Les Oblats de Marie-Immaculée chez les Esquimeaux

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Abbé Zins
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Re: Les Oblats de Marie-Immaculée chez les Esquimeaux

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INUK "Au dos de la terre ! "

par le R.P. ROGER BULIARD, O.M.I.



CHAPITRE II


COPPERMINE

DES LARMES ET DU SANG...



Le P. Fallaize ne capitula pas, se contentant de sourire. Et ces sauvages furent déconcertés !

Ils auraient certes pris du plaisir à poignarder perfidement dans le dos quelqu'un qu'ils eussent vu se courber sous la peur !

Mais celui-là, qui les regardait toujours bien en face avec une pointe de moquerie, comme s'il lisait clairement leur couardise et perçait à jour leurs stériles manigances, il devait certainement disposer d'une médecine secrète et puissante !

Instruit sans nul doute par le meurtre de ses deux confrères, il devait être immunisé contre tout péril ; autrement il ne se sentirait pas dans une telle sécurité, il ne montrerait pas tant d'aplomb !

Et l'on cessa de l'importuner et de le menacer !

Lorsqu'au début de 1928, il s'éloigna cependant, toute la bande hostile triompha.

Ses premiers néophytes eurent beau dire qu'il reviendrait comme il le leur avait promis, car il n'avait jamais menti, qu'il était simplement allé se chercher une maison et des provisions, l'année se passa sans que le P. Fallaize réapparut.

Et voici pourquoi.
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Abbé Zins
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CHAPITRE II


COPPERMINE

DES LARMES ET DU SANG...



Mgr Breynat avait décidé la fondation d'une mission à Coppermine, mais la Compagnie de la Baie d'Hudson, puissante en ce temps-là et quasiment la seule maîtresse du pays, voulut s'y opposer.

Malveillance par principe pour ces Français « étrangers » et ces catholiques « papistes », esclave d'une politique orangiste, (le « Gouvernement » (!) ne télégraphia-t-il pas à l'évêque sa défense d'établir un poste missionnaire sur la côte arctique ?), la dite Compagnie refusa passage au P. Fallaize sur son bateau, alléguant effrontément qu'elle ne desservirait pas Coppermine cette année-là.

Après avoir d'abord répondu du tac au tac au c Gouverne-ment a de s'occuper de ses affaires, Monseigneur, rompu à ces petits jeux d'un sectarisme imbécile, fréta tout bonnement lui-même un vieux bateau acheté d'occasion et, le 10 août 1928, de l'île Herschell, le Nokatak mettait à la voile pour Coppermine.

Un orage éclata dès le lendemain ; les vagues inondèrent bientôt la cabine, menaçant de noyer les machines ; les câbles d'acier du gouvernail se rompirent !

Le Nokatak partit à la dérive vers le rivage, puis, curieusement, au moment de s'échouer et de se briser sur les roches, s'immobilisa, l'ancre ayant mordu au fond.

Quand on eut repris la mer après la tempête, une voie d'eau se déclara ; les pompes se refusèrent bientôt à fonctionner.

Un port, Baillie, n'était pas loin ; on s'y réfugia pour réparer la coque du vieux navire.
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Abbé Zins
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DES LARMES ET DU SANG...



Le lendemain, tandis que le Nokatak se faufilait le long des falaises au milieu des glaces, une nouvelle tempête s'éleva ; pour éviter le naufrage, les missionnaires se lancèrent dans la première baie qui s'offrit : c'était Lettie Harbour ; sans l'avoir voulu, ils échouaient au beau milieu d'un camp d'Esquimaux.

Ils s'inclinèrent devant la providentielle nécessité des choses, débarquèrent leur matériel de construction pour ériger là leur demeure, remettant à plus tard la fondation de Coppermine.

Ce fut une rude année pour les Pères Fallaize et Binamé et le Frère Becksheffer.

Le premier souffrait de plus en plus d'une ophtalmie crépusculaire, rançon de son apostolat au sud de Coppermine.

Le second, au cours d'un voyage de cet hiver de 1928, contracta au pied droit une infection qui nécessita d'abord plusieurs interventions du couteau de poche du Frère, puis finalement l'évacuation du pauvre patient dont les méta-tarses étaient à vif !

