LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

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CHAPITRE V - LES ANNEES 1950-1960

LE «MOUVEMENT» ENLÈVE LE MASQUE, RENIE DOM GUÉRANGER ET AVOUE SES ORIGINES ANTI-LITURGIQUES
(R.P. LOUIS BOUYER) L'EXPANSION DU «MOUVEMENT» À TRAVERS LE MONDE



«Qui sème le vent récolte la tempête». Cet adage bien connu résume parfaitement cette période de l'histoire de la liturgie que nous avons entrepris d'étudier. Le vent, ce sont les Beauduin, les Casel, les Parsch qui l'ont semé... et la tempête se lève, grossissant sans cesse, depuis les années 1950... bientôt ce sera l'ouragan, le concile, puis la mort, la Nouvelle Messe.


Pour étudier ce laps de temps occupé par la fin du pontificat de Pie XII et par le début de celui de Jean XXIII, nous
montrerons successivement : les aveux des meneurs du «Mouvement liturgique» ; l'expansion du «Mouvement» à travers
le monde.


LE «MOUVEMENT» ENLEVE LE MASQUE

Notre lecteur se souvient de cette phrase de Dom Beauduin, écrite en 1945 1 :

«Si le Saint-Siège est justement soucieux du maintien intégral des observances liturgiques et très sévère pour
toute entreprise ou initiative contraire à ses lois, il se montre, d'autre part, très compréhensif et très accueillant pour
tous les efforts faits dans le cadre des lois actuelles et encourage sans réserve les travaux historiques qui recherchent
l'origine et l'évolution de nos rites. Le Saint-Siège désire donc que sa discipline soit étudiée par toutes les méthodes
historiques. Le C.P.L. (Centre de Pastorale liturgique) peut donc réaliser largement ce point de son programme».


Influencer le Saint-Siège par la publication d'ouvrages d'une prétendue érudition historique, voilà le plan d'action du
«Mouvement liturgique» d'après-guerre, et, en particulier, du C.P.L. français et de sa collection «Lex Orandi».


Un ouvrage de cette collection retiendra particulièrement notre attention, il s'agit de «La vie de la Liturgie» par le R.P.
Louis Bouyer
de l'Oratoire 2. Pourquoi ce livre plutôt qu'un autre ? Parce qu'il marque une étape décisive dans l'histoire du
«Mouvement liturgique» : il inaugure l'heure des aveux et des reniements.

des aveux : parce que le P. Bouyer y affirme clairement les sympathies du «Mouvement dévoyé pour les fauteurs
de l'hérésie anti-liturgique»
;

des reniements : parce que l'auteur y ridiculise sans retenue Dom Guéranger et tout le «Mouvement liturgique»
orthodoxe.
Les loups sont maintenant dans la bergerie, ils n'ont plus besoin de se cacher sous des peaux d'agneaux.


Mais rentrons dans le détail.


A SUIVRE...


1. In Normes pratiques pour les réformes liturgiques, dans La Maison-Dieu, n° 1, de janvier 1945, pp. 9 à 22, éd. du Cerf.
2. La vie de la Liturgie, par Louis Bouyer, Coll. Lex Orandi, n° 20, éd. du Cerf, Paris, 1956.
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InHocSignoVinces
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Mais rentrons dans le détail. Ce livre -«La vie de la Liturgie»-, qui est en fait la traduction de conférences faites par le P. Bouyer aux Etats-Unis 1, commence par une affectueuse dédicace à Dom Lambert Beauduin : «D. Lamberto Beauduin Patri filius, Magistro discipulus pro tantis beneficiis hoc quamquam exiguum semper Deo gratias referens dedicavit monumentum» 2. Tel père, tel fils, cela est vrai, mais Dom Beauduin ne s'était jamais départi d'une certaine prudence, voire d'une certaine modération, derniers reliquats de sa formation bénédictine, alors que le P. Bouyer laisse libre cours à ses théories et à sa plume élégante mais acérée. Le sous-titre de l'ouvrage est déjà tout un programme : «Une critique constructive du Mouvement liturgique».


Toute la première partie du livre est consacrée à la critique. «On ne critique bien que ce qu'on aime bien», écrit le P.
Bouyer dans la préface. Soit, mais tout de même ! Après un jugement féroce sur la liturgie tridentine et post-tridentine,
qu'il qualifie intentionnellement de «période baroque», l'oratorien en arrive à la réaction romantique, à l'oeuvre de restauration
opérée par Dom Guéranger.



Tout d'abord flétrir la liturgie du XVIIè siècle :

«La liturgie, comme le disent explicitement beaucoup de manuels de cette période, était considérée comme l'étiquette
du Grand Roi. Les caractéristiques les plus évidentes de ce cérémonial étaient la pompe extérieure, le décorum
et la grandeur qui conviennent à un prince d'une telle majesté. L'absence de toute signification intelligible dans
tant de rites, et même dans les paroles sacrées, était donc louée comme rehaussant l'impression de révérence qu'il
fallait donner à une foule éblouie. (...) Naturellement, dans une telle conception, le plumet sur le casque des gardes-nobles
est au moins aussi important que les mystères sacramentels. Et c'est le lieu de nous rappeler que cette conception
générale d'une liturgie consistant dans un cérémonial de cour transcendant fut acceptée, sans aucune objection,
par les premiers pionniers du mouvement liturgique au XIXè siècle, aussi bien par Dom Guéranger que par Dom
Gréa»
3.

Pauvre Dom Guéranger ! Pour commencer, comme tous ces catholiques ultramontains et anti-libéraux, c'était un ignorant,
tout au plus un autodidacte.


