Biographies des dames Romaines

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Laetitia
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Il y avait deux ans déjà que Paule se livrait, comme nous venons de le dire, avec ses saintes amies, à la pratique de ces généreuses vertus, et donnait à la société patricienne ces beaux exemples d'édification, quand tout à coup se répandit dans Rome une nouvelle qui vint jeter dans le petit cénacle de l'Aventin, et dans tout le groupe des généreuses femmes entrées dans le même mouvement, la joie la plus vive. L'Occident allait avoir son grand concile comme l'Orient avait eu les siens. Le pape Damase avait convoqué tous les évêques catholiques à Rome pour l'an 382, et on attendait d'Orient des évêques vénérables dont la renommée publiait les vertus.

Paule et ses amies n'oublièrent pas de mettre à profit les trois mois que les saints évêques restèrent à Rome. Elles ne pouvaient se lasser de les voir et de les entendre ; Paule surtout, qui avait le bonheur de posséder dans son palais Epiphane, pressait chaque jour le vénérable évêque de ses questions pieusement curieuses. Elle voulait tout savoir de l'admirable vie des Pères du désert. Epiphane et Paulin racontaient en détail toutes les merveilles qu'ils avaient vues. Ces récits jetaient Paule dans le ravissement. Ce fut dans ces entretiens quotidiens avec Paulin et saint Epiphane qu'elle sentit naître dans son âme la première inspiration du dessein qu'elle devait exécuter un jour. En entendant parler des Antoine et des Hilarion, des prodiges de la Thébaïde, et de ces femmes et de ces vierges qui rivalisaient sur les bords du Nil d'austérités avec les solitaires, le dégoût de Rome et du monde, déjà si profond en elle, grandit dans une telle proportion, et l'attrait vers une vie supérieure encore à celle qu'elle menait, cette vie que les Pères du désert s'étaient créée et dont l'idéal venait de lui apparaître de si près, la saisit si vivement, qu'il y avait des moments où, perdant le souvenir de sa maison, de ses biens, de ses enfants, de sa famille, elle aurait voulu sur-le-champ, s'il eût été possible, s'en aller pour jamais dans la solitude des Antoine et des Paul.

Paule et Marcelle et leurs saintes amies désirèrent vivement se mettre en rapport avec le compagnon des deux évêques orientaux resté à Rome, saint Jérôme, et profiter, en même temps que le Pape, des lumières de ce moine austère et docte qui portait, pour ainsi dire, le désert sur son visage, et en qui elles pressentaient un appui nécessaire pour leur genre de vie déjà si combattu, et un maître incomparable dans la science et dans la vie chrétiennes. Jérôme se décida à faire des lectures et des explications des saints livres à l'Aventin. Il eut bientôt reconnu quels disciples il avait dans ces femmes si cultivées. « Ce que je voyais en elles », écrivait-il plus tard, « d'esprit, de pénétration, en même temps que de ravissante pureté et de vertu, je ne saurai le dire ». Comprenant donc ce qu'il pourrait faire avec des âmes ainsi disposées, et jusqu'où elles pouvaient aller avec un guide qui saurait les conduire, il résolut de ne pas manquer à une pareille œuvre ; et rien n'est plus touchant que la familiarité pleine de confiance et de respect, l'amitié illustre et pure, qui se forma entre elles et lui ; leur étonnante ardeur, leur admirable docilité à suivre la direction de ce grand maître, et l'active sollicitude, les soins dévoués de l'austère moine, pour leur révéler les trésors des Livres saints et les soutenir dans leur vie héroïque.
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Laetitia
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Paule trouvait si pleinement dans cette source divine de l'Ecriture tout ce dont son âme avait besoin, consolations, forces, lumières, qu'elle s'y plongeait, pour ainsi dire, avec cette énergie et ce courage qu'elle mettait à tout, et d'autant plus maintenant qu'elle pouvait avoir une solution aux difficultés que présente sans cesse le texte sacré. Elle y découvrait, ravie, des choses qu'auparavant elle n'y avait point aperçues. Comprenant que la vraie clef d'or de ce trésor des Ecritures, c'est la langue dans laquelle elles ont été écrites, elle voulut les lire dans cette langue, et n'eut pas peur de cette formidable étude de l'hébreu qui avait coûté à Jérôme tant de labeurs.

Paule attirait le plus les regards de saint Jérôme. A mesure qu'il la voyait de plus près, il l'admirait davantage. Son âme lui paraissait plus belle encore que son esprit. Il apercevait en elle des élans merveilleux et un courage qui ne s'effrayait de rien. De toutes ces âmes dont Dieu le faisait le guide, nulle n'avait plus d'affinités et de secrètes harmonies avec sa propre âme et n'était mieux faite pour suivre sa forte direction ; mais à nulle autre aussi cet appui n'était plus nécessaire. Passée depuis deux ans à peine de la plus opulente existence patricienne à cette vie voilée de deuil et de pénitence, et encore sous le coup de sa récente douleur, elle avait particulièrement besoin d'être soutenue. Et puis, elle n'était pas seule. Jérôme voyait à ses côtés cette jeune Eustochie, fleur encore si tendre et si délicate, et ces quatre autres enfants, Blésille, Pauline, Rufine et le petit Toxoce, qu'il fallait élever et diriger : grand fardeau pour une jeune mère.

