Biographies des dames Romaines

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Laetitia
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Biographies des dames Romaines

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                     Sainte Léa ou Lée

  Les Petits Bollandistes, au 22 mars a écrit :
384 ―Pape : Saint Damase Ier ― Empereur : Théodose le Grand.

Léa était une dame romaine qui, après la mort de son mari embrassa les austérités de la pénitence. Elle portait le cilice, passait la plus grande partie des nuits en prière, et s'exerçait continuellement à la pratique de l'humilité. Elle mourut en 384. Saint Jérôme fait un très-beau parallèle entre la mort de sainte Léa et celle d'un païen, nommé Prétextât, qui fut enlevé du monde la même année, après avoir été créé consul...
Voici donc ce qu'il en écrit à la veuve sainte Marcelle :

« Qui pourra donner à la bienheureuse Léa les louanges qu'elle mérite ? elle se consacra tellement à Dieu, qu'elle mérita la qualité d'abbesse en son monastère, et le titre de supérieure sur tant de vierges qui la reconnaissaient pour leur mère. Après les habits pompeux dont elle s'était servie, selon la vanité du monde, elle se couvrit d'un sac pour mortifier ses appétits, et s'étudia à la perfection, passant les nuits entières en des veilles et des prières, afin d'enseigner la dévotion à ses compagnes, plutôt par l'exemple de ses actions que par ses discours et ses remontrances. Son humilité était si profonde, qu'après avoir commandé aux autres, elle était devenue la servante de tout le monde; mais elle était d'autant plus parfaitement servante du Fils de Dieu, qu'elle voulait être moins maîtresse parmi les créatures. Son ameublement était très-pauvre, ses habits sans luxe, et son vivre fort austère. Elle n'avait pas la tête couverte de perles, ni le visage relevé avec du fard. Elle pratiquait les vertus chrétiennes sans hypocrisie et faisait le bien de telle sorte, qu'elle n'en attendait la récompense que dans l'éternité, parce qu'elle refusait de recevoir en ce monde le prix qui lui était dû.

Maintenant, pour quelque peu de travail, elle jouit d'un repos accompli, après avoir été reçue par les chœurs des anges, et introduite dans le sein d'Abraham, d'où, avec le pauvre Lazare, elle voit le riche et le consul, qui était couvert de pourpre, non plus avec sa robe triomphale, mais chargé d'un habit de confusion il demande une goutte d'eau pour se rafraîchir, sans la pouvoir obtenir. Oh ! que les choses ont bien changé de face ! Celui qui se voyait naguère au sommet des honneurs et des dignités, celui qui montait pompeusement au Capitole, comme s'il eût triomphé des ennemis, et qui avait été reçu avec applaudissement de tout le peuple romain ; celui qui, par sa mort, avait rempli de deuil toute la ville, est maintenant réduit à la misère, et logé non pas au palais et en la cour céleste (comme sa malheureuse femme le publie avec beaucoup d'impudence), mais en des ténèbres extérieures, qui ne finiront jamais. Et notre bienheureuse Léa, qui avait fait sa retraite en un petit coin, afin de paraître pauvre et d'être estimée insensée devant le monde, est aujourd'hui reçue au festin de l'Agneau, et dit avec le Psalmiste « Nous voyons les choses en la maison de notre Dieu de la manière qu'elles nous ont été annoncées ». (ps. XLVII)

C'est pourquoi je vous représente, les larmes aux yeux, et vous déclare qu'il ne faut pas porter deux robes pendant cette vie, ni se couvrir les pieds de peaux d'animaux, qui sont les affections et les actions mortes de la chair ; ni rechercher les grâces et les faveurs du monde, signifiées par le bâton, qui sont toutes conditions mystérieusement défendues par le Sauveur sous le symbole de ces allégories. Nous ne devons pas entreprendre de servir en même temps Jésus-Christ et le siècle, mais il faut vivre avec tant de modération, que les biens éternels puissent succéder aux temporels, et reconnaître que, si notre corps approche chaque jour de sa fin et de ses cendres, tout le reste, dans le monde, n'est pas de plus longue durée ».
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Laetitia
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                     Sainte Marcella ou Marcelle

  Les Petits Bollandistes, au 31 janvier a écrit :
410 ―Pape : Saint Innocent Ier ― Empereur : Théodose II, Le Jeune.

Sainte Marcelle, que le grand saint Jérôme appelle « le modèle de la viduité et de la sainteté des Romains », naquit à Rome d'une famille si illustre, qu'elle ne reconnaissait que des consuls, des proconsuls et des gouverneurs de provinces pour ses ancêtres mais elle augmenta cette noblesse, lorsqu'elle voulut l'oublier pour suivre Jésus-Christ dans une parfaite humilité et pauvreté évangélique.