«La grande faiblesse de la renaissance catholique au XIXè siècle, écrit le savant auteur, fut donc un défaut congénital
de bases scientifiques, et même de toute saine critique. Cette même carence apparaît au début de ce que
nous pouvons appeler la renaissance moderne de la liturgie, sous l'aspect d'étranges déficiences de raisonnement et
d'argumentation, allant parfois jusqu'à l'absurdité, pour justifier la pratique liturgique qu'on croyait la bonne»
4. Dom
Guéranger considérait la période médiévale «comme fournissant la clef pour entrer dans la vraie signification de la liturgie
elle-même».
D'où, ajoute le P. Bouyer, «la manie de mettre du gothique partout : édifices gothiques, vêtements
gothiques, chants gothiques, poésies gothiques, et ainsi de suite»
5. Certes, cette volonté d'un retour presque exclusif
au Moyen Age a sans doute été excessive chez le restaurateur de Solesmes, mais est-ce bien intelligent d'ajouter
comme le fait l'auteur : «Nous ne pouvons pas nier non plus que ce culte fut une restauration d'antiquaires et une restauration
d'une authenticité très douteuse sur beaucoup de points essentiels (...) l'antiquité qu'il recréait n'était pas
plus ce qu'il imaginait être que l'architecture gothique en trompe-l'oeil de Viollet-le-Duc ou de Pugin n'était vraiment
gothique»
6 ?

Pour le P. Bouyer, le Moyen Age, pas plus que la période baroque, n'avait rien compris à la vraie nature de la liturgie :

«Dom Herwegen, écrit-il, avec plus de force que personne, a montré que la période médiévale, bien que sa manière
de pratiquer la liturgie traditionnelle ait été supérieure à la pratique baroque, avait déjà commencé à obscurcir la
liturgie par des interprétations fantaisistes et des développements étrangers à sa nature. Aussi, bien loin de produire
une intelligence et une pratique idéale de la liturgie catholique, la période médiévale, en fait, a frayé la route à l'abandon
de la liturgie par le protestantisme, et à la défaveur et à la négligence dont finalement elle devait être l'objet dans
une si grande partie du catholicisme post-tridentin»
7.

Saint Thomas-d'Aquin et Durand de Mende, responsables des erreurs de Luther : il fallait y penser...

La «critique constructive» du P. Bouyer nous conduit ainsi à l'ère patristique, l'âge d'or de la liturgie, l'époque privilégiée
où l'Eglise avait encore le sens du «Mystère chrétien», selon l'expression de Dom Casel.
Ainsi, pour le P. Bouyer et
le «Mouvement liturgique» dévoyé, l'Eglise a perdu le sens de la liturgie au fur et à mesure des siècles.
Quelle impiété !


A SUIVRE...


1. Précisément à l'Université Notre-Dame de l'Indiana dont nous parlerons plus loin.
2. «A Dom Lambert Beauduin ; le fils dédie cet humble ouvrage au Père, le disciple au Maître, en rendant en tout temps grâce à Dieu».
C'est, en effet, peu avant la guerre que Dom Lambert avait converti le Pasteur Bouyer du protestantisme luthérien.
3. Louis Bouyer, loc. cit., p. 15.
4. Louis Bouyer, loc. cit., p. 24.
5. Louis Bouyer, loc. cit., p. 23.
6. Louis Bouyer, loc. cit., p. 25.
7. Louis Bouyer, loc. cit., p. 29.
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Message par InHocSignoVinces »

Dès lors, la suite de l'ouvrage ne nous surprend plus : l'Eglise ayant été infidèle à sa mission liturgique, les bons et
vrais chrétiens sont ceux-là seuls qui ont réagi contre la «momification» de la liturgie.
Mais laissons parler l'oratorien :
«Après ce qu'on a dit, écrit-il, de la lente mais continuelle désintégration de la liturgie qui s'est produite pendant le Moyen
Age, nous ne serons pas surpris de constater que les origines d'un vrai mouvement liturgique doivent se trouver au XVIè
siècle»
1. Erasme et les premiers réformateurs sont les pères de ce mouvement.


Certes, le P. Bouyer reproche bien à ces derniers d'avoir quitté l'Eglise, mais pour ajouter aussitôt : «On peut dire que
dans ce domaine comme en beaucoup d'autres, la Réforme a échoué non pas parce qu'elle était trop audacieuse, bien
qu'on l'ait cru souvent, mais parce qu'elle ne critiquait pas suffisamment certaines de ses affirmations»
2. «Pour ces motifs,
écrit encore l'auteur, les origines d'une vraie renaissance liturgique ne doivent pas être recherchées dans la prétendue
Réforme, mais plutôt dans la réaction qui s'est produite contre elle, une réaction parvenue à critiquer à la fois la Réforme
elle-même et l'état de choses que la Réforme avait mis en question. Malheureusement, il n'en fut pas ainsi d'emblée.
La faiblesse de la Contre-Réforme gît dans sa longue incapacité à réaliser avec la critique de la Réforme la critique
de ses causes, et le résultat de cette incapacité fut le catholicisme baroque»
3. Quelle insulte pour le magnifique renouveau catholique issu du Concile de Trente !


Mais la «critique constructive» de l'oratorien ne s'arrête pas là ; viennent ensuite des pages et des pages de
louanges pour les théologiens anglicans de l'époque de Charles Stuart, les «Caroline Divines». C'est enfin une
description idyllique des travaux des réformateurs gallicans et jansénistes des XVIIè et XVIIIè siècles : les Letourneux,
Voisin et autres Jubé sont mis au pinacle, pendant que Dom Guéranger qui a osé les critiquer 4 est précipité au fond
de l'enfer.



Voilà résumé l'essentiel de la partie critique du livre du P. Bouyer. Nous laissons apprécier à notre lecteur jusqu'à quel
point l'oratorien de 1956 a perdu ce «sens catholique primordial» dont parlait Dom Rousseau en 1945. Quel chemin parcouru
en dix ans !



Vient ensuite la partie plus «constructive» que critique de l'ouvrage. Le P. Bouyer va, tout d'abord, y définir le concept
de tradition : «dès qu'on touche à la réforme de la liturgie, écrit-il, il faut avant tout garder présent à l'esprit le danger que
présente soit un faux traditionalisme, soit un modernisme inconsidéré»
5.


