA, que dans les fragments de procédure inquisitoriale qui nous sont parvenus, les allusions à la torture sont singulièrement rares... » Dans les six cent trente-six sentences inscrites au registre de Toulouse, de 1309, à 1323, la seule mention qui en soit faite est dans le récit d'un seul cas. Il est possible que des cas de torture aient été omis dans ces procès-verbaux; car quoi qu'en dise Mgr Douais (Documents, p. CCXL Bernard Gui parle de la question dans sa Practica, et s'il conseille d'y avoir parfois recours (talis potest questionari... ut veritas eruatur), c'est apparemment qu'il a dû lui-même s'en servir de 1309 à 1323. Mais le laconisme des documents nous est un indice fort sérieux du caractère tout à fait exceptionnel de l'emploi de la torture en Languedoc. On a fait les mêmes constatations en Provence, en France et dans les pays du Nord. Que deviennent alors les déclamations traditionnelles et les gravures sensationnelles sur les tortionnaires de l'Inquisition?

On a vivement reproché à la procédure inquisitoriale l'interdiction qui était faite aux avocats de prêter leur ministère aux hérétiques, et on en a pris prétexte pour s'apitoyer sur ces prévenus qui étaient seuls sans défense, en face d'inquisiteurs retors et de tortionnaires raffinés…
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(col. 874-875)

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On a vivement reproché à la procédure inquisitoriale l'interdiction qui était faite aux avocats de prêter leur ministère aux hérétiques, et on en a pris prétexte pour s'apitoyer sur ces prévenus qui étaient seuls sans défense, en face d'inquisiteurs retors et de tortionnaires raffinés. Là encore, une mise au point est nécessaire.

Quelles qu'aient été les raisons qui ont fait interdire aux avocats d'assister les hérétiques, nous n'hésitons pas à déclarer qu'elles constituaient une atteinte au droit sacré de la défense, et par cela même un grave abus. C'est aussi ce que l'on ne tarda pas à comprendre, et peu à peu dans la pratique, en fait sinon en droit, les avocats parurent à côté des accusés, devant les tribunaux de l'Inquisition.

C'est ce que déclare EYMERIC dans son Directorium en parlant de l'accusé : Defensiones juris sunt ei concedendae et nullatenus denegandae. Et sic concedentur sibi advocatus, probus tamen et de legalitate non suspectas, vir utriusque juris peritus et fidei zelator, et procurator pari forma (Directorium, p. 446).

Ce passage est précieux : car il nous prouve qu'au XIVe siècle, les prohibitions faites par Boniface VIII et le droit inquisitorial du XIIIe siècle aux avocats et aux procureurs (avoués), étaient tombées en désuétude et qu'ils pouvaient assister les prévenus accusés d'hérésie. Les registres de l'Inquisition nous montrent des procès où figurent des avocats.

Dans un procès fait à un moine de Saint-Polycarpe, Raymond Amiel, par Guillaume Lombard, inquisiteur délégué par le pape Benoît XII, le prévenu demanda un avocat et le juge le lui accorda ; et c'était quelques années à peine après la prohibition portée par Boniface VIII ! (DE CAUZONS, III, p. 190 note.)

Dans les comptes de procès d'Arnaud Assalhit, se trouve la mention des honoraires dus aux défenseurs de l'accusé : « Magistris Guillelmo de Pomaribus et Francisco Dorninici advocatis, pro labore et patrocinio ipsorum (DOAT, XXXIV, f° 217).

Ces textes nous prouvent qu'il ne faut pas prendre toujours à la lettre les prescriptions rigoureuses du Code et que l'équité naturelle des inquisiteurs sut souvent atténuer, dans la pratique, les articles qui heurtaient le bon sens et l'humanité.

Ils y furent entraînés par les assesseurs qui les assistaient dans tout le cours de la procédure et donnaient leur avis sur la sentence à émettre.

Une bulle d’INNOCENT IV, du 11 juillet I254, ordonnait au prieur des Dominicains de Paris, inquisiteur du Poitou et du Languedoc, de n'interroger les témoins qu'en présence de deux personnes « parce que, dit-il, pour une accusation si grave, il faut procéder avec les plus grandes précautions » ; et de ne prononcer une sentence de condamnation que sur l'avis conforme de l'évêque diocésain, ou, en son absence, de son vicaire, ut in tante animadversionis judicio, non postponenda pontificum auctoritas intercedat (DE LABORDE, Layettes du Trésor des Chartes, 111, p. 215-216).