Aujourd'hui, cette terre de Lettie Harbour est le fief de Notre-Dame de Lourdes ; ce groupe d'Esquimaux, le premier touché en dehors de toutes les prévisions humaines, constitue notre plus belle chrétienté, un bloc compact de catholiques fervents et décidés : ce qui avait paru de prime abord un désastre, était une bénédiction !
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Abbé Zins
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L'année suivante, en 1929, comme le P. Fallaize l'avait promis, une deuxième maison, un deuxième clocher, une deuxième croix s'élevèrent sur les bords de l'Océan Glacial, à Coppermine, parmi les farouches Esquimaux du Cuivre : la mission de Notre-Dame de Lumières allait éclairer la nuit du paganisme polaire !

En 1930, arrivait de France le P. Delalande. En 1931, le P. Trocellier remplaçait le P. Fallaize, devenu Mgr Fallaize.

En 1933, le P. Trocellier à son tour cédait la direction de Coppermine au P. Delalande, secondé bientôt par le P. L'Helgouach.

A mon tour, j'étais sur les lieux en 1934.
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Abbé Zins
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Mon rêve s'était réalisé ; il n'était pas trop tard, loin de là, pour figurer dans l'Epopée Blanche !

Je me trouvais chez les Esquimaux dans la Mission la plus lointaine pour l'époque.

Ne sachant pas un traître mot d'anglais, je détalais à toutes jambes dès qu'un Blanc (nous en avons une douzaine) apparaissait.

Je ne connaissais pas davantage d'esquimau, mais le langage des sourds-muets, que ces indigènes maniaient comme des experts, me sauva.

Le P. L'Helgouach m'affirma d'ailleurs que tout cela n'était pas immédiatement nécessaire pour me rendre utile à cent et un menus travaux, le missionnaire de l'Arctique devant tout faire et pratiquer tous les métiers.

Nous avions une maisonnette en bois couverte de tôle, assez confortable bien qu'elle ne fût pas à l'épreuve de toutes les « fuites » d'air et assez chaude malgré la recommandation souvent répétée :

« — Attention au charbon ! Chaque pelletée de combustible vaut son dollar ! » (Ce charbon était importé de San Francisco, d'une distance de 4 000 kilomètres !)
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Abbé Zins
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Ma principale tâche fut donc d'apprendre l'anglais et, plus encore, l'esquimau.

Nous possédions un semblant de grammaire d'un dialecte différent du nôtre et un embryon de dictionnaire qui s'enrichissait quotidiennement ; mes journées s'y épuisaient trop vite.

Le soir, quand la maison s'emplissait, je passais à la pratique ; assises sur les bancs, et de préférence sur le plancher, les Esquimaudes allaitaient leurs marmots, leurs plus grands enfants se cachant derrière elles.

Leurs hommes cherchaient à éveiller notre intérêt ; du doigt, je leur désignais les objets ; avec un large sourire, ils me disaient le mot correspondant, aussi gentiment qu'ils le firent pour l'infortuné P. Rouvière sans doute !

Je regardais : c'était là la femme de Sinisiak, celle d'Uluksak, les deux assassins de mes frères !

Un autre me disait quand je lui serrais la main : « — N'as-tu pas peur ? Tu sais, j'ai déjà tué un Blanc ! »
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Ce sorcier du lieu avait au moins dix meurtres sur la conscience !

Tous me souriaient paisiblement et me prodiguaient des flatteries, empressés à m'instruire. Que pensaient-ils en réalité ?

Que se passait-il sous ces crânes aux chevelures longues et graisseuses, derrière ces yeux en amande, fuyants, pincés, cruels ?

Les enfants seuls les trahissaient, nous lorgnant avec frayeur, se cachant de nous, se sauvant à toutes jambes s'ils nous rencontraient isolément ; inutile de nous demander quels loups-garous nous devions être pour eux !

A les voir si doux et bienveillants, je ne pouvais m'empêcher de revivre l'accueil qu'ils réservèrent au P. Rouvière : « Je fus reçu avec de grands signes de joie, traité en visiteur de marque ! on me donna la meilleure place et, au repas, le meilleur morceau ! »

En les examinant plus à fond, je les vis néanmoins si dénués de tout, ils avaient si froid, leur existence était si misérable ! « Savaient-ils ce qu'ils avaient fait » ?