Enfin, outre les oppositions générales qui commençaient déjà dans Rome contre le genre de vie que Paule avait embrassé et qui allaient grandir, Jérôme entrevoyait, dans l'entourage même de Paule, de la part surtout des membres païens de sa famille, des difficultés spéciales et les orages qui devaient bientôt éclater. Pour toutes ces raisons, il comprenait qu'il y avait là particulièrement une belle œuvre à faire, la direction de Paule, et il s'y dévoua. C'était une grande chose, et bien nouvelle dans le monde, que cette direction des âmes créée par le Christianisme. Saint Jérôme, quelle que fût sa science des Ecritures, était un plus grand maître encore de la vie chrétienne, et nul, par la trempe de son caractère comme par les vues de son esprit, n'était mieux fait pour ce ministère de direction qui allait lui échoir auprès de Paule et de ses saintes amies...
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Cependant Paule était mère, et l'ardeur extraordinaire avec laquelle elle se livrait, sous l'impulsion de saint Jérôme, à cette vie d'austérités, d'étude, de prière et de charités, ne pouvait lui faire oublier ce qu'elle devait à sa jeune famille, à ces cinq enfants orphelins qui croissaient autour d'elle.

Mais la perle de ses enfants, c'était sa troisième fille, Eustochie, qui était la douceur et la candeur même, l'innocence et la piété. Le trait qui surtout la distinguait, c'était son amour pour sa mère. Elle ne la quittait jamais, ne pensait et ne voyait que par elle, se laissait complètement diriger et façonner. Quand Marcelle, voyant les dispositions admirables de cette jeune fille pour la piété, avait voulu l'avoir près d'elle et l'avait demandée à Paule, pour l'élever quelque temps avec les vierges de l'Aventin. Eustochie y était allée avec bonheur, et Marcelle avait gardé dans sa propre chambre, et couvé en quelque sorte sous ses ailes cette enfant de son amie ; et quand elle la rendit à Paule, Eustochie s'attacha encore plus à sa mère, comme la jeune vigne, à mesure qu'elle grandit, s'attache plus étroitement à l'ormeau qui lui sert d'appui ; jamais on ne la voyait faire un pas sans elle, et sa joie était grande de l'accompagner dans ses visites, soit aux catacombes, soit aux basiliques, soit chez les pauvres ; et l'innocente enfant n'avait qu'un désir, celui d'imiter sa mère, et de se consacrer comme elle au pur et plein service de Dieu dans la sainte virginité. Douce et silencieuse, mais cachant sous ce voile de modestie une intelligence d'élite, et dans son cœur pur, sous une frêle apparence, une force capable des plus grandes choses : telle était Eustochie. Elle n'avait pas encore quinze ans à l'arrivée de saint Jérôme, et, comme une fleur qui commence à s'entr'ouvrir, elle laissait déjà deviner ses trésors. Il s'agissait de mener à bien cette vocation évidente, et de conserver à Jésus-Christ une jeune vierge qu'il voulait manifestement pour épouse, mais qui devait lui être vivement disputée.

Cependant Eustochie suivait persévéramment sa voie. « Cette fleur des vierges », comme l'appelle saint Jérôme, continuait à s'épanouir sous la main et le cœur de sa mère. En vain elle voyait ses deux sœurs aînées briller sous de riches parures, porter des colliers d'or et des bijoux; son goût pour la vie virginale se prononçait de plus en plus devant un attrait si spontané, si profond, si persévérant, Paule n'avait pas hésité, et à une époque qu'on ne sait pas, peut-être même avant l'arrivée de saint Jérôme, elle l'avait présentée au pape Damase pour qu'elle en reçût le voile des vierges et la pieuse enfant était revenue au palais de sa mère plus heureuse et plus radieuse sous son flammeum et sa robe brune, que Blésille le jour où elle était entrée dans le palais du jeune Furius, sous cette brillante parure de noces sitôt changée en robe de deuil. La démarche d'Eustochie eut un grand retentissement à Rome, et redoubla l'irritation de la famille de Paule. Hymétius, dérangé dans les projets d'union qu'il rêvait pour sa nièce, et embarrassé des sourires et des plaisanteries de Prétextât et de ses autres amis païens, fut ulcéré. Mais Paule était ravie des dispositions et de la ferveur croissante de sa fille. Malgré sa jeunesse, nulle parmi les vierges de l'Aventin ne surpassait Eustochie pour l'assiduité à la prière et au chant des psaumes, et l'ardeur à suivre saint Jérôme dans cette prairie des Écritures qu'il leur avait ouverte l'étude même de l'hébreu ne l'avait point effrayée ; et saint Jérôme avait conçu pour cette enfant, comme pour sa mère, un respect et un dévouement singuliers. Toutefois à cette joie de Paule venaient se mêler de vives inquiétudes pour l'avenir. Car, outre l'opposition qu'elle rencontrait déjà dans sa famille, elle voyait se former un orage, non-seulement contre elle, mais contre tout ce mouvement de vie monastique qui se faisait dans Rome depuis quelque temps, et dans lequel Jérôme appelait en foule les patriciennes. C'était la lutte intérieure de la famille et la lutte publique du monde contre la vie religieuse qui commençaient.

