Saint-Office et Inquisition.

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Louis Mc Duff
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I. — MAINMISE DE LA ROYAUTÉ SUR L'INQUISITION au XIVe et au XVe siècle

(SUITE)

(col. 1082-1083)

Tant par les crimes visés que par la qualité des juges, cette cause semble intéresser la foi et les mœurs; en réalité, si l'on considère les antécédents du prévôt, ses ennemis, les circonstances de son arrestation et de sa condamnation, on voit que l'Inquisition fut, contre lui, l'instrument d'un parti, et que son procès fut, avant tout, politique.

Aubriot avait été nommé prévôt royal de Paris lorsque, après la tentative manquée d'Etienne Marcel, Charles V avait supprimé la charge élective de prévôt des marchands, pour placer à la tête de sa capitale un fonctionnaire royal, nommé par lui et ne relevant que de lui. Pendant tout le règne de Charles V, il avait combattu les aspirations autonomistes des Parisiens et de l'Université et avait été l'homme du roi. Or, il avait eu parfois la main dure, et à plusieurs reprises maîtres et étudiants avaient porté plainte contre lui au roi.

Après l'avènement de Charles VI, sa puissance ne fut plus la même. Le pouvoir passa aux princes, frères du feu roi, qui s'empressèrent de renvoyer les petites gens avec lesquelles Charles V avait gouverné : le chancelier Pierre d'Orgemont dut se retirer, dès septembre 1380, suivi bientôt de Jean Le Mercier, ancien trésorier des guerres et consulteur des aides. Le moment sembla propice à l'Université pour satisfaire ses rancunes contre le prévôt royal; elle le traduisit devant le Parlement de Paris à l'occasion des violences qu'elle avait subies de sa part, le jour des obsèques de Charles V; mais s'étant aperçue de la faveur que lui témoignaient plusieurs membres de cette Cour souveraine, composée de légistes comme lui, et dont le premier président Paillart était bourguignon comme lui, elle crut plus habile de porter l'affaire devant l'Inquisition, et ce fut pour cela qu'elle lui intenta un procès d'hérésie.

De ce simple exposé, il ressort que la mise en accusation de Hugues Aubriot, son jugement, sa condamnation et sa réhabilitation furent provoqués par la politique. C'était le prévôt de Paris, hostile à ses privilèges, beaucoup plus que le prétendu hérétique, que l'Université poursuivait avec tant de haine ; c'était l'ami de Charles V que réhabilitait Clément VII. En réalité, dans cette affaire, comme dans celle des Templiers, l'Inquisition avait été l'instrument de la politique et non la gardienne de l'orthodoxie.

Il en fut de même dans le procès de Jeanne d'Arc…
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Louis Mc Duff
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I. — MAINMISE DE LA ROYAUTÉ SUR L'INQUISITION au XIVe et au XVe siècle

(SUITE)

(col. 1083-1085)

Il en fut de même dans le procès de Jeanne d'Arc.

Un coup d'œil superficiel nous montre la Pucelle jugée par un tribunal ecclésiastique, au sein duquel se rencontrent la juridiction épiscopale, représentée par Cauchon, évêque de Beauvais, l'Inquisition, représentée par le vice-inquisiteur de Rouen, Lemaître, et l'Université de Paris, représentée par un certain nombre de ses docteurs. Les griefs articulés concernent la foi et les mœurs, la sentence se présente comme canonique.

Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que l'apparence religieuse donnée au tribunal, à la procédure et au jugement, masquent difficilement le caractère essentiellement politique de l'affaire.

Cauchon, le président du tribunal, était bien un évêque et son assesseur, le dominicain Lemaître, le vice-inquisiteur de Rouen ; mais ils instrumentaient comme agents de l'Angleterre, et non du Saint-Siège. Ce fut l'Université de Paris et Cauchon, conservateur de ses privilèges, qui eurent l'idée du procès; ce fut l'Université, appuyée par le vicaire général du grand Inquisiteur, qui somma le duc de Bourgogne de livrer Jeanne (lettre du 26 mai 1430); ce fut encore l'évêque de Beauvais qui se la fit livrer par Jean de Luxembourg. Or, depuis plusieurs années, les passions bourguignonnes de l'Université de Paris l'avaient jetée à corps perdu dans le parti anglais ; et Cauchon, l'un de ses protecteurs, était tellement connu pour ses sentiments anglais, que, devant le succès des armes de Charles VII, il avait quitté son diocèse pour se réfugier en terre anglaise, à Rouen; il y vivait avec son vicaire général Jean d'Estivet, qui allait jouer dans le procès le rôle de promoteur, c'est-à-dire de ministère public.