Ayant perdu son père, et bientôt après son mari, avec qui elle ne vécut que sept mois, elle demeura veuve en la fleur de son âge et de sa beauté, dans l'abondance des biens et dans la splendeur d'une grande fortune, mais encore plus enrichie d'une vertu qui n'avait point de pareille. Céréal, qui était alors en possession de la première magistrature de l'empire, prétendit l'épouser, parce que, outre ses charges qui le rendaient considérable, il avait des biens et du crédit mais comme il était déjà avancé en âge, pour la gagner, il disait qu'il ne la voulait pas tant considérer comme sa femme que comme sa fille et l'héritière de tous ses biens. Albine, mère de Marcelle, en était d'accord, et priait sa fille d'y consentir à cause de l'appui qu'elle espérait d'un homme de cette considération ; mais Marcelle ne voulut jamais écouter cette proposition, disant que quand même elle ne serait point résolue de consacrer son veuvage à Dieu, et qu'elle aurait envie de se marier, elle prendrait plutôt un homme que des biens. Céréal lui fit dire que les vieillards pouvaient vivre longtemps et que les jeunes gens pouvaient mourir subitement. Marcelle répliqua adroitement que ceux qui sont jeunes peuvent mourir, mais que les vieillards ne sauraient beaucoup vivre ; ainsi elle rompit ce pourparler et ferma sa porte à d'autres.

Elle vécut avec tant de conduite et de modestie dans la ville de Rome, que jamais personne n'osa ouvrir la bouche pour la calomnier et, si quelqu'un l'eût fait, on ne l'aurait pas cru, ni même écouté. Elle était le miroir des veuves chrétiennes la candeur de son âme et de ses œuvres servait de leçon aux dames de sa condition, et elle fut la première qui leur enseigna par son exemple le moyen de confondre par leur modestie les ennemis de la dévotion. Ses habits étaient simples, et elle n'en usait que pour défendre son corps de l'injure des saisons, ayant renoncé aux pierreries et aux ornements précieux, dont elle avait employé le prix à la nourriture des pauvres. Elle ne voulut jamais voir d'homme, de quelque qualité qu'il fût, qu'en présence de plusieurs personnes. Elle avait toujours à son service des veuves et des filles d'une vie irréprochable, parce qu'elle savait que les maîtresses portent tout le blâme lorsque leurs servantes font quelque faute. Elle ne se lassa jamais de lire, de méditer et d'étudier la sainte Ecriture et elle avait un désir extrême de vivre selon les lois qui nous y sont prescrites, croyant que ceux qui observent exactement ce que Dieu commande en la sainte Bible méritent qu'il leur en découvre la vraie intelligence.
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Laetitia
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Saint Jérôme étant venu à Rome avec saint Epiphane et saint Paulin, quoiqu'il évitât la fréquentation des dames de la cour, fut néanmoins si souvent sollicité par cette vertueuse veuve et pressé par tant de moyens divers de lui expliquer les endroits difficiles de l'Ecriture sainte, qu'il ne put lui refuser ce service. Toutes les fois qu'il la voyait, elle lui proposait de nouvelles difficultés pour en avoir la solution, et usait de plusieurs moyens afin de mieux comprendre les éclaircissements qu'il lui donnait ; de la sorte, elle devint si éclairée que, quand saint Jérôme partit de Rome pour se retirer à Jérusalem, elle demeura comme l'interprète de ce qu'elle avait appris de ce grand docteur de l'Eglise.

Quand il se présentait quelque difficulté sur un passage obscur de l'Ecriture, on avait recours à l'explication de Marcelle : elle s'en acquittait avec tant de modestie que, sans attribuer ce qu'elle disait à sa propre suffisance, elle en rapportait tout l'honneur à saint Jérôme ou à d'autres auteurs, sachant très-bien la doctrine de saint Paul, qu'il n'appartient pas à la femme d'enseigner, mais seulement d'apprendre.

Ses jeûnes, au rapport de saint Jérôme, étaient réglés ; elle ne mangeait point de viande, elle buvait néanmoins un peu de vin à cause de la faiblesse de son estomac et des autres infirmités auxquelles elle était sujette, mais elle le trempait si bien qu'il ne sentait plus rien. Ses visites chez les autres dames étaient fort rares, pour ne point voir chez elles ce qu'elle avait méprisé en sa personne. Elle allait aux églises des saints Apôtres et des Martyrs, mais secrètement et aux heures qu'elle était assurée de n'y rencontrer guère ou point de monde. Et pour vivre plus en la solitude, elle sortit de Rome et se retira dans une de ses maisons des champs. Son obéissance envers sa mère fut toujours très-grande ; elle forçait pour elle ses propres inclinations afin de s'accommoder aux siennes, et, par une admirable complaisance, elle la laissa la maîtresse de tous ses grands biens, afin qu'elle en pût disposer en faveur de ses parents, quoique ses vues fussent bien différentes.
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  Les Petits Bollandistes a écrit :
Il n'y avait point alors à Rome de dame qui connût l'excellence de la profession religieuse au contraire, les personnes de condition avaient en mépris le nom de religieuse. Mais Marcelle, après avoir appris de saint Athanase (*) la manière de vivre de saint Antoine et la céleste conversation des Vierges et des veuves qui se sanctifiaient dans la Thébaïde sous la conduite de saint Pacôme, embrassa cette espèce de vie avec une telle affection, qu'elle prit l'habit de religieuse, n'ayant point honte de faire profession d'une chose qui était agréable à Jésus-Christ. Elle fut la première dans Rome qui se voila ; depuis, elle fut imitée par plusieurs dames, et grand nombre de maisons religieuses furent fondées pour servir de retraite aux vierges qui voudraient embrasser la piété ; de sorte que ce qui, auparavant, était estimé peu honorable, fut ensuite tenu pour glorieux et regardé avec vénération : la gloire en est due à sainte Marcelle, ayant été le guide et la maîtresse des veuves et ayant excité par son exemple les dames romaines à embrasser cette vie.