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Laetitia
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À la nouvelle de la conversion de Blésille, fille aînée de Paule, la colère de toute la partie païenne et mondaine de la famille de Paule fut au comble ; Hymétius surtout s'emportait en dures paroles contre sa belle-sœur, et traitait Jérôme de séducteur. Tout le patriciat, et même le peuple, partageait cette émotion. On commençait à s'effrayer de ce progrès des idées monastiques. Paule s'étant mise à parcourir avec plus de sollicitude que jamais les quartiers indigents de Rome, accompagnée non plus seulement d'Eustochie, mais de Blésille, joyeuse d'associer cette fille doublement chérie aux douceurs de la charité, ses aumônes, déjà si considérables, grandirent encore, et, ses revenus, pourtant si vastes, ne lui suffisant plus, elle alla jusqu'à vendre de son patrimoine pour augmenter ses ressources; et quand, pour modérer ces saintes prodigalités, on lui parlait de ses enfants : « Quel patrimoine meilleur puis-je leur laisser », disait-elle, « que l’héritage des Bénédictions de Jésus Christ ? » n'estimant pas le maintien de son immense fortune dans toute son opulence un avantage comparable pour ses enfants au trésor des grâces célestes qu'elle espérait leur mériter par des aumônes qui les laissaient d'ailleurs encore assez riches. Mais ces vues élevées d'une foi vive, cette confiance supérieure en Dieu, ne pouvait être du goût de tout le monde dans sa famille, et les murmures que suscitaient depuis longtemps ses charités amenèrent enfin un orage. Une scène violente eut lieu entre elle et Hymétius. Celui-ci s'emporta, et reprocha à sa belle-sœur avec dureté d'oublier ses devoirs de mère, et de dépouiller ses enfants. Ce fut alors que Paule, pour faire taire tous ces reproches, et retrouver plus de liberté, se décida, dans une inspiration héroïque, à un grand acte, raconté malheureusement d'une manière trop brève par saint Jérôme. « Déjà morte au monde avant de mourir », dit-il, « elle distribua tous ses biens entre ses enfants ».

Ce grand acte accompli, elle commença à parler sans mystère, et à annoncer hautement son projet de partir pour l'Orient et les lieux saints. Une telle annonce causa de nouveau un grand émoi dans sa famille. On en fut exaspéré. On pensait que si elle allait une fois en Orient, elle y resterait ; on prévoyait d'ailleurs que Blésille peut-être, qu'Eustochie certainement l'accompagneraient. Hymétius, dans son dépit, crut qu'il fallait faire un effort décisif, et qu'on romprait tout si on parvenait à ressaisir Eustochie pour le monde. Dans cette pensée, un complot fut organisé par lui pour ébranler la vocation de la jeune fille, et sa femme fut chargée de l'exécuter. Sous un prétexte que saint Jérôme ne dit pas, on obtint de Paule de faire conduire Eustochie chez sa tante qui la combla de caresses. Puis tout à coup, à un certain moment, voici qu'Eustochie se voit environnée d'esclaves ; on lui enlève son voile et sa robe de laine, on déploie et on tresse sa chevelure, à la façon des jeunes filles du monde, on lui peint le visage et les yeux, on lui fait revêtir des robes de soie magnifiques ; puis on la présente ainsi parée à toute la société réunie chez Hymétius, et chacun a l'envi de se récrier sur ses grâces et sur sa beauté, et de la plaindre de la violence que lui faisait, dit-on, subir sa mère. On espérait que ces parures et le poison de ces louanges et de ces paroles iraient jusqu'au cœur de la jeune fille; on se trompait. Eustochie, douce et calme, souffrit tout ; puis, le soir venu, elle reprit sa robe brune et retourna tranquillement chez sa mère.
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La généreuse jeune fille, ainsi que sa sœur Blésille, n'en furent que plus affermies dans leur genre de vie. Leur ferveur redoubla. En dépit de tout, les deux sœurs continuaient, joyeuses et vaillantes, leur train de vie, riant des obstacles, et protestant que rien ne saurait les ébranler. Paule, Blésille et Eustochie s'avançaient chaque jour de plus en plus dans la vie de sacrifice et d'immolation. Le généreux amour de Dieu les consumait toutes trois également ; la sainte Écriture faisait plus que jamais leurs délices, et Jérôme ne pouvait suffire aux travaux que lui demandait surtout l'ardente Blésille. C'était elle aussi maintenant qui pressait le plus ce grand voyage d'Orient, dont sa mère et sa sœur nourrissaient depuis si longtemps le désir. Le temps semblait venu de mettre à exécution ce dessein ; mais Dieu avait, pour Blésille du moins, d'autres pensées : la mort de Blésille arrivée inopinément au milieu de tous ces projets de pieux pèlerinages, vint frapper de nouveau Paule au point le plus sensible de son âme et rouvrir toutes ses blessures.