Soit, mais au lieu de prendre le parti du vrai traditionalisme, l'oratorien prend celui d'un modernisme «considéré» : il va
avancer prudemment dans le sillon tracé par le Cardinal Newman 6. La liturgie, comme tout le magistère de l'Eglise, sera
le reflet de la vérité catholique, mais cet enseignement n'aura de valeur que pour une époque donnée.


Nous n'exagérons pas les propositions du P. Bouyer :

«Comme on peut le voir dans les définitions du Concile de Trente, écrit-il, et dans les formules détaillées des diverses
bulles pontificales CANONISANT le Missel et le Bréviaire de Pie V, et finalement dans l'encyclique Mediator
Dei, en ce domaine de la liturgie, comme en tous les autres, l'autorité vivante du Saint-Siège lui-même et de tous les
évêques, à Trente et ailleurs, intervient précisément afin de CANONISER ce que l'on considère comme le plus parfait
INSTRUMENT capable, A NOTRE EPOQUE, de maintenir la tradition qui, à travers l'antiquité chrétienne, nous vient
des Apôtres eux-mêmes»
7. Une telle phrase est une déclaration de modernisme.


Déjà en 1907 S. Pie X avait écrit :

«Pour les modernistes, les formules religieuses constituent donc entre le croyant et sa foi une sorte d'entre-deux:
par rapport à sa foi, elles ne sont que des signes inadéquats de son objet, vulgairement des symboles ; par rapport au
croyant, elles ne sont que de purs INSTRUMENTS. D'où l'on peut déduire qu'elles ne contiennent point la VERITE
ABSOLUE : comme symboles, elles sont des images de la vérité, qui ont à s'adapter au sentiment religieux dans ses
rapports avec l'homme; comme instruments, des véhicules de vérité, qui ont réciproquement à s'accommoder à
l'homme dans ses rapports avec le sentiment religieux. Et comme l'absolu, qui est l'objet de ce sentiment, a des aspects
infinis, sous lesquels il peut successivement apparaître ; comme le croyant, d'autre part, peut passer successivement
sous des conditions fort dissemblables, il s'ensuit que les formules dogmatiques sont soumises à ces vicissitudes,
partant sujettes à mutation. (...) Le jour où cette adaptation viendrait à cesser, ce jour-là elles se videraient du
même coup de leur contenu primitif : il n'y aurait d'autre parti à prendre que de les changer»
8.


Ainsi donc pour le P. Bouyer, comme pour tous les modernistes qui occupent aujourd'hui l'Eglise, les définitions du
Concile de Trente et la liturgie qui en est issue ont «maintenu, à LEUR EPOQUE, la tradition qui, à travers l'antiquité
chrétienne, nous vient des Apôtres eux-mêmes».
Mais presque quatre siècles se sont écoulés depuis le Concile de
Trente, les formules dogmatiques comme la liturgie ne sont plus adaptées à «l'Homme-Aujourd'hui», au chrétien adulte, et
il n'y a pas d'autre parti à prendre que de les changer».
Dès lors, l'oratorien va s'attacher à découvrir «la forme permanente
de la liturgie»,
puis il indiquera «certains moyens par lesquels cette richesse permanente de la tradition chrétienne
peut être appliquée à la situation présente et à ses besoins».



A SUIVRE...


1. Louis Bouyer, loc. cit., p. 60.
2. Louis Bouyer, loc. cit., p. 61.
3. Louis Bouyer, loc. cit., pp. 62-63.
4. Institutions Liturgiques, le tome II dans son entier.
5. Louis Bouyer, loc. cit., p. 95.
6. Via Media, t. I, pp. 249-251.
7. Louis Bouyer, loc. cit., p. 97. Notre lecteur aura remarqué au passage l'expression «CANONISER» employée par le R.P. Bouyer. Mgr
Lefebvre l'a employée également dans son sermon du 29 juin 1976, mais lui donnant toute sa portée catholique : «S. Pie V, déclarait
Mgr Lefebvre, a affirmé solennellement dans sa Bulle : qu'à perpétuité, que jamais, qu'en aucun temps, on ne pourra infliger une censure
à un prêtre parce qu'il dira cette Messe. Pourquoi ? parce que cette Messe est CANONISEE, il l'a CANONISEE DEFINITIVEMENT.
Or, un Pape ne peut pas enlever une canonisation. Le Pape peut faire un nouveau rite, il ne peut enlever une canonisation», in
Eté chaud 1976, éd. S. Gabriel, Martigny, C.H., p. 12.
8. S. Pie X, Pascendi Dominici Gregis, du 8 septembre 1907. Cf. Denzinger-Banwart, N° 2079-2080.
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Cette «forme permanente de la liturgie», le P. Bouyer la découvre dans l'Eucharistie juive. Avec le «sensus catholicus»
qui le caractérise, l'oratorien prend presque tous ses renseignements chez des écrivains protestants : Brilioth,
Lietzmann, Cullmann sont abondamment cités 1. C'est chez ces auteurs que l'oratorien découvre les quatre éléments
constitutifs de l'Eucharistie : la communion, le sacrifice, l'action de grâces et le mémorial. Dans la définition que le P.
Bouyer donne de ces termes, nous voyons apparaître toute une nouvelle théologie de la Messe, théologie que consacrera
treize ans plus tard, en 1969, l'Institutio Generalis du Nouvel Ordo Missæ. Nous n'exagérons rien en affirmant que le P.
Bouyer, actuellement membre de la Commission Centrale de Théologie, est un des principaux responsables de la protestantisation
de la liturgie post-conciliaire.



Mais laissons parler l'auteur : «Ainsi l'élément de «communion», écrit-il, signifie que l'eucharistie est un repas, un
repas de communauté dans lequel tous les participants sont rassemblés pour participer en commun à des biens
communs».



Plus loin, nous trouvons : «l'emploi de ces termes sacrificiels ne vient pas, comme on pourrait le supposer, de
l'idée que la Croix est représentée d'une certaine manière à la Messe. Tout au contraire, les données historiques nous
conduisent plutôt à penser que l'Eglise en est arrivée à appliquer habituellement à la Croix la terminologie sacrificielle
parce que l'on comprenait que la Croix est au coeur du sacrifice offert par l'Eglise dans la célébration eucharistique».