Je remerciais Dieu de m'avoir envoyé « évangéliser les pauvres », les plus pauvres d'entre les pauvres matériellement et spirituellement.
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Cette première année passa comme le vent, en compagnie des Pères Delalande, L'Helgouach et du Frère Becksheffer : quatre Oblats ! Oui « qu'il est bon et agréable pour des frères d'habiter ensemble », spécialement en pays esquimau !

Hélas ! dès l'été 1935, le P. L'Helgouach était rappelé à Aklavik.

En même temps, « sabre de bois ! », le P. Delalande partait fonder la nouvelle mission de Burnside. Je restais seul, inexpérimenté, balbutiant à peine l'esquimau, passablement désemparé ; seul, je me trompe, car, si le Frère Becksheffer qu'on me laissait n'exerçait pas le ministère sacerdotal, c'était un missionnaire dans toute la force du mot, par l'exemple, la prière et la charité.

C'était en outre un compagnon, un ami, un frère sans pareil.

Je bénis le ciel d'avoir eu pour me réconforter cet admirable religieux dont je n'oublierai jamais le dévouement, la tendresse vraie pour les Esquimaux comme pour moi.
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Le Frère Becksheffer, un colosse originaire de la Westphalie, était un modeste héros qui fait honneur à sa nation. Il se dévoua pendant plus d'un demi-siècle dans l'Extrême-Nord sans s'accorder une seule fois la consolation de revoir sa famille et sa patrie.

Il desservit toute les Missions du fleuve Mackenzie ainsi que toutes celles de la côte arctique, exerça tous les métiers, de celui de cuisinier en chef à celui de capitaine de navire, universel factotum et spécialiste en toutes matières.

A l'âge de vingt ans, il rêvait d'être uhlan ; mais en raison de sa remarquable carrure, les armées du Kaiser voulurent l'incorporer parmi les cuirassiers. Non et non ! Si l'Empereur n'avait point besoin de uhlans, il s'engagerait chez un autre Roi qui saurait bien l'utiliser comme élément de reconnaissance aux avant-postes de son domaine !

Et il s'enrôla chez les Oblats de Marie Immaculée pour combattre, sous le drapeau de la Vierge, au delà du Cercle Polaire ; il travailla jusqu'au bout de ses forces.

Un matin, son sourire ne parvenant pas à masquer ses souffrances, son évêque le fit examiner au sortir d'une récréation où il n'avait pas été le moins joyeux. Il quitta bravement le docteur.

Il était condamné. Des cartes il passa tout souriant dans sa cellule pour les dernières Onctions.

A le voir on aurait cru qu'il venait de gagner la partie (car il n'aimait pas perdre !).

Il mourut le lendemain, comme un soldat en faction, en saint Oblat.
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En 1936, j'accueillais le P. Franche ; en 1937, le P. Le Mer.

Quant à moi, j'eus alors l'honneur d'être envoyé au nord explorer la côte nord-ouest de la Terre de Victoria où je devais sans tarder fonder la Mission du Christ-Roi.

La première Mission d'un Oblat de l'Arctique reste sa préférée, et garde pour toujours une large part de son coeur.

Après avoir quitté Notre-Dame-de-Lumières de Coppermine, j'y retournai presque chaque année chercher mon courrier.

C'est un peu de ma jeunesse que je revoyais quand, ayant passé la pointe d'une île, cette Mission me sautait soudain, de l'uniforme horizon de la neige, dans les yeux ; dès ce moment, j'oubliais la fatigue de mes 600 km, j'oubliais ma solitude passée, comme si je rentrais à la maison paternelle après une longue absence ; enfin j'allais revoir mes frères Oblats, les amis, mes premiers baptisés et communier à mon jeune enthousiasme d'antan !

Coppermine, dont le sang de deux missionnaires féconda le premier sillon, qui a déjà récolté pour le ciel une cinquantaine d'âmes esquimaudes et où mûrit aujourd'hui une nombreuse chrétienté !
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