Saint-Office et Inquisition.

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Louis Mc Duff
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

(col. 1108-1109)

Procès de Carranza. L'Index espagnol. — Il osa s'attaquer au primat d'Espagne, Barthélémy Carranza, archevêque de Tolède, qui, par sa haute valeur intellectuelle, ses vertus et les missions de première importance qu'il avait remplies, jouissait d'une influence considérable dans toute l'Espagne, à la cour, et à la curie romaine. Religieux dominicain, il avait longtemps enseigné la scolastique et, en 1550, il avait été élu provincial de son Ordre. Il avait défendu l'orthodoxie catholique en Flandre et contribué à la rétablir en Angleterre, sous le règne de Marie Tudor, épouse de Philippe d'Espagne. Envoyé comme consulteur au concile de Trente, par Charles-Quint, il y avait parlé avec autorité et éloquence.

Enfin, après avoir successivement refusé trois évêchés, il avait été nommé par Philippe II, en 1557, au premier siège d'Espagne, le siège primatial de Tolède. Sa haute valeur et sa rapide carrière lui avaient fait des envieux et des ennemis, et dès 1530 (il n'avait que 27 ans) il avait été dénoncé à l'Inquisition par des Franciscains comme un admirateur d'Erasme; heureusement pour lui, l'Inquisiteur d'alors était Alphonse Manrique, l'ami d'Erasme; l'affaire n'eut pas de suite.

Vingt ans plus tard, il écrit le traité De residentia, prêchant aux évêques le devoir de la résidence, que le Concile de Trente leur rappelait. Il se fit des ennemis mortels des grands prélats espagnols qui ne résidaient pas, et en particulier de Fernand de Valdès, qui était à la fois archevêque de Séville et grand Inquisiteur.

En 1558, ils déférèrent au Saint-Office ses Comentarios sobre el catecismo cristiano qu'il venait de publier en les dédiant au roi Philippe II. Ce livre fut examiné par deux théologiens renommés, dominicains comme Carranza, Melchior Cano et Dominique de Soto, qui censurèrent dans ces Commentaires, le premier 141 propositions, le second 91, comme entachées de protestantisme.

En même temps, l'Inquisition et le roi d'Espagne écrivirent de longues lettres au pape Paul IV, lui signalant les progrès considérables que faisait le protestantisme en Espagne et lui demandant de les autoriser à prendre des mesures exceptionnelles contre tous les prélats qui inclineraient vers l'hérésie. Effrayé par le tableau qui lui était ainsi fait de l'Espagne, Paul IV donna cette permission, le 26 juin 1559 ; et le 22 août suivant, le primat fut arrêté à Torrelaguna et emprisonné à Valladolid.

Il ne tarda pas d'ailleurs à être vengé de ceux qui avaient donné matière à son procès ; les deux religieux qui l'avaient censuré, Melchior Cano, évêque des Canaries, et Dominique de Soto furent poursuivis en même temps que lui par l'Inquisition et le second allait être emprisonné quand il mourut.

Plusieurs prélats, Guerrero, archevêque de Grenade, les évêques de Malaga, de Jaen, de Léon, d'Almeria, se déclarèrent pour Carranza et approuvèrent ses Commentaires; à leur tour, ils furent poursuivis. Pour corser encore le procès, le grand Inquisiteur fit examiner tous les manuscrits de Carranza que l'on put trouver, et même interrogea des témoins sur ses paroles. L'enquête dura longtemps : on en trouvera l'histoire, avec le résumé des dépositions, dans LLORENTE (tome III, chapitres 32, 33 et 34). La procédure durait toujours, lorsque le Concile de Trente reprit ses sessions. Se rappelant le grand rôle qu'y avait joué le primat de Tolède comme évêque et auparavant comme consulteur, les Pères résolurent d'arracher l'archevêque de Tolède à l'Inquisition espagnole.

Philippe II voulut prévenir leurs démarches…
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Louis Mc Duff
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

(col. 1109-1110)

Procès de Carranza. L'Index espagnol. (suite)

Philippe II voulut prévenir leurs démarches. Le concile ayant annoncé l'intention d'établir un index général des livres défendus dans l'Eglise universelle, le roi d'Espagne lui fit savoir par son ambassadeur Fernandes de Quiñones, comte de Luna, « qu'il ne pouvait permettre que cette mesure s'étendit jusqu'à l'Espagne, qui avait un index et des règlements particuliers ». Le roi ajoutait que « quelques personnes (évidemment le grand Inquisiteur Valdès) soupçonnaient que le projet cachait des vues particulières en faveur de Carranza : ce qui l'avait déjà engagé à charger son ambassadeur ordinaire à Rome et le marquis de Pescara d'employer leurs efforts auprès du pape pour déjouer de pareils desseins, autant qu'on pourrait le faire avec prudence ». (LLORENTE, III, p. 266).