Ce qui prouve bien que l'Angleterre était derrière cet évêque, ce promoteur et cet inquisiteur, c'est,

1°) que l'argent qui servit à acheter la Pucelle à Jean de Luxembourg, fut versé par Cauchon « au nom du roi d'Angleterre »;
2°) que, conduite à Rouen, Jeanne fut enfermée dans les prisons royales et non dans celle de l'Eglise, comme l'exigeait la procédure inquisitoriale;
3°) qu'elle y fut gardée par des soldats anglais et non par des agents de l'Inquisition;
4º) que l'évêque de Beauvais lui-même se reconnut comme l'agent direct du gouvernement anglais, lorsque, répondant à Jeanne qui le récusait, il déclara cyniquement : « Le roi a ordonné que je fasse votre procès et je le ferai ! »

Jeanne d'Arc, de son côté, était tellement persuadée que son procès était politique et non ecclésiastique, qu'elle demanda à Cauchon de choisir ses assesseurs moitié dans le parti anglais et moitié dans le parti français. Cauchon lui refusa cette garantie, comme il devait lui refuser toutes celles qu'elle devait lui demander dans la suite, et l'unique raison qu'il en donna, c'est que « cela déplaisait aux Anglais ». ( Procès, II, pp. 7-8 ).

Fonctionnant au nom de l'Angleterre et non du pape, qui ne fut informé de rien, ce tribunal avait été constitué d'une manière arbitraire, contraire à la procédure inquisitoriale et au droit canon. Cauchon, en sa qualité d'évêque, prétendait bien juger au nom de la juridiction inquisitoriale primitive, que Grégoire IX avait conservée à l'ordinaire quand il avait constitué l'Inquisition papale; mais à quel titre Cauchon pouvait-il la revendiquer, puisqu'il n'était d'aucune manière ni le juge naturel de Jeanne comme ordinaire, ni son juge extraordinaire comme délégué du Saint-Siège, dont il n'avait aucune commission ?

Il n'était pas son ordinaire; car elle n'avait aucun lien avec le diocèse de Beauvais, et la ville de Compiègne, où elle avait été prise, se trouvait dans le diocèse de Soissons. Si on allègue qu'à Rouen le chapitre de cette ville avait délégué ses pouvoirs à Cauchon, il est facile de répondre que le fait d'être incarcérée à Rouen ne rendait pas Jeanne justiciable du chapitre et de son délégué.

L'évêque de Beauvais n'avait aucune commission pontificale ; car il ne s'en prévalut jamais, et la procédure n'en porte aucune trace. Il semble d'ailleurs que ni le pape Martin V, qui mourut avant l'ouverture du procès, ni Eugène IV, qui fut élu quelques semaines avant la condamnation, ne furent mis au courant de l'affaire.

D'autre part, on viola, au cours du procès, toutes les formes de la procédure inquisitoriale, telles qu'elles étaient précisées par les Directoires des Inquisiteurs. (Cf., dans ce même dictionnaire, notre article INQUISITION)

C'est ce que démontre fort bien M. le chanoine DUNAND, dans la savante étude que dans ce même dictionnaire il a consacrée à JEANNE D'ARC.

En réalité, comme les procès des Templiers et d'Aubriot, celui de Jeanne d'Arc est une preuve de la mainmise du pouvoir civil sur l'Inquisition qu'il traitait comme sa servante à tout faire.

Dans le Dauphiné, au cours de la répression des Vaudois, l'Inquisition subit la même évolution; c'est ce que constate, pour l'année 1372, l'historien ecclésiastique RAYNALDI (Annales ecclesiastici) : « Les fonctionnaires royaux, loin de fournir aux inquisiteurs de Grégoire XI l'appui désirable, ne se faisaient pas scrupule d'entraver leur action. On leur assignait comme terrain d'opération des localités peu sûres; on les forçait d'admettre comme assesseurs des juges séculiers; on soumettait leurs procédures à l'examen de tribunaux séculiers; on rendait même, sans les consulter, la liberté à leurs prisonniers. » (LEA, Histoire de l'Inquisition, II, p.. 180).