L'action de grâces, telle que la comprend l'oratorien, nous laisse déjà entrevoir les modifications de l'Offertoire que
nous savons : «C'est une action de grâces à Dieu pour tous ses dons, - écrit-il -, qui inclut en une seule perspective
tout l'ensemble de la création et de la rédemption, mais qui prend toujours comme point de départ le pain et le vin, représentatifs
de toutes les choses créées, et dont la consommation est l'occasion effective du repas comme de la célébration
qui y est attachée».



Le mémorial envisagé dans sa relation à la Parole de Dieu permet au P. Bouyer d'écrire, dans la tradition ouverte
par Dom Pius Parsch : «la célébration eucharistique toute entière est aussi un mémorial (...). Il y a une connexion nécessaire
entre les deux parties de la synaxe chrétienne, entre les lectures de la Bible et le repas. Car les lectures conduisent
au repas (...). Et les lectures sont indispensables au repas, pour nous montrer de quelle manière il faut l'envisager,
non pas comme un événement d'aujourd'hui qui vaudrait par lui-même, mais comme un événement qu'on ne
peut comprendre que par référence à une action décisive accomplie une fois pour toutes dans le passé. Cette considération
nous amènera, le moment venu, à voir que toute la messe n'est qu'une seule liturgie de la Parole, qui a
commencé par parler à l'homme, qui lui a parlé de façon de plus en plus intime, qui finalement lui a parlé au coeur en
tant que Parole faite chair, et qui maintenant, du coeur même de l'homme, s'adresse à Dieu le Père par l'Esprit»
2.


Notre lecteur comprendra mieux maintenant la place démesurée que les liturges modernes accordent à la sacrosainte «liturgie de la Parole». Non, rien, absolument rien, dans les réformes conciliaires et post-conciliaires n'est le fruit
du hasard : chaque modification de rubrique correspond à une erreur théologique grave élaborée dans les officines du
«Mouvement liturgique» dévoyé. Ceci est tellement vrai que nous rencontrons sous la plume du P. Bouyer le contenu
presque intégral du fameux article N° 7 de l'Institutio Generalis du N.O.M., dont nous parlions tout à l'heure.
«Il est évident,
ose-t-il écrire, que cette notion équilibrée de la célébration eucharistique peut nous permettre d'embrasser pleinement
la PRESENCE REELLE du Christ dans son Eglise. En un mot, nous ne devons pas concentrer notre contemplation
exclusivement sur le pain et le vin sacramentels mais aussi bien sur deux autres réalités (...). Sa présence en tant que
grand-prêtre de toute la hiérarchie. D'autre part, le Christ doit finalement être présent dans tout le corps de l'Eglise, car
l'Eglise ne jouit de la présence eucharistique que pour être faite une dans le Christ et avec le Christ, par la célébration
eucharistique, et spécialement par la consommation de celui-ci dans le repas sacré»
3.


C'est dans la liturgie juive que le P. Bouyer trouve cette «conception équilibrée de la célébration eucharistique» 4. La liturgie des Repas sacrés lui fournit la formule eucharistique idéale : «Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de toute éternité,
qui as fait produire le pain à la terre»
; «Béni sois-tu, O Seigneur notre Dieu, roi de toute éternité, qui as créé le fruit
de la vigne.»
Là encore, redisons-le, les «studios Lercaro-Bugnini» qui ont réalisé la Nouvelle Messe ont trouvé leur scénario
dans les ouvrages du «Mouvement liturgique» des années 1950-1960. Le nouvel Offertoire n'est que la reprise
des bénédictions juives tant vantées par le P. Bouyer.



Nous espérons ne pas avoir lassé notre lecteur par cette longue analyse de «La vie de la liturgie», mais nous pensons
qu'une telle étude était nécessaire pour bien se rendre compte de l'état réel du «Mouvement liturgique» au début de la
seconde moitié du XXè siècle : le modernisme et le protestantisme l'ont complètement investi.
Dorénavant, il ne faudrait plus parler de «Mouvement liturgique», mais de «Révolution liturgique», révolution, non seulement dans la théorie, mais aussi dans la pratique de la liturgie ; retenons-en pour preuve cette petite phrase de Romano Guardini : «la célébration doit mettre en valeur les grands moments de l'événement sacré, accuser les traits de sa structure interne, obtenir une participation des fidèles plus immédiate, etc. Un tel travail n'est pas celui que nous nous proposons ici. Il incomberait plutôt à une espèce d'ORDO IDEAL, pour la rédaction duquel, d'ailleurs, les travaux préparatoires ne manquent pas d'être assez avancés». Cette phrase révélatrice a été écrite juste après la deuxième guerre mondiale 5... Dès lors, plus rien n'arrêtera la révolution liturgique.


A SUIVRE...


1. Ynge Brilioth, Eucharistic faith and practice, Londres, 1930 ; Litzmann, Messe und Herrenmahl ; Oscar Cullmann, La signification de
la Sainte Cène dans le Christianisme primitif,
Strasbourg, 1936.

2. Ces quatre citations sont extraites du livre du R.P. Bouyer déjà cité pp. 102 à 106.

3. Louis Bouyer, loc. cit., p. 108.

4. Les Cahiers Sioniens publiés par les Pères de Sion, du 68, rue Notre-Dame-des-Champs, à Paris, jouèrent un grand rôle dans cette judaïsation de la liturgie. Les principaux rédacteurs étaient Mmlle Renée Bloch, le professeur Vermes d'Oxford et le Père Paul Demann.