Le Concile ne se laissa pas décourager par cette fin de non-recevoir préventive, et après plusieurs démarches auprès des légats présidents de ses sessions, il demanda au pape Pie IV, pour l'honneur de l'épiscopat, d'arracher Carranza aux prisons du Saint-Office espagnol et de le faire venir à Rome pour y être jugé; ce que fit le pape par des lettres adressées à Philippe II et communiquées, avant leur expédition, au Concile.

Le l5 août 1562, le roi d'Espagne envoya an pape une énergique protestation contre l'intervention du Concile, déclarant qu'il n’avait pas à s'occuper des affaires particulières de l’Espagne. Il ajoutait qu'il ne publierait pas les brefs que le pape venait de lui adresser et qu'il ordonnerait la continuation du procès devant le Saint-Office d'Espagne. Pie IV n'osa pas aller jusqu'à une rupture et laissa la procédure se poursuivre en Espagne, mais, pour rassurer le Concile, il lui fit savoir que, lorsqu'elle serait terminée, il l'examinerait à son tour en faisant venir Carranza à Rome.

Le Concile résolut alors d'examiner lui-même les livres du primat de Tolède…
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Louis Mc Duff
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

(col. 1110-1111)

Procès de Carranza. L'Index espagnol. (suite)

Le Concile résolut alors d'examiner lui-même les livres du primat de Tolède; que le pape venait de lui adresser et qu'il ordonnerait la continuation du procès devant le Saint-Office d'Espagne. Pie IV n'osa pas aller jusqu'à une rupture et laissa la procédure se poursuivre en Espagne, mais, pour rassurer le Concile, il lui fit savoir que, lorsqu'elle serait terminée, il l'examinerait à son tour en faisant venir Carranza à Rome.

Le Concile résolut alors d'examiner lui-même les livres du primat de Tolède; les commissaires désignés par lui reconnurent parfaitement catholique la doctrine des Commentaires ; la Congrégation conciliaire de l'Index l'approuva, et décida que cette approbation serait notifiée à Carranza pour sa défense. Elle notifia cette démarche à saint Charles Borromée, archevêque de Milan et secrétaire d'Etat de son oncle le pape Pie IV. A la suite de ces démarches, les Commentaires de Carranza furent publiés à Rome avec l'autorisation du pape; et des scènes fort graves éclatèrent an sein du Concile entre les représentants de l'Espagne et la grande majorité des Pères.

Lorsque le Saint-Office eut terminé, en 1564, son information, l'affaire devait être évoquée à Rome, d'après la promesse faite par le pape au Concile; mais Philippe II s'y opposa, et toujours conciliant, Pie IV décida, dans le consistoire du 13 juillet 1565, d'envoyer en Espagne une commission pour y examiner l'enquête ; il la composa de personnages de marque qui, dans la suite, devinrent tous papes : le cardinal Buoncompagni (Grégoire XIII), l'archevêque de Rossano Castagna (Urbain VII), l'auditeur de Rote Hippolyte Aldobrandini (Clément VIII), le procureur général des FF. Mineurs Félix Perelti (Sixte-Quint).

Philippe II reçut avec honneur la commission, mais quand elle voulut commencer ses travaux, il exigea qu'elle s'adjoignît les commissaires du Saint-Office espagnol, ce que refusa le légat Buoncompagni; et les envoyés pontificaux ne purent pas exécuter leur mandat. Le pape Pie V, qui fut élu le 17 janvier 1566, avait un caractère bien plus énergique que Pie IV; pour en finir avec cette affaire et ce conflit, qui traînaient depuis plusieurs années, il prit deux décisions qu'il appuya d'une menace d'excommunication contre Philippe II et d'une sentence d'interdit contre toute l'Espagne : le grand Inquisiteur d'Espagne, Valdès, fut révoqué de ses fonctions, et ordre fut donné au roi de faire partir pour Rome Carranza avec toutes les pièces du procès.