(*)
  Abbé Lagrange, Vie de sainte Paule, page 37 a écrit :
Trois fois la persécution arienne exila saint Athanase en Occident, et trois fois le vaillant athlète de l'Église vint chercher un refuge à Rome. Il apportait à l'Occident et à Rome la révélation des merveilles que les solitaires réalisaient dans les déserts d’Égypte et sur les bords du Nil. Sa Vie du patriarche des déserts, le grand Antoine, écrite du vivant même du saint, allait saisissant les imaginations, et donnant partout en Occident l'élan à la vie monastique. Athanase avait passé sept ans dans la Thébaïde; il avait vu Antoine, Pacome, Hilarion, et racontait des choses étonnantes de leur vie surhumaine, à laquelle les femmes aussi s'associaient.

Dans l'un de ces voyages d'Athanase à Rome, une noble veuve chrétienne, Albina, eut l'honneur de loger cet hôte illustre. Albina avait une fille nommée Marcella, d'une âme ardente et naturellement portée aux grandes choses, qui reçut de la vue et des entretiens du saint évêque une impression extraordinaire. Assise à ses pieds et l'œil fixé sur sa figure vénérable, la jeune enfant s'enflammait à ses récits (1).

Athanase avait amené avec lui deux moines qui étaient comme la confirmation vivante de sa parole, et dont l'un, Ammon, était si austère et si absorbé dans la contemplation des choses divines, qu'il ne daigna visiter rien autre chose à Rome que le tombeau des saints Apôtres; et l'autre, Isidore, à peine âgé de vingt ans, charmait par sa douceur et son aimable simplicité. C'est ce jeune moine qui un jour, quand Paula visitera l’Égypte, l'accueillera à Alexandrie. Marcella pressait de ses questions l'évêque d'Alexandrie et ses deux compagnons. Les germes jetés dès lors dans le cœur de la jeune fille ne devaient pas être perdus.

(1) Ab Alexandrinis sacerdotibus papaque Athanasio, et postea Petro, qui, persecutionem Arianae haereseos declinantes, quasi ad tutissimum communionis suae portum Romani confugerant, vitam beati Antonii adhuc tunc viventis, monasteriorumque in Thebaide Pachumii, et virginarum ac viduarum didicit disciplinam. (S. Jérôme, Epist. 96, ad Principiam.)
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La vertu héroïque de cette généreuse veuve parut merveilleusement en la ruine épouvantable de Rome, lorsque Dieu permit que cette ville tombât entre les mains de ses ennemis : ils réduisirent en cendres la gloire de cette illustre cité et ôtèrent la liberté à celle qui, autrefois, avait mis toute la terre en servitude ; Alaric, roi des Goths, l'ayant assiégée et emportée d'assaut, la mit à feu et à sang et exécuta contre elle tout ce qu'un prince victorieux et irrité peut faire dans une ville où il est entré l'épée à la main et la rage dans le cœur.

Quelques soldats insolents étant entrés dans la maison de Marcelle pour la piller, elle les reçut paisiblement et sans s'étonner. Ils lui demandèrent où elle avait caché ses richesses elle leur déclara, en leur montrant son pauvre habit, qu'elle avait de très-bon cœur choisi d'être pauvre pour l'amour de Jésus-Christ. Elle fut battue et fouettée par ces barbares, qui ne la croyaient pas ; mais elle n'avait point de ressentiment pour les coups qu'ils lui donnaient. Elle se jeta à leurs pieds pour les prier avec larmes de lui laisser une jeune fille nommée Principia sa compagne, à laquelle saint Jérôme a dédié la vie de notre Sainte, et qui en avait été le témoin oculaire ; elle craignait que cette fille ne souffrît en sa jeunesse ce que son âge avancé ne lui faisait plus appréhender. Dieu amollit les cœurs endurcis de ces soldats, et la pitié trouva quelque place parmi les épées sanglantes de ces païens, car ils les menèrent toutes deux dans l'église de Saint-Paul elles ne savaient si c'était pour leur donner la vie ou pour les mettre au tombeau, mais lorsqu'elles virent que ces barbares les laissaient en liberté dans ce lieu, elles en furent extrêmement consolées et rendirent grâces à leur souverain Seigneur Jésus-Christ du soin qu'il avait pris de leurs personnes. La captivité ne la rendit pas plus pauvre qu'elle n'était auparavant ; car elle l'était déjà tellement, qu'elle n'avait pas de pain à manger ; mais, d'ailleurs, elle était si remplie et si rassasiée de Jésus-Christ, qu'elle ne sentait point la faim, et qu'elle pouvait dire avec vérité : « Je suis sortie nue du sein de ma mère, j'y retournerai avec la même nudité ; il ne m'est arrivé que ce qu'il a plu à Dieu : que son nom soit béni ! »