Ces empiètements devinrent si grands que le pape s'en plaignit à Charles V, mais en vain. En 1376, le roi prétendit conserver pour lui seul le produit de toutes les confiscations prononcées par l'Inquisition du Dauphiné. Lorsque, après le grand schisme, le pape Sixte IV, en 1476, voulut rendre au Saint-Office dauphinois toute son indépendance, il se heurta aux susceptibilités de Louis XI, hostile à toute autorité qui prétendait s'exercer en dehors de celle du roi.

Dans l'Italie du XIIIe siècle, l'Inquisition fut d'autant plus active que…
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(SUITE)

(col. 1085)


Dans l'Italie du XIIIe siècle, l'Inquisition fut d'autant plus active que plus puissants et plus nombreux étaient les hérétiques en Lombardie, en Vénétie, en Toscane et jusque dans Rome. Contre eux, les Dominicains Raynier Sacchoni, de Milan, Saint Pierre martyr de Vérone, et Jean de Vicence avaient déployé beaucoup de zèle et une grande rigueur. Mais même dans ces états italiens où l'Eglise ne rencontrait pas devant elle des pouvoirs aussi forts et aussi jaloux que ceux des rois de France et d'Angleterre, l'autorité inquisitoriale finit par tomber sous la suprématie civile. Le serment que prêta, en 1249, le doge Marino Morosini, nous montre qu'à Venise, les sentences de l'Inquisition étaient soumises à l'exequatur du Conseil. Un document de 1256 nous prouve que les hérétiques y étaient poursuivis non seulement par l'Inquisition, mais aussi par les magistrats séculiers; et un autre de 1288, que la République gardait pour elle les biens confisqués aux hérétiques pratique que le pape Nicolas IV dut approuver le 28 août 1288 (LEA, op. cit., t. II, p. 301).

Dans le royaume des Deux-Siciles, Charles d'Anjou favorisa l'Inquisition, parce que les ennemis de l'Eglise étaient aussi les siens ; mais ses successeurs ne tardèrent pas à la placer sous leur étroite dépendance. Aux XIVe siècle, les inquisiteurs devaient soumettre leurs sentences à l'homologation des tribunaux royaux; et les hérétiques étaient enfermés dans les prisons séculières (LEA, op. cit., ibid., p. 339). Le peu de vitalité qui restait à l'Inquisition fut encore affaibli en 1442, quand la maison d'Aragon obtint la couronne de Naples. GIANNONE (dans son Histoire de Naples) nous dit que les princes d'Aragon admettaient rarement les inquisiteurs; encore exigeaient-ils, quand ils consentaient à laisser agir le Saint-Office, que les fonctionnaires inquisitoriaux leur remissent des comptes rendus détaillés de tout acte officiel; ils n'autorisaient les condamnations qu'avec le concours des magistrats séculiers et sous réserve de la ratification royale. » (LEA, ibid. p. 343).

En Allemagne, le Saint-Office avait débuté par les exécutions cruelles ordonnées par le terrible Dominicain Conrad de Marbourg (cf. notre article INQUISITION, dans ce Dictionnaire); mais le meurtre de cet inquisiteur, le 31 juillet 1233, fut le signal d'une réaction contre l'Inquisition. La plupart des évêques et des princes de l'Empire en profitèrent, les premiers pour revendiquer pour la seule autorité épiscopale la répression de l'hérésie, les seconds pour la réserver aux tribunaux séculiers. Pendant plus d'un siècle, « on ne constate aucun essai, aucune nomination, aucune mission d'inquisiteurs germaniques... L'absence de l'Inquisition pontificale est attestée d'une façon significative par les coutumiers de l'Allemagne au Moyen Age ; il n'y est fait aucune mention d'une institution telle que le Saint-Office. » (LEA, op. cit., Ibid., p. 415).