Blésille disparue faisait dans son cœur un vide que rien ne pouvait combler. Ses yeux la cherchaient, la voyaient partout ; mais elle n'était nulle part. Tout lui en rappelait le souvenir, mais rien ne la lui rendait. Aussi, dans l'immense tristesse que cette perte lui laissait, Rome lui devint plus que jamais insupportable. Il lui fallait ce qu'il faut d'ordinaire dans les grandes douleurs, une grande diversion. Le voyage d'Orient, arrêté tout à coup par cette mort imprévue, et bien qu'il eût perdu pour elle un grand charme, puisque Blésille n'en serait plus, pouvait seul distraire, par de puissantes émotions, cette âme brisée ; et la piété et la douleur se réunissaient maintenant pour le conseiller. Les oppositions mêmes qu'il rencontrait dans sa famille étaient pour elle une raison de plus de l'entreprendre. La décision de Paule fut donc prise irrévocablement. Son cœur avait trop besoin de chercher auprès des lieux où était mort le Sauveur un épanchement à sa douleur et à sa piété, et l'attrait intérieur qui l'y poussait était trop puissant.

Quand les préparatifs du départ furent terminés, elle se rendit, avec Eustochie et les compagnes de leur grand voyage, sur le rivage où un navire les attendait. Au moment de dire adieu à ses enfants et à sa parenté, « ses entrailles se déchirèrent », nous dit saint Jérôme; « il lui semblait qu'on lui arrachait les membres ; mais elle combattait contre cette torture, et son héroïsme avait cela d'admirable qu'il triomphait d'un grand amour. On la voyait, dans cette lutte suprême, s'appuyer, pour ne pas défaillir, sur la tendre et courageuse Eustochie, compagne de son sacrifice et de son départ. Cependant le navire sillonnait les flots et gagnait le large, et tous les passagers attachaient à la côte ce long et dernier regard si cher à tous ceux qui voient fuir derrière eux la patrie. Paule seule détournait les yeux du rivage, de peur que son cœur ne se brisât à l'aspect de ceux dont la vue lui déchirait l'âme ». Paule s'arrêta en Chypre pour y voir saint Épiphane, dont les paroles, trois ans auparavant, en jetant dans son âme les premières étincelles de la flamme qui la consumait aujourd'hui, avaient eu sur sa vie une influence si décisive. Le vénérable évêque l'attendait sur le rivage, heureux de lui rendre quelque chose de la noble hospitalité qu'il en avait reçue à Rome. Dès que Paule l'aperçut, elle se jeta tout émue à ses pieds en répandant beaucoup de larmes. Épiphane, la voyant fatiguée d'une pareille traversée, et réservée, dans le long voyage qu'elle entreprenait, à de plus grandes fatigues encore, voulut qu'elle restât quelques jours à Salamine pour se reposer. Paule voulut profiter de son séjour dans l'île pour en visiter tous les monastères, et voir de près cette vie qu'elle allait étudier en Orient à sa source ; et partout où elle allait, elle marquait son passage par de pieuses largesses. Dix jours se passèrent ainsi en pieuses courses et en longs entretiens avec Épiphane ; puis elle se rembarqua de nouveau, et arriva rapidement à Séleucie, et de là, remontant l'Oronte, aborda enfin à Antioche, où l'ancien compagnon de saint Épiphane à Rome, le vénérable évêque Paulin, la reçut avec la même joie et le même respect que l'évêque de Salamine, et ce fut chez lui que Paule retrouva l'admirable guide que la Providence lui réservait pour son pèlerinage aux lieux saints, saint Jérôme, que Paulin avait recueilli avec tous ses compagnons à leur arrivée d'Occident.
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Après quelque temps de séjour dans cette ville, on organisa le départ, et toute la pieuse caravane, dont faisaient partie saint Jérôme et ses amis, suivit la voie romaine qui côtoyait tout le littoral de la Syrie, de la Phénicie et de la Judée. La première ville de Judée qu'elle rencontra fut Sarepta, dans l'ancienne tribu d'Aser, puis Tyr, Ptolémaïs, les champs de Mageddo, Césarée, la plaine de Saron, Antipatris, l'ancienne Lydda, nommée alors Diospolis ; revenant un peu en arrière, elle visita la fameuse Joppé, Emmaüs, Béthoron, l'emplacement d'une ville rasée jusqu'au sol, appelée Gabaa, et arriva à Jérusalem. Le proconsul de Palestine, qui connaissait beaucoup sa famille, et qui était averti de son arrivée, avait envoyé au-devant d'elle aux portes de la ville une escorte, pour la recevoir avec honneur et la conduire dans un logement qu'il lui avait fait préparer au prétoire. Mais par un sentiment de profonde délicatesse chrétienne, Paule refusa obstinément le palais qu'on lui offrait, et alla se loger avec toute sa suite dans une maison modeste non loin du Calvaire ; puis, sans se donner le temps de se reposer de ses fatigues, elle se disposa à visiter les lieux saints.