5. Romano Guardini, Besinnung von der Feier der heiligen Messe, Mayence, 1947. Ouvrage traduit par Pie Duployé et publié sous le
titre La Messe, Coll. Lex Orandi, n° 21, Cerf, 1957.
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L'EXPANSION DU «MOUVEMENT» A TRAVERS LE MONDE


Cette période de l'histoire du «Mouvement liturgique» est marquée par l'influence croissante, à travers le monde, des
liturgistes français et allemands. Ils sont partout, multipliant congrès et sessions, organisant des «universités d'été», traduisant
leurs écrits dans toutes les langues, et surtout gagnant selon l'expression de Dom Beauduin, la «sympathie agissante» de l'épiscopat.



En FRANCE, tout d'abord, le fameux C.P.L. est dépassé par des révolutionnaires plus radicaux qui multiplient ce que
l'on appelait alors les «paraliturgies», sortes de réunions de prières non prévues par la liturgie de l'Eglise, où l'on «initiait»
les participants au culte dans un esprit d'une plus grande participation. Le C.P.L. ne contrôle plus ses troupes.
Les aumôniers d'Action Catholique détachent leurs militants du milieu paroissial, ils ne se soucient plus que d'évangéliser le monde moderne incroyant, négligeant presque totalement les fidèles catholiques.


Le P. Bouyer porta alors sur ces tentatives un jugement très lucide :

«Ces divers facteurs pouvaient conduire, et quelquefois ont conduit, à quelque négligence de l'aspect traditionnel
de la liturgie, et à un intérêt qui n'est peut-être pas parfaitement équilibré pour une refonte de la liturgie. La création et
le succès excessif de ce qu'on a appelé des paraliturgies fournissent la preuve de ce que nous venons de dire. Composées
d'abord pour être un moyen d'éducation, un stratagème passager préparant la voie à l'intelligence de la liturgie
proprement dite, ces paraliturgies sont souvent devenues des fins en elles-mêmes. C'est-à-dire que certains ont tenté
de trouver dans ces paraliturgies non pas un moyen pour faire participer à la liturgie réelle, mais plutôt une liturgie de
l'avenir, qui dût plus ou moins remplacer ou remodeler la liturgie officielle elle-même»
1.


Ainsi donc, vers 1955, la génération des Duployé, Roguet, Bouyer est dépassée par de «jeunes loups» plus féroces
qu'eux-mêmes ne l'avaient été avec les meneurs d'avant-guerre.
Les incendiaires commencent à crier au feu...



1956 connaît la fondation de l'INSTITUT SUPERIEUR DE LITURGIE DE PARIS, dirigé par Dom Bernard Botte,
avec pour sous-directeur le Père Gy et pour secrétaire l'abbé Jounel. Cet institut, distinct du C.P.L. eut pour premier lauréat Dom Adrien Nocent, que nous retrouverons à Saint Anselme de Rome à la veille du Concile 2.


Dans le même temps, les contacts se multiplient entre le Centre de Pastorale Liturgique de Paris et l'Institut liturgique
de Trèves. Les RR. PP. Doncoeur et Chenu se rendent souvent en Allemagne, pendant que Dom Pius Parsch et le Professeur Romano Guardini séjournent en France. Ces échanges constants aboutissent à partir de 1950 aux «Semaines d'études liturgiques» de Luxembourg qui, sous la protection de NN. SS. Philippe et Lommel, jouèrent un très grand rôle dans la coordination des diverses organisations liturgiques européennes 3.


La Conférence des Cardinaux et Archevêques de France est gagnée à la cause du «Mouvement liturgique» ; elle publie
en 1956 un «Directoire pour la pastorale de la Messe à l'usage des diocèses de France». Le titre seul de ce document
suffit à montrer l'influence considérable du C.P.L. sur l'épiscopat français.



A SUIVRE...


1. Louis Bouyer, loc. cit., p. 91.
2. Sur toute l'histoire de l'Institut Supérieur de Liturgie de Paris, cf. Dom Botte, Le Mouvement Liturgique, pp. 119 à 135.
3. Perspectives de Pastorale Liturgique, 1951. Première Semaine d'Etudes liturgiques de Luxembourg, 1950, par Jean Hild.
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En ALLEMAGNE 1, la situation se dégrade plus rapidement encore. Depuis 1940, l'Assemblée épiscopale était gagnée à la cause du «Mouvement». Mgr Gröber et l'encyclique «Mediator Dei» n'avaient pu endiguer le courant révolutionnaire, et les années 1950-1960 vont connaître les victoires successives de l'Institut liturgique de Trèves (fondé en 1947) et des évêques qui lui sont inféodés.


La «Grand-Messe allemande» se répandait partout, jusque dans les fonctions pontificales, ce qui entraîna une réaction
du Saint-Office en 1955. Le décret du 29 avril 1955 précisait que le privilège de la Grand-messe allemande ne
s'étendait pas aux messes pontificales, aux messes avec assistance de l'évêque, ni dans les séminaires, couvents et cathédrales ;
de plus, il était interdit de chanter le propre en langue allemande. L'épiscopat allemand ne se soumit pas, et
Mgr Storh, président de la Commission liturgique, écrivit même que ce décret représentait «une nouvelle approbation de
la grand-messe allemande».
Pendant ce temps Romano Guardini travaillait à une traduction du psautier destiné à un
usage liturgique...



Il faut retenir aussi la réunion des deux grands congrès liturgiques d'Allemagne, qui se sont tenus l'un à Francfort en
1950 et l'autre à Munich en 1955. Les résolutions finales de ces congrès vont toujours dans le même sens :
assouplissement du jeûne eucharistique, autorisation des messes du soir, réforme de la Semaine Sainte, lectures de la messe en langue vulgaire.