Le nombre de ces assesseurs s'accrut dans de grandes proportions et comprit, à côté des Ordinaires, des religieux, des magistrats, des hommes de loi…
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(col. 875-876)

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Le nombre de ces assesseurs s'accrut dans de grandes proportions et comprit, à côté des Ordinaires, des religieux, des magistrats, des hommes de loi. Même avant la bulle de 1254, les inquisiteurs Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre jugeaient « après avoir pris l'avis de beaucoup de prud'hommes, de prélats, et de plusieurs discrets religieux», communicato multorum prelatorum et aliorum bonorum virorum consitio.

Mgr DOUAIS cite des jugements qui ont été ainsi rendus en présence de 20, 27, 32, 45 et même 51 conseillers. Dans un procès de 1329, parmi ces 51 conseillers nous distinguons des représentants des évêques, des religieux, des docteurs et licenciés en droit civil, des jurisconsultes, le sénéchal, le juge mage, le juge ordinaire de la ville.

« La tenue de cette sorte de conseil est assez digne d'attention. D'abord le serment est déféré à chacun des membres qui le composent; ils s'inspireront de leur conscience et répondront d'après leurs propres lumières... communication leur est faite des charges qui pèsent sur le prévenu ou le coupable... les inquisiteurs font lire les aveux ou dépositions précédemment recueillis par les notaires... Puis, le conseil est appelé à délibérer sur chaque cas. Il répond au moins à deux questions : Y a-t-il faute et quelle faute? Quelle sera la peine? C'est à la majorité, ce semble, que la chose se décide. » (Mgr DOUAIS, L'Inquisition, p. 252.)

Ces conseils plus ou moins nombreux selon les circonstances et les pays, mais toujours obligatoires, étaient un vrai jury, fonctionnant à peu près comme celui de nos jours et, comme lui, se prononçant sur la culpabilité et l'application de la peine. Or, — on ne l'a pas fait remarquer suffisamment et même certains historiens, ennemis de l'Inquisition, l'ont tu de parti pris, — sur ce point la procédure inquisitoriale était beaucoup plus libérale que celle de son temps; elle a devancé les siècles et fait bénéficier ses justiciables d'une institution dont nous nous croyons redevables à la Révolution. Disons-le hautement : le jury a fonctionné sur notre sol français, comme d'ailleurs dans toute la chrétienté, cinq cents ans avant les réformes de 1789... et ce fut dans les tribunaux de l'Inquisition !

Le fonctionnement de ces conseils de jurés (consiliarii jurati) était pour les accusés d'hérésie une garantie de premier ordre.

Quand, à la suite de Lea, on parle du pouvoir arbitraire des inquisiteurs, on oublie qu'ils étaient contrôlés par ces conseillers et ces assesseurs.

Quand on se plaint du caractère secret de la procédure, on oublie que ces mêmes conseillers en suivaient les différentes phases.

Quand on se lamente sur la situation des accusés qui ne pouvaient pas connaître les noms des témoins à charge, on oublie que tous les témoignages étaient entendus et discutés par ces conseillers, et qu'avant le prononcé de la sentence on leur faisait relire les procès-verbaux des dépositions. Ils corrigeaient donc, dans une large mesure, les défauts, qui peuvent se remarquer dans la procédure inquisitoriale, ils réduisaient aux plus minimes proportions l'arbitraire des inquisiteurs, et offraient aux accusés des garanties que ne présentaient pas à leurs prévenus les juridictions civiles.

Ajoutons enfin que leur intervention devait s'exercer dans le sens de l'indulgence ; car c'est la tendance générale de tous les jurés…
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(col. 876-877)

Procédures de l’Inquisition.

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Ajoutons enfin que leur intervention devait s'exercer dans le sens de l'indulgence ; car c'est la tendance générale de tous les jurés. De plus, des influences de famille, des recommandations de toutes sortes ne manquaient pas de se produire auprès de ces prud'hommes, les amenant à tempérer la sentence que le zèle de l'orthodoxie et le respect superstitieux des textes juridiques auraient pu inspirer aux inquisiteurs. En tout cas, comme le voulait Innocent IV, le fonctionnement de ces conseils constituait une précaution dont l'importance était en rapport avec celle du procès: in tam gravi crimine cum multa oportet cautela procedi.