Pour retrouver des traces de l'Inquisition pontificale dans l'Empire, il faut se reporter à un siècle plus tard…
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I. — MAINMISE DE LA ROYAUTÉ SUR L'INQUISITION au XIVe et au XVe siècle

(SUITE)

(col. 1085-1086)

Pour retrouver des traces de l'Inquisition pontificale dans l'Empire, il faut se reporter à un siècle plus tard. En 1336, un moine augustin, Jordan, fut nommé par le Saint-Siège inquisiteur dans les deux districts de la Saxe ; mais la longue lutte qui se poursuivait alors entre l'empereur Louis de Bavière et le pape, protégea contre l'action des inquisiteurs tous les hérétiques, alliés de l'empereur. Il n'en fut plus ainsi lorsque, après la mort de Louis de Bavière, des relations cordiales s'établirent entre Charles IV de Luxembourg, son successeur, et le Saint-Siège. En 1352, le pape Innocent VI essaya d'organiser, dans tout l’Empire, la répression de l'hérésie ; mais il se heurta, comme ses prédécesseurs, à l'opposition des évêques, dont plusieurs — tels les électeurs ecclésiastiques — étaient des princes. Ce ne fut qu'à partir de 1373, sous Grégoire XI, que l'Inquisition pontificale fonctionna dans l'Empire germanique, un siècle et demi après son institution par Grégoire IX, un siècle et demi avant Luther.

On lui attribua le supplice de Jean Hus et de son disciple Jérôme de Prague, en 1415, parce que l'action qui aboutit à leur condamnation fut faite d'après la procédure inquisitoriale. En réalité, ce fut non l'Inquisition, mais le Concile de Constance lui-même, qui engagea l'affaire, jugea les accusés sur les réquisitions de ses propres commissaires, après avoir dirigé les interrogatoires et toute la procédure. Ajoutons que l'historien protestant LEA, qui exalte Jean Hus, reconnaît que les Pères du Concile multiplièrent les efforts pour sauver le coupable en obtenant de lui une rétractation (op. cit., t. II, pp. 588-589).

Malgré l'appui malheureux que donna à Raymond VI, comte de Toulouse, contre Simon de Montfort, le roi d'Aragon Pierre, le vaincu de Muret, il ne semble pas que l'albigéisme ait pénétré sérieusement dans la péninsule ibérique ; les hérétiques qu'on pouvait y rencontrer étaient des personnalités isolées ou des étrangers chassés du Languedoc. Aussi la répression de l'hérésie y fut-elle aussi faible qu'elle était énergique de l'autre côté des Pyrénées. Jusqu'en 1226, on n'y trouve traces d'aucune sorte d'inquisition.

Tandis que, dans le midi de la France, ce furent les papes, ayant pour instruments les Ordres mendiants, qui établirent et firent fonctionner l'Inquisition pontificale afin de suppléer à l'inaction des seigneurs et des évêques du pays, dans les royaumes espagnols ce furent les rois qui prirent l'initiative de la répression de l'hérésie, dès qu'elle se montra dans leurs Etats.

En 1226, Jaime, roi d'Aragon, interdit à tout hérétique l'entrée de son royaume ; deux ans plus tard, il « exclut de la paix publique » les hérétiques, leurs hôtes et leurs partisans et, pour les découvrir, il demanda au pape Grégoire IX des inquisiteurs. En 1233, à Tarragone, il promulgua tout un Code contre l'hérésie et les fauteurs d'hérésie ; mais, dans la procédure qu'il instituait, il réservait le rôle important aux officiers royaux; celui des évêques et des clercs demeurait subalterne.

Ainsi encouragée par le pouvoir civil, l'Eglise chercha, dès lors, à organiser, en Espagne, l'Inquisition pontificale, telle qu'elle fonctionnait dans le midi de la France. Ce fut l'œuvre de saint Raymond de Peñafort, de l'ordre des Prêcheurs, canoniste du pape, puis celle de Grégoire IX, d'Innocent IV et d'Urbain IV, qui consolidèrent le Saint-Office en le confiant aux Dominicains.

L'Inquisition ne semble pas avoir déployé une grande activité dans la seconde moitié du XIIIe siècle et les rois d'Aragon durent l'activer par plusieurs édits; en 1286, Alphonse II ordonna à tous ses fonctionnaires de se mettre à la disposition des inquisiteurs, et en 1292, Jaime II crut nécessaire de le leur rappeler.

On signale des cas assez fréquents de répression, au commencement du XIV siècle; mais bientôt…
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I. — MAINMISE DE LA ROYAUTÉ SUR L'INQUISITION au XIVe et au XVe siècle

(SUITE)

(col. 1086-1087)

On signale des cas assez fréquents de répression, au commencement du XIV siècle; mais bientôt, les rois et les Cortès d'Aragon opposèrent leur juridiction à celle de l'Inquisition pontificale qui, se trouvant ainsi paralysée, fonctionna d'une manière intermittente au XIVe et dans la première moitié du XVe siècle.