En ESPAGNE 2, le «Mouvement liturgique» connut une extinction, conséquence directe des massacres de 1936, du
commencement de la guerre civile jusqu'en 1954. A partir des années 1950, les liturgistes français et allemands conjuguent
leurs efforts pour faire renaître le «Mouvement liturgique» espagnol sur des bases nettement réformistes. Comme
dans tous les pays, à cette époque, l'Action catholique anime également ce «renouveau». C'est tout d'abord, en
mai 1952, le 35è Congrès eucharistique international, qui réunit à Barcelone des liturgistes du monde entier. En 1954, le
très progressiste journal «Incunable» concourt à la fondation des «Coloquios de Pastoral Liturgica», présidés par Mgr Miranda,
évêque auxiliaire de Tolède. Le même évêque dirigera également, jusqu'à sa mort survenue accidentellement en
1961, la «Junta Nacional de Apostolado Liturgico», fondée le 15 avril 1956. En 1957 a lieu la première Semaine nationale
d'Etudes liturgiques où il faut noter la présence de
Mgr Tarancón : comme dans les autres pays, la publication d'un «Directoire de la messe» est à l'ordre du jour. Notons enfin l'aboutissement de tous ces efforts : la fondation en 1958 du «Centre de Pastorale liturgique de Barcelone».


En ITALIE 3, les choses allèrent moins vite en raison de l'inexistence de Conférence épiscopale jusqu'en 1959. Ici encore, l'influence du C.P.L. français et de l'Institut liturgique de Trèves fut considérable, surtout par la diffusion des ouvrages
des «leaders» des «Mouvements» allemand et français. Le «Centro di Azione liturgica» fut fondé en 1948 par Mgr
Bernareggi, évêque de Bergame ; le protecteur de cet organisme analogue aux C.P.L. était le très puissant
Cardinal Lercaro. Deux diocèses, celui de Milan et de Bologne, sont, autour de ces années 1955-1960, à la tête du «Mouvement» italien ; les noms de leurs pasteurs deviendront dans la suite tristement célèbres, puisqu'il s'agit des Eminentissimes Cardinaux Montini et Lercaro.


Aux ETATS-UNIS 4, le «Mouvement liturgique» fut, dès les origines, très dépendant de l'Allemagne, en particulier de
l'abbaye de Maria-Laach. Les chefs de file du «Mouvement» américain, le P. Reinhold, Dom Winzen et le professeur
Quasten viennent tous d'Allemagne. Depuis 1947, un cours de liturgie d'été est organisé à l'Université Notre-Dame (Indiana),
qui accueille les plus grands «spécialistes» européens, entre autres le P. Jungmann et le P. Jean Daniélou ; c'est
là, également, que le R.P. Bouyer exposa sa «Critique constructive» du Mouvement liturgique. L'université de Washington
abrite aussi un Centre de recherches très fidèle à la pensée de Dom Casel.



A SUIVRE...


1. Allemagne, par Ferdinand Kolbe, in La Maison-Dieu, n° 74, 1963, pp. 47 à 62.
2. Espagne, par Casiano Floristan, in La Maison Dieu, N° 74, 1963, pp. 109 à 127.
3. Italie, par Rinaldo Falsini, in La Maison-Dieu, N° 74, 1963, pp. 155 à 169.
4. Le Mouvement liturgique aux Etats-Unis, par Jean Daniélou, in La Maison-Dieu, N° 25, 1951, pp. 90 à 93.
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Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Ce panorama mondial du «Mouvement liturgique» serait incomplet si nous passions sous silence les «Réunions internationales
d'Etudes liturgiques» qui réunissaient chaque année l'intelligentsia liturgique du monde entier. Là, sous la
protection d'éminents prélats, comme le Cardinal Bea, les «periti» des cinq continents échangeaient leurs points de vue,
prenaient des résolutions et proposaient des réformes. Ces Congrès se tinrent à Maria-Laach en 1951 1, au Mont-
Sainte-Odile en Alsace en 1952, à Lugano en 1953, à Louvain en 1954, à Assise en 1956, à Montserrat en Espagne en
1958, et enfin à Munich en 1960.


Notons, au passage, l'Allocution que le Pape Pie XII adressa le 22 septembre 1956, aux membres du Congrès d'Assise 2.
Elle reflète parfaitement l'ambiguïté profonde de la situation de l'Eglise à la fin du pontificat du Pasteur Angélique.
Nous insisterons beaucoup sur cette question dans le prochain chapitre ; le Pape Pie XII, et nous avons déjà mis l'accent
sur ce fait, ne connaissait pas la situation réelle du «Mouvement liturgique».
Les meneurs les plus dangereux étaient soutenus et protégés par les plus hauts dignitaires de l'Eglise. Comment le Pape aurait-il pu soupçonner que les «experts» que vantaient tant les Cardinaux Bea et Lercaro étaient, en fait, les ennemis les plus dangereux de l'Eglise ? C'est pourquoi Pie XII adressa des encouragements plus qu'inopportuns aux congressistes d'Assise : «Le Mouvement liturgique est apparu, leur dit-il, comme un signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps présent, comme un passage du Saint-Esprit sur Son Eglise pour rapprocher davantage les hommes des mystères de la foi et des richesses de la grâce, qui découlent de la participation active des fidèles à la vie liturgique». Une telle déclaration eût été vraie et opportune avant 1920 ; en 1956, elle ne l'était plus. Entre-temps, le «Mouvement liturgique» avait renié ses origines et apostasié les principes que lui avaient donnés Dom Guéranger et saint Pie X. Ce n'était plus le souffle du Saint-Esprit qui l'animait, mais l'haleine fétide de Satan.


A SUIVRE...


1. Les premières réunions internationales se firent sans représentant de la hiérarchie, jusqu'à Lugano en 1953. On y discutait passionnément
de la réforme de la Messe. Le P. Jungmann se montrait très sévère pour le Canon Romain. Cf. Dom Botte, «Le Mouvement
Liturgique»,
p. 102 à 104. D'autres réunions techniques «strictement privées» se tenaient : en 1954, au Mont-César, chez Dom
Capelle, on débattait de la concélébration.