Après cela, que devons-nous penser de ces historiens de l'Inquisition qui prétendent que, devant ce redoutable tribunal tout accusé était condamné d'avance? « Pratiquement affirme LEA, celui qui tombait entre les mains de l'Inquisition n'avait aucune chance de salut... La victime était enveloppée dans un réseau d'où elle ne pouvait échapper et chaque effort qu'elle faisait ne servait qu'à l'y impliquer davantage. » (Hist. de l'Inquisition, I, p. 507-508.) « Tous les moyens ordinaires de justification étaient à peu près interdits à l'accusé, dit de son côté M. TANON... Saint Pierre et saint Paul, s'ils avaient vécu de son temps et avaient été accusés d'hérésie, se seraient vus, affirmait Bernard Délicieux, dans l'impossibilité de se défendre, et auraient été infailliblement condamnés. » ( Histoire des tribunaux de l'Inquisition en France , p. 398-399.)

Si, au lieu de nous en tenir à cette boutade lancée par Bernard Délicieux à ses juges, nous dépouillons les nombreuses sentences de l'Inquisition qui nous ont été conservées, nous emportons une tout autre impression.

Il est faux de prétendre, comme le font MM. LEA et TANON, que, devant les inquisiteurs, tout accusé était un condamné.

En effet, dans son Directoriuum (p. 474), EYMERIC prévoit le cas où le prévenu n'est convaincu par aucun moyen de droit, et où, après examen, on reconnaît n'avoir rien contre lui. « Il est renvoyé soit par l'inquisiteur, soit par l'évêque, qui peuvent agir séparément; car on ne peut faire attendre l'innocent, qui bénéficie sans retard de la décision favorable de l'un ou de l'autre de ses deux juges. » (DOUAIS, L'Inquisition, p. 197.)

Si l'accusé a contre lui l'opinion publique, sans que toutefois on puisse prouver que sa réputation d'hérétique est méritée, il n'a qu'à produire des témoins à décharge, des compurgatores, de sa condition et de sa résidence habituelle, qui, le connaissant de longue date, viendront jurer qu'il n'est pas hérétique. Si leur nombre correspond au minimum exigé, il est acquitté (EYMERIC, Directorium, ibid.).

Même s'il y a des charges contre l'accusé, il suffit qu'elles ne soient ni graves ni péremptoires, pour que l'inquisiteur se contente de son abjuration; dans ce cas, le prévenu est soumis à des pénitences canoniques, mais non à des peines afflictives. Eymeric prévoit ainsi six cas sur treize où les accusés étaient ou bien relaxés simplement, ou bien soumis à des sanctions d'ordre purement spirituel.

Même dans les cas où les prévenus étaient reconnus coupables, par suite soit de leurs aveux, soit de l'enquête, il ne faut pas croire qu'on leur appliquât toujours les peines les plus rigoureuses et que tout condamné fût livré au bras séculier.

Mgr DOUAIS a publié le registre du greffier de l'Inquisition de Carcassonne de 1249 à 1258; sur les 278 sentences qu'il nous donne, on ne relève que fort rarement la peine de la prison; la condamnation qui revient le plus…
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(col. 876-877)

Procédures de l’Inquisition.
(suite)


Mgr DOUAIS a publié le registre du greffier de l'Inquisition de Carcassonne de 1249 à 1258; sur les 278 sentences qu'il nous donne, on ne relève que fort rarement la peine de la prison; la condamnation qui revient le plus souvent est le service temporaire en Terre sainte. BERNARD GUI exerça avec une certaine sévérité les fonctions d'inquisiteur à Toulouse, de 1308 à 1323, et dans dix-huit sermones generales, il prononça 930 sentences. Or voici comment se répartissent les pénalités: « 132 impositions de croix, 9 pèlerinages, 143 services en Terre sainte, 307 emprisonnements, 17 emprisonnements prononcés platoniquement contre des défunts, 42 remises au bras séculier, 3 remises théoriques de décédés, 69 exhumations, 40 sentences de contumaces, 2 expositions au pilori, 2 dégradations, 1exil, 22 destructions de maisons, 1 Talmud brûlé. Enfin 139 sentences ordonnaient l'élargissement de prisonniers. » (DOUAIS, Documents, I, CCV.)

Ce tableau nous prouve que les peines rigoureuses, telles que l'emprisonnement et la remise au bras séculier, étaient les moins fréquentes et que, d'autre part, les prisonniers n'étaient pas oubliés dans les prisons, puisqu'un juge aussi sévère que Bernard Gui en a mis en liberté 139.

