Saint-Office et Inquisition.

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Louis Mc Duff
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(col. 1091-1092)

§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole. — Dans son Histoire de l'Inquisition, LLORENTE cite cette inscription gravée en latin sur le château de Triana a Séville. « le Saint-Office de l'Inquisition, établi contre l'erreur hérétique dans les royaumes d'Espagne, a commencé à Séville, l'an 1481, Sixte IV siégeant sur la chaire apostolique et l'accordant, et sous le règne de Ferdinand V et d'Isabelle qui en ont demandé la concession. Le premier inquisiteur général a été le Frère Thomas de Torquemada, prieur du couvent de Sainte-Croix de Ségovie, de l'ordre des FF. Prêcheurs. Dieu veuille, pour la propagation et le maintien de la foi, qu'il dure jusqu'il la fin des siècles !... Levez-vous, Seigneur, soyez juge dans votre cause. Prenez pour nous les renards ! Capite nobis vulpes.» (t. I, p. 151).

Prise à la lettre, cette inscription est inexacte ; deux siècles et demi avant la date qu'elle donne, l'Inquisition avait été déjà établie en Espagne, et si elle était tombée en désuétude, elle n'était pas abolie; la preuve en est que des inquisiteurs étaient institués en Castille et en Aragon lorsque les « rois catholiques » en nommèrent de nouveaux, ce qui amena des conflits de juridiction entre les anciens et les nouveaux. Ce fut donc une remise en activité de l'Inquisition, plutôt qu'une création de toutes pièces, qui donna naissance au Saint-Office espagnol Mais il se présentait sous un aspect un peu nouveau : il était dirigé moins contre les hérétiques et les infidèles que contre les faux catholiques; et il avait un caractère plus national et plus étatiste que l'Inquisition médiévale, d'essence plus catholique et plus romaine.

Ce fut le roi Ferdinand d'Aragon qui en prit l'initiative ; plus douce de caractère, sa femme Isabelle, reine de Castille, hésita quelque temps à le suivre ; mais elle finit par s'unir à ses démarches. Sollicité par l'un et l'autre, le pape Sixte IV leur envoya le bref du 1er novembre 1478, par lequel « il donnait pleins pouvoirs à Ferdinand et à Isabelle de nommer deux ou trois inquisiteurs, archevêques, évêques ou autres dignitaires ecclésiastiques, recommandables par leur prudence et leurs vertus, prêtres séculiers ou réguliers, âgés d'au moins quarante ans, et de mœurs irréprochables, maîtres ou bacheliers en théologie, docteurs ou licenciés en droit canon, et ayant subi d'une manière satisfaisante un examen spécial. Ces inquisiteurs étaient chargés de procéder contre les Juifs baptisés relaps et contre tous autres coupables d'apostasie. Le pape leur déléguait la juridiction nécessaire pour instruire les procès des inculpés, conformément au droit et à la coutume, et autorisait les souverains espagnols à les destituer et en nommer d'autres à leur place. » (PASTOR, Histoire des Papes, t. II, p. 370; LLORENTE , Histoire de l'Inquisition, t. IV, p. 410).

Munis de cette arme, les souverains espagnols ne s'en servirent pas tout de suite. Pour éclairer les Juifs nouvellement convertis, Isabelle demanda au Cardinal Mendoza, archevêque de Séville, de faire rédiger un catéchisme à leur usage. Sa publication provoqua la rédaction d'un violent pamphlet contre le gouvernement d'Isabelle et la religion catholique; il était écrit par un Juif; d'autre part, les souverains catholiques firent voter, au commencement de 1480, par les Cortès réunies à Tolède, une série de mesures destinées à contenir les Juifs en les distinguant soigneusement des chrétiens.

