Un livre pour ceux qui souffrent.. (vie de Sainte Lidwine de Schiedam)

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Laetitia
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Re: Un livre pour ceux qui souffrent.. (vie de Sainte Lidwine de Schiedam)

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VIE DE LA BIENHEUREUSE LIDWINE.

CHAPITRE II.

Enfance.

Une mère comme il n'y en a pas assez.- Ce que devient Lidwine.- Sa piété envers la sainte Vierge. - Miracle à l'occasion d'une statue de Marie, et dont cette statue reste l'objet.

Lidwine commençait à grandir ; c'était la rose s'épanouissant au milieu des épines. Malgré les douleurs qui avaient envahi son berceau, déjà se développaient en elle les grâces de l'enfant, grâces naïves, reflet d'une âme sereine comme un beau ciel, grâces qui toujours ont tant de charmes, qui par là même aussi cachent souvent tant de dangers ; car l'amour des parents peut se laisser éblouir, leur vanité aveugle peut gâter de précieux trésors !

Mais on l'a déjà pressenti ; les parents de Lidwine, si fidèles à l'accomplissement de tout devoir, se gardaient bien de négliger le plus sérieux, le plus décisif des devoirs de la paternité, celui de la première éducation ; ils veillaient sur leur enfant. A peine cette jeune âme commençait-elle à s'ouvrir, que l'heureuse mère était là, cherchant à y entrer. Elle y entrait avec un saint respect, comme dans un sanctuaire, pour y prier, pour y faire descendre Dieu et lui élever un trône ; c'est-à-dire, doucement, peu à peu, comme goutte à goutte, elle y faisait pénétrer la lumière, elle y répandait la foi, elle y versait le parfum de la piété.

C'était d'ailleurs, pour la pieuse femme, chose simple et bien facile. Il est vrai, livrée tout entière aux exigences d'un travail incessant, elle n'avait pas de loisirs pour d'inutiles conversations au dehors ; mais pour le devoir, pour ses enfants, pour sa petite Lidwine, elle savait toujours trouver son heure. Elle n'avait non plus ni ce qu'on appelle de l'esprit, ni de la science, obscure et humble femme qu'elle était ; mais elle était chrétienne et elle était mère ; elle avait sa foi et elle avait son cœur, que fallait-il de plus pour son enfant ? Et elle la prenait sur ses genoux, et à travers ses baisers maternels, dans cette langue enfantine, si gracieuse, si éloquente et que les mères savent si bien, elle lui parlait de ce Dieu qui a tant et tant aimé les hommes que les hommes partout ne l'appellent que le Bon Dieu ! Un arbre, une plante, une fleur, un fruit, le ruisseau qui courait dans la prairie, le petit oiseau qui, joyeux, chantait dans l'espace, ou l'étoile qui scintillait au firmament, ou bien l'image grossière et enfumée qui tapissait la muraille, ou mieux encore le Christ qui décorait la cheminée, tout, pour elle, devenait un livre qu'elle ouvrait devant l'enfant, qu'elle lui expliquait, dans lequel elle lui apprenait à lire des merveilles de sagesse, de puissance ou de bonté, un livre surtout d'où elle faisait jaillir d'admirables leçons de reconnaissance et de fidélité.

On le comprend sans peine ; avec une semblable éducation, l'enfant le moins bien disposé fût devenu pieux ; Lidwine devint un petit ange. Son esprit s'illuminait aux vérités de la foi qu'il saisissait, qu'il devinait presque ; son cœur en même temps s'embrasait. Rien n'était émouvant comme cette ferveur d'enfant !

Son père, sa mère, ses frères, tous étaient ravis quand elle était là, le soir, à la prière qui toujours se faisait en famille, quand elle était agenouillée au milieu d'eux, priant avec eux et pour eux, ses deux petites mains pieusement jointes, son doux regard tourné avec tant d'amour vers le ciel ! Tous déjà la regardaient avec l'émotion du respect.

Il y avait surtout, dans cette piété de l'enfant, un trait saillant ; c'était sa dévotion à Marie. Pétronille, avec sa foi, avec sa raison, avait toujours regardé cette dévotion comme la dévotion des âmes prédestinées, comme une des plus salutaires influences que le souffle d'une mère pût faire éclore dans l'âme de son enfant. Aussi, avait-elle employé un zèle ardent à en inspirer le goût à Lidwine, zèle que Dieu avait béni, car Lidwine servait admirablement Marie. Prières, images, solennités, autels, tout ce qui parlait de Marie, tout ce qui touchait à l'amour de Marie, pour la petite Lidwine, c'était déjà du bonheur !
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Laetitia
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Or, il y avait à Schiedam, dans une chapelle de l'église paroissiale de saint Jean-Baptiste, une statue miraculeuse de la sainte Vierge dont il convient que nous disions ici l'origine, soit parce que la dévotion à cette vénérable image exerça une immense action sur toute la vie de notre sainte, soit parce que les historiens que nous suivons s'accordent tous à ne regarder le prodige qui avait amené cette statue en ce lieu que comme le signe et la préparation de tant d'incomparables merveilles qui devaient plus tard, sous le regard et par l'intervention de Marie, glorifier l'humble fille dont nous racontons en ce moment la première enfance et la naïve piété.

C'était peu de temps avant la naissance de Lidwine. Un étranger, par une brûlante journée du mois d'août, était arrivé à Schiedam, portant une belle statue en bois de la très-sainte Vierge, et on l'avait vu s'acheminer en toute hâte vers le port, s'aboucher avec le capitaine d'un vaisseau en partance, puis monter sur ce navire, y déposer avec soin son précieux fardeau, s'y installer lui-même et y attendre l'heure du départ. Il allait, disait-il, à Anvers, où les fêtes de l'Assomption attiraient chaque année un immense concours de peuple, et où il se proposait de mettre en vente la pieuse image dans laquelle il s'était plu à faire vivre tout son talent et toute sa foi.

Bientôt en effet, le signal du départ était donné. On lève l'ancre, les voiles se déploient au vent, les matelots sont à la manœuvre. mais, chose étrange, le vaisseau ne s'ébranle pas ! Un moment, le capitaine croit que c'est à l'inertie de ses hommes qu'il doit s'en prendre ; sa voix retentit au milieu d'eux, stridente et impérieuse; mais en vain il les stimule; en vain même l'équipage tout entier s'unit dans un suprême effort. Inconcevable immobilité ! le vaisseau reste en place, inébranlable comme un rocher de granit au milieu des flots !