Elle entra d'abord dans l'église de la Croix ; mais, tout entière à la pensée des grands mystères que ces lieux rappelaient, à peine donna-t-elle un regard à la splendeur de la basilique. La croix du Sauveur, c'était là ce que ses yeux et son cœur cherchaient avant tout. Quand l'objet sacré eut été exposé devant elle, la foi et l'amour qui remplissaient son âme débordèrent, pour ainsi dire, et la jetèrent dans une sorte de ravissement. Elle se prosterna le front dans la poussière, adorant le bois sacré, ou plutôt le Christ attaché à ce bois et que sa vive foi voyait comme s'Il eût été présent.

Elle ne pouvait se lasser de contempler ce spectacle, et de se représenter une à une toutes les circonstances de la Passion. Après cette longue adoration, elle passa dans l'église du Sépulcre : là son émotion fut encore plus grande. Quand elle eut pénétré jusqu'au rocher même qui avait reçu le Corps inanimé du Sauveur, elle ne put se contenir, et, tombant à genoux, elle éclata d'abord en pleurs et en longs sanglots. Puis on la vit s'approcher de la pierre, la couvrir de baisers, y appliquer ardemment ses lèvres, comme si elle eût bu là, pour désaltérer la soif de son âme, à des eaux longtemps désirées. « Ce qu'elle versa de larmes sur cette pierre, ce qu'elle y poussa de gémissements, ce qu'elle y témoigna de douleur », dit saint Jérôme, « Jérusalem tout entière en fut témoin, et Vous aussi, Seigneur, qui recueilliez à vos Pieds divins cette pluie de ses pleurs ». Les chrétiens de Jérusalem témoins de ce spectacle étaient édifiés profondément de cette admirable piété. Du Calvaire, Paule se rendit à Sion.

« Elle voulait tout voir », dit saint Jérôme, « et on ne pouvait l'arracher d'un lieu saint que pour la conduire dans un autre ».
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Après avoir visité et vénéré tous les lieux saints de Jérusalem, les pèlerins songèrent à parcourir la Terre Sainte elle-même. Ils visitèrent d'abord Bethléem; Paule, à la vue de la crèche, donna un libre essor à son âme et s'écria : « Salut, ô Bethléem ! Tu es vraiment la maison du pain, puisque tu as donné à la terre le pain qui est descendu du ciel; salut, ô Ephrata ! Tu es bien une terre fructueuse, puisque le fruit de ta fécondité est un Dieu». Entrant alors dans une douce méditation, elle se mit à repasser dans sa mémoire les passages des prophètes relatifs à la Naissance du Sauveur. « Est-il bien vrai ? » s'écriait-elle ; « quoi ! moi, une misérable, une pécheresse, Dieu a daigné me permettre de poser mes lèvres sur la crèche où son Fils est né, de répandre mes prières dans la grotte où la Vierge mère l'a enfanté ! » Après ces paroles, ne pouvant plus retenir le flot de ses larmes, elle les laissa couler abondamment ; et enfin, l'amour de notre Seigneur s'emparant victorieusement de son âme tout entière, elle sentit naître en elle, comme une inspiration céleste, la pensée de fixer là son séjour, près de la sainte et chère grotte, et de ne la quitter jamais ; et on l'entendit s'écrier, avec un accent inexprimable, s'appliquant à elle-même le serment du Prophète : « Eh bien, désormais ceci est le lieu de mon repos, car c'est le berceau de mon Dieu. J'y habiterai, parce que le Seigneur l'a choisi. C'est là que mon âme vivra pour lui ». Elle s'arrêta ; puis, regardant Eustochie, elle acheva le verset : « Et ma race y servira le Seigneur ». Telles furent les saintes émotions de Paule dans la grotte de Bethléem.

Le cri qui venait de s'échapper de ses lèvres : « C'est ici le lieu de mon repos », n'était pas une vaine parole, fruit d'une émotion passagère, mais une résolution sérieuse qui surgissait dans son âme sous l'impression profonde et douce des mystères de Bethléem, et qui devait s'accomplir. Nous verrons, en effet, Paule, quand elle aura achevé ses pèlerinages, revenir à Bethléem, et ne pouvoir plus s'en séparer; elle y vivra et y mourra avec Eustochie.