Ce fut seulement le 17 septembre suivant, près de deux ans après l'expédition du bref de Sixte IV, qu'ils nommèrent les premiers inquisiteurs prévus par ce bref, avec résidence à Séville…
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Louis Mc Duff
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§ II.Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

(SUITE)

(col. 1092-1093)

Ce fut seulement le 17 septembre suivant, près de deux ans après l'expédition du bref de Sixte IV, qu'ils nommèrent les premiers inquisiteurs prévus par ce bref, avec résidence à Séville. C'étaient deux Dominicains, le provincial Michel Morillo, et le vicaire de l'Ordre, Jean Saint-Martin, auxquels furent adjoints le chapelain d'Isabelle, Lopez del Barco, procureur fiscal, c'est-à-dire ministère public, et Jean Ruis de Médina, abbé séculier de la collégiale de Médina de Rio-Seco, conseiller de la reine. (LLORENTE, t. I p. 158.)

Le 20 janvier 1481, le nouveau tribunal publia son premier édit, ayant pour objet d'empêcher l'émigration des nouveaux chrétiens. Il faisait un devoir à tous les officiers royaux et nobles de Castille d'arrêter les fuyards, de les envoyer à Séville et de mettre sous séquestre leurs biens, frappant d'excommunication et de suspicion d'hérésie quiconque n'obéirait pas. De nombreux prisonniers affluèrent à Séville. Suivant la procédure des inquisiteurs du Moyen-Âge, telle qu'ils l'avaient rédigée dans leurs Directoires et leurs Manuels, les inquisiteurs de Séville publièrent ensuite un édit de grâce, ordonnant à tous les apostats de se dénoncer eux-mêmes et leur promettant l'absolution s'ils avaient un vrai repentir. Le terme accordé pour cette démarche une fois passé, un troisième édit ordonnait, sous peine de péché et d'excommunication, à tout chrétien, de dénoncer dans un délai de trois jours, tous ceux qui « avaient embrassé l'hérésie judaïque », c'est-à-dire les Juifs qui, s'étant convertis en apparence, étaient restés secrètement fidèles à leur foi; les inquisiteurs énuméraient 37 signes auxquels on pouvait reconnaître ces pseudo-chrétiens (LLORENTE, t. I, p. 158).

Ils commencèrent aussitôt leurs procédures; ils se montrèrent fort durs et prononcèrent de nombreuses condamnations. Llorente a donné les chiffres suivants qui ont été reproduits depuis, par la plupart des historiens de l'Inquisition et de l'Espagne : « Le 6 janvier 1481, dit-il (t. I, p. 160), l'Inquisition fit brûler 6 condamnés ; 17 le 26 mars suivant, et un plus grand nombre un mois après ; le 4 novembre de la même année, 398 nouveaux chrétiens avaient déjà subi la peine du feu; 79 accusés se trouvaient plongés dans les horreurs d'une prison perpétuelle ; et tout cela s'était passé dans la seule ville de Séville... Dans les autres parties de la province et l'évêché de Cadix, 2.000 de ces malheureux furent livrés aux flammes en 1481, au rapport de Mariana ; d'autres, en plus grand nombre, furent brûles en effigie et 17.000 subirent différentes peines canoniques. »

Sur ce point, nous prenons Llorente en flagrant délit d'exagération…
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Louis Mc Duff
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§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

(SUITE)

(col. 1093)

Sur ce point, nous prenons Llorente en flagrant délit d'exagération. A la suite de cette statistique, il décrit des raffinements de supplices et au bas de la page, il est obligé de les démentir, comme si le meilleur démenti n'eût pas été de supprimer purement et simplement de son texte ce qu'il en déclare lui-même faux. Pourquoi l'a-t-il maintenu, sinon pour qu'il en reste quelque chose dans l'esprit du lecteur ?

Quand il lançait ce total impressionnant de 17.000 condamnations canoniques, il oubliait sciemment de dire quelles étaient ces peines, pour laisser faire à l'imagination du lecteur toutes sortes de suppositions sur leur nature et leur gravité. Or, dans notre article INQUISITION, nous avons montré nous-même que ces peines étaient presque toutes des pénitences spirituelles ou légèrement corporelles,