A quelques jours de là, la très-illustre veuve sainte Marcelle, étant encore pleine de vigueur, rendit paisiblement son âme à Notre-Seigneur, l'an 410, laissant Principia héritière de sa pauvreté. Tandis qu'elle était à l'agonie, elle souriait aux pleurs de Principia, sa bonne conscience lui rendant témoignage de sa vie passée et la remplissant d'espérance pour les biens de la vie future qu'elle attendait par la miséricorde de son Rédempteur.

Principia vécut alors seule, sous les regards et en la présence de Dieu, qui la garda comme la prunelle de son œil, et la combla de toutes ses faveurs. Elle continua la manière de vivre de sa sainte maîtresse, devenant à son tour un modèle pour ses compagnes, et amassant tous ses trésors dans le ciel. Mûre pour la récompense, elle s'en alla de cette terre pour monter au séjour des élus, le 24 janvier, vers l'an 418.
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                     Sainte Asella ou Aselle

  Les Petits Bollandistes, au 6 décembre a écrit :
Sainte Aselle, vierge Romaine, 410.

Saint Jérôme, en écrivant lui-même la vie de cette illustre vierge romaine, a immortalisé sa mémoire ; laissons-lui la parole :

« Je veux taire », dit-il, « qu'elle fut bénie de Dieu dès le sein de sa mère ; que son père, dans une vision céleste, qu'il eut durant son sommeil, la vit sous la forme d'un globe de verre plus brillant et plus pur que tous les miroirs des mondains ; et qu'étant encore, pour ainsi dire, dans les langes, elle fut avant l'âge de dix ans consacrée au ciel et destinée à jouir de la béatitude éternelle. Laissons à la grâce les faveurs que cette Sainte n'a p u mériter par don travail. Dieu, qui dispose de tout par sa sagesse infinie, les dispense comme bon lui semble. Il sanctifie Jérémie avant la naissance, il fait tressaillir Jean-Baptiste dans le sein d’Élisabeth, et il choisit Paul, dans ses décrets éternels, pour porter aux Gentils l’Évangile de son Fils, parce que tel est son bon plaisir. Mais venons à ce qu'elle a entrepris, à ce qu'elle a fait et à ce qu'elle a consommé après douze ans par le secours de cette même grâce.

Elle s'enferma, par le mouvement de l'Esprit-Saint, dans une cellule, où elle persévéra avec beaucoup de constance jusqu'à la fin de sa vie. Quelque étroit que fût ce lieu, elle y jouissait de repos. Ses délices étaient de jeûner, l'abstinence faisait sa réfection ordinaire, et quand elle se voyait obligée, plutôt par une nécessité commune à tous les hommes, que pour contenter son appétit ; de prendre quelque nourriture, du pain avec du sel et de l'eau froide étaient tout son aliment, et elle en prenait si peu, que sa faim en était plutôt excitée qu'apaisée. Dès qu'elle eut résolu d'embrasser ce genre de vie et de se consacrer tout entière à Dieu, elle se défit, sans attendre le consentement de ses parents, de ses joyaux et de ses chaînes d'or pour en acheter une robe simple et modeste, qu'elle ne pouvait obtenir de sa mère ; et, par ce pieux commerce, elle fit voir à ses parents qu'ils ne devaient pas attendre une vie mondaine de celle qui condamnait ainsi le siècle par ses habits. Elle vécut si solitaire et si éloignée de la conversation des créatures, qu'elle ne paraissait jamais en public. Elle évita toujours de parler aux hommes ; et, ce qui est admirable, elle se privait même de voir une sœur qu'elle aimait tendrement.