Jérôme aussi y achèvera sa vie : et, dans la suite des âges, le pèlerin qui visitera Bethléem verra, à quelques pas de la grotte du Sauveur, une autre grotte qui s'appellera la grotte de saint Jérôme, et là deux tombeaux, qui seront l'un le tombeau de Paule et de sa fille, et l'autre celui de leur saint ami.

De Bethléem, Paule se rendit à la tour d'Ader ou du Troupeau, à Gaza, à Bethsur, dans la vallée d'Escol ou de la Grappe et dans celle d'Hébron qui était, après Jérusalem, le lieu le plus vénéré de la Terre Sainte. Cette excursion terminée, les pèlerins revinrent à Jérusalem à travers les champs de Thecua, patrie du pasteur et prophète Amos; mais ils ne s'y reposèrent pas longtemps, et ne tardèrent pas à reprendre leur course pour Jéricho et le Jourdain. On y allait en passant par la montagne des Oliviers et par le bourg de Béthanie. Que d'émotions diverses tous ces lieux promettaient encore ! La pieuse caravane traversa la vallée de Josaphat, franchit le Cédron, et, gravissant la colline, se dirigea vers le jardin des douleurs.

Paule pria longtemps, agenouillée sur cette pierre trempée de la sueur sanglante du Fils de Dieu. Mais aux larmes qu'elle y répandit succéda un sentiment plus doux et presque triomphant quand, après s'être relevée, elle aperçut rayonner dans les airs, au sommet de la montagne des Oliviers, cette croix ignominieusement plantée autrefois de l'autre côté de la ville sur le Calvaire. Cette croix surmontait l'église de l'Ascension, bâtie par sainte Hélène, à l'endroit même d'où notre Seigneur était remonté aux cieux.
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Après avoir traversé le petit village de Bethphagé, où avait été pris l'ânon sur lequel notre Seigneur monta pour faire son Entrée à Jérusalem, Paule arriva à Béthanie, lieu aimé du Sauveur. Elle entra avec un pieux attendrissement dans la demeure où Jésus avait si souvent reçu l'hospitalité, où Marthe L'avait servi, où Marie s'était tenue à ses Pieds, écoutant sa divine Parole : Marie, qui versa à ses Pieds, peu de jours avant sa mort, dans la maison d'un pharisien, ce parfum d'un grand prix.

Paule resta quelque temps dans cette maison, tout embaumée par sa foi vive du parfum de Madeleine. Elle voulut voir aussi à quelques pas de là le tombeau de Lazare. De Béthanie elle alla à Jéricho. Le lendemain de son arrivée, devançant l'aurore pour éviter la chaleur du jour, elle se remit en marche vers le Jourdain. À sa vue, elle s'écria : «Voyez la merveille : cet élément des eaux, qui a noyé autrefois le genre humain sous le déluge, c'est lui maintenant qui, purifié par le Contact du Fils de Dieu, nous régénère dans le baptême ». Telles furent les vives émotions et le saint enthousiasme de Paule aux bords du Jourdain. Ainsi ressentait-elle les impressions diverses des lieux divers qu'elle visitait; son âme, comme une harpe harmonieuse, résonnait selon le souffle et les souvenirs qui la touchaient.

Après avoir ainsi exploré la Judée, Paule visita la Samarie, la Galilée, Nazareth, le lac de Tibériade, Capharnaüm, tous ces lieux, centres de la Prédication et théâtre des principaux Miracles de Jésus Christ.

Revenue de ces pèlerinages, et heureuse des saintes émotions que son cœur y avait ressenties, toute remplie d'ailleurs de cette joie intérieure, surabondante, mais profonde et contenue, qu'elle goûtait depuis son départ, Paule se disposa à partir pour l'Égypte. La caravane parvint heureusement jusqu'à la montagne de Nitrie. Mais la nouvelle de son arrivée avait devancé Paule dans ces déserts, et l'évêque d'Héliopolis, ville riveraine du Nil, duquel ressortissaient les couvents de Nitrie, s'y était rendu pour recevoir la noble étrangère, entouré d'une foule nombreuse de cénobites et d'anachorètes. Il conduisit d'abord la pieuse troupe à l'église située au haut de la montagne; puis, avec cette hospitalité cordiale et simple qui est encore aujourd'hui la vertu des solitaires d'Orient, on installa les voyageurs dans les bâtiments élevés en dehors des couvents et destinés aux étrangers, on leur apporta de l'eau et des linges pour laver leurs pieds et les essuyer, et des fruits du désert pour se rafraîchir ; après quoi on leur permit de visiter les couvents et les solitaires.