En Castille l'action de l'Inquisition fut encore plus faible ; c'est ce que nous affirme un historien porté plutôt à accabler l'Eglise de fâcheuses responsabilités, LEA : « Le grand royaume de Castille et de Léon, écrit-il, comprenant la plus grande partie de la péninsule ibérique, ignora le fléau de l'Inquisition médiévale. Cette monarchie était plus indépendante de Rome que toute autre, à la même époque... Les difficultés particulières que causait à la Castille la présence d'une nombreuse population de Juifs et de Maures vaincus, auraient été compliquées plutôt que résolues par les méthodes de l'Inquisition. (Histoire de l'Inquisition, t. II, p. 215)

Cependant l'hérésie y fut parfois réprimée, mais par l'autorité civile. Contre elle, nous trouvons toute une procédure codifiée dans le Fuero Real (1255) et les Siete Partida (1265) d'Alphonse X le Sage. LEA fait remarquer que cette législation est essentiellement civile; elle ne tient aucun compte ni du droit ecclésiastique ni des bulles promulguées en faveur de l'Inquisition. « Si Alphonse et ses conseillers, écrit-il, considéraient comme un devoir pour l'Etat d'assurer la pureté de la foi, ils voyaient en cette obligation une affaire purement civile, où l'Eglise n'intervenait que pour déterminer la culpabilité de l'accusé » (lbid., p. 219), à la manière d'un expert, l'autorité civile se réservant l'initiative des poursuites, le droit de condamner et d'exécuter les sentences.

Il en fut de même en Portugal. En 1211, le roi Alphonse II fit voter par les Cortès des lois sévères contre les hérétiques, mais il refusa de reconnaître les inquisiteurs que lui envoya, dans la suite, l'ordre dominicain. Ce fut seulement dans les dernières années du XIVe siècle que le Saint-Siège essaya d'organiser l'Inquisition pontificale dans ce royaume; mais il n'y réussit pas. Les religieux qui voulurent, en son nom, poursuivre l'hérésie se heurtèrent, presque toujours, à l'opposition des évêques et du pouvoir civil.

A suivre : II. — L'INQUISITION ESPAGNOLE (XIV-XIXe SIÈCLES).
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II. — L'INQUISITION ESPAGNOLE (XIV-XIXe SIÈCLES).

(col. 1087-1088)

§ I. Ses origines. — Comment se fait-il que, dans les temps modernes, l'Inquisition ait été particulièrement dure dans ces pays d'Espagne qui l'avaient si peu pratiquée au Moyen âge? Pourquoi, lorsque les royaumes de la péninsule eurent réalisé leur unification, prit-elle chez eux cette puissance, cette activité, cette rigueur qui, dans l'imagination des peuples, ont fait de l'Espagne comme la patrie et le pays d'élection du Saint-Office?

Jusqu'au XVe siècle, de tous les royaumes chrétiens, ceux de la péninsule ibérique avaient montré la plus grande tolérance pour les deux religions non chrétiennes, le judaïsme et l'islamisme.

Les Juifs y étaient fort nombreux. Tolède, la capitale de la Castille, en comptait plus de 12.000 et possédait plusieurs synagogues d'une magnificence incomparable. « Sous Alphonse VIII le Noble (1166-1214), dit un de leurs historiens, les Juifs occupèrent des fonctions publiques... Joseph ben Salomon ibn Schoschan, qui avait le titre de prince, homme riche, généreux, savant et pieux, était très considéré à la cour et auprès de la noblesse... Le roi, marié à une princesse anglaise, avait eu, pendant sept ans, une favorite juive appelée Rahel que sa beauté avait fait surnommer Formosa... Les Juifs de Tolède le secondèrent énergiquement dans sa lutte contre les Maures. » (GRAETZ, Histoire des Juifs, trad. Moïse Bloch, t. IV, p. 118).

Il en était de même en Aragon et en Catalogne, où « les Juifs, dit le même historien, vivaient dans une complète sécurité et pouvaient s'adonner librement à tous les travaux intellectuels.»

