Les Oblats de Marie-Immaculée chez les Esquimeaux

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Abbé Zins
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INUK "Au dos de la terre ! "

par le R.P. ROGER BULIARD, O.M.I.



CHAPITRE IV


VICTORIA

EXPLORATION — ESSAIS




« — Qui es-tu ?... Que viens-tu faire ?... »

J'essaie de leur expliquer mon rôle de missionnaire ; pour se rendre compte, ils demandent à écouter mes prières et mes chants.

Je m'exécute bien volontiers en prenant ma voix des jours solennels ; je suis si fier d'être le premier à prêcher ici l'Evangile et à faire entendre l'appel de notre sainte Eglise.

Après ma démonstration, je suis bien touché de ce qu'une famille m'invite à venir m'installer au milieu d'elle, me promettant toute son aide...

C'est une contrée riche en poisson, mais pauvre en phoques ; comme emplacement, c'est surtout beaucoup trop loin au fond de la baie pour une fondation.»
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Abbé Zins
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17 mars. — Avec mes chiens trop rapides pour les deux autres attelages, je prends de l'avance, tout surpris bientôt de tomber en plein sur le camp suivant.

Tous les gens sortent pour m'examiner comme une bête curieuse.

Un grand gaillard plus hardi s'avance et, à quelques pas de mes chiens que je ne puis quitter tellement j'ai de peine à les tenir arrêtés, me crie : « Kiyoyutin ? (Qui es-tu ?) »

Je réponds : « Fallaoyunga ! (Je suis le Père !) »

« — Ah ! » dit-il simplement ; il l'annonce à la population qui délibérément se retire et s'évanouit comme par enchantement : — Quel succès ! pensais-je à part moi...

J'étais encore en pourparlers avec leur député quand Kuthek et l'Esquimau de la Police survinrent ; ils réussirent à le persuader que je n'étais pas méchant et que je n'avais encore mordu personne !

Ma bonne tête dut faire le reste, car je fus admis dans le camp et, quelques heures plus tard, nous étions les meilleurs amis du monde.

Entassés chez celui-là même qui m'avait interpellé au nom de tous, ils écoutaient « le Blanc qui parlait esquimau ».

Je ne manquais pas de les singer avec force gestes comiques, imitant sans rancune la manière dont ils avaient mis la main derrière leur dos quand je leur avais tendu la mienne.

Ils furent si bien désarmés qu'il déclarèrent aimablement que le camp nourrirait mes chiens au phoque frais, ce qui n'était point de refus, mes pauvres coursiers s'amincissant à vue d'oeil au régime maigre du poisson sec.
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Abbé Zins
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19 mars. — Au dernier camp de la Pointe nord de Prince Albert Sound, l'accueil est excessivement froid et antipathique.

Je comptais y rencontrer une famille catholique ; elle avait depuis longtemps apostasié ; les autres sont des Esquimaux de l'Alaska ou des métis, anglicans fanatiques et très montés contre nous.

Voilà bien le seul camp que je n'ai pas réussi à amadouer jusqu'à présent. Comme on ne veut pas me donner de phoque pour mes chiens, cela va m'obliger à repartir encore plus vite.

On me répond très évasivement lorsque je demande des renseignements sur les lieux.

On m'évite comme un galeux et, le soir, on me laisse dans mon coin, seul avec mes pensées ; tout cela, ajouté à cette main blessée hier et qui enfle démesurément, me fait passer une nuit blanche !
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Abbé Zins
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20 mars. — Au petit jour, sous les regards décidément narquois, j'attelle mes chiens et repars vers le sud, car il ne me reste plus que huit jours si je veux être fidèle au rendez-vous de Pâques à Coppermine...

Mais je reviendrai, mes coquins, et j'ai bien soin de leur crier en m'éloignant un ironique « liant-tour ! (Nous nous reverrons un jour !) »

N'empêche que je voudrais avoir de la poussière à secouer de la semelle de mes bottes !

Comme un malheur n'arrive jamais seul, mon boy et moi ne retrouvons pas dans la tempête le camp des jours précédents.