Elle employait ses mains à quelques ouvrages, pour ne point demeurer oisive ; mais, pendant son travail, elle s'entretenait avec son Époux céleste par la prière, ou elle publiait ses louanges en récitant des psaumes avec ferveur. Lorsque la solennité des fêtes, ou quelque dévotion particulière la portait à visiter les églises des saints Martyrs, elle s'y rendait sans être connue, et sa plus grande joie était de n'être vue de personne. Quoiqu'elle jeûnât une grande partie de l'année, et même qu'elle passât quelquefois deux ou trois jours sans manger, elle faisait néanmoins une telle abstinence pendant le Carême, qu'on eût dit qu'il n'était tout entier qu'un seul jeûne. Malgré ces austérités, elle ne laissa pas de vivre jusqu'à cinquante ans, sans aucun mal d'estomac, sans douleur d'entrailles, sans ressentir aucun affaiblissement de ses membres, quoiqu'elle reposât toujours sur la dure, et sans que l'âpreté du cilice causât en elle la moindre difformité, mais jouissant d'une santé parfaite et d'une sainteté encore plus abondante. Elle était dans la solitude comme dans un paradis, et elle trouvait, au milieu des troubles de la ville, le repos que les solitaires vont chercher dans les ermitages. Il n'était rien de plus agréable que sa sévérité, ni rien de plus sévère que sa joie. Sa gaieté était triste et sa tristesse charmante. La pâleur qui paraissait sur son visage était un indice de sa pénitence, mais on n'y voyait rien qui ressentit l'ostentation. Ses paroles étaient si bien mesurées, qu'on pouvait dire qu'en parlant elle gardait le silence, et son silence était si judicieux, qu'en quelque façon elle parlait en se taisant. Son marcher était accompagné d'une modestie angélique. Elle était toujours vêtue de la même manière, avec une certaine négligence qui ne tenait rien de l'affectation, et cette même négligence était une propreté chrétienne qui condamnait le luxe et la pompe des personnes du monde.

Enfin, par son égalité de vie, elle mérita seule d'être admirée de Rome entière, qui était alors une ville de plaisirs, de luxe et de magnificence, et où l'humilité passait pour une bassesse d'âme ; en sorte que les gens de bien donnaient des éloges à sa vertu, et les libertins n'osaient l'attaquer par leurs calomnies ; les veuves la prenaient pour le modèle de leur perfection, les vierges tâchaient de l'imiter, les femmes mariées l'honoraient, les débauchés la redoutaient, et les prêtres la considéraient comme une merveille de sainteté 
».

Cf. Saint Jérôme, Épîtres XV, CXV, CXL.
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                     Sainte Paula ou Paule

  Les Petits Bollandistes, au 30 septembre a écrit :
Sainte Paule de Rome
, veuve, disciple de saint Jérôme, fondatrice de monastères.

404. — Pape : Saint Innocent Ier. — Empereur d'Occident : Honorius.

Ce n'est pas seulement la mort pour la foi qui fait le martyre :
la vie immaculée d'une âme qui sert Dieu avec amour
et pureté en est un aussi, de de tous les jours.
Que l'on triomphe pour Dieu dans les combats sanglants
ou dans les luttes du cœur, on est également couronné.

 Saint Jérôme.


Le grand saint Jérôme, écrivant à la vierge Eustochie, fille de sainte Paule, fait ainsi l'éloge de notre Sainte :

« Quand tous les membres de mon corps se changeraient en autant de langues et prendraient autant de voix, je ne pourrais rien dire encore qui fût digne des vertus de la sainte et vénérable Paule. Noble par la naissance, plus noble encore par la sainteté ; puissante jadis par ses richesses, plus illustre aujourd'hui par la pauvreté de Jésus-Christ ; descendante par Rogat, son père, du célèbre Agamemnon, qui prit la fameuse ville de Troie après dix années de siège, et par Blésille, sa mère, des Scipions et des Gracques, qui sont des plus illustres entre les Romains, à Rome elle préféra Bethléem, et aux palais dorés l'humble toit d'une pauvre habitation ».

Paule fut élevée par sa mère dans un esprit d'amour pour la religion, de profonde aversion pour les choses du paganisme, et dans la gravité de vie qui convenait à une patricienne et à une chrétienne. Gardée soigneusement à l'ombre du foyer domestique, les cirques et les théâtres ne la virent jamais. Elle passait avec dédain devant ces lieux retentissants des folles joies de la vie païenne, accompagnant, selon l'usage du temps, sa mère aux basiliques et aux fêtes de l’Église, et aussi aux tombeaux des martyrs et aux catacombes. Elle aimait à parcourir ces lieux où s'était cachée si longtemps la foi maintenant triomphante dans le monde, à vénérer les traces encore récentes de tant de martyrs, à respirer, pour ainsi dire, le parfum qui s'exhalait de leurs tombes, à contempler ces naïves peintures, ces pieux symboles, où nous retrouvons aujourd'hui avec tant d'émotion, à demi effacées, les pensées du Christianisme primitif et des fidèles persécutés, ces espérances d'immortalité dans la mort, et tout le détail des dogmes du symbole chrétien. Les actes de la charité, en même temps que les pratiques pieuses, eurent leur part dans son éducation religieuse. On jetait dans l'âme de la jeune enfant les germes de cette tendresse pour les malheureux que nous verrons bientôt arriver chez elle à l'état de passion sublime.