Cette large tolérance dura tout le XIIIe et tout le XIVe siècle, et si elle fut parfois troublée, ce fut moins par des explosions de fanatisme que par les luttes politiques des factions auxquelles les Juifs prirent part. Si, à la fin du XIVe siècle et au XVe, les Juifs furent les victimes de persécutions légales de la part des gouvernements, et de massacres de la part du peuple, leur historien et coreligionnaire Graetz reconnaît que parfois il faut en chercher la cause dans leur propre arrogance et leurs compétitions. Ils se dénonçaient les uns les autres aux pouvoirs publics et aux tribunaux chrétiens, et ils allèrent jusqu'à faire condamner à mort par leurs propres tribunaux l'un des ministres du roi Pierre de Castille, leur coreligionnaire Pichon : ce qui contribua, pour une grande part, à déchaîner la persécution qui détruisit leur influence (GRAETZ, Ibid., t. IV, pp. 300 et suiv.).

Les violences commencèrent par des massacres au cours d'émeutes populaires. Les gouvernements essayèrent de les réprimer en protégeant contre elles les Juifs, car les rois de Castille (Henri III, 1390-1406), de Navarre (Charles III le Noble, 1387-1425). et d'Aragon continuèrent, au XVe siècle, de s'entourer de médecins et de conseillers juifs. Les papes mêmes vinrent à leur secours, et Boniface IX (1389-1404), renouvelant le geste de son prédécesseur d'Avignon, Clément VI, publia une bulle interdisant de baptiser de force les fidèles d'Israël et du Talmud.

Ce qui acheva de compromettre la situation des Juifs en Espagne, rendant inefficace la protection des souverains et du Saint-Siège, ce fut l'apparition, au cours du XVe siècle, d'une classe de Juifs « camouflés » en chrétiens, les Marranes.

Désireux d'échapper aux massacres et de conserver leurs hautes situations financières, économiques et politiques…
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§ I. Ses origines.

(SUITE)

(col. 1088-1089)

Désireux d'échapper aux massacres et de conserver leurs hautes situations financières, économiques et politiques, de nombreux Juifs demandèrent le baptême tout en conservant au fond de leur cœur la foi juive et en pratiquant, dans le secret de leurs maisons, les observances talmudiques. Ce mouvement se dessina nettement après les carnages de 1391 et s'accentua, surtout en Castille, lorsque, cédant à la pression de l'opinion, le jeune roi Jean II déclara les Juifs incapables de remplir une fonction publique (1468). C'est par milliers que se produisirent ces conversions apparentes. M. MARIÉJOL a montré, d'après les textes, l'hypocrisie de ces faux chrétiens : « Obligés de participer aux sacrements, ils s'efforçaient de se soustraire le plus souvent possible à ces odieuses comédies. Au tribunal de la pénitence, ils n'avouaient rien, ou des fautes légères; ils faisaient baptiser leurs enfants, mais ils lavaient soigneusement, au sortir des cérémonies, les parties ointes du saint chrême. Des rabbins venaient en secret les instruire. Des schochet égorgeaient, suivant les rites, les animaux et les oiseaux qui leur servaient de nourriture. Ils se servaient d'huile pour accommoder les viandes et ne mangeaient du porc que dans un cas forcé. » (L'Espagne sous Ferdinand et Isabelle, p. 45)

Cette contrainte hypocrite qu'ils subissaient pour conserver leurs biens, leurs fonctions et parfois aussi leur vie, leur rendait odieux ce christianisme auquel ils feignaient de croire; leur duplicité haineuse était dénoncée avec virulence par ceux de leurs anciens coreligionnaires qui, s'étant sincèrement convertis, s'étaient élevés jusqu'au sacerdoce ou voulaient donner aux chrétiens un gage de leur zèle de néophytes en leur livrant leurs anciens frères, faussement convertis. Pour ces différentes raisons, les Marranes finirent par former entre eux une sorte de maçonnerie, qui les rendit plus impopulaires et plus suspects qu[e] les Juifs fidèles; et de même qu'après la défaite des Albigeois on avait institué des recherches, des « inquisitions » pour reconnaître ceux d'entre eux qui recouvraient leur infidélité d'un masque d'orthodoxie, au XVe siècle, en Espagne, on organisa une Inquisition pour rechercher les Marranes.

Ce fut l'une des origines de l'Inquisition espagnole; en voici une autre…
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§ I. Ses origines.

(SUITE)

(col. 1089-1090)

Ce fut l'une des origines de l'Inquisition espagnole; en voici une autre.