Le primat arriva à Rome le 28 mai 1567 et y reçut le traitement le plus honorable; mais son procès, qui y fut recommencé, se prolongea encore neuf ans, à cause des difficultés de toutes sortes que soulevaient, à tout instant, le procureur de l'Inquisition espagnole et Philippe II. En 1571, Pie V avait préparé une sentence définitive, acquittant l'inculpé des accusations portées par le Saint-Office contre sa personne. Quant à ses livres, elle ordonnait des corrections aux Commentaires du Catéchisme, expliquant dans un sens catholique les propositions censurées et le prohibant tant qu'elles ne seraient pas faites; il en était de même des autres ouvrages de Carranza.

Philippe II ne voulut pas admettre cette sentence qu'on lui avait communiquée avant de la publier, et il fit écrire contre l'archevêque de Tolède de nouveaux livres qu'il envoya au pape. Comme Pie V venait de mourir, ils furent reçus par son successeur Grégoire XIII (Buoncompagni), celui-là même qui, étant cardinal, avait présidé la Commission envoyée par Pie IV en Espagne. Le procès fut rouvert et finalement, le 24 avril 1576, intervint la sentence qui terminait un procès commencé 18 ans auparavant par le Saint Office et repris à Rome depuis neuf ans. Carranza devait abjurer 16 propositions relevées dans son Commentaire, abandonner cinq ans l'administration de son diocèse, et pendant ce temps, vivre dans un couvent dominicain, et faire comme pénitence quelques exercices de piété, par exemple le pèlerinage aux sept basiliques romaines. Il venait d'achever ce pèlerinage par une messe célébrée à Saint-Jean de Latran lorsqu'il mourut, le 2 mai 1576. Le pape Grégoire XIII, qui n'avait cessé de l'honorer, et qui même, apprenant sa maladie, l'avait relevé de toutes ses pénitences, lui fit faire de splendides funérailles et lui érigea, dans l'église dominicaine de la Minerve, un magnifique tombeau, avec cette inscription élogieuse:

« Bartholomaeo de Carranza. Navarro, archiepiscopo Toletano, Hispaniarum primati, viro genere, vita, doctrina, concione atque eleemosynis claro, magnis muneribus, a Carolo V et a Philippo II, Rege Catholico, sibi commissis, egregie functo, animo in prosperis modesto et in adversis aequo. Obiit anno 1576, die 2 maii. Athanasio et Antonino sacro, aetatis suae 73 ».

Nous avons tenu à raconter tout au long les incidents de ce long procès, non pas pour innocenter Carranza…
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Louis Mc Duff
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

(col. 1111)

Procès de Carranza. L'Index espagnol. (suite)

Nous avons tenu à raconter tout au long les incidents de ce long procès, non pas pour innocenter Carranza qui, condamné par le pape, a accepté en termes fort nobles, avant de mourir, la légitimité de sa condamnation. Qu'il nous suffise de dire que ses erreurs étaient de bonne foi et lui avaient été suggérées par sa longue fréquentation des hérétiques, avec lesquels il avait poursuivi de magnifiques controverses théologiques en Espagne, en Angleterre et en Flandre. Sans la haine du grand Inquisiteur Valdès et du roi d'Espagne, l'affaire aurait été vite terminée par l'esprit de soumission et l'amour de l'orthodoxie de ce saint religieux.

Ce procès est intéressant au plus haut degré, parce qu'il fait éclater le caractère qu'avait, dès son institution avec Torquemada, l'Inquisition espagnole. Cette institution mixte, puisque si son chef et ses commissaires étaient prêtres et religieux, son conseil suprême était nommé par le pouvoir civil, a toujours prétendu à une large autonomie à l'égard du Saint-Siège; et dans l'affaire de Carranza, nous l'avons vue s'affirmant d'une manière inlassable pendant 18 ans contre les délégués du pape, contre le Concile œcuménique de Trente, contre les juges pontificaux dirigés par un légat a latere, enfin contre le pape lui-même.

Par contre, dans cette longue querelle, nous l'avons toujours vue étroitement unie au roi, qui est son porte-parole, qui la défend contre la plus haute autorité de l'Eglise universelle et lui réserve le monopole de la défense de la foi dans sa patrie.

Le grand Inquisiteur Valdès et le roi ne faisaient vraiment qu'un. Ainsi, s'affirmait le caractère éminemment national de cette institution, au sein de l'Eglise catholique.