Cette forte éducation morale et chrétienne fut couronnée par la sérieuse et solide culture d'esprit, qui était aussi de tradition dans les grandes familles de Rome. Indépendamment des livres saints, qui furent ses premières lectures, les études de Paule, brillantes et étendues, embrassèrent les deux littératures latine et grecque ; ayant du sang grec comme du sang romain dans les veines, elle devait cultiver à un titre spécial les lettres d'Athènes comme celles de Rome, et elle parlait également bien les deux langues. Elle lut les historiens, les poètes, les philosophes. Nous verrons plus tard de quelle utilité lui sera cette culture profane pour l'admirable vie chrétienne à laquelle elle doit un jour s'élever. En attendant, ces études développaient en elle les riches dons qu'elle avait reçus de la nature, un Jugement sain, un esprit ferme, une raison élevée : un équilibre précieux fut de la sorte établi entre son intelligence et son caractère.
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Cependant l'âge vint où la brillante patricienne dut recevoir de la main de ses parents un époux, et ajouter à tous les avantages de sa naissance et de ses qualités l'éclat d'une illustre alliance. Elle épousa un jeune romain d'origine grecque, appelé Toxoce, qui appartenait par sa mère à la vieille famille de Jules, laquelle se vantait de remonter jusqu'à Enée. Toxoce ne partageait pas la foi de sa jeune épouse. Cependant, il ne paraît pas avoir été indigne de la jeune chrétienne qu'il avait épousée, et l'affection extraordinaire que Paule eut toujours pour lui, et l'inconsolable douleur avec laquelle elle le pleura, montrent que leur union fut de celles que le monde appelle heureuses. Dieu bénit cette union. Quatre filles naquirent successivement à Paule. L'aînée, appelée Blésille, paraissait comblée de tous les dons de l'esprit les plus vifs et les plus aimables ; santé frêle et délicate, mais riche et belle nature, qui dès sa plus tendre enfance faisait tout espérer, entre les mains d'une mère comme Paule, pour les charmes de l'intelligence et les qualités de l'âme. Pauline, la seconde, avait aussi une nature des plus heureuses, mais tout opposée à celle de Blésille. Ce n'était pas, comme celle-ci, la flamme mais, avec moins de jets brillants dans l'esprit et de spontanéité vive dans le caractère, elle donnait tous les signes d'un bon sens exquis, d'un jugement sûr, et elle promettait d'avoir en solidité tout ce que sa sœur aînée avait en éclat. Quant à la troisième, appelée d'un nom gracieux emprunté au grec, Eustochie (règle, droiture), douce enfant, modeste, réservée, timide, on eût dit une fleur cachant en elle-même son parfum ; mais ce parfum était suave, et à la regarder de près, on pouvait soupçonner déjà dans cette jeune âme des trésors qui étonneraient au jour de l'épanouissement. La quatrième s'appelait Rufine.

Paule, à cette époque de sa vie, ne sut pas assez se préserver du luxe et de la mollesse de son temps. Elle passait, comme toutes les patriciennes, dans les rues de Rome, portée par ses esclaves dans une basterne dorée ; elle eût craint de poser le pied par terre et de toucher la boue des rues ; le poids d'une robe de soie pesait à sa délicatesse ; un rayon de soleil qui se fût glissé à travers les épais rideaux de sa litière lui eût paru un incendie. Elle usait, comme les femmes de son rang, de ce qu'elle devait se reprocher tant un jour elle ne se refusait pas les délices du bain, qui avaient une si grande part dans la vie romaine ; elle passait, selon le commun usage, l'hiver à Rome, l'été dans quelque villa, où la campagne, les amies et une bibliothèque choisie se partageaient sa journée. Cependant, au milieu même de ce luxe, Paule, quoique bien loin encore des vertus qu'elle pratiquera un jour, était connue et respectée comme une femme d'une dignité de tenue et de conduite tout à fait irréprochable. Pas une voix ne s'éleva jamais dans Rome contre sa vertu. Au contraire, on la citait comme une romaine de la vieille souche, rappelant ces femmes d'autrefois qui avaient été, par leur sévère chasteté, l'honneur de la république, et quand on voulait offrir sous ce rapport aux jeunes patriciennes du temps un modèle, on nommait Paule. Il y avait là sans doute la fierté et la dignité du vieux sang romain ; mais il y avait surtout les inspirations et les vues supérieures de la foi. C'est sous cette garde plus sûre de l'esprit chrétien que Paule traversa toute cette opulence, fatale à tant d'autres, sans y périr ; et si, dans ces années brillantes et heureuses, la jeune épouse de Toxoce n'eut pas toujours assez présente à la pensée la maxime de l'apôtre, qui est d'user des choses mondaines comme n'en usant pas, de se prêter simplement au monde et de ne s'y point donner ; s'il lui arriva de trop goûter ces jouissances et ces vanités dangereuses, il y eut dans les épreuves qui survinrent bientôt une large compensation à cette mollesse, et dans l'austérité de sa pénitence une surabondante expiation.