Llorente affirmait enfin que, dans la seule année 1481, 2.000 nouveaux chrétiens furent brûlés dans la seule ville de Séville et le diocèse de Cadix ; double mensonge ! Si l'on se reporte au texte de Mariana sur lequel il appuie son affirmation (MARIANA. Histoire d’Espagne, livre XXIV, chap. 17), on constate que cet historien évalue en effet à 2.000 le nombre de victimes fait par le grand inquisiteur Torquemada, mais sur toute l'étendue territoriale et pendant toute la durée de son inquisition. Or, Torquemada fut inquisiteur, non pas seulement en 1481, mais de 1481 à 1498 et il exerça sa juridiction non seulement à Séville et dans le diocèse de Cadix, mais sur l'Aragon et la Castille, jusqu'en 1492, et, après la chute de l'empire arabe de Grenade à cette dernière date, sur presque toute la péninsule. Dans ces conditions, la moyenne des condamnés, pour un an a été, non de 2.000, mais de 125, et non pas seulement pour une ville et un diocèse, mais pour la plus grande partie de l'Espagne.

C'était d' ailleurs beaucoup trop, surtout en 1481 où la proportion des condamnés au bûcher dépassa de beaucoup la moyenne. Des plaintes furent portées à Rome contre cette rigueur excessive ; et le pape Sixte IV les accueillit favorablement. Dans un bref adressé, le 29 janvier 1482, à Ferdinand et à Isabelle, il s'exprimait en termes sévères sur les inquisiteurs de Séville…
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Louis Mc Duff
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(SUITE)

(col. 1093-1094)

…Dans un bref adressé, le 29 janvier 1482, à Ferdinand et à Isabelle, il [n.d.l.r.: le Pape Sixte IV] s'exprimait en termes sévères sur les inquisiteurs de Séville.

Il commençait par déclarer que, dans le bref qui avait autorisé leur nomination, les rédacteurs avaient omis certaines clauses qui, expressément stipulées par lui, auraient prévenu leurs abus; ainsi l'acte même par lequel l'Inquisition avait été établie avait été faussé dès son expédition.

Il l'avait été ensuite dans l'usage qui en avait été fait. Sous prétexte de l'exécuter, ajoutait le pape, les inquisiteurs avaient jeté beaucoup de gens en prison, sans se conformer aux règles de la justice, les soumettant à de cruelles tortures, les déclarant à tort hérétiques, confisquant les biens des suppliciés, de sorte que, pour se soustraire à de telles cruautés, beaucoup avaient pris la fuite.

En conséquence, après avoir consulté les cardinaux, le pape ordonnait aux inquisiteurs de se conformer désormais aux règles du droit et de l'équité et de s'entendre avec les évêques (comme le faisait l'ancienne Inquisition). Il ajoutait que Morillo et Saint-Martin méritaient d'être révoqués, mais qu'il les maintenait en fonctions pour ne pas donner un démenti public à la confiance que leur avaient accordée les souverains de Castille et d'Aragon en les nommant, « ne eosdem Michaelem et Johannem ut minus inhabiles et insufficientes reprobasse et consequenter eorum nominationem per vos factum, damnasse videremur. » Il déclarait toutefois qu'il passerait outre à cette crainte et révoquerait les inquisiteurs, s'ils ne s'amendaient pas.

Ferdinand et Isabelle avaient demandé au Saint-Siège d'étendre à toute la Castille et à tout l'Aragon la juridiction du Saint-Office de Séville. Sixte IV, comprenant l'erreur qu'il avait commise en laissant aux souverains espagnols la nomination de pareils juges, s'y refusa formellement, alléguant qu'ailleurs l'Inquisition était déjà instituée depuis longtemps. Il faisait ainsi allusion à ces tribunaux qui avaient été établis, dès le XIIIe siècle, dans les royaumes chrétiens d'Espagne, pour la répression de l'hérésie, mais dont les juges, nommés en droit par le pape, exerçaient en son nom leur juridiction et s'étaient tellement montrés débonnaires qu'ils ne répondaient pas à la politique sévère de Ferdinand et d'Isabelle. (Ce bref a été publié par LLORENTE, op. cit., t. IV., pp. 346-348).

Après avoir ainsi rappelé à l'ordre les inquisiteurs royaux de Séville, le pape s'adressa aux siens…
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§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

(SUITE)

(col. 1094-1095)

Après avoir ainsi rappelé à l'ordre les inquisiteurs royaux de Séville, le pape s'adressa aux siens, ceux-là mêmes que, par la création du nouveau Saint-Office avec juridiction étendue sur tous leurs états, les souverains espagnols avaient voulu supprimer. Par un bref du 17 avril 1482, Sixte IV leur rappelait les règles traditionnelles qu'ils devaient soigneusement observer dans leurs poursuites et leurs procédures.