2. La traduction complète de cette Allocution se trouve dans les Enseignements pontificaux publiés à Solesmes : Liturgie, tome Ier, N°
793 à 822.
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Message par InHocSignoVinces »

CHAPITRE VI - LES REFORMES LITURGIQUES

LES RÉFORMES LITURGIQUES DU PAPE PIE XII - LA MORT DE PIE XII,
LES DÉBUTS DU PONTIFICAT DE JEAN XXIII - SES RELATIONS AVEC DOM BEAUDUIN, - SA RÉFORME LITURGIQUE
L'INQUIÉTUDE CROISSANTE DES FIDÈLES DEVANT TOUS CES CHANGEMENTS



Il nous reste maintenant à analyser les premières réformes liturgiques, tant celles de Pie XII que celles de Jean XXIII,
à essayer de comprendre l'intention de leurs auteurs, de juger le bien-fondé de leurs initiatives, sans pour autant prétendre
porter un jugement définitif sur une question si délicate, et jusque-là si peu étudiée. Nous concluerons en montrant
que, quoi que l'on pense de ces réformes, il est indéniable qu'elles causèrent un trouble déjà douloureux chez les fidèles,
signe avant-coureur de l'angoisse de nos temps.



LES REFORMES LITURGIQUES DU PAPE PIE XII

Par le Motu proprio «In cotidianis precibus» du 24 mars 1945 1, Pie XII autorisa l'utilisation d'une nouvelle traduction
des psaumes dans la récitation des Heures canoniques. Cette nouvelle traduction latine faite par l'Institut pontifical biblique
ne connut guère de succès, ce qui rend hommage au bon goût et sens religieux du clergé catholique.
Cette version
très élaborée et très fidèle au texte hébreu est en effet dénuée de toute poésie, pleine de mots difficiles à prononcer,
et totalement inadaptée aux mélodies grégoriennes ; elle reste pour toujours le témoignage du peu de sens liturgique du
Cardinal Bea et de ses confrères jésuites qui réalisèrent ce travail.



Un événement beaucoup plus important retiendra davantage notre attention : la fondation, le 18 mai 1948, d'une
«Commission pontificale pour la réforme de la liturgie». Mais avant de voir les réalisations de cette Commission, arrêtons-nous
sur les motifs de sa fondation, et sur les circonstances qui l'entourèrent.


Tout d'abord, réformer la liturgie, dans des limites données, est une chose parfaitement légitime. Ce n'est donc pas le
fait lui-même de la fondation de la Commission de réforme que nous contestons, mais son opportunité.
Prenons une
comparaison :
dans une période de tremblements de terre et de séismes, il ne viendrait à l'idée d'aucun architecte d'entreprendre la restauration d'une forteresse certes vétuste mais cependant solide et résistante ; il craindrait trop d'ébranler par ses travaux la vieille demeure déjà attaquée de toutes parts.


Faisons l'application : entreprendre une réforme de la liturgie dans une période où elle était attaquée de tous côtés par ses pires ennemis, c'était concourir à la ruine de la liturgie en ébranlant sa stabilité déjà bien compromise. On ne change pas de cap au milieu d'une tempête... Mais encore faut-il se rendre compte de l'existence de la tempête. Encore faut-il que le capitaine soit bien informé par ses officiers.


Eh bien, disons-le, et redisons-le, le Pape Pie XII ne se rendait pas compte de la tempête qui secouait alors la Barque de Pierre. Pie XII ne savait pas que le «Mouvement liturgique» était aux mains des plus redoutables adversaires de l'Eglise. Comment aurait-il pu se douter d'une aussi cruelle réalité alors que c'étaient les plus grands princes de l'Eglise qui revêtaient ces loups d'une peau d'agneau ? Comment réaliser, A L'EPOQUE, SANS LE RECUL DE L'HISTOIRE, une telle situation ? C'était chose impossible. Il est aisé de juger en 1980, maintenant que les modernistes ont depuis longtemps enlevé le masque et nous ont révélé leurs agissements souterrains, mais en 1948, qui pouvait savoir que sous cette pourpre cardinalice, sous cet habit blanc ou noir, se cachait un disciple de Loisy ?


A SUIVRE...


1 Cf. Enseignements Pontificaux, Liturgie I, de Solesmes, 481 à 489.
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Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Dom Beauduin avait donné le mot d'ordre en 1945 1 : faire présenter nos requêtes par les évêques et par les membres dévoués de l'Action catholique. Il avait écrit aussi : «L'Eglise ne craint pas de modifier sa discipline pour le bien de ses enfants». C'est pourquoi, à cette époque, les évêques multiplièrent les suppliques à Rome pour obtenir des réformes liturgiques et des adoucissements de la discipline sacramentelle : réforme du jeûne eucharistique, Messes du soir, réforme de la Semaine Sainte, introduction de la langue vernaculaire dans l'administration des sacrements. Les nécessités pastorales étaient souvent réelles, Pie XII crut devoir accepter ces requêtes.


Pie XII a donc entrepris, en toute pureté d'intention, des réformes exigées par les besoins des âmes, sans se rendre compte - et IL NE LE POUVAIT PAS - qu'il ébranlait la liturgie et la discipline à une des périodes les plus critiques de leur histoire, et surtout sans réaliser qu'il mettait en pratique le programme du «Mouvement liturgique» dévoyé. Les désiderata présentés par Mgr Harscouet ou par le Cardinal Bertram étaient élaborés par Dom Beauduin et par Romano Guardini... et Pie XII ne pouvait même pas le soupçonner, tel est le drame affreux qu'a vécu l'Eglise pendant cette partie du pontificat du Pasteur Angélique.


Il va donc toujours falloir se situer sur ce double plan pour comprendre ces premières réformes romaines : elles sont,
d'une part, l'expression de la volonté d'un Pape qui est un Saint - ce qui garantit leur parfaite orthodoxie - ;
elles sont,
d'autre part, les étapes de la réalisation d'un complot ourdi pour la mort de l'Eglise.
Venons-en aux faits...


Tout d'abord, la réforme du jeûne eucharistique : Depuis la fin de la guerre, les évêques ne cessaient de supplier le Saint-Siège d'étendre les induits concédés en raison du conflit. Par la Constitution apostolique «Christus Dominus» du 6 janvier 1953, le Pape Pie XII réduisit «le temps de jeûne à observer avant la Messe ou la Sainte Communion, respectivement célébrée ou reçue, à trois heures pour les aliments solides et à une heure pour les boissons non alcoolisées» 2. Par le Motu Proprio «Sacram Communionem» du 19 mars 1957, le même Pontife étendit la permission de célébrer la Messe durant l'après-midi.