Nous avons constaté enfin la pression formidable qu'unis d'une manière inséparable, la monarchie espagnole et le Saint-Office exerçaient sur le Souverain Pontife. Successivement Paul IV et Pie IV durent céder devant leurs menaces et chercher des moyens termes et des conciliations pour prévenir avec la monarchie espagnole une rupture qui eût été funeste à l'Eglise alors que, dans le monde européen, Philippe II se faisait contre le protestantisme le champion de la catholicité. Si Pie V l'emporta, ce fut parce que son caractère intransigeant ne recula pas devant cette terrible éventualité; et ce fut toujours pour l'éviter que, tout en témoignant de son admiration pour Carranza, Grégoire XIII le condamna, non pas comme il l'aurait voulu, à une simple rétractation, mais à une suspension destinée à calmer et à rallier le roi d'Espagne.

Les péripéties du procès de Carranza nous ont aussi montré le fonctionnement régulier d'un nouveau rouage de l'Inquisition espagnole : …
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Louis Mc Duff
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

(col. 1112-1113)

Procès de Carranza. L'Index espagnol. (suite)

Les péripéties du procès de Carranza nous ont aussi montré le fonctionnement régulier d'un nouveau rouage de l'Inquisition espagnole : son Index des livres défendus. L'ancienne Inquisition, celle qui avait été établie et organisée au XIIIe siècle, poursuivait les écrits comme les personnes, et les premiers inquisiteurs du XVIe siècle avaient prohibé et condamné au feu certains livres. Nous avons vu plus haut la controverse qui s'engagea autour de ceux d'Erasme ; le 7 avril 1521, le cardinal Adrien, grand inquisiteur, ordonnait de poursuivre tous les livres luthériens. En 1546, Charles-Quint demanda à l'université de Louvain de dresser la liste (Index) de tous les livres hérétiques qui s'imprimeraient dans les pays germaniques
.
Le Saint-Office d'Espagne adopta cet index, et le fit imprimer pour son usage personnel à Valladolid et à Tolède, en 1551. Le grand inquisiteur Valdès le fit compléter par le catalogue des livres hérétiques publiés en Espagne; et ce travail, fait par les inquisiteurs Alonzo Perez et Valdotano, le secrétaire Alonzo de Léon et le fiscal Alonzo Ortiz, fut augmenté de la liste des éditions de la Bible publiées par les hérétiques. Enfin, en 1559, fut édité par les soins de Valdès un index général qui servit désormais de fond à tous les index que l'Inquisition espagnole publia au cours du XVIe et du XVIIe siècle, jusqu'à celui de 1790, dont l'édition de 1805 fut le dernier acte du Saint-Office contre les livres hérétiques (MENENDEZ Y PELAYO , op. cit., tome II, pp. 697-702).

Dans son œuvre, devenue classique, sur les hétérodoxes espagnols, M. Menendez y Pelayo, professeur à l'Université de Madrid, s'est demandé si le Saint-Office s'était montré fort rigoureux contre les livres et si son Index avait gêné sérieusement le développement de la pensée espagnole, des lettres et des sciences, dans les trois siècles où il fonctionna ; et il constate que, si un certain nombre d'écrits littéraires s'y trouvent, c'est souvent parce qu'ils étaient grossièrement immoraux. Plusieurs n'y figuraient que jusqu'à correction de certains passages ou expressions contraires à la vérité et même à l'élégance du style.

Si des humanistes du XVIe et du XVIIe siècle, dont les œuvres étaient fortement entachées de protestantisme, Erasme, Scaliger, Henri Estienne, Vossius s'y rencontrent, ce n'est pas le plus souvent, pour l'ensemble de leurs œuvres, mais pour telles d'entre elles, dont on souhaite la correction.

Enfin M. Menendez y Pelayo fait remarquer que l'Index espagnol ne porte pas mention d'un certain nombre de philosophes et savants qui furent cependant suspectés d'opinions téméraires ou erronées, en d'autres pays: Giordano Bruno, Descartes, Leibnitz, Hobbes, Spinoza, Copernic, Galilée et Newton.

L'Inquisition se montra plus sévère pour les écrits, qui traitaient plus particulièrement de sujets religieux, théologiques et mystiques; et voilà pourquoi dans son Index nous trouvons, à côté de toutes les traductions de la Bible en langue vulgaire, les noms de grands théologiens, comme ceux de Carranza, du jésuite Mariana, de mystiques tels que Tauler, et même de saints tels que saint François Borgia, pour son Œuvre du chrétien suspectée d'illuminisme !