Cette démarche, qui constituait un blâme indirect au Saint-Office de Séville, déplut à Ferdinand et à Isabelle; par l'intermédiaire du cardinal espagnol Roderic Borgia (plus tard pape sous le nom d'Alexandre VI), qui résidait à la Curie comme évêque de Porto et y exerçait les fonctions de protecteur officieux de la nation espagnole, ils présentèrent leurs remontrances au Saint-Siège; elles eurent pour résultat un bref dilatoire expédié le 10 octobre 1482.

Le pape y déclarait aux souverains espagnols que, le bref d'avril ayant été délibéré en consistoire, pour le modifier il voulait attendre le retour des cardinaux qui avaient quitté Rome à cause de la peste. En attendant, il révoquait les mesures, contraires au droit commun, que ce bref pouvait contenir, et recommandait plus que jamais à tous les inquisiteurs de rester fidèles aux procédures traditionnelles et aux règles du droit et de l'équité. Comme le cardinal Borgia avait allégué que le bref du 17 avril 1482 empêchait toute répression, le pape déclarait que, pourvu qu'elle observât le droit commun, la poursuite des hérétiques devait se continuer (LLORENTE, t. IV, pp. 349-350).

Cette lettre ne satisfit pas Ferdinand et Isabelle; pour soustraire l'Inquisition espagnole aux interventions du Saint-Siège, ils demandèrent que les appels à Rome, qui étaient de droit commun, fussent reçus et jugés en Espagne par l'archevêque de Séville, désigné, une fois pour toutes, par le Saint-Siège comme juge d'appel. Dans son Histoire de l'Inquisition, si partiale contre l'Eglise romaine, LLORENTE a approuvé cette demande, n'y voyant qu'un moyen d'empêcher l'exode d'Espagne des sommes nécessaires pour poursuivre à Rome les appels; il n'a pas vu ou plutôt n'a pas voulu voir qu'elle avait surtout pour but de mettre presque entièrement le Saint-Office aux mains du gouvernement royal, en donnant le jugement des appels à un sujet de la reine de Castille, l'archevêque de Séville, et par conséquent d'accroître le caractère politique et les rigueurs souvent cruelles du Saint-Office, serviteur du pouvoir civil.

L'examen de cette demande, présentée par le cardinal Borgia, fut confié à une commission cardinalice qui comprenait surtout des cardinaux espagnols résidant à la curie : …
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§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

(SUITE)

(col. 1095-1096)

L'examen de cette demande, présentée par le cardinal Borgia, fut confié à une commission cardinalice qui comprenait surtout des cardinaux espagnols résidant à la curie : Borgia, agent de son maître le roi d'Aragon et de Valence, Arcimboldi, du titre de Sainte-Praxède, Auxias Despuig, originaire de Majorque, archevêque de Montréal en Sicile, Riario évêque d'Osma en Espagne et neveu du pape, Jean de Moles Margarit, évêque de Girone en Catalogne, et plus tard cardinal sur la recommandation de Ferdinand, Gonzalo de Villadiégo, chapelain espagnol du pape, dans la suite évêque d'Oviedo.

Ainsi composée, cette commission estima que les appels en cour de Rome n'étaient souvent qu'un expédient destiné à entraver le cours de la justice, et elle proposa au pape de répondre favorablement aux souverains espagnols; ce que fit Sixte IV, par un bref de juin 1483, Le pape regretta bientôt cette nouvelle concession ; car des plaintes venues d'Espagne continuaient à lui dénoncer les cruautés du Saint-Office de Séville. Prenant la formule solennelle des bulles Ad perpetuam rei memoriam, il essaya de corriger, en août suivant, le mauvais effet de son bref précédent en édictant à jamais des règles générales que les inquisiteurs devraient suivre (2 août 1483).

Il commençait par rappeler que le Saint-Office avait été institué contre les Juifs qui feignaient de se convertir au catholicisme pour mieux duper les chrétiens, et que cette institution avait été sollicitée par Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille.

