Saint-Office
§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.
(col. 1108-1109)
Procès de Carranza. L'Index espagnol. — Il osa s'attaquer au primat d'Espagne, Barthélémy Carranza, archevêque de Tolède, qui, par sa haute valeur intellectuelle, ses vertus et les missions de première importance qu'il avait remplies, jouissait d'une influence considérable dans toute l'Espagne, à la cour, et à la curie romaine. Religieux dominicain, il avait longtemps enseigné la scolastique et, en 1550, il avait été élu provincial de son Ordre. Il avait défendu l'orthodoxie catholique en Flandre et contribué à la rétablir en Angleterre, sous le règne de Marie Tudor, épouse de Philippe d'Espagne. Envoyé comme consulteur au concile de Trente, par Charles-Quint, il y avait parlé avec autorité et éloquence.Enfin, après avoir successivement refusé trois évêchés, il avait été nommé par Philippe II, en 1557, au premier siège d'Espagne, le siège primatial de Tolède. Sa haute valeur et sa rapide carrière lui avaient fait des envieux et des ennemis, et dès 1530 (il n'avait que 27 ans) il avait été dénoncé à l'Inquisition par des Franciscains comme un admirateur d'Erasme; heureusement pour lui, l'Inquisiteur d'alors était Alphonse Manrique, l'ami d'Erasme; l'affaire n'eut pas de suite.
Vingt ans plus tard, il écrit le traité De residentia, prêchant aux évêques le devoir de la résidence, que le Concile de Trente leur rappelait. Il se fit des ennemis mortels des grands prélats espagnols qui ne résidaient pas, et en particulier de Fernand de Valdès, qui était à la fois archevêque de Séville et grand Inquisiteur.
En 1558, ils déférèrent au Saint-Office ses Comentarios sobre el catecismo cristiano qu'il venait de publier en les dédiant au roi Philippe II. Ce livre fut examiné par deux théologiens renommés, dominicains comme Carranza, Melchior Cano et Dominique de Soto, qui censurèrent dans ces Commentaires, le premier 141 propositions, le second 91, comme entachées de protestantisme.
En même temps, l'Inquisition et le roi d'Espagne écrivirent de longues lettres au pape Paul IV, lui signalant les progrès considérables que faisait le protestantisme en Espagne et lui demandant de les autoriser à prendre des mesures exceptionnelles contre tous les prélats qui inclineraient vers l'hérésie. Effrayé par le tableau qui lui était ainsi fait de l'Espagne, Paul IV donna cette permission, le 26 juin 1559 ; et le 22 août suivant, le primat fut arrêté à Torrelaguna et emprisonné à Valladolid.
Il ne tarda pas d'ailleurs à être vengé de ceux qui avaient donné matière à son procès ; les deux religieux qui l'avaient censuré, Melchior Cano, évêque des Canaries, et Dominique de Soto furent poursuivis en même temps que lui par l'Inquisition et le second allait être emprisonné quand il mourut.
Plusieurs prélats, Guerrero, archevêque de Grenade, les évêques de Malaga, de Jaen, de Léon, d'Almeria, se déclarèrent pour Carranza et approuvèrent ses Commentaires; à leur tour, ils furent poursuivis. Pour corser encore le procès, le grand Inquisiteur fit examiner tous les manuscrits de Carranza que l'on put trouver, et même interrogea des témoins sur ses paroles. L'enquête dura longtemps : on en trouvera l'histoire, avec le résumé des dépositions, dans LLORENTE (tome III, chapitres 32, 33 et 34). La procédure durait toujours, lorsque le Concile de Trente reprit ses sessions. Se rappelant le grand rôle qu'y avait joué le primat de Tolède comme évêque et auparavant comme consulteur, les Pères résolurent d'arracher l'archevêque de Tolède à l'Inquisition espagnole.
Philippe II voulut prévenir leurs démarches…