Pour expliquer cette contradiction entre la tolérance accordée aux uns et la sévérité exercée envers les autres, il ne faut jamais perdre de vue le caractère particulier de l'Inquisition espagnole. Avant tout politique et pratique, elle accorde une faible attention aux débats purement intellectuels comme ceux que provoquèrent les systèmes de Descartes, Hobbes, Leibnitz et Spinoza, et aux systèmes purement scientifiques, tels que ceux de Newton et de Galilée. Ce qui l'inquiétait surtout, c'étaient les écrits qui pouvaient troubler les âmes, comme les œuvres de certains mystiques, ou introduire en Espagne des hérésies qui déchiraient déjà par des factions politiques ou même des guerres civiles les pays étrangers.

Contre ceux-là, elle était impitoyable, parce que son protecteur et vrai chef, le roi, ses directeurs, ses conseillers et ses agents, désireux de maintenir l'unité politique de l'Espagne par l'unité religieuse, enfin l'opinion publique, considérant les hétérodoxes comme des étrangers et même des ennemis, tenaient pour un devoir national autant que religieux, de prévenir des schismes religieux pouvant Facilement devenir des factions politiques.

A suivre : § V. Procès extraordinaires ; procès politiques.
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(col. 1113)

§ V. Procès extraordinaires ; procès politiques. — En donnant à l'Inquisition la mission de maintenir la tranquillité publique et le calme des esprits, les souverains espagnols élargirent dans des proportions considérables son rôle primitif, qui était de rechercher et de punir les Juifs faux chrétiens ou Marranes, et les Mores faux chrétiens ou Morisques. Le 22 août 1498, Ferdinand le Catholique, roi d'Aragon, chargeait le Saint-Office de réprimer les actes de sodomie (LLORENTE, IV, p. 297).

Dès 1527, commencèrent devant le Saint-Office les procès de sorcellerie et de magie qui envoyèrent au bûcher un nombre assez considérable de condamnés, au XVIe et au XVIIe siècle. Les dépositions qui y furent reçues, et que LLORENTE résume dans son Histoire (tome III, pp. 431-463), nous prouvent que les réunions secrètes des sorciers n'étaient pas seulement remplies par des rites ridicules, nés de l'ignorance et de la superstition. L'immoralité la plus éhontée, les actes les plus révoltants se mêlaient aux pratiques les plus stupides; et en tous pays, ils seraient réprimés, même de nos jours, en dehors de toute préoccupation religieuse et confessionnelle. Les sorciers ne se contentaient pas de représenter le diable et des démons, de faire des parodies sacrilèges de la messe, de la confession et des autres sacrements de l'Eglise, de profaner des reliques et des objets sacrés, et de recevoir des offrandes considérables, arrachées par leurs grossières supercheries à la crédulité et à l'ignorance de leurs adeptes. Ils leur distribuaient en échange des poudres présentées comme l'œuvre du diable et pouvant nuire aux récoltes, aux provisions, aux animaux et même à la vie de leurs ennemis; et ces poudres étaient le plus souvent des poisons; c'est ainsi que beaucoup de sorciers furent convaincus d'homicide.

Enfin, le plus souvent, les réunions se terminaient, comme il arrivait alors dans un grand nombre de sociétés secrètes, par des actes d'hystérie et d'abominable luxure. Lorsque la parodie sacrilège de la messe est terminée, « le diable s'unit charnellement avec tous les hommes et toutes les femmes, et leur ordonne ensuite de l'imiter.

« Ce commerce finit par le mélange des sexes, sans distinction de mariage et de parenté. Les prosélytes du démon tiennent à honneur d'être appelés les premiers aux œuvres qui se font, et c'est le privilège du roi (des sorciers) d'avertir ses élus, comme celui de la reine (des sorcières) d'appeler les femmes qu'elle préfère. » (LLORENTE, III, p. 435).

Ces lignes nous en disent assez pour que…
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§ V. Procès extraordinaires; procès politiques.(suite)

(col. 1113-1115)

Ces lignes nous en disent assez pour que nous nous fassions une idée des scènes de débauche bestiale qui se déroulaient dans ces réunions organisées par les sorciers.

On s'explique, dès lors, la rigueur avec laquelle Inquisition les poursuivit; ne fallait-il pas en finir avec des pratiques qui démoralisaient des populations entières ? Le Saint-Office n'oublia pas cependant le caractère particulièrement délicat de ces sortes de procès, où le plus souvent étaient incriminées des personnes ignorantes et naïvement grossières, et où les dépositions pouvaient être dictées par des préjugés, des croyances superstitieuses et l'imagination mensongère de l'hystérie. Aussi plusieurs théologiens crurent-ils utile, au cours du XVIe siècle, d'écrire des traités sur la sorcellerie, pour bien démêler les éléments assez divers que l'on réunissait sous cette appellation commune.