Les relations des chrétiens d'Espagne avec les Arabes ressemblèrent à celles qu'ils entretinrent avec les Juifs; elles ne furent pas uniquement hostiles, comme une vue sommaire des choses pourrait le faire croire. Le contact permanent des deux races et des deux religions, pendant sept siècles, détermina entre elles des rapports diplomatiques, des échanges de marchandises, et même des mariages. On vit des princesses chrétiennes épouser des princes musulmans, et au XVe siècle une famille chrétienne qui ne comptait pas parmi ses ancêtres quelque sectateur de Mahomet était une rareté.

Lorsque les Arabes s'étaient emparés de la péninsule, au VIIIe siècle, leur intérêt leur avait fait respecter certaines libertés des chrétiens soumis par eux, et qui, en face de leurs vainqueurs, constituaient la masse de la population cultivant le sol. Le culte catholique continua à se célébrer dans l'empire des Kalifes; en 782 et 852, des conciles se tinrent dans les villes arabes de Séville et de Cordoue; ce fut alors que ces chrétiens soumis à la domination arabe et appelés Mozarabes précisèrent ce rite particulier qui porte leur nom et est encore en usage à Tolède.

Les rois chrétiens ne se conduisirent pas autrement à l'égard des populations musulmanes qui continuèrent à vivre dans les pays reconquis par eux sur l'Islam. Désireux de les conserver pour maintenir la fécondité des campagnes qu'elles cultivaient et la prospérité des industries qu'elles avaient portées à un haut degré de perfection, ils leur garantissaient le respect de leurs coutumes et de leur religion. Ainsi des musulmans en grand nombre vivaient sous le sceptre des rois chrétiens dans les villes reconquises de Valence, de Tolède, de Séville, même quand la guerre reprenait entre la Croix et le Croissant. Parfois, il est vrai, quelque effervescence de patriotisme ou de fanatisme chrétien forçait les Mores à se réfugier chez leurs coreligionnaires; mais le plus souvent ils s'enfonçaient plus avant dans les pays chrétiens, jusqu'à Barcelone et aux Pyrénées.

Aussi les rois de Castille et d'Aragon furent-ils obligés de fixer dans leurs lois et leurs codes la condition politique et religieuse des Arabes de leurs états ; et cette condition ressemblait à celle des Juifs. D'après le code de Valence, « tout individu, de quelque religion qu'il fût, régnicole ou étranger, pouvait commercer librement, être hébergé partout et choisir le lieu de sa résidence... Les Mores ne devaient être ni forcés ni empêchés de se convertir au christianisme. » (DE CIRCOURT, Histoire des Mores Mudejares et des Morisques, t. I, pp. 251 et suiv.) Ils avaient des mosquées, où ils célébraient librement leur rite, et même des tribunaux à eux, où des juges de leur race et de leur religion réglaient leurs différends d'après le Coran. « Leurs propriétés étaient garanties sous peine de restitution du double ; aux foires, ils jouissaient des mêmes sûretés que les chrétiens. En Aragon, le roi les avait sous sa spéciale protection, et ils n'étaient justiciables que de son bailli. » (CIRCOURT, op. cit., t.I , p. 257).

Plus les royaumes chrétiens gagnèrent de terrain sur les royaumes arabes…
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§ I. Ses origines.

(SUITE)

(col. 1090)

Plus les royaumes chrétiens gagnèrent de terrain sur les royaumes arabes nés de la décomposition du Kalifat de Cordoue, et plus l'élément more prit de l'importance au milieu des populations chrétiennes. Gardant leur religion, leurs coutumes et leurs tribunaux, les Arabes ne s'assimilaient pas à la race chrétienne au milieu de laquelle ils vivaient. Maîtres d'une grande partie de l'industrie, restant en possession des avantages économiques qu'ils avaient eus avant la conquête catalane, aragonaise et castillane et les augmentant encore par le commerce avec leurs coreligionnaires du sud de la Péninsule, de l'Afrique et du bassin de la Méditerranée, ils avaient une influence sans cesse grandissante, qui constituait un danger de plus en plus grave pour les chrétiens.

On le vit bien au milieu du XIIIe siècle. En 1248 et en 1254, des soulèvements arabes se produisirent dans le royaume de Valence uni à celui d'Aragon, et de là, gagnèrent la Castille avec l'appui des émirs du Sud et du Maroc ; ils se renouvelèrent en 1277. Leur répression eut pour effet l'émigration en terre musulmane d'une grande partie de la population morisque et de sa richesse industrielle, au plus grand profit du royaume islamique de Grenade qui gagnait, avec de nouveaux sujets, un apport économique considérable.