Saisie de respect devant ces héros de la pénitence, ces athlètes de tous les combats de l'âme contre les passions misérables, dont quelques-uns avaient lutté corps à corps avec les démons eux-mêmes en personne, et semblaient avoir reconquis, comme mille récits merveilleux le racontaient, l'antique empire de l'homme innocent sur la nature, Paule se prosternait devant eux et leur baisait les pieds, croyant voir en chacun d'eux Jésus Christ, et adressant dans sa pensée ces hommages à notre Seigneur, que ces saints lui représentaient ; puis elle écoutait avidement les histoires de la solitude, et s'enquérait en détail du genre de vie des pères. C'était une vie très simple et très libre, en même temps que très sainte et très austère : ambitieux de réduire leur chair en servitude et de pénétrer les secrets des Choses divines, ils unissaient l'action à la contemplation. Leurs journées se partageaient entre le travail et la prière. On les voyait occupés à défoncer le sol, à abattre des arbres, à pécher dans le Nil, à traire leurs chèvres, à tresser les nattes sur lesquelles ils devaient mourir. D'autres étaient absorbés par la lecture ou la méditation des saintes Écritures. Les monastères, ainsi que le dit un saint, étaient comme une ruche d'abeilles : chacun y avait dans sa main la cire du travail, et dans sa bouche le miel des psaumes et des oraisons. Après avoir vu la vie cénobitique à Nitrie, Paule se rendit au désert des Cellules, pour y voir la vie anachorétique ; puis au désert de Scété.
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Re: Biographies des dames Romaines

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Après ces pèlerinages, qui avaient duré une année presque entière, Paule revint à Bethléem où des lettres de Rome qui l'attendaient à son retour d'Égypte lui apprirent la mort de sa plus jeune fille. Mais, comme il arrive toujours dans les épreuves que Dieu envoie, une Grâce était cachée dans cette douleur : la Providence, qui voulait retenir Paule aux lieux saints, semblait prendre soin, pour lui adoucir les dernières luttes, de détacher elle-même les liens qu'il lui eût fallu briser. Elle n'avait plus besoin désormais que d'une solitude, pour pleurer et pour prier. Cette vie austère et pure, vue de près par elle dans les déserts de l'Égypte, répondait seule aux puissants attraits qu'elle se sentait. Les lieux saints exerçaient d'ailleurs sur elle un ascendant souverain elle ne pouvait s'en arracher. Méditer les Mystères chrétiens aux lieux mêmes où ils s'étaient accomplis, et les Écritures divines sous le ciel qui les avait inspirées, elle ne voyait plus pour elle désormais d'autre vie possible. La Voix de Dieu se faisait entendre avec une force qui ne laissait plus de place à la résistance.

Elle se résolut donc à bâtir immédiatement près de la crèche du Sauveur deux monastères, un de femmes, où elle habiterait avec Eustochie et la colonie de veuves et de vierges qui l'avaient suivie de Rome, prêtes à aller partout où elle les conduirait, et un autre d'hommes, pour Jérôme et ses amis.

L'emplacement choisi pour le monastère de Jérôme fut à droite de l'église de la crèche, du côté du nord, dans un endroit un peu détourné de la voie publique ; un sentier, qui s'écartait de la route à partir du tombeau du roi Archélaüs, y conduisait ; celui de Paule fut placé à quelque distance de là, et comme caché sur le versant de la colline, presque au fond de la vallée. Quelques ruines au milieu de la verdure en indiquent encore la place aujourd'hui. Mais, en attendant que les monastères fussent bâtis, elle alla s'établir, avec ses compagnes, dans une petite maison retirée, et elle établit Jérôme et les siens, qui étaient moins nombreux, dans une habitation plus modeste encore. Puis des deux côtés on commença le genre de vie qu'on se proposait d'observer dans les monastères; vie de travail, d'étude et de prière.

Paule s'était remise avec plus de bonheur que jamais à la lecture des Livres saints, tout en surveillant activement la construction des monastères. De temps en temps elle se promenait avec Eustochie et ses compagnes sur les collines ou dans les champs de Bethléem, en chantant des psaumes, et elle goûtait avec une joie extrême les beautés de cette nature pittoresque, auxquelles elle était très-sensible. Elle faisait aussi de fréquentes visites à la crèche, aux lieux saints de Jérusalem et au couvent de la montagne des Oliviers.

Au milieu des occupations et des joies spirituelles de sa nouvelle vie et de son nouveau séjour, Paule n'oubliait pas ceux qu'elle aimait sur la terre et dont le vaste espace des mers la séparait en vain. La pensée de Rome visitait sans cesse son âme. Elle-même n'y était point oubliée. Ses pèlerinages, sa résolution de se fixer aux lieux saints, faisaient l'entretien quotidien de ses enfants, des vierges de l'Aventin, de Rome tout entière. Une correspondance active s'établit dès lors entre Rome et Bethléem, et ne cessa point.