Faisant ensuite allusion au bref du mois de juin, il constatait avec peine que la nomination de l'archevêque de Séville comme juge des appels en cour de Rome, n'avait nullement fait cesser les abus et les rigueurs excessives. Aussi imposait-il au Saint-Office espagnol plusieurs mesures de clémence envers des inculpés qui s'étaient adressés directement au Saint-Siège. Il déclarait que les procès qui avaient été commencés contre ces personnes devaient être regardés comme terminés et il ordonnait à l'archevêque de Séville, aux évêques espagnols ses collègues et aux prélats espagnols résidant à Rome d'admettre à la réconciliation privée, après leur avoir imposé une pénitence secrète, tous ceux qui le demanderaient, bien qu'ils eussent été mis en jugement, convaincus, condamnés au feu et même exécutés en effigie. Ils devaient aussi absoudre les coupables qui se présenteraient avec des commissions à cet effet, tenir comme absous quiconque l'aurait été par la Pénitencerie apostolique el les protéger contre toute poursuite.

S'adressant ensuite à Ferdinand et à Isabelle, il leur rappelait que la compassion pour les coupables était plus agréable à Dieu que les rigueurs, et il les suppliait, au nom du cœur de Jésus Christ, de traiter favorablement ceux de leurs sujets qui avoueraient leurs erreurs, de leur permettre de vivre librement à Séville et dans tous leurs états, et d'y conserver tous leurs biens. « Quia sola clementia est quae nos Deo, quantum ipsa natura praestat humana, facit aequales, regem et reginam praefatos per visecera D. N. J, C. rogamus et exhortamur ut, illum imitantes cujus est proprium misereri semper et parcere, suis civibus Hispalensibus, et ejus dioecesis indigenis erroremque suum cognoscentibus ac misericordiam implorantibns, parcere velint... »

Dans son Histoire de l'Inquisition, LLORENTE prétend que cette bulle n'eut pas d'effet, parce que, par peur des rois d'Espagne, Sixte IV en suspendit l'exécution, le 13 août, soit onze jours après l'avoir publiée. Mais il n'en donne aucune preuve, et il constate, quelques lignes plus loin, que l'évêque d'Evora en Portugal la mit à exécution dans son diocèse. Il semble plutôt qu'elle ait été tenue en échec par le juge des appels obtenu par Isabelle, l'archevêque de Séville, Enneco Manrique de Lara.

Torquemada.
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Louis Mc Duff
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§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

(SUITE)

(col. 1096-1097)

Torquemada. — Poursuivant avec persévérance leur dessein de constituer fortement l'Inquisition, en lui donnant à l'égard de Rome la plus grande autonomie, les souverains espagnols voulurent lui imposer un chef unique, investi une fois pour toutes, par le Saint-Siège, de la juridiction spirituelle et du droit de juger en son nom les appels à Rome; et comme jusque là l'Inquisition était confiée à l'ordre des Prêcheurs, ils proposèrent pour ces fonctions un religieux dominicain, Torquemada.

Dès le mois de février 1483, Isabelle avait demandé à Sixte IV de renforcer l'organisation de l'Inquisition dans ses Etats de Castille ; ce fut sans doute alors que, sur sa demande, Torquemada fut nommé par le Saint-Siège inquisiteur général de Castille et de Léon. Ces fonctions furent étendues à tous les Etats de Ferdinand, l'Aragon, le royaume de Valence et la Catalogne, par un bref du 17 octobre suivant. Cette nomination fut faite aussi à la demande du roi, comme la précédente l'avait été à la demande de la reine. C'est ce que déclare formellement le pape à Torquemada : « Supplicari nobis fecerunt carissimi in Christo filii nostri Castellae et Legionis rex et regina ut te in eorum Aragoniae et Valentiae regnis ac principatu Cataloniae inquisitorern hæreticæ pravitatis deputare vellemus. » (Bullar. Ord. Praedicatorum,III, p. 612).