Pour prévenir de nouvelles révoltes, les rois de Castille et d'Aragon commencèrent par garantir, une fois de plus, la liberté de conscience et de culte à leurs sujets musulmans et par les protéger contre toute vexation individuelle.

Mais, aussitôt après, ils prirent une série de mesures pour contenir en de certaines limites leur influence politique et sociale ; édictées en 1282, au lendemain même des révoltes et de leur répression, elles furent renouvelées au XIVe et au XVe siècle. En 1284. Pierre III d'Aragon interdit aux Mores comme aux Juifs tout emploi dans la judicature, la police et les finances ; la même mesure était prise en Castille par Alphonse XI ( 1348 ) et renouvelée par Henri II en 1368, Jean I en 1388, et Jean II en 1408. La même année, Jean II enleva aux Mores leurs tribunaux particuliers, mais en stipulant qu'ils seraient jugés d'après leur droit séculaire, par les alcades chrétiens.

Comme, par le commerce, il leur était facile d'exercer l'usure et de s'asservir ainsi les chrétiens, les législations de Castille, d'Aragon et de Valence prirent des mesures de préservation contre leur action économique.

Pour se soustraire à ces mesures d'exception et à la surveillance dont ils étaient l'objet, les Mores ne trouvèrent pas de meilleur moyen que de se faire chrétiens; ils acquéraient ainsi tous les droits des chrétiens de race, sauf celui de parvenir à l'épiscopat ; encore cette dernière interdiction, portée par le code castillan des Siete partidas, fut-elle parfois violée, puisque l'on cite, au XVe siècle, plusieurs évêques espagnols qui étaient des convertis.

Ces conversions intéressées ne trompèrent pas l'opinion…
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Louis Mc Duff
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Re: Saint-Office et Inquisition.

Message par Louis Mc Duff »

Saint-Office

II. — L'INQUISITION ESPAGNOLE (XIV-XIXe SIÈCLES).

§ I. Ses origines.

(SUITE)

(col. 1090-1091)

Ces conversions intéressées ne trompèrent pas l'opinion. Le peuple chrétien détestait les musulmans convertis, les morisques, beaucoup plus que ceux qui restaient ostensiblement fidèles à Mahomet; le gouvernement dut les protéger. Jean I de Castille défendait, en 1380, d'insulter les néo-chrétiens en les appelant marranos (cochons) ou tornadizos, sous peine d'une amende de 300 maravédis ou de quinze jours de prison.

Mais les gouvernements eux-mêmes ne tardèrent pas à reconnaître que les Morisques étaient plus dangereux que les musulmans déclarés, parce qu'ils étaient plus insaisissables dans leurs intrigues, comme les sociétés secrètes. Ils sentirent la nécessité de les surveiller et de distinguer par des enquêtes ou inquisitions ceux qui étaient vraiment chrétiens et ceux qui n'étaient que des musulmans dissimulés.

Telle fut la seconde raison, analogue à la première, qui amena la création, au cours du XVe siècle, de cette inquisition particulière que l'on appelle l'Inquisition espagnole. Elle était dirigée non contre les Juifs, mais contre les Juifs pseudo-chrétiens ou marranes ; non contre les musulmans, mais contre les musulmans pseudo-chrétiens ou morisques; et contre les uns et les autres elle était instituée, avant tout, pour assurer la sécurité de l'Etat et de la Patrie reconstituée.

Comme la pureté du christianisme lui-même était en cause, puisque l'invasion des pseudo-chrétiens la compromettait directement, dans sa doctrine et sa pratique; comme, par ailleurs, les retours à l'Islam de ces faux chrétiens multipliaient le scandale des apostasies, l'Eglise se prêta à ces inquisitions. Sa légitime défense concorda avec la légitime défense de l'Etat ; les intérêts politiques et les intérêts religieux se confondirent à l'origine de l'Inquisition espagnole, comme ils s'étaient confondus quand fut établie l'Inquisition du XIIIe siècle.

De l'exposé de ces faits se dégage une autre conclusion, c'est que l'opinion publique devança toujours l'Eglise et les gouvernements dans la répression des pseudo-chrétiens. Bien avant le fonctionnement du Saint-Office du XVe siècle, comme de celui du XIIIe, le peuple avait manifesté par des injures, des vexations individuelles et collectives et même par de cruels massacres, l'aversion que lui inspiraient les faux convertis.

§ II. Institution et organisation de l'Inquisition espagnole.
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