Paule n'était pas seulement une femme d'une réputation intacte, d'un sévère honneur : à ce trait de vertu, à la fois romaine et chrétienne, saint Jérôme en ajoute un second, exclusivement chrétien ; elle était, dit-il, « la femme la plus douce et la plus bienveillante pour les petits, pour les plébéiens, pour les esclaves ». L'élévation naturelle de son âme, et plus encore la grâce de Jésus-Christ et le travail de la vertu, l'avaient entièrement préservée de la sécheresse et de la hauteur, de l'impatience et du dédain que l'orgueil du sang et de la richesse engendre chez les âmes dures ou petites ; elle avait ce complément nécessaire de la noblesse et de la beauté, ce signe d'une distinction naturelle et d'un mérite supérieur, la bonté ; et c'était là, avec l'austère honneur, les deux traits qui formaient par leur contraste le charme de sa physionomie. On conçoit comment une femme de ce caractère et de cette vertu devait remplir les devoirs délicats que lui imposait la société mêlée au sein de laquelle elle vivait. Ses relations étaient de deux sortes : elle était liée avec ce qu'il y avait de femmes éminentes par la piété dans l’Église ; les premières chrétiennes de Rome, telles que Marcelle et Titiane, étaient ses intimes amies. Elle avait aussi des relations avec la partie païenne du patriarcat, qu'elle recevait chez elle et chez qui elle était reçue.C'était tout ce qu'il y avait de plus considérable à Rome et aussi de plus païen. Les rapports avec une telle société réclamaient évidemment beaucoup de réserve, de dignité et de convenance ; c'était surtout le devoir des femmes chrétiennes, alors comme aujourd'hui, d'être auprès des incroyants, par l'amabilité de leur commerce et la supériorité de leurs vertus, la démonstration vivante de leur foi. Elles frayaient ainsi, plus efficacement que par la controverse, les voies à la vérité chez plus d'une âme, et il est permis de croire qu'elles étaient souvent pour beaucoup, sans le paraître, dans les recrues que faisait incessamment le Christianisme au sein du patriciat. Dans son foyer domestique, Paule était la plus heureuse des épouses et des mères. Sa jeune famille grandissait joyeuse autour d'elle, donnant les plus belles espérances. Toxoce cependant avait un regret. Il aurait voulu un héritier de son nom, et il n'en avait pas. Ce désir fut enfin exaucé ; il naquit un cinquième enfant à Paule qui fut un fils, et qui reçut comme son père le nom de Toxoce.
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Re: Biographies des dames Romaines

Message par Laetitia »

Paule n'avait que trente et un ans quand Dieu lui envoya la grande épreuve du veuvage. Ce coup inattendu qui venait la surprendre au milieu de tout son bonheur fut terrible pour elle : c'était le moment que Dieu choisissait pour tout briser dans cette tombe inopinément entr'ouverte. Paule fut d'abord atterrée et sans force contre cette douleur, au point qu'on craignait pour sa vie. Rien ne pouvait arrêter ses larmes. Jamais époux ne fut plus pleuré jamais coup ne pénétra plus avant dans son âme. En brisant toutes les entraves qui l'arrêtaient dans les voies ordinaires et l'empêchaient de monter aux grandes vertus, Dieu lui faisait un appel qu'elle était libre de suivre, mais après lequel, écouté ou méconnu, sa vie devait être fixée à jamais. Le veuvage est chose sacrée. Indépendamment de ce que la foi y découvre de surnaturel mérite, il y a sur la veuve vraiment veuve la triple consécration de la douleur, de la fidélité et de la vertu. La vierge n'est fidèle qu'à Dieu et à elle-même la veuve l'est de plus à celui qu'elle a aimé et perdu c'est pour lui aussi qu'elle garde désormais l'intégrité de son cœur, se faisant de son cher souvenir un culte et une vie et telle est la nuance qui distingue la veuve de la vierge, deux créations admirables du christianisme, deux fleurs nées sur la même tige et qui mêlent dans l’Église leurs parfums sans les confondre. S'il y a quelque chose de plus pur dans la vierge, il y a quelque chose de plus auguste et de plus touchant dans la veuve, parce que les souffrances et les larmes et le sacrifice ont passé là.

Paule comprit ce que Dieu voulait d'elle reprenant la liberté de son âme et se dérobant au monde, elle se résolut à marcher généreusement dans la voie où Dieu l'appelait. Elle trouvait heureusement autour d'elle des exemples, une société, des âmes entrées dans la même voie, et qui furent pour elle une excitation et un secours : cette société avait son centre à l'Aventin ; elle était formée de veuves ou de vierges appartenant aux premières familles de Rome, et qui donnaient alors à l’Église, sous les yeux et sous l'impulsion du pape Damase, un grand spectacle de vertu.