En vertu de ces deux nominations, Torquemada était inquisiteur général pour toute l'Espagne, et le Saint-Office avait un chef unique. Fait plus grave : si le pape nommait ainsi le premier titulaire de cette charge si importante, il était entendu que les rois d'Espagne choisiraient ses successeurs ; et comme Torquemada obtint dans la suite du Saint-Siège, pour lui et ses successeurs, le droit de nommer lui-même les inquisiteurs régionaux et de juger les appels à Rome, on voit que le Saint-Office était entièrement entre les mains du grand Inquisiteur nommé par le pouvoir civil et à peu près indépendant du Saint-Siège.

Ces mesures eurent plusieurs effets immédiats. Ce fut d'abord de dessaisir de l'Inquisition espagnole le maître général de l'Ordre des Prêcheurs, qui jusqu'alors nommait les inquisiteurs dans toute la péninsule; ce fut ensuite de transformer l'Inquisition elle-même, qui, telle qu'elle avait été créée au XIIIe siècle, était essentiellement épiscopale et papale : par le choix d'un Inquisiteur général nommé par les princes, elle devenait, dans une large mesure, monarchique et politique, et échappait totalement à l'épiscopat et en grande partie à la papauté.

C'est ce qu'a fort bien fait remarquer dans son Histoire des maîtres généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs, le P. MORTIER, en montrant la concession énorme que fit ainsi aux souverains catholiques le pape Sixte IV.

Que l'on ne croie pas que, parce qu'ils étaient Dominicains et recevaient l'investiture spirituelle de Rome, les inquisiteurs régionaux et généraux restaient soumis à leur Ordre et au Saint-Siège. D'abord, leurs successeurs ne devaient pas être choisis forcément parmi les Dominicains ; le roi avait le droit de prendre l'Inquisiteur général dans d'autres ordres ou dans le clergé séculier, et l'Inquisiteur général avait la même liberté pour le choix de ses auxiliaires et de ses subordonnés. D'autre part, la large autonomie attribuée au Saint-Office, en rendant fort rares les cas où le pape pouvait intervenir, donnait à ses interventions possibles un caractère d'une telle importance qu'il devait craindre de les faire, surtout en présence des susceptibilités du pouvoir civil, toujours en éveil contre les immixtions, dans le royaume, de l'autorité pontificale.

D'ailleurs, les souverains de Castille et d'Aragon ne tardèrent pas à tirer en faveur de leur autorité toutes les conséquences qui découlaient des concessions pontificales. A côté du grand Inquisiteur, ils nommèrent un Conseil royal de l'Inquisition, qui avait voix délibérative dans toutes les questions de droit civil et voix consultative dans les questions de droit canonique. Ses membres, nommés par le pouvoir civil, furent, au début, le grand Inquisiteur, président de droit et à vie, Alfonso Carrillo, évêque nommé de Mazara, et deux docteurs en droit, Sancho Velasquez de Cuellar et Pons de Valence.

De son côté, Torquemada…
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§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.

Torquemada.[suite]

(col. 1097-1098)

De son côté, Torquemada divisa l'Espagne en plusieurs circonscriptions inquisitoriales, ayant pour chefs-lieux Valladolid, Séville, Tolède, Jaen, et Avila ; il rendait caduque l'organisation de l'ancienne Inquisition. (MORTIER, IV, p. 582). Enfin il fit rédiger par ses deux assesseurs le règlement qui définissait la procédure et le fonctionnement de la nouvelle Inquisition. Dans son Histoire, LLORENTE déclare avoir eu en mains ce document, en sa qualité de secrétaire de l'Inquisition ; et il en donne un résumé, article par article (tome I, pp. 175-185) (1).

Ce règlement s'inspirait des Directoires qu'avaient rédigés certains inquisiteurs du Moyen Age, et en particulier de celui de Nicolas Eymeric (Voir notre article INQUISITION dans ce Dictionnaire), mais en les aggravant. Il définissait le temps de grâce et la publication qui devait en être faite, la manière de recevoir les confessions volontaires et de réconcilier ceux qui les faisaient; la manière de recevoir les dénonciations, de discuter les témoignages et de vérifier la sincérité des aveux ; l'usage de la torture pendant l'instruction; les peines, qui étaient de simples pénitences canoniques, le port de certains costumes, la confiscation, la prison même perpétuelle, enfin l'abandon au bras séculier, c'est-à-dire la mort sur le bûcher.