Cependant les travaux entrepris par Paule avançaient, et les monastères s'élevaient peu à peu sur la colline de Bethléem, mais trop lentement à son gré. Il y avait dans chacun d'eux une église ou chapelle ; et nous savons même que la patronne qui fut donnée par Paule à l'église de son monastère, fut sainte Catherine d'Alexandrie, jeune martyre des dernières persécutions, très-célèbre en Orient, qui offrait à ses filles l'exemple de toutes les vertus à la fois, la virginité, la science, l'héroïsme et dont Bethléem gardait une touchante tradition. Les bâtiments achevés furent entourés chacun d'une enceinte de hautes murailles et munis d'une tour. Tous ces bâtiments furent couronnés par la fondation d'un hospice pour les pèlerins, qui fut bâti tout à côté de l'église de Bethléem. Au bout de trois ans, les monastères, l'église et l'hospice, tout fut terminé. Il était temps. L'humble maison qui avait abrité provisoirement l'essaim de vierges réunies autour d'elle ne suffisait plus à les contenir. Leur nombre s'était beaucoup accru. Le grand nom de Paule en avait attiré de diverses régions, les unes simples plébéiennes, les autres appartenant à des familles riches ou nobles ; parmi celles-ci, quelques-unes étaient arrivées avec de nombreux domestiques : Paule ne les avait admises qu'après leur avoir fait renvoyer tout ce monde : c'était la vraie vie solitaire, avec son austérité et sa pauvreté, que Paule entendait fonder dans ses monastères. Elle était dans une grande impatience d'y entrer.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Biographies des dames Romaines

Message par Laetitia »

À l'exemple des établissements cénobitiques qu'elle avait visités aux bords du Nil, Paule partagea ses filles en trois groupes, et comme en trois monastères, ayant chacun à sa tête une abbesse ou mère. Les vierges étaient ainsi séparées pour le travail et les repas; mais elles se réunissaient toutes, pour la psalmodie et la prière, dans leur chapelle de Sainte-Catherine. Au chant joyeux de l'Alleluia, c’était le signal, elles accouraient toutes de leurs cellules pour la Collecte ou réunion ; Paule toujours la première, ou des premières. Elle attendait, pour commencer l'oraison ou la psalmodie, que toutes les sœurs fussent arrivées : ne pas tout quitter dès que l'Alleluia avait retenti, retarder par sa négligence le doux moment de la prière commune et du chant des louanges de Dieu, était une grande honte, et cette honte un vif aiguillon, le seul que Paule voulût employer ici, pensant avec raison que, pour des exercices qui demandent essentiellement la promptitude et l'allégresse, il valait mieux tout attendre de la piété et du cœur que de la contrainte. On se réunissait dès le matin, puis à la troisième heure, à la sixième, à la neuvième et enfin le soir, pour chanter les psaumes, et, au milieu même de la nuit, quand tout était silencieux et endormi, les voix des filles de Paule s'élevaient encore pour redire les belles hymnes du Prophète de Bethléem. On chantait le Psautier tout entier tous les jours. Toutes les sœurs étaient obligées de le savoir par cœur, et devaient, en outre, apprendre chaque jour quelque chose de la sainte Écriture. Le dimanche, la communauté se rendait a l'église de Bethléem, chaque groupe ayant en tête sa mère, et revenait dans le même ordre. Au retour se faisait la distribution du travail pour la semaine. C'était d'ordinaire des habits à confectionner pour le monastère ou pour les pauvres de la contrée, dont le monastère de Paule devint bientôt la providence. Chaque sœur avait sa tâche.

Du reste, dans l'intérieur du monastère, nulle ne pouvait avoir de servante, mais devait se servir elle-même et servir la communauté. Toutes les sœurs portaient indistinctement, patriciennes ou plébéiennes, le même costume, qui était de laine, et elles n'usaient de linge que pour s'essuyer les mains. La clôture était absolue et toute communication avec le dehors rigoureusement interdite. Telle était, dans son ensemble, la règle du monastère de Paule. Elle déploya, dans le gouvernement de ce monastère, tous les grands côtés de sa nature : un mélange admirable d'énergie et de douceur, et un rare discernement des esprits et des caractères. Cette parole de l'Apôtre : « Qu'ai-je à faire ? Faut-il venir à vous avec la verge, ou dans la mansuétude et la douceur ? » fut la règle de Paule ; et la force nécessaire pour l'appliquer constamment, cet empire sur soi si nécessaire à ceux qui commandent aux autres, ce fut sa vertu.

La plus grande autorité de Paule pour maintenir l'obéissance et la ferveur, c'était celle de son exemple et de ses vertus. On la voyait, avec Eustochie, la première partout, au travail et aux rudes pratiques de la pénitence, comme à la psalmodie et à la prière. Et telle était sa profonde humilité, que celui, dit saint Jérôme, qui, ne connaissant d'elle que son grand nom, eût demandé qu'on la lui montrât au milieu de sa communauté, n'eût pu croire que ce fût elle, et se fût écrié en la voyant : « Non, ce n'est point là Paule; c'est la dernière sœur du monastère ». L'austérité de Paule était telle, qu'elle ne le céda jamais, même quand sa santé fut affaiblie et ruinée, aux plus jeunes sœurs et aux plus valides, pour l'abstinence et le jeûne.
(à suivre)
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