Dans celui qu'il composa à l'usage de l'Inquisition, le théologien Paul de Valence recommandait la plus grande prudence à ceux qui poursuivaient les sorciers. Ces procès, disait-il, demandaient beaucoup de discernement et de critique; il souhaitait pour leur conduite, des instructions particulières, et il concluait qu'il vaut mieux épargner un coupable que de frapper un innocent ou de le punir plus sévèrement qu'il ne le mérite. (LLORENTE, III, p. 460).

Dans son Histoire de l'Inquisition, Llorente énumère et même raconte plusieurs procès de sorcellerie, qui impressionnèrent vivement l'opinion et furent d'ailleurs accueillis par elle avec faveur : en 1527, le procès de 150 sorcières de Navarre, jugées à Estella et condamnées à des peines variées, dont les plus sévères furent l'emprisonnement pendant plusieurs années et 200 coups de fouet ; en 1536, celui des sorcières de Saragosse, dont plusieurs furent envoyées au bûcher par l'inquisition locale, malgré les défenses du grand Inquisiteur (II, p. 49); en 1610, celui des 29 sorciers de Logroño, desquels 11 furent condamnés à être livrés au bras séculier et 18 furent réconciliés après des pénitences variées.

Le XVIIIe siècle vit encore en Espagne des procès de sorcellerie. Sous le règne de Philippe V, la prieure des Carmélites de Logroño fut poursuivie parce qu'elle avait fait, disait-on, avec le démon un pacte qui lui permettait d'opérer des miracles, et dans ce procès fut englobé Jean de la Vega, provincial des Carmes déchaussés, qui fut livré au bûcher le 31 octobre 1743 ; la même année, fut condamné comme « hypocrite et sorcier » Jean de Espejo, fondateur des Hospitaliers du Divin Pasteur.

Etendant encore plus la compétence du Saint-Office, les souverains espagnols finirent par déférer à ses jugements quiconque troublait ou semblait menacer la paix publique, soit qu'il fût en révolte, soit qu'il fit plus ou moins discrètement opposition à leur gouvernement, soit que, favori ou premier ministre la veille, il eût cessé de plaire. On peut dire que presque tous les procès politiques se déroulèrent ainsi devant l'Inquisition.

Dès 1507, Ferdinand d'Aragon déféra à l'inquisiteur de Logroño César Borgia, pour crime d'athéisme; mais ce n'était qu'un prétexte pour se débarrasser d'un homme gênant pour lui et pour la monarchie. En effet, après la mort du pape Alexandre VI, César, se souvenant qu'il était Espagnol, avait voulu se réfugier dans son pays d'origine et y jouer un rôle. « Indésirable » entre tous, il avait été arrêté à Naples par le gouverneur espagnol Gonsalve de Cordoue. Expédié sous bonne garde en Espagne pour y être retenu en prison, il s'était évadé, et il essayait d'enlever la Navarre à l'occupation aragonaise pour y rétablir Jean d'Albret, roi de Navarre, son beau-frère. En attendant de le vaincre dans la lutte engagée contre lui, Ferdinand le Catholique voulut le faire condamner par l'Inquisition, pour le rendre odieux à l'opinion publique et pouvoir se débarrasser de lui si quelque victoire le lui livrait ; la mort de César dans une escarmouche mit fin à ce calcul, qui, sous le couvert d'une imputation d'athéisme, était purement politique (LLORENTE, III, p. 5).

On a voulu expliquer la mort mystérieuse de don Carlos, fils de Philippe II, par une condamnation de l'Inquisition…
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§ V. Procès extraordinaires; procès politiques.(suite)

(col. 1115)

On a voulu expliquer la mort mystérieuse de don Carlos, fils de Philippe II, par une condamnation de l'Inquisition, que le roi aurait sanctionnée. En réalité, ce prince fut jugé par une commission extraordinaire nommée spécialement pour son cas; et si le grand Inquisiteur Diego Espinosa, cardinal évêque de Siguënza, en fit partie, ce fut en sa qualité de président du Conseil de Castille et conseiller de la Couronne. Au contraire, ce fut bien l'Inquisition qui poursuivit le ministre Antonio Pérez.