Nous ne retrouvons pas dans ce règlement un certain nombre de mesures édictées par les Directoires du Moyen Age en faveur des accusés, par exemple l'adjonction au tribunal de prud'hommes, formant jury, d'après la formule communicato bonorum virorum consilio. (Voir article INQUISITION). Ce règlement fut publié sous le nom d'Instructions dans une junte qui se tint à Séville le 29 octobre 1484. Il comprenait 28 articles, auxquels on en ajouta 11 en 1490 et 15 en 1498 : ce fut le code du Saint-Office (1).

Ainsi établie, l'Inquisition espagnole se montra, dès ses débuts, dure et même cruelle.

Ce caractère lui fut imprimé tout d'abord par Torquemada lui-même, qui semble avoir été, auprès des souverains catholiques, l'inspirateur de toute cette politique de répression violente. C'était un homme d'une austérité à toute épreuve; confesseur, pendant de nombreuses années, de Ferdinand et d'Isabelle, il ne leur avait demandé ni dignité ecclésiastique, ni fortune, restant prieur de son couvent de Ségovie pendant vingt-deux ans. « Un religieux, disait-il, ne doit être rien ou pape. » Quoique fort instruit, après de fortes études, il ne voulut pas être maître en théologie. Ce ne furent donc ni la cupidité, ni l'ambition qui le guidèrent ; mais un amour passionné de la vérité catholique et de sa patrie, dont la sécurité lui semblait compromise par les faux chrétiens. « Rude à lui-même, il fut rude pour les autres. » (MORTIER, IV, 581).
_____________________________________________________________

(1). Il a été publié par REUSS, Sammlung der Instructiones des spanischen lnquisitionsgerichts; Hanovre, 1788.

A suivre : § III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.
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(col. 1098)

§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques. — Ce qui accrut les rigueurs de l'Inquisition, ce fut la résistance qu'elle rencontra. Le parti auquel elle s'attaqua, celui des faux chrétiens, juifs faisant figure de chrétiens ou chrétiens fils de juifs, avait dans les royaumes espagnols une influence politique et sociale considérable, occupant en grand nombre les hautes situations dans le monde des affaires et même dans les conseils du gouvernement. Menacés directement par le Saint-Office, ils ameutèrent contre lui tous les milieux où s'exerçait leur action. A la cour, ils firent agir un des leurs, Don Abraham senior, qui avait prêté de fortes sommes d'argent à Isabelle de Castille, pour sa guerre contre les Maures, et avait été nommé par elle administrateur de ses finances et grand rabbin de toutes les communautés espagnoles (GRAETZ, Histoire des Juifs,lV, p. 399). Mais, en montrant ainsi l'intérêt qu'il portait aux judéo-chrétiens, Abraham, en fait, les dénonçait, puisque, ne les considérant pas comme apostats, il les reconnaissait vrais juifs sous leur apparence chrétienne. Aussi ses démarches furent-elles sans effet.

Lorsque, aux Cortès convoquées, en avril 1484, à Tarragone, le roi Ferdinand promulgua l'extension à tout l'Aragon de la juridiction de l'Inquisition, et ordonna à tous ses fonctionnaires et en particulier au justiza de lui prêter main-forte, il rencontra une vive opposition.

« C'est que, dit LLORENTE (I, p. 187), les principaux employés de la cour d'Aragon étaient des fils des nouveaux chrétiens : de ce nombre étaient Louis Gonzalez, secrétaire du roi pour les affaires du royaume ; Philippe de Clemente, protonotaire ; Alphonse de la Caballeria, vice-chancelier; et Gabriel Sanchez, grand trésorier, qui tous accompagnaient le roi et descendaient d'Israélites condamnés, en leur temps, par l'Inquisition. Ces hommes et beaucoup d'autres qui possédaient des charges considérables à la Cour, eurent des filles, des sœurs, des nièces et des cousines qui devinrent les femmes des premiers nobles du royaume... Ils profitèrent de l'avantage que leur offrait leur influence pour engager les représentants de la nation à réclamer auprès du pape et du roi contre l'introduction du nouveau code inquisitorial. »

Ces faits, rapportés par l'un des plus farouches adversaires de l'Inquisition, nous prouvent combien la cour et la société espagnole étaient « enjuivées » et nous font comprendre l'effort que fit, par l'Inquisition, le nationalisme espagnol, pour combattre cette invasion par infiltration, devenue un danger national.