Pour comble, notre bidon de pétrole crève ; si, comme il nous l'avait fait entendre, le dernier camp a déménagé, nous voilà frais, c'est le cas de le dire, car nous le serons à geler !
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22 mars. — Deo gratias ! Ils sont encore là puisque j'aperçois des chiens autour des iglus... La cordialité de leur réception ne se dément pas. Dans les ténèbres, un jeune homme part immédiatement jusqu'au lac chercher du poisson pour mes chiens, au risque d'en manquer pour eux-mêmes. Ils vont jusqu'à m'offrir un litre de pétrole pour mon réchaud. Ils n'ont hélas ! point de tabac ; il me semble que, plus que toute autre chose, une cigarette ferait mes délices à cette heure !


24 mars. — Nous avons traversé en deux jours le portage qui nous en avait pris cinq à l'aller. J'ai marché la moitié du temps et mon boy l'autre moitié. Je ne sais comment les chiens peuvent tenir à ce train-là... ni comment nous ne nous sommes pas perdus.

A court de vivres et de tout, nous devons voyager sans répit, dans la tempête comme par beau temps, aussi bien la nuit que le jour. Nous avons eu la chance néanmoins de découvrir deux ou trois de nos iglus précédents ; à chacun d'eux, nous avons fait une halte pour fouiller le parquet de neige et récupérer les e mégots jetés en période d'abondance ; quand nous en avions quatre, nous roulions une cigarette avec d'infinies précautions ; j'en fumais la moitié sans tricher, mon garçon suçait goulûment le reste jusqu'à s'en brûler les lèvres !

... Aujourd'hui, nous sommes à nouveau tout guillerets, nous étant procuré de la nourriture chez le traiteur. Nous serons dorénavant en pays connu ; mais les chiens éreintés arriveront-ils jusqu'à Coppermine ? Et dans trois jours ? N'ont-ils pas parcouru, les dernières quarante-huit heures, 200 km environ ?
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26 mars. — Après deux jours de marche forcée, je garde bon espoir d'arriver à temps. Pour éviter les hérissements de glace où Frenchy avait brisé sa traîne, nous avons essayé un autre passage... et avons failli couler et passer au travers de la glace, le seul couloir d'échappée étant l'endroit où le courant marin, puissant et rapide, ne permet pas à la mer de geler fortement !

Surcroît d'infortune, je dus abattre deux de mes chers et pauvres chiens qui ne pouvaient plus suivre !

Pour atteindre demain Coppermine, il nous faudra couvrir aujourd'hui 85 km avec des débris d'attelage et des chiens en marmelade !
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Abbé Zins
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27 mars.. — Nous avons marché sans arrêt, et presque toujours en tête de nos chiens pour les encourager un peu. Oh ! les vaillantes bêtes !...

J'en étais à grommeler contre la nature nordique en général et la neige molle en particulier quand mon garçon leva le nez : « Tigmierpak ! (Le grand oiseau !) »

Je regardai de tous mes yeux et reconnus l'avion de Monseigneur ; je crus qu'il repartait de Coppermine, car je le vis passer tout droit au-dessus de la Mission. Et cela me fit affreusement mal au coeur d'avoir fait 1 200 km pour arriver juste à temps... et pour rien !

Aussi, en arrivant le soir, à 22 heures, de mauvaise humeur, moulu de fatigue, à bout de forces, ma première question s'échappa d'elle-même :

« — Pourquoi Monseigneur ne m'a-t-il pas attendu ? J'avais pourtant bien promis d'être de retour pour le Samedi-Saint !... — Monseigneur ! Mais il n'est pas encore venu ! — Quoi ? Mais, j'ai vu son avion, moi, dans la journée !... »

Le « grand oiseau » avait donc passé sans voir Coppermine et s'était perdu !... Et qu'y faire ?
« Dieu y pourvoira », me dis-je, et comme c'était Pâques et jour de communion générale, je m'installai au confessionnal pour une partie de la nuit.
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Abbé Zins
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28 mars. — Pas d'avion encore le matin ! Notre alleluia est plutôt triste et nous prions la Vierge de ramener à bon port nos voyageurs.