C'était en vérité un singulier spectacle. Aussi, sur le rivage, hommes, femmes, marins et simples bourgeois, presque tout un peuple était accouru, et quels joyeux cris tout d'abord ! quels éclats de rire ! Quelle étourdissante bordée de piquantes railleries à l'adresse des malheureux matelots ! Mais bientôt à tout ce tumulte succède le silence. Quand on les voit, ces hommes robustes, le front ruisselant de sueur, s'épuiser d'efforts une heure durant sans pouvoir imprimer le moindre mouvement à ce navire jusque-là si facile à manœuvrer, la stupéfaction gagne tous les cœurs ; chacun comprend qu'il y a là un prodige ; les matelots eux-mêmes, à bout de forces et désespérés, ne voient plus d'autre explication de leur impuissance.

« Par saint Willibrord (1), s'écrie soudainement l'un d'eux en montrant du doigt la statue de Marie, je crois, en vérité, que c'est notre Dame et Reine qui refuse de s'éloigner de Schiedam !» Et ces mots attirent l'attention. On environne la statue, on l'examine, on l'admire ; un des marins se penche même pour la soulever; mais deux fois, trois fois il essaie sans réussir : le sculpteur s'en mêle ; vingt hommes finissent par réunir leurs efforts et tous ces efforts sont impuissants ! L'étonnante statue reste immobile tout aussi bien que le navire !

Alors ce fut une scène indescriptible. « Miracle ! Miracle ! Crient à la fois et l'équipage qui s'agite sur le pont du vaisseau et la foule qui, à deux pas, de la rive où elle se presse, a tout vu et tout compris. Miracle ! oui ! oui ! c'est Marie notre Reine qui veut demeurer au milieu de nous ! » L'émotion est à son comble ; l'allégresse, la foi, la reconnaissance, l'amour, tous les meilleurs sentiments enivrent cette multitude. Les marins déclarent qu'ils ne toucheront pas à un aviron, tant que la sainte image sera sur leur vaisseau.

(1) Saint Willibrord, premier évêque d'Utrecht, apôtre de la Hollande, qu'il avait évangélisée pendant un demi-siècle, et où son nom, toujours vénéré, était resté éminemment populaire. Il mourut en 739, dans sa quatre-vingt-unième année. Pepin d'Héristal, Charles Martel, dans leurs expéditions vers le Nord, s'étaient plu à honorer ses vertus, et l'illustre Alcuin a écrit sa vie.
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« Dieu nous en garde ! nous nous exposerions au courroux de notre céleste souveraine ; elle a trop hautement manifesté sa volonté ! » De son côté, la foule ou plutôt le peuple de Schiedam arrivé tout entier sur la grève, réclame du sculpteur, à grands cris, la merveilleuse statue. « Nous la voulons ! il nous la faut ! Nous vous donnerons tout l'argent que vous exigerez ; nous voulons qu'elle reste avec nous ! »

Que pouvait faire le sculpteur ? Bouleversé, attendri devant ce prodige incontestable dont son œuvre est l'objet, pâle et tremblant d'émotion, il consent à tout et pour obéir aux cris qui l'appellent, il s'approche de cette statue devenue miraculeusement si lourde,il se baisse... nouvelle merveille ! Comme ferait un enfant d'une plume, il la prend dans ses bras et d'un pas léger il l'emporte sur le rivage où à peine il a mis le pied que le vaisseau, comme de lui-même, s'éloigne en se balançant sur les flots et gagne majestueusement la haute mer, aux immenses applaudissements du peuple qui salue ainsi, avec tout le transport de sa foi, ce navire qui s'en va, cette miraculeuse statue qui lui vient !

Et aussitôt commence une de ces admirables fêtes que l'élan populaire sait si bien improviser. Une procession se forme ; l'image de Marie est portée en triomphe ; peuple, notables, prêtres, tous lui font cortége en l'acclamant des plus enthousiastes chants ; c'est une incomparable ovation jusqu'à l'église paroissiale où une place d'honneur lui est bientôt préparée.

On fit mieux encore ; on garda une vive et sincère dévotion à cette sainte image ; on institua en son honneur une confrérie dont les membres devaient s'efforcer de donner l'exemple des plus hautes vertus, et ce fut un usage établi désormais à Schiedam de venir chaque soir, à ses pieds, chanter les litanies de Marie, ou le Salve Regina, ou quelque autre cantique composé à sa gloire.

Qu'est-il besoin maintenant de le dire ?sous l'inspiration de ce souvenir encore tout récent et de cette dévotion populaire encore toute pleine de vie, au récit du merveilleux prodige que mille fois sans doute lui fit sa pieuse mère, l'âme de Lidwine, déjà si bien disposée, se fortifiait de plus en plus et son enfance se développait admirablement dans l'amour de Marie, dans la fidélité à son culte et en particulier dans une tendre vénération pour l'image que la Reine du ciel s'était plu à glorifier.

Aussi, c'était auprès de cette statue, c'était dans la chapelle enrichie d'un tel trésor qu'elle aimait à aller prier; c'était là qu'elle se trouvait bien ! Et disons-le sans hésiter : c'était là surtout que se faisait sa réelle éducation ; c'était dans ce sanctuaire, devant cette image bénie, sous ce regard de la Vierge des vierges et au souffle fécond de sa tendresse de mère, que ce cœur de petite enfant s'embaumait de piété avant de s'épanouir ; c'était là que se formait doucement, dans la ferveur, ce germe de sainteté que la fidélité à la grâce devait plus tard si merveilleusement développer.

N'est-il pas vrai qu'à nos premières années nous aimions aussi, et de tout notre cœur, la très-sainte Vierge ? Combien nous serions meilleurs, si nous avions été ou si nous nous efforcions d'être plus fidèles à ce premier amour, à cette première grâce !
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Laetitia
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VIE DE LA BIENHEUREUSE LIDWINE.

CHAPITRE III.

Enfance et Adolescence.