Citons un passage de ce document, notre lecteur y sentira nettement le double courant d'influences qui anime ces réformes, et dont nous parlions tout à l'heure : d'une part, les pressions épiscopales (manœuvrées par les divers C.P.L.), et d'autre part, le souci pastoral parfaitement légitime du Pasteur Angélique : «Les évêques Nous signifièrent, écrit-il, leur profonde gratitude pour ces concessions, qui avaient produit des fruits abondants, et beaucoup Nous ont prié avec insistance de les autoriser à permettre, chaque jour, la célébration de la Messe durant les heures de l'après-midi, en vue du grand profit qu'en tireraient les fidèles. (...) Etant donné les changements considérables qui se sont produits dans l'organisation des travaux et des services publics et dans toute la vie sociale, Nous avons jugé bon d'accueillir les demandes pressantes des évêques...» 3. Pie XII conclut son Motu Proprio par un appel au zèle : «Mais Nous exhortons vivement les prêtres et les fidèles, qui sont en mesure de le faire, d'observer, avant la Messe ou la Sainte Communion, l'antique et vénérable forme du jeûne eucharistique». Ainsi donc, il s'agit bien pour le Pape de concessions légitimes aux exigences des santés et de la vie moderne, alors que, pour les néoliturges, ces réformes constituent les premières étapes de la destruction de la discipline sacramentelle de l'Eglise... De trois heures, on passera à une heure, pour en arriver au «quart d'heure» de Paul VI.


1. La Maison-Dieu, n° 1, janvier 1945, Cerf, p. 9 à 22, Normes pratiques pour les réformes liturgiques.
2. Cf. Liturgie I, de Solesmes, n° 678 à 683.
3. Cf. Ibid., N° 825.



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Re: LE MOUVEMENT LITURGIQUE - Abbé Didier BONNETERRE

Message par InHocSignoVinces »

Nous allons retrouver exactement les mêmes éléments dans la réforme de la Semaine Sainte. A partir des années 1945-1946, le C.P.L. français et les organismes analogues du monde entier multiplièrent les conférences, les publications
et des tentatives de toutes sortes dans le but de faire participer les fidèles aux cérémonies de la Semaine Sainte. Des cérémonies interminables, célébrées à des heures indues, devant une assemblée dérisoire de fidèles... Cela ne pouvait plus durer. «Pour ces raisons, écrit le Cardinal C. Cicognani, de grands savants liturgistes, des prêtres chargés du ministère des âmes, et surtout les Excellentissimes évêques, dans ces dernières années, ont adressé d'instantes prières au Saint-Siège précisément pour le retour des cérémonies liturgiques du sacré triduum aux heures de la soirée, comme dans l'ancien temps, dans ce but assurément que tous les fidèles puissent facilement assister à ces cérémonies» 1. Là encore, notons que c'est essentiellement un motif pastoral qui fit agir Pie XII: que les fidèles puissent assister en grand nombre aux plus grandes cérémonies liturgiques de l'année.


Dans ce but, dès 1951, il autorisa certains diocèses à célébrer l'office de la vigile pascale au soir du Samedi Saint. En
1953, il confia à la Commission pour la réforme de la liturgie le soin de restaurer les Offices de toute la Semaine Sainte.
Le travail achevé, approuvé par l'ensemble des cardinaux le 19 juillet 1955, fut proclamé par la Sacrée Congrégation des
Rites dans le décret «Maxima Redemptionis» du 16 novembre de la même année.


En deux ans, les membres de la Commission avaient accompli un travail considérable, mais ils avaient aussi, très certainement, dépassé l'intention du Pape. Pie XII voulait une restauration des horaires traditionnels des Offices, dans le but d'en faciliter la fréquentation par les fidèles ; nulle part nous ne trouvons trace d'une volonté de modifier les rites de la Semaine Sainte. Cela est si vrai que le décret «Maxima Redemptionis» ne justifie que le changement de l'heure, sans expliquer le moins du monde les modifications des cérémonies elles-mêmes. Les «periti» de la Commission ont profité des travaux en cours pour faire passer dans les rites leurs découvertes archéologiques et leurs conceptions de la liturgie. Les «experts» ont utilisé cette réforme comme un banc d'essai ; constatant ensuite le succès rencontré par leurs cérémonies, ils les étendront à toute la liturgie.


C'est ainsi que les modifications des rites de la Messe de l'«Ordo Hebdomadæ Sanctæ Restauratus» ont été étendues à toute la liturgie par la réforme promulguée par Jean XXIII en 1960. Mais n'anticipons pas, contentons-nous d'énumérer les modifications fondamentales des rites.


Tout d'abord l'extrême simplification de la bénédiction des rameaux, sous le prétexte d'expurger le Missel de ses éléments non romains ; le projet d'une telle épuration remontait loin dans le temps, puisque le liturgiste anglais E. Bishop écrivait en 1899 : «Le Missel Romain lui-même, il est vrai, n'est pas tout à fait dépourvu de pièces semblables aux compositions «gallicanes» les mieux caractérisées. Telle est, notamment, la troisième formule pour la bénédiction des Rameaux, qui débute à la manière d'une simple collecte, puis se perd dans une instruction sur le sens mystique de la cérémonie : «les rameaux de palmiers signifient donc le triomphe du Christ». C'est là un exposé qui serait parfaitement de mise dans un discours aux foules, mais qui ne convient sûrement plus, d'après un sentiment que tout le monde partage de nos jours, à une prière que l'on adresse à Dieu» 2


1. Décret Maxima Redemptionis, S.C.R. du 16 novembre 1955, Liturgie I, de Solesmes, n° 740 à 743
2. Le génie du rite romain, par E. Bishop, Ed. française annotée par Dom A. Wilmart, Librairie de l'Art catholique, Paris, 1920


A SUIVRE...
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