Au cours de l'après-midi, tout à coup, de derrière la colline monta un vrombissement du tonnerre. Quelques secondes plus tard, sans crier gare l'avion atterrissait comme une souple hirondelle, tous ses passagers souriant à qui mieux mieux.

Ayant raté Coppermine et s'apercevant de leur mauvaise direction, ils avaient longé une rivière dans les terres jusqu'à un camp esquimau... où on leur avait appris qu'ils étaient à quelques minute de Burnside ; ils avaient passé la nuit chez le P. Delalande et se félicitaient en définitive de cette méprise.

Monseigneur me trouve un peu fatigué et aminci ! « — Vous voyagez trop en tout cas », me dit-il.

« — Et ce rapport ? » Je m'excusai d'avoir vu mon exploration tourner à la déroute. Je me risquai à demander quelques planches pour me bâtir là-haut une cabane pour y rester au moins une année afin d'étudier sur place les possibilités d'une fondation : « — Hum !... on verra, se contenta de me répondre Mgr Breynat, et l'on en reparlera !... »

En attendant — parce que je voyageais trop sans doute ! — j'étais invité à repartir sur-le-champ pour Burnside afin d'y reconduire le jeune Esquimau qui avait guidé le pilote jusqu'à Coppermine : 800 km aller et retour... une paille (1).

Je ne m'arrêtai même pas à cette corvée, ma seule anxiété étant que ma randonnée incomplète et hâtive, que mes renseignements insuffisants n'entravassent les plans prévus, retardant ainsi l'oeuvre du Maître.


(1) Le chapitre VII de la première partie de ce livre (pages 165 et suivantes) a relaté ce voyage à Burnside, d'où le Père Delalande m'entraîna dans son exploration de Cambridge Bay.
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Suivit un long silence de cinq mois... insupportable. Enfin, Mgr Breynat nous arriva de nouveau au mois d'août, accompagné de son Vicaire Général, le Père Mansoz... un vieux savoyard, qui allait être de mon côté.

Il se tint de laborieuses délibérations.

Avant de risquer une fondation, une plus complète et plus ample prospection s'imposait, et conséquemment un second voyage.

J'objectai cependant que mon premier essai m'avait par trop convaincu qu'il me serait impossible de transporter avec mes chiens tout ce qu'il faudrait pour une randonnée de 1 500 km dans une région partiellement inconnue, surtout durant les jours de l'hiver si courts à cette latitude.

Mieux vaudrait se fixer quelque part là-bas, à mi-chemin, disposer d'un pied-à-terre quelconque et construire provisoirement ne fût-ce qu'une très modeste cabane.

A cela, Monseigneur ne répondit d'abord rien ; ce fut un moment d'anxieux silence... Songeait-il à ceux qu'il avait envoyés naguère et qui n'étaient jamais revenus ? ...

Puis, en me regardant longuement, il me fit simplement connaître sa décision — une de ces décisions rapides, décisives et raisonnées auxquelles se reconnaissent les vrais chefs, mais qui n'en coûtait pas moins à son coeur de père :

« — Si vous êtes volontaire, c'est bien ! Vous irez, Père ! »
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Les détails de l'entreprise prirent encore moins de temps : le N.-D.-de-Lourdes, en retournant de Coppermine, ferait un crochet pour déposer à Uyaraktok, terminus de mon dernier voyage, ce qu'on pourrait rogner ici et là comme matériel.

Ainsi j'étais officiellement désigné pour être le fondateur de la nouvelle Mission ; ma joie était au comble, mes rêves de porter la Croix au bout du monde allaient se réaliser !

Les consignes étaient aussi nettes que larges : monter au nord jusqu'à ce que j'eusse rencontré les derniers Esquimaux, choisir ensuite l'emplacement le plus central pour un établissement définitif. Quand j'aurais fait signe, on m'enverrait le matériel de construction.

Il n'y avait qu'une restriction : rester à Coppermine jusqu'à Noël pour initier le Père Le Mer qui venait d'arriver de la Baie d'Hudson, pour me remplacer, dès qu'initié au pays.

D'ici Noël, qui cependant irait bâtir et chasser là-bas pour les chiens ?

J'eus vite trouvé mon homme dans Tom Kanguak (L'oie).
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