Pieuse industrie de la petite Lidwine pour satisfaire sa dévotion à Marie.- La sainte Vierge lui sourit.- Comment s'y prennent et ce que disent les femmes mondaines. - Ce que répond une vierge chrétienne. - Mérite apprécié. - Mais Lidwine ne veut que Jésus pour époux.


Il est vrai, l'aimable enfant n'était pas libre toujours d'aller, aussi souvent qu'elle le désirait, prier dans le sanctuaire qui avait toutes ses prédilections. Si petite qu'elle fût encore, elle n'accomplissait pas moins dans la maison, sous la direction de sa mère, tout le travail pour ainsi dire d'une servante ; ses moindres moments étaient absorbés. Mais en revanche elle épiait et, jusque dans ses occupations elles-mêmes, elle savait merveilleusement trouver l'occasion de satisfaire à sa piété. Ainsi, tous les jours, à certaines heures, elle devait porter leur repas à ses deux jeunes frères qui fréquentaient l'école, à son père et à ses deux aînés qui travaillaient aux champs ; c'est-à-dire elle devait, chemin faisant, passer devant la bien-aimée chapelle. Oh ! alors elle avait son petit plan, sa petite ruse. L'heure venue, son panier au bras, elle partait... mais il fallait la voir ! Elle allait vite, bien vite, le plus vite possible ; il n'y avait ni petite compagne qui sût l'arrêter, ni amusement qui pût la retenir. Gagner du temps ; avec ce temps gagné, pouvoir accorder et l'obéissance à sa mère et sa dévotion à Marie, voilà ce qu'elle voulait et, de cette façon, sans nuire à ses devoirs, en allant, en revenant, toujours elle entrait à l'église.

Là, elle était admirable. Profondément recueillie, comme l'ange, avec une touchante ferveur, elle disait, elle répétait encore le doux Ave, Maria, sa prière favorite ; puis, aux paroles joignant l'action, debout devant la statue de la Vierge, et la regardant comme si Marie en personne eût été devant elle, avec sa grâce enfantine, elle la saluait d'un air d'indéfinissable tendresse et elle s'en allait. Sainte familiarité, piété ingénue qui devait singulièrement plaire à la Reine des vierges et qui lui plut en effet, car bientôt elle eut sa récompense ; voici comment :

Un jour - Lidwine avait alors sept ans - un jour, revenant des champs, comme d'ordinaire elle était là, dans cette chapelle bénie, en face de cet autel tant aimé. Comme d'ordinaire aussi, avec tout son amour, elle redisait la salutation de l'Ange. Tout à coup elle s'arrête.. un instant, elle est comme immobile de stupeur... elle a vu, la pieuse enfant, une chose inouïe !. Oui, elle voit le visage de Marie qui s'anime, son regard qui brille !. elle voit sur ses lèvres le plus ravissant sourire, un de ses sourires du ciel !. O délices !. Aussitôt, avec cette naïveté d'enfant qui ne doute pas, qui ne se trompe pas, elle se lève... déjà elle est sur les marches de l'autel ; elle s'approche encore, elle tend vers Marie ses petites mains, elle voudrait aller sur le cœur même de la divine Vierge. Elle lui parle, elle lui dit les mots les plus tendres, elle l'appelle sa Mère, sa douce Reine, sa belle Dame. Ce sont des élans de feu. Elle était si heureuse, car Marie lui souriait toujours !

Cependant, au milieu de tout ce bonheur, le temps s'écoule, l'heure fuit ; Lidwine soudainement y pense. « Ah ! mon Dieu, que va dire ma mère ? Ma mère ne va-t-elle point me gronder ?» Et en toute hâte, elle rentre à la maison, transportée, ravie, mais inquiète. Sa mère en effet la reçut d'un air sévère. Surchargée de travail, elle avait souffert de son absence. « D'où venez-vous ? lui dit-elle sèchement ; où êtes-vous allée ainsi vagabonder et perdre votre temps ? - Ma mère, répondit simplement l'aimable enfant, ne vous fâchez point, je vous en conjure, et pardonnez-moi. Oh ! Si vous saviez ! J'étais entrée à la chapelle pour y saluer.. je vous l'assure, rien que pour y saluer, en passant, ma belle Dame. Eh bien ! elle m'a rendu mon salut ! Oui, elle m'a répondu ! mais elle m'a répondu par un sourire, par un vrai sourire ! par un sourire si doux ! elle m'a rendue si heureuse que je ne pouvais plus m'en aller ! »

Et il y avait dans ces paroles de l'enfant un tel accent de candide foi et de bonheur, que la pieuse mère attendrie ne pensa plus qu'à bénir Dieu des espérances que lui donnait ce prodige et qu'à louer Marie qui sourit toujours à l'amour de ses serviteurs par les ineffables joies dont elle aime à les récompenser.

Cette piété d'ailleurs n'était pas stérile. Comme toute piété sincère, bien entendue, elle était active, pratique et se transfigurait dans les œuvres. Aussi Lidwine devenait-elle de jour en jour un admirable enfant. Humilité, obéissance, respect de la vérité, charité, douceur, angélique modestie, toutes les vertus chrétiennes déjà lui faisaient cortége. A douze ans, elle était un modèle accompli ; à douze, à quinze ans, elle avait une étonnante maturité de sagesse. A cet âge plein de périls, alors qu'il se fait de partout dans l'âme novice de la jeune fille comme un rayonnement qui la fascine, comme un mirage éblouissant qui peut l'égarer, Lidwine n'avait pas d'illusions. Elle ne se sentait pour le monde aucun attrait, ou plutôt avec ce coup d'œil que lui donnait un jugement exquis, elle voyait le monde dans toute sa réalité. Sous ce vernis brillant dont il se pare, sous ces dehors si séduisants de politesse, d'affectueux dévouement, d'enivrants plaisirs, de félicité en un mot et de grandeur, elle savait voir, elle voyait ce qui s'y cache, ce qui en fait le fond, petitesse et mensonge, égoïsme et hypocrite perfidie, effrayante misère surtout et hideuse corruption bien souvent !

Le monde n'était donc à ses yeux qu'un vaste abîme, et un abîme où il n'est que trop facile de tomber ; ne voyait-elle pas autour d'elle trop de jeunes personnes, s'élançant dans la vie avec leurs rêves, s'en aller à leur malheur et à leur ruine, insoucieuses et folâtres, par le chemin de quelque pauvre plaisir ou de quelque imprudente liaison ? En conséquence, son parti était bien pris; elle avait renoncé au monde, à ses divertissements,à ses vanités, à ses fêtes, elle avait renoncé même à ses réunions et à ses conversations, si innocentes qu'elles parussent. La prière et le travail, la retraite et les joies de la famille, voilà la vie qu'elle s'était faite, la vie au sein de laquelle, avec la dignité, elle trouvait le calme et le bonheur.
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Et cependant Lidwine était une belle, une aimable jeune personne ; avec les charmes dont elle était douée, elle eût été la bienvenue dans le monde. Il faut même le dire, les pièges ne lui manquèrent point. Soit instinct du mal, soit lâche jalousie, le vice toujours s'est glissé et éternellement il se glissera, caché sous des fleurs, gracieux, poli, dans le paradis terrestre d'un cœur pur, pour y faire des ruines et y semer la désolation. On venait donc ; des femmes, idolâtres du monde, savaient venir jusqu'à Lidwine. On admirait sa jeunesse, ses grâces ; on exaltait sa beauté ; on vantait même sa vertu. « Mais encore, ajoutait-on, même dans le bien, ne faut-il rien exagérer. Vous vivez, il faut bien l'avouer, comme dans un tombeau ! Pourquoi, à votre âge, à la saison des roses, une vie si austère, si sombre ? Dieu assurément ne veut pas de tels excès ! A la fleur, il faut de l'air et du soleil ; il faut à la jeune fille, à l'expansion des parfums que le Ciel lui donne, il lui faut de la joie, des récréations, quelques plaisirs. Et grâce à Dieu, les plaisirs légitimes ne lui manquent pas ! Quel mal, par exemple, feriez-vous en remplaçant cette trop simple mise par une toilette plus digne, par quelques parures qui d'ailleurs vous iraient si bien ! Et serait-ce donc un crime que de paraître, au moins de loin en loin, dans une société choisie, dans des réunions bien composées ?Où donc après tout serait le péril tant à redouter ? Vous avez des principes, de la religion, de la vertu,voilà votre sauvegarde ; à vous, à nous, voilà nos anges tutélaires ; avec cela, on est invulnérable ! Et ainsi, sans danger pour vous, le monde vous verrait ; mais il vous verrait pour vous admirer, pour vous couronner dans ses fêtes, pour apporter à vos pieds, avec ses hommages, des richesses et des trésors ; en un mot, pour vous élever au-dessus d'une humble condition qui n'est pas la vôtre. Oh ! venez ! »

Ainsi ces femmes parlaient à Lidwine. C'était l'antique langage de Satan à Jésus : Jetez-vous en bas du temple ; que risquez-vous ? vous avez vos anges pour vous garder ! C'était la tentation au sommet de la montagne : Voyez comme le monde est beau ! Voyez ces fêtes, ces splendeurs, ces couronnes, ces royaumes de la terre ! si vous tombez à genoux devant moi, je vous les donnerai ! (1) Et que répondait Lidwine à tant de séductions ? Pour toute réponse, elle se sauvait à l'église où elle avait été baptisée, à la chapelle où la Vierge des vierges lui avait souri ; elle se sauvait dans sa chambre, aux pieds de son crucifix, et là, à genoux, fondant en larmes, elle s'écriait : « Mon Dieu ! Mon Dieu! non, je ne veux pas du monde ! je ne veux ni l'aimer, ni en être aimée ! Ce que je veux, ô mon Dieu ! c'est le bonheur de garder immaculée la blanche robe que vous m'avez donnée au baptême ! Oh ! alors, cachez-moi, gardez-moi bien ! oui, ô mon Dieu ! C'est vous, vous aujourd'hui, vous à jamais, c'est vous seul que je veux ! »

Du reste,ce qu'elle disait ainsi tout bas dans le secret de la prière, elle allait bientôt le proclamer tout haut. Nous l'avons déjà laissé entendre, Lidwine était d'une remarquable beauté. Il y avait dans ses traits, dans toute sa personne, un mélange harmonieux de grâce et de distinction. Mais un charme qui valait mieux, c'était un caractère élevé, réfléchi, tempéré cependant par la plus aimable aménité. De plus, on savait qu'elle avait dans les affaires, dans la direction d'une maison, et à un haut degré, cette science domestique, ce tact intelligent qui donnent tant de valeur à une femme. Toutes ces qualités d'ailleurs, figure, intelligence, caractère, étaient couronnées d'une auréole de si attrayante modestie que, malgré ses efforts pour rester ignorée, la jeune fille fixait sur elle l'attention publique. Bien des jeunes gens, des mieux placés dans la ville par le rang et la fortune, se prirent à penser qu'une femme comme celle-là, si pauvre qu'elle fût, valait mieux pour le bonheur, pour la vie réelle, que toutes les élégantes évaporées qu'ils voyaient papillonner dans leurs fêtes, ne se recommandant guère à eux que par un très-léger bagage de mérites fort douteux. La main de Lidwine fut donc demandée à son père. En homme sage, Pierre ne se hâtait point. Mais enfin, pressé par des instances réitérées, peut-être aussi tenté par l'appât d'une fortune qui s'offrait, un jour il appelle sa fille : « Mon enfant, lui dit-il non sans émotion, plusieurs jeunes gens des meilleures familles de Schiedam te demandent en mariage ; tu ferais bien, je crois, d'y réfléchir et tu me dirais ton choix. - Mon choix ? Répond vivement Lidwine, ah ! mon père, il est trop tard, mon choix est fait ! Ce n'est pas à un homme, c'est au roi du ciel que je veux être unie ; c'est lui qui déjà a reçu mes serments. O mon si bon père, continua-t-elle en lui prenant, en lui baisant les mains, si vous m'aimez... et, n'est-ce pas ? vous aimez tant votre enfant ! je vous en conjure, ne me parlez plus de mariage ; j'estime trop le trésor de la virginité pour le porter à un époux mortel. » Pierre était attendri ; cependant il insistait. Mais Pétronille était là, elle approuvait en secret les vœux de sa fille.

« Pierre, dit-elle enfin, ne pressons pas Lidwine ; elle est en vérité trop jeune, trop pieuse surtout pour ainsi nous hâter. C'est notre fille unique; mais s'il le faut, pourquoi ne la donnerions-nous pas au Dieu unique ?pourquoi ne la laisserions-nous pas se consacrer à lui pour toujours ?– Ah ! merci ! s'écrie alors la jeune fille avec transport ; mille et mille fois merci, mère bien-aimée ! Oui, c'est à Jésus que je veux être, rien qu'à Jésus ! laissez-moi le dire , il n'y a pas d'homme vivant qui pût me forcer d'être à un autre qu'à Jésus ! Oh ! voulût-on me contraindre, ajouta-t-elle en rougissant, je sais bien ce que je ferais ! Je prierais, je supplierais tant mon Dieu qu'il m'enverrait une difformité, mais une difformité si repoussante que nul homme jamais ne voudrait de moi ! »

Il y a dans une sainte enfance un parfum qui embaume et sauvegarde toute la vie !


(1) Saint Math., ch. IV.
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VIE DE LA BIENHEUREUSE LIDWINE.

CHAPITRE IV.

Desseins de Dieu.

Course en patins. - Lidwine fait une chute. - Maladie surhumaine. - Sonder-Dank. - Les médecins s'avouent impuissants. - Une crise. - Horrible complication de maux. - Les vers naissent et se multiplient dans la chair de la vierge. - Leçon de charité qu'elle donne à un homme de plaisir. - Son amour pour la vérité, et miracle qui en est la récompense.


Jusque-là cependant, quelque fervente qu'elle fût, Lidwine n'avait reçu aucun don extraordinaire d'en Haut ; Dieu ne l'avait pas encore admise aux joies de ses célestes communications. Il fallait auparavant qu'elle subît la loi providentielle, la loi à laquelle Dieu soumet les âmes privilégiées. Il fallait qu'elle fût purifiée par le feu de l'épreuve, qu'elle fût fortifiée contre l'orgueil par l'humiliation ; qu'elle passât, en un mot, par le Calvaire avant d'arriver au Thabor ; il fallait qu'elle souffrît ! C'était là comme le nouveau baptême qu'elle devait recevoir pour la vie nouvelle dans laquelle elle allait entrer : baptême de sang, il lui fut abondamment donné !

A seize ans, elle avait fait une maladie, peu alarmante, il est vrai, mais qui avait duré plusieurs mois. Pendant sa convalescence, quelques jeunes filles vinrent un jour la visiter, ou plutôt vinrent lui proposer un instant de récréation. On était en plein hiver; le froid avait été rigoureux; une glace épaisse couvrait partout la surface des eaux. Or,par toute la Hollande, il est un amusement fort goûté ; c'est la course en patins, amusement plein de charme, plein de mouvement, aussi innocent d'ailleurs qu'il est favorable à la santé. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se donne volontiers ce passe-temps ; les jeunes Hollandaises surtout y excellent. Réunies entre elles, on les voit, sur ces minces lames d'acier solidement fixées à leur chaussure, aller, venir, se mêler en voltigeant, décrire mille bizarres contours, tracer sur la glace, avec autant de grâce que de légèreté, les plus capricieuses figures ; puis s'élançant, courir, franchir l'espace, rapides comme l'oiseau qui fend l'air !

Les compagnes de Lidwine allaient donc sur la glace ; elles venaient, en passant, l'inviter à les suivre. Celle-ci, nous le savons, redoutait la dissipation. S'excusant sur sa mauvaise santé, et tout en remerciant, elle refusa. « Mais, s'écrièrent les jeunes filles, c'est votre santé précisément qui doit vous décider ! Vous avez besoin de mouvement, venez,partagez nos jeux ; un peu d'exercice vous fera du bien. Quand vous ne viendriez que sur le bord de la rivière, pour voir nos amusements de loin, cela seul vous réjouirait ; venez toujours !» Lidwine eut beau renouveler ses excuses ; elles renouvelèrent si bien leurs instances, que la pieuse fille, craignant de les contrister, finit, avec l'agrément de son père, par céder à leurs désirs.

Elle se met donc à les suivre, descend avec elles sur la glace et prend des patins. Or, il y avait à peine quelques instants qu'elle se livrait à cet exercice, quand une de ses compagnes, lancée à toute vitesse, ne sachant ou ne pouvant ni se détourner ni s'arrêter à temps, vint à l'improviste se heurter contre elle. Le choc fut terrible. La pauvre convalescente pirouetta sur elle-même, puis tomba violemment contre un amas de glaçons et s'y brisa une côte.Ce fut alors un déchirant spectacle. Elle était là, étendue sur la glace, pâle, évanouie ; on eût dit qu'elle était morte ! Autour d'elle, à genoux, ou courant éperdues, se pressaient toutes ces pauvres jeunes filles tout à l'heure si rieuses. Elles pleuraient, elles poussaient des cris à fendre l'âme. « Ah ! disaient-elles, c'est nous qui l'avons amenée, nous qui l'avons comme forcément entraînée sur cette fatale glace... et voilà que nous n'avons plus qu'un cadavre à rendre à sa mère !» Il fallait pourtant s'y résigner. Elles prennent leur malheureuse amie dans leurs bras ; de leurs mains entrelacées, elles lui font comme un brancard et, versant sur elle d'amères larmes, elles l'emportent à sa demeure et la dé posent sur son lit - sur ce lit qu'elle venait à peine de quitter, radieuse de l'espérance d'une santé bientôt rétablie, mais où la guérison ne devait jamais plus revenir pour l'inviter à en redescendre !

On le devine ; cet événement produisit dans Schiedam une sensation profonde. Comme toujours, il est vrai, chacun en parla à sa façon, celui-ci avec blâme, celui-là avec pitié ; seuls, les hommes de foi surent y voir une disposition providentielle. Ils avaient raison ; les amoureux desseins de Dieu commençaient à s'accomplir !

Mais disons-le bien vite. Au milieu de leur immense douleur, les parents de Lidwine ne s'en tinrent pas à de vaines lamentations. Sans compter avec leur pauvreté, voulant à tout prix sauver leur enfant bien-aimée, ils firent venir les médecins les plus habiles, les chirurgiens les plus expérimentés ; ils essayèrent des remèdes les plus dispendieux et rien ne coûtait à leur amour ; à force de travail et de privations, ils suffisaient à payer tout. Hélas ! tout fut inutile.
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Re: Un livre pour ceux qui souffrent.. (vie de Sainte Lidwine de Schiedam)

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C'était en vérité une maladie étrange ! Elle déroutait les investigations les plus opiniâtres, elle se riait des études les plus dévouées. Pendant que la science raisonnait, discutait et les causes et les remèdes, le terrible mal marchait toujours et prenait d'heure en heure d'effrayants développements. Il fallait bien le reconnaître ; c'était Dieu qui avait blessé et, dans ses adorables desseins, Dieu ne voulait pas guérir !

Du reste, la science se vit bientôt réduite à faire elle même comme un solennel aveu de cette divine intervention. Il existait, à cette époque,un médecin fameux, Godefroy de la Haye, que toute la Hollande qui le bénissait avait surnommé Sonder-Dank (1). Homme profondément pieux, il joignait à une incomparable habileté un rare dévouement aux malades pauvres. On lui parla de Lidwine ; il vint la visiter. Des médecins étaient accourus ; il y avait foule autour de l'illustre docteur. Longtemps il interrogea ; longtemps, en tout sens, il sonda ce mal inouï. Enfin, s'adressant aux parents de la vierge : « Mes amis, leur dit-il, cessez d'inutiles dépenses. Vous mettriez dans nos mains au tant de pièces d'or qu'il y a d'étoiles au firmament, que nous ne saurions en échange vous donner la guérison. » Et, se tournant vers les médecins qui l'entouraient : « Convenons-en, vénérables confrères, ce mal dépasse toute notre science. Hippocrate et Gallien seraient ici présents, que je les défierais d'y apporter remède, car il vient de trop haut ! Oui, ajouta-t-il comme d'un ton inspiré, la main de Dieu est sur cette enfant. Je le crois, je le pressens à cette maladie surhumaine, Dieu fera en elle des merveilles comme il en fait à peine dans une âme en un siècle tout entier. Que n'est-elle ma fille ! et combien j'achèterais cher un pareil honneur, si cet honneur pouvait s'acheter ! »

Ainsi abandonnée des médecins, ainsi frappée par la main même de Dieu, Lidwine n'eut plus que la perspective d'un effrayant martyre. Son mal, en effet, ce mal mystérieux, indéfinissable, qui désespérait la science humaine, avait des caractères qui épouvantaient. C'était comme une miraculeuse complication d'horribles plaies internes. De plus, au milieu de ces plaies, dans la région même de la lésion des côtes, un apostème ou abcès s'était formé. En vain, pour ouvrir cet apostème, on avait recouru aux médications les plus énergiques ; il avait résisté à tout. Lidwine en souffrait de si intolérables douleurs qu'il fallait à tout instant la transporter d'un lit sur un autre, ne fût-ce que pour lui donner l'espoir d'un soulagement. Les douleurs devenaient même parfois d'épouvantables crises.

Or, un jour, au moment d'une de ces crises, Pierre était venu. Abîmé de chagrin, il s'était assis devant sa malheureuse enfant ; il la regardait en pleurant. Comment n'eût-il pas pleuré ? Il aimait tant sa Lidwine! et sans pouvoir la soulager, il la voyait tant souffrir ! Et en même temps , à travers ses larmes, il lui parlait, il lui disait tout ce qu'il pouvait trouver de plus tendre, tout ce qu'il savait de plus propre à lui donner force et courage. Mais Lidwine n'entendait point. Sous l'action d'atroces douleurs, ses membres se tordaient ; elle poussait, malgré elle, des cris qui devenaient de plus en plus effrayants. Tout à coup cependant, voilà qu'elle s'interrompt... haletante, hors d'elle-même à force de tortures et sans conscience de ce qu'elle fait, d'un bond elle se dresse, s'élance, se précipite hors du lit... elle vient tomber, en sanglotant, dans les bras de son père, et au même instant, là, dans les bras, sur la poitrine du vieillard épouvanté, elle s'évanouit !

Qu'était-il arrivé ? pourquoi cet évanouissement ? On le comprit bientôt. Plus efficace que toute la science, ce violent mouvement avait déterminé une rupture, l'apostème venait de s'ouvrir. Aussitôt l'espérance renaît ; déjà on bénit cette terrible crise. Dieu soit loué ! s'écrie-t-on par toute la maison; sans doute, c'est la guérison, c'est le salut qui va venir ! Hélas ! en réalité, ce devait être ou la vie ou la mort. Ce ne fut pas la mort, mais ce ne fut pas la vie ! ce fut une horrible, une surhumaine aggravation de maux ; c'était plus que jamais la réalisation des desseins de Dieu !

(1) Touchant surnom qu'il transmit à son fils et qui lui fut donné parce que, aux malades peu fortunés qu'il traitait toujours gratuitement, et qui lui témoignaient leur reconnaissance de ses soins habiles en lui disant : « Grooten dank !» c'est-à-dire « grand merci !» il répondait invariablement : « Sonder dank ! » c'est-à-dire : « Pas de merci ! »
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Laetitia
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Re: Un livre pour ceux qui souffrent.. (vie de Sainte Lidwine de Schiedam)

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Cette rupture eut en effet d'effroyables suites. L'humeur, ne trouvant pas d'issue pour sortir, se répandit forcément à l'intérieur.On devine le reste ; des vomissements arrivèrent, mais d'une telle difficulté que la pauvre enfant se roulait sur son lit dans des déchirements qui devaient mille fois la faire mourir. Vinrent ensuite, toujours sous l'action de cette humeur emprisonnée, des infirmités lamentables. Les forces disparurent ; l'estomac se débilita au point de ne pouvoir garder aucun aliment ; les jambes, bientôt même presque tous les membres se paralysèrent, et par surcroît, à tant de maux, se joignit un affreux supplice, une soif dévorante, insatiable, qu'irritaient d'heure en heure les vomissements qui ne discontinuaient pas. L'infortunée buvait sans cesse. Dégoûtée d'eau fraîche et pure, en se traînant, elle cherchait, elle buvait eau tiède, eau bourbeuse, eau fétide même, elle buvait tout ! tristes breuvages que son estomac rejetait bien vite et qui ne servaient eux-mêmes qu'à attiser le feu qui la brûlait, mais auxquels elle revenait avec une sorte d'horrible plaisir qui faisait pitié !

Ainsi se passèrent les trois premières années. Dire tout ce qu'elle souffrit pendant ces trois années d'insomnie, de larmes, de torture de toute espèce ; dire toutes les amertumes de son âme, tous les déchirements de son corps, nul, si ce n'est Dieu, ne le pourrait. Il suffisait de la voir pour comprendre que la douleur s'était creusé en elle un abîme insondable et pour se sentir l'âme navrée. Pauvre jeune fille ! Si jeune encore, à dix-neuf ans ! N'était-ce pas elle que naguère on rencontrait si pleine d'activité, de mouvement, de vie ? N'était-ce pas elle, l'aimable vierge, que la main de Dieu s'était plu à parer de tant de grâce et de beauté ? Et elle était là, sur un lit, martyrisée à toute heure et depuis trois ans et dans tous ses membres ! Et quand parfois elle descendait de ce lit, la malheureuse enfant, on la voyait difforme, hideuse, se traîner non plus en marchant, mais en rampant sur ses genoux et sur ses mains comme un ver, par sa chambre ou aux abords de sa chétive demeure ! Spectacle lamentable ! si lamentable, qu'outre la pitié dont il était impossible de se défendre en la voyant, c'était comme un sentiment d'horreur qu'éprouvaient presque tous ceux qui la rencontraient, même ceux-là, surtout ceux-là qui l'avaient tant recherchée, à qui elle avait inspiré tant d'amour ! O vanité des vanités ! qu'est-ce donc que le monde ? qu'est-ce donc que la jeunesse et la beauté ? Oh ! elle avait donc bien prié dans sa virginale frayeur, la sainte jeune fille ! Elle avait donc prophétisé, quand pressée de choisir un époux, elle avait répondu : « Je supplierai tant mon Dieu qu'il m'enverra une difformité telle que nul homme ne voudra jamais plus de moi ! »

Cependant qui le croirait ? Tant de maux n'étaient encore que des arrhes données à la douleur. Voilà que Lidwine n'aura même plus la consolation de se traîner misérablement par sa chambre. Son état s'aggravait. De nouvelles infirmités arrivaient de jour en jour, la clouaient pour jamais sur son lit, des infirmités inouïes ! La plaie de l'apostème n'ayant pu être purifiée, la gangrène s'y était établie, avait corrompu les parties voisines, pénétré jusqu'aux intestins, engendré la putréfaction et par la putréfaction, des vers. Ces vers de leur côté se multiplièrent d'une manière effroyable. Après avoir percé les entrailles, ils percèrent les chairs et parvinrent à se faire jour par trois ouvertures dont chacune, de forme ronde, de couleur noire et hideuse, avait au moins la largeur de la main. Tous ces vers, horribles à voir, se nourrissant de la substance même de la malade, lui causaient des tortures qui n'ont pas de nom. Aussi fut-on obligé de revenir aux médecins et, sur leur avis, pour arrêter l'action de ces vers en les attirant au dehors, On appliquait sur les plaies un cataplasme de farine de froment, de miel et de graisse de chapon ; à l'aide de quoi on en retirait du corps de la vierge jusqu'à deux cents chaque jour.
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A propos de ce remède, rapportons un fait peu essentiel, il est vrai, à notre histoire, mais qui du moins renferme une leçon évangélique trop souvent méconnue. C'était en carnaval ; un habitant de Schiedam, homme de bonne chère, allait donner un festin aux magistrats et à toute la noblesse de la ville. Les préparatifs étaient splendides. Entre autres pièces qui devaient figurer sur la table de l'amphitryon et lui faire le plus grand honneur, on parlait surtout de huit ou dix chapons superbes qu'une longue et savante préparation avait patiemment conduits à un état de finesse et d'embonpoint on ne peut plus attrayant.

Or, la veille du festin, ce personnage se trouvait chez Lidwine. Celle-ci, comme tout le monde, savait qu'il était riche et même qu'il aimait beaucoup trop la table, les fins repas, le plaisir ; mais elle ne savait pas, ou plutôt elle n'avait jamais voulu croire qu'un homme qui se montrait si magnifique, et à qui rien ne coûtait quand il s'agissait de bonne chère, pût être capable, comme on l'en accusait, de pousser la parcimonie sur l'article de la charité jusqu'à l'avarice.

Elle lui demanda donc, en toute simplicité, un peu de graisse de chapon pour l'extraction de ses vers. Elle eut un refus. « Mais je vous en demande si peu ! ajouta l'humble vierge ; et ce peu je vous le demande comme une aumône, au nom de mes douleurs que vous diminuerez, au nom de Jésus-Christ qui vous bénira ! - Impossible ! répondit l'égoïste épicurien. Et joignant le mensonge à la dureté, pire en cela que le mauvais riche de l'Évangile : « Je vous le répète, Lidwine, ce que vous demandez là est impossible ; mes chapons sont en vérité si maigres, qu'on ne pourra pas seulement retirer d'eux assez de graisse pour les en arroser pendant leur cuisson ! » Une telle insensibilité épouvanta l'innocente fille. « Eh bien ! soit ! Reprit-elle enfin. Il est vrai, je croyais que quand on était riche, comme vous l'êtes, c'était un devoir et un bonheur aussi d'avoir quelque pitié des pauvres ; je croyais surtout que quand on avait, comme vous, l'honneur d'être chrétien, on mettait la gloire de soulager les membres souffrants de Jésus-Christ bien au dessus de cette stupide gloire qui peut revenir de l'air appétissant de quelques chapons ! mais n'en parlons plus. Seulement, laissez-moi vous le dire; au moins mériteriez-vous que ce que vous refusez à Jésus-Christ fût donné aux chats et dévoré par eux !» Là-dessus le dur visiteur partit un peu confus, mais nullement touché. « Ah !vraiment, se disait-il chemin faisant, je m'en vais pour le plaisir de ses vers déranger toute l'ordonnance d'un si beau festin ! Non, non, elle n'aura pas la graisse de mes chapons, ni elle, ni même les chats dont elle semble me menacer ! et quant à ces derniers, j'y mettrai bon ordre. » Rentré en effet chez lui,il retourne à ses précieux chapons, les trouve plus tendres et plus fins que jamais, donne à leur sujet les ordres les plus précis, les fait même sous ses yeux enfermer dans un lieu bien sûr ; - et le lendemain matin, sans doute il rêvait encore à tout ce que lui promettait cette blanche et délicate chair qui devait être si savoureuse, quand on vint tout à coup lui annoncer un malheur affreux, un des plus grands malheurs qui pût lui arriver : on venait lui dire que tous ses chapons, sans en excepter un seul, avaient été abominablement mis en pièces et dévorés... par des chats !
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Laetitia
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Re: Un livre pour ceux qui souffrent.. (vie de Sainte Lidwine de Schiedam)

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Revenons à notre triste récit. Outre ces trois plaies où fourmillaient les vers, il s'en était formé une autre à l'épaule droite ; les chairs tout à l'entour n'avaient pas tardé à se putréfier et dès lors il devenait impossible à Lidwine, non-seulement de reposer sur ce côté, mais de faire même le mouvement nécessaire pour reposer sur l'autre. La pauvre patiente devait, le reste de ses jours, demeurer couchée sur le dos ! Le bras droit lui-même est bientôt envahi par le feu Saint Antoine. Ce mal terrible dévore les chairs jusqu'aux os, attaque jusqu'aux nerfs, n'en respecte qu'un seul, et le bras pendant, détaché, ne tient plus au corps que par ce nerf. Seul, le bras gauche reste libre ; c'est avec ce bras que Lidwine peut encore soulever sa tête. Mais sa pauvre tête, elle aussi, est le siège des plus cruelles tortures. Elle y sentait des élancements si violents, des battements si intolérables, qu'il lui semblait qu'on lui perçait le crâne avec des aiguilles ou qu'on le brisait à coups de marteau. Aussi, la chair de son front se fendit de haut en bas ; le menton également s'ouvrit jusqu'à se disjoindre de la lèvre inférieure ; sa langue s'enfla, un de ses yeux s'éteignit, l'autre ne supporta plus la lumière et enfin d'atroces douleurs de dents duraient des semaines, duraient des mois entiers, quelquefois sans relâche, souvent avec une violence qui poussait à la frénésie.

La pauvre malade, en outre, perdait une énorme quantité de sang. Le nez, la bouche, les oreilles, tout répandait du sang. Dans les vomissements toujours fréquents, c'était une eau sanguinolente, c'était encore du sang qui coulait. Deux hommes, disent les historiens, témoins oculaires, n'eussent pas suffi à porter ce qu'elle en perdait en un mois. Pendant ce temps, une maladie de foie se déclarait ; les poumons, tombant en dissolution, s'en allaient par morceaux ; la poitrine se couvrait de pustules d'une humeur corrosive ; une fièvre continue ou plutôt toutes les fièvres, les fièvres les plus compliquées et les plus aiguës tour à tour s'abattaient sur l'infortunée victime. que dire enfin ? que dire de plus ? c'était une agonie incessante, épouvantable, ramassant toutes les douleurs connues, et cette agonie devait durer trente-cinq ans !

Mais disons-le pour reposer notre âme : en compensation à tant de maux, Lidwine avait Dieu avec elle. Ce Dieu qui la brisait, qui la purifiait au creuset des souffrances comme l'orfèvre purifie l'or au feu, ce même Dieu la regardait avec amour, se plaisait parfois, même d'une merveilleuse manière, à montrer combien déjà il l'aimait. En voici une preuve.

Sur une place publique, en face de la demeure de notre vierge, deux hommes s'étaient pris de querelle. Tout à coup, l'un de ces deux hommes, pâle d'épouvante, se précipite dans la maison de Pierre. « Sauvez-moi ! sauvez-moi ! » Et il arrive jusqu'à la chambre où Lidwine était couchée. Son adversaire en effet le suivait de près, menaçant, terrible, l'épée à la main. Déjà il est sur le seuil, en face de Pétronille qui est accourue. « Où est cet homme ? criait-il ; cet homme qui vient d'entrer, il me le faut ! il me faut son sang ! où est-il ? »

A la vue de cette épée nue, de cet homme écumant de fureur, la pauvre femme, terrifiée, croit pouvoir mentir pour empêcher un meurtre ; elle répond que personne n'est entré. Mais déjà le furieux avait pénétré dans la chambre de Lidwine. « Où est-il ? Réponds-moi ! Cet homme que je veux, dont il me faut la vie, est-il ici? - Oui, répond la vierge qui abhorre le mensonge, oui, il est ici ! - Malheureuse ! s'écrie Pétronille en bondissant vers sa fille et en lui donnant un soufflet, qu'as-tu dit ? Cet homme vient près de toi chercher un refuge, et c'est toi qui le livres à la mort ? »

Il y avait là un aveu de plus. Aussi, à demi-mort de terreur, exposé d'ailleurs à tous les regards, le pauvre fugitif se sentait perdu. Eh bien ! son furieux ennemi ne le voit pas ; il a beau regarder dans l'étroite chambre ; on dirait qu'il est frappé d'aveuglement, ou plutôt c'est un changement inouï qui s'est opéré en lui. A la voix de Lidwine, à ce seul mot qu'elle a prononcé, tout à coup son glaive s'est abaissé, sa fureur s'est évanouie ; c'est la mansuétude qui est rentrée dans son cœur et il s'en va, suivi bientôt de celui dont tout à l'heure il voulait faire sa victime. « Ma mère, dit alors la pieuse malade qui avait reçu avec une angélique douceur le soufflet de Pétronille, si je vous ai fait quelque peine, pardonnez-le-moi. Mais j'ai cru, en répondant selon la vérité, que la vérité serait assez forte pour sauver un homme et empêcher un crime. Vous l'avez vu, je ne me suis point trompée !»

Alors qu'il nous frappe le plus, Dieu nous laisse toujours entrevoir sa bonté !
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