Ajoutons que ce parti judéo-chrétien pouvait compter sur le propre neveu du roi, Jacques de Navarre…
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

(SUITE)

(col. 1098-1099)

Ajoutons que ce parti judéo-chrétien pouvait compter sur le propre neveu du roi, Jacques de Navarre.

N'ayant pas réussi dans ses démarches, il eut recours au terrorisme pour paralyser, par la peur, l'Inquisition et surtout les agents du pouvoir qui devaient lui prêter leur concours. Sous la direction du grand trésorier de la couronne d'Aragon, Gabriel Sanchez, avec l'aide de fonctionnaires qui avaient fait serment d'aider l'Inquisition, ils organisèrent un complot pour mettre à mort Pierre Arbuès, chanoine de Saragosse, que Torquemada venait de nommer grand inquisiteur d'Aragon, à la demande du roi Ferdinand. Ils réunirent de fortes sommes d'argent que fournirent de riches juifs de Saragosse, Tarragone, Calatayud, Huesca et Barbastro, et chargèrent de l'exécution Jean de la Abadia, noble Aragonais descendant de juifs par les femmes. Celui-ci soudoya plusieurs conjurés, Jean d'Esperaindeo, Vidal d'Uranso, Mathieu Ram, Tristan de Leonis, Antoine Grau et Bernard Leofante.

Celui qu'ils visaient, l'inquisiteur Pierre Arbuès, rassemblait moralement à Torquemada ; austère dans sa vie, pieux, d'une vertu au-dessus de tout éloge et d'un zèle très grand pour l'orthodoxie, il s'était montré très rigoureux pour les judéo-chrétiens et en avait envoyé plusieurs au supplice. Prévenu du complot qui se tramait contre lui, il méprisa cet avertissement, souhaitant presque une mort qui ferait de lui un confesseur de la foi et un martyr. Dans la nuit du 15 septembre 1485, tandis qu'il chantait à genoux, devant l'autel majeur de la cathédrale, l'invitatoire de Matines, il fut frappé par plusieurs conjurés et mourut, deux jours après, de ses blessures. (LLORENTE I, pp. 190 et suiv; GRAETZ, IV, pp. 404 et suiv.; BOLLANDISTES, 15 septembre, vie du bienheureux Pierre Arbuès).

Commis en de pareilles circonstances, ce meurtre détermina, dans toute la ville, une grande effervescence du peuple qui approuvait l'Inquisition ; et l'archevêque de Saragosse, Alphonse d'Aragon, jeune fils du roi, dut parcourir à cheval la cité pour la calmer en promettant le châtiment des coupables. En constatant que cet assassinat était l'effet d'un complot dont les ramifications s'étendaient à plusieurs villes et jusqu'à l'entourage immédiat des souverains, Ferdinand estima la situation très grave, surtout lorsqu'il lui fut prouvé que les conjurés avaient trouvé asile auprès de son propre neveu, le prince Jacques de Navarre. C'est ce qui explique la rigueur de la répression ; plus de 300 personnes, au dire de l'historien juif GRAETZ, furent condamnées à divers supplices, dont plusieurs, il est vrai, ne furent exécutées qu'en effigie; l'infant de Navarre lui-même fut emprisonné et soumis à une pénitence publique, avant d'être mis en liberté.

Cette répression ne réussit pas à rétablir l'ordre. Marranes et juifs riches, soutenus par les seigneurs qu'ils tenaient par l'argent, provoquèrent une succession de révoltes à Téruel, où, nous dit Llorente, « il fallut toute la fermeté du roi pour les apaiser » ; à Valence, où la noblesse fit cause commune avec les Juifs, à Lérida, à Barcelone, à Majorque (1485-1487). Ces révoltes furent suivies d'exécutions ou autodafés en plusieurs villes, surtout à Ciudad-Réal.

Une autre cause vint encore aggraver les rigueurs de l'Inquisition et multiplier ses condamnations…
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