C'est la même impression que nous donne l'Inquisition de Pamiers pour le comté de Foix, d'après les savantes études de M, VIDAL (Le tribunal d'Inquisition de Pamiers, Toulouse, 1906, in-8º) : « De 1318 à 1324, elle jugea 98 inculpés; deux furent renvoyés purement et simplement; tout renseignement nous fait défaut pour 21 et on peut l'expliquer en admettant qu'on ne donne pas suite aux poursuites. Sur les 75 qui restent, 35 sont condamnés à la prison, 5 remis au bras séculier. » M. VACANDARD prétend que ces 35 sentences infligeaient la prison perpétuelle; mais il oublie que cette durée indéfinie de la captivité n'est mentionnée expressément que dans 16 sentences et, d'autre part, il cite lui-même huit libérations au Sermo generalis du 4 juillet 1322 (VACANDARD, op. cit., p. 233).

La peine la plus rigoureuse infligée aux hérétiques, la peine de la mort par le bûcher, a soulevé les plus violentes diatribes contre l'Inquisition; c'est l'une des objections les plus courantes qui sont lancées par les…
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Louis Mc Duff
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Re: Inquisition au Moyen-Âge.

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INQUISITION du Moyen-Âge.

(col. 877-878)

Procédures de l’Inquisition.

(suite)

La peine la plus rigoureuse infligée aux hérétiques, la peine de la mort par le bûcher, a soulevé les plus violentes diatribes contre l'Inquisition; c'est l'une des objections les plus courantes qui sont lancées par les polémistes de bas étage pour aviver le fanatisme anticlérical des foules aveugles et ignorantes. L'apologiste catholique n'a pas à se dissimuler la gravité de cette difficulté et il doit la résoudre avec la plus entière bonne foi. Il estimera vaine la tentative faite par certains pour rejeter sur le pouvoir civil l'entière responsabilité de ces cruelles condamnations sous prétexte que c'est lui qui les prononçait.

Cette explication a été tentée, dès le XIIIe siècle, par un maladroit apologiste de l'Inquisition. « Notre pape, disait-il, ne tue ni n'ordonne qu'on tue personne; c'est la loi qui tue ceux que le pape permet de tuer, et ce sont eux-mêmes qui se tuent en faisant des choses pour lesquelles ils doivent être tués. » (Disputatio inter Catholicam et Paterinam haereticam, dans MARTÈNE, Thesaurus novus anecdotorum,V. col. 1741.) Sans doute, mais il faut ajouter, pour être exact, que le pouvoir civil n'était pas libre de relaxer les hérétiques qu'on lui abandonnait et qu'il était tenu de prononcer contre eux l'animadversio debita.

C'est ce que déclarait formellement, dès 1184, au concile de Vérone, le pape LUCIUS III, dans sa bulle Ad abolendam; l'hérétique livré au juge séculier devait être puni par lui : debitam recepturus pro qualitate facinoris ultionem (Décret, V, VII, 9).

Le pape INNOCENT III répétait la même chose au concile général du Latran, en 1215, damnati vero praesentibus saecularibus potestatibus aut coram ballivis relinquantur, animadversione debita puniendi. (Ibid., V, VII 13).

Dans sa fameuse bulle Ad extirpanda, INNOCENT IV disait expressément : « quand des individus auront été condamnés pour hérésie, soit par l'évêque, soit par son vicaire, soit par les inquisiteurs, et livrés au bras séculier, le podestat ou recteur de la cité devra les recevoir aussitôt et, dans les cinq jours au moins, leur appliquer les lois qui ont été portées contre eux » (cité par EYMERIC dans son Directorium).

Des sanctions ecclésiastiques fort sévères furent portées contre les magistrats civils et les princes qui montraient, dans ce cas, de la négligence ou de la mauvaise volonté. L'Inquisition savait fort bien qu'en livrant l'hérétique au bras séculier, elle le livrait à des peines qui d'abord ne furent que l'emprisonnement ou l'exil, mais qui bientôt furent la mort par le bûcher. Le raisonnement de l'apologiste qui argumentait contre le Patarin nous semble donc procéder d'une casuistique tout au moins contestable. N'ayons aucune difficulté à le reconnaître, puisque les textes nous le prouvent : l'Inquisition a endossé la responsabilité des sentences que prononçait le pouvoir civil.

Ce que l'on peut ajouter cependant, c'est que cette peine du bûcher, qui révolte notre sensibilité, n'a pas été inventée par l'Eglise, mais bien par le pouvoir civil. Ce fut l'empereur FRÉDÉRIC II, qui, dans sa constitution de 1224, édicta le premier que l'hérétique, déclaré tel par un jugement de l'autorité religieuse, devait être brûlé au nom de l'autorité civile, auctoritate nostra ignis judicio concremandus. L'Eglise, avec GRÉGOIRE IX et INNOCENT IV, se contenta de ratifier cette pénalité rigoureuse, d'origine laïque.

Après avoir ainsi déterminé la part des responsabilités, il n'est que juste de…
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