Les Oblats de Marie-Immaculée chez les Esquimeaux

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Abbé Zins
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Les Oblats de Marie-Immaculée chez les Esquimeaux

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INUK "Au dos de la terre ! "

par le R.P. ROGER BULIARD, O.M.I.


Ouvrage couronné par l'Académie Française

(Prix MONTYON 1950)




CHAPITRE PREMIER


DIEU OU... DEMON ?



D'abord avant de placer notre Inuk en face de ce Dieu que sont venus lui apporter les « Grands Sourcils », soit par l'intermédiaire de celui (catholique) qu'il appellera « Akortugoaluk — la Longue-Robe —, soit encore par le truchement du pasteur anglican qu'il dénommera Minihita » (comme le valet du jeu de cartes), il est nécessaire, je crois, pour que l'étude de l'Esquimau soit assez complète, de donner quelque idée — juste un résumé qui ne prétend pas épuiser le sujet — des croyances religieuses que ce peuple s'est transmis de vive voix, de génération en génération, jusqu'à l'arrivée de la doctrine du Christ.

Les croyances des Esquimaux du Cuivre sont plutôt nébuleuses, souvent contradictoires, et, en pratique, si exclusivement et totalement dirigées vers l'apaisement de dieux vengeurs, d'esprits querelleurs, que l'on est bien tenté de se résigner au pire et d'accepter tout simplement que placer Inuk en face de Dieu, c'est plutôt le placer en face de « l'Autre »...

Et « l'Autre », c'est celui que Komayak, autrefois sorcier, shaman, et son prêtre, maintenant converti et chrétien pratiquant, n'appelait que par