Il se fit tout à coup une admirable éclosion de vertus dans son âme. La transformation fut soudaine et complète. Une sorte d'abîme fut creusé entre elle et le monde ; mais cette rupture ne fut qu'une fuite plus profonde en Dieu. C'était une seconde liberté et un nouveau besoin que lui apportait le veuvage. Sentant que rien ne pourrait jamais combler le vide immense qui venait de s'ouvrir en elle ; voyant que tout se brise et nous fuit ici-bas, que Dieu seul n'échappe point, et qu'en lui on retrouve tout, elle se rejeta vers Dieu avec une sorte de passion si ardente et de joie si pleine, qu'on eût dit que la mort de Toxoce, tant pleurée par elle, n'était à ses yeux qu'une délivrance. Et cet amour dans lequel maintenant elle se plongeait tout entière, en même temps qu'il lui apportait les vraies et solides consolations, créait dans son âme des ascensions merveilleuses, admirablement indiquées par saint Jérôme.
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Re: Biographies des dames Romaines

Message par Laetitia »

Le premier degré auquel elle monta, ce fut un nouvel et plus grand amour pour la prière. Elle s'y sentait puissamment et doucement inclinée. Plus en effet un cœur se ferme du côté de la terre, plus il s'ouvre du côté du ciel. Ayant renoncé aux joies de la vie mondaine, Paule goûtait d'autant plus celles d'un commerce assidu avec Dieu. Aussi sa prière se prolongeait-elle très-avant dans la nuit, et plus d'une fois le soleil la surprenait agenouillée et priant encore. Son grand bonheur était d'aller à l'oratoire de l'Aventin chanter des psaumes avec les vierges de Marcelle. La Sainte Écriture devint sa méditation quotidienne. Ainsi, tandis que les grandes douleurs ne font qu'obscurcir certaines âmes et les couvrir comme de ténèbres, elles avaient au contraire empli de plus de lumières l'âme de Paule, et lui avaient dévoilé plus large et plus radieux l'horizon de l'éternité. A ces clartés qui l'illuminaient maintenant, son amour de Dieu et des choses célestes grandissant chaque jour, son âme monta à un second degré, à savoir une exquise délicatesse de conscience, un extraordinaire désir d'une absolue pureté de cœur.

Dans une disposition si belle, pour se ménager un vol plus libre vers Dieu et se conserver un cœur plus intact et mieux défendu, non-seulement elle s'entoura d'une garde sévère, mais encore elle embrassa avec un courage héroïque les plus austères pratiques de la mortification chrétienne. Toutes les habitudes délicates d'autrefois, toutes les aises de la vie furent supprimées. Cette patricienne ne coucha plus que sur des cilices jetés sur la terre nue, et rivalisa d'abstinences et de jeûnes avec les ascètes du désert. Dans cette ferveur, le souvenir de sa vie moins parfaite d'autrefois et des concessions faites au monde la remplissait de confusion et de douleur et ouvrait en elle une source de larmes. Et ces larmes, fruit d'un si pur amour de Dieu, se mêlant à celles que le souvenir toujours vivant de Toxoce lui faisait verser aussi, de même que ces deux affections s'étaient mêlées et confondues dans son âme, de cette double source des pleurs coulaient incessamment avec tant d'abondance, qu'ils fatiguaient ses yeux au point de faire craindre pour sa vue. La nuit même ne les arrêtait pas, comme si Paule, dit saint Jérôme, avait pris pour sa part à la lettre cette parole du Psalmiste : « Je baignerai chaque nuit mon lit de mes larmes, j'arroserai ma couche de mes pleurs ».

Ces saintes rigueurs n'élevaient pas seulement Paule à une pureté d'âme admirable, elles avaient une autre fécondité encore, elles allumaient en elle, comme il arrive toujours, une flamme ardente de charité : son cœur, en même temps qu'il se tournait ainsi vers l'amour de Dieu, trouvait un autre épanchement sublime dans l'amour des pauvres. Et certes, le champ ouvert à son activité était vaste car, au sein de ce peuple-roi qui trouvait au-dessous de sa dignité de travailler, la misère était affreuse. Tous ses revenus s'en allèrent en aumônes. Sa charité ne connaissait pas de mesure et ne savait pas s'arrêter ; et jamais un pauvre ne revint d'auprès d'elle les mains vides. Elle donnait tout, et quand elle n'avait plus rien, elle empruntait afin de pouvoir donner de nouveau, se mettant quelquefois dans la nécessité d'emprunter encore pour rembourser ses emprunts. Non contente de prodiguer tout ce qu'elle avait, elle faisait plus, elle ne craignait pas de se rendre importune pour les pauvres et de mettre à leur service les relations que sa naissance et son grand nom lui avaient données dans Rome : apôtre de la charité, comme elle en était le modèle.
(à suivre)
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