Ce personnage avait acquis une grande influence sur Philippe II, en excitant sa jalousie contre son frère naturel, don Juan, le vainqueur de Lépante; mais à son tour, une intrigue amoureuse en fit le rival du roi, qui, craignant sa puissance, le fit arrêter. Antonio Pérez réussit à s'évader, et alla se réfugier en Aragon, dans le couvent des Dominicains de Calatayud. Il y était protégé non seulement par la puissante faction qui lui restait fidèle à la cour, mais aussi par le caractère sacré du lieu d'asile qui s'était ouvert devant lui, et encore plus par les franchises de l'Aragon, qu'il invoqua contre l'arbitraire royal.

Désireux d'en finir au plus vite avec un ennemi qu'il détestait et redoutait, Philippe II ne crut pas trouver de meilleur moyen de le perdre que de le faire juger par l'Inquisition, ce tribunal étant au-dessus de toutes les juridictions ordinaires et pouvant faire céder devant lui les privilèges de l'Aragon et imposer aux Dominicains, sous peine de les traiter eux-mêmes d'hérétiques, de lui livrer leur protégé. Le roi dénonça son ancien favori au Saint Office comme magicien et fauteur d'hérésie, puisqu'il avait voulu se réfugier en Béarn, terre hérétique, soumise à Jeanne d'Albret. Les griefs étaient peu sérieux et le conseil suprême de l'Inquisition ne consentit à ouvrir l'information que sur l'ordre formel du roi. Le grand Inquisiteur, le cardinal Quiroga, était soupçonné d'amitié pour Pérez; aussi Philippe II lui imposa-t-il le qualificateur qui devait instruire le procès et qui était son propre confesseur, Fray Diego de Chaves; et pour surveiller les scrupules qui pouvaient arrêter ce dernier dans l'œuvre de vengeance dont il devait être l'instrument, le roi lui adjoignit un de ses hommes à tout faire, Arenillas. Quiroga s'inclina devant cette volonté souveraine, et le procès commença. Menacés d'excommunication, les Dominicains livrèrent Antonio Pérez, qui fut enfermé dans les prisons du Saint-Office.

Déjà mécontent de la désinvolture avec laquelle Philippe II traitait ses libertés, l'Aragon se souleva à la nouvelle de l'arrestation d'Antonio Pérez, dans laquelle il voyait un nouvel attentat contre ses privilèges; conduits par leurs curés et par les nobles, les paysans s'emparèrent de Saragosse et mirent Pérez en liberté; celui-ci demanda aussitôt au peuple l'ouverture d'une instruction contre les inquisiteurs, coupables d'avoir violé les fueros, c’est-à-dire les privilèges de l'Aragon. Une seconde tentative pour s'emparer de la personne de Pérez déchaîna une nouvelle révolte, quatre mois après, le 24 septembre 1591, et fray Diego déclara que, pour en finir, « il fallait faire mourir Antonio Pérez par le moyen qui paraîtrait le plus expéditif ». Le roi envoya toute une armée pour s'emparer de Saragosse, qui se rendit sans combat, mais Antonio Pérez s'était enfui en Béarn, auprès de Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV roi de France.

Le gouvernement royal, dès qu'il le sut, en profita pour exciter le sentiment religieux et patriotique…
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§ V. Procès extraordinaires; procès politiques.(suite)

(col. 1115-1116)


Le gouvernement royal, dès qu'il le sut, en profita pour exciter le sentiment religieux et patriotique des populations. Il fit savoir que Pérez préparait, d'accord avec les hérétiques de France, une expédition pour enlever la Navarre à l'Espagne et amener en Aragon, d'accord avec les Mores, une invasion, qui aurait pour premier résultat le massacre de la population catholique. L'opinion ainsi retournée, la répression commença. L'inquisition fit le procès de tous ceux qui avaient favorisé Pérez en fomentant ou en dirigeant les insurrections.

Elle condamna au feu six inculpés, et 73 autres à diverses peines. Ce fut aux acclamations enthousiastes de la foule que l'autodafé fut célébré et le bûcher allumé. Le procès de Pérez fut aussitôt repris. Comme l'accusation de magie et de sorcellerie était sans consistance, l'Inquisition chercha à prouver que l'ancien ministre était un Marrane, descendant de Juifs, et peut-être lui-même Juif dissimulé.

Enfin, on releva dans ses conversations passées des propos qui sentaient l'hérésie et marquaient une sympathie pour les hérétiques, en particulier pour Henri, roi de Navarre et le duc de Vendôme; et le 7 septembre 1592, le Saint-Office condamna Antonio Pérez à être brûlé en effigie, par contumace, comme « hérétique formel, huguenot convaincu et impénitent obstiné ». Ses biens étaient confisqués et ses enfants et petits-enfants voués, comme lui, à l"infamie.

Pérez mourut en France; après sa mort, ses fils obtinrent de l'Inquisition l'annulation du procès imposé aux juges de 1592 par l'autorité royale, et la réhabilitation de leur père (7 avril 1615). Cette réhabilitation, comme les divers incidents du procès, montrent bien que la cause de Pérez avait été uniquement politique et n'avait été jugée par l'Inquisition que pour des raisons d'opportunité gouvernementale. (FORNERON, Histoire de Philippe II, t. III, chap. II, tome IV, chap. II; LLORENTE, t. III, chap. XXXV.)

A suivre : § VI. Déclin et suppression de l'Inquisition espagnole.
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Louis Mc Duff
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Re: Saint-Office et Inquisition.

Message par Louis Mc Duff »

Saint-Office

(col. 1116-1117)

§ VI. Déclin et suppression de l'Inquisition espagnole. — Quoique l'Inquisition n'existât pas en France, la dynastie des Bourbons se garda bien de la supprimer en Espagne lorsque, avec Philippe V, elle prit dans ce pays, la succession de la Maison d'Autriche. On savait en France quel excellent instrument de règne était pour la monarchie ce redoutable tribunal. Dans son testament (article 8), Charles II avait fait un devoir à son successeur de maintenir le Saint-Office; Louis XIV s'accorda avec le feu roi pour donner le même conseil au nouveau roi son petit-fils. Les instructions rédigées en son nom par M. de Beauvillier recommandaient à Philippe V de respecter profondément une institution si révérée en Espagne et de se contenter d'en tempérer et surveiller les actes ( HIPPEAU, II, p. 521); il la lui présentait comme fort utile « pour maintenir lu tranquillité de son royaume » (LLORENTE, IV, p. 29).

A vrai dire, dès son avènement, Philippe V avait exilé à Séville le cardinal Mendoza, grand Inquisiteur ; mais c'était uniquement parce qu'il devait cette haute fonction à la faveur de la veuve de Charles II, la reine douairière Marie-Anne de Neubourg, qui avait été toujours à la tête du parti autrichien contre le parti français. Cette disgrâce était la conséquence naturelle du succès définitif de ce dernier par l'accession au trône de Philippe V ; et elle est une nouvelle preuve du caractère essentiellement politique de l'Inquisition. (SAINT-SIMON, La cour d'Espagne à l'avènement de Philippe V. Œuvres, VIII, p. 531).

Ce qui prouve que le nouveau roi voulait conserver l'Inquisition parce qu'il voyait en elle un puissant moyen de consolider son pouvoir, c'est qu'il voulut le soustraire tout à fait à l'influence du Saint-Siège, pour en faire une institution exclusivement monarchique et espagnole. Lorsque le pape Clément XI se plaignit que, sans son consentement, le grand Inquisiteur eût été ainsi destitué brusquement, le gouvernement de Philippe V le trouva fort étrange. C'est ce que rappelait en ces termes, dans ses instructions à l'ambassadeur de France à Madrid, le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, le marquis de Torcy (27 avril 1704) : « Lorsque le Pape se plaignit de la conduite que le Roi d'Espagne avait tenue sans sa participation à l'égard du grand Inquisiteur, cette prétention de la cour de Rome parut nouvelle à Madrid. On prétendit que, quoique le Pape donne des bulles, l'Inquisiteur général ne dépendait en aucune façon de Sa Sainteté et que le Roi catholique était maitre de le destituer. »

Ce conflit dura plusieurs années; et ces instructions de Torcy recommandaient à l'ambassadeur Gramont de l'apaiser en modérant le régalisme de Philippe V, sans cependant, le combattre ou paraître le désapprouver. « II est de l'intérêt du Roi d'Espagne de laisser à ses tribunaux le soin de soutenir ses droits contre les entreprises de cette cour (romaine). Il ne doit interposer son autorité que pour empêcher ses officiers d'aigrir ses différends. Il est de sa prudence de conserver, dans les conjonctures présentes, une bonne union avec le chef de l'Eglise. » (Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France en Espagne, tome II, pp. 124-125).

Après quatre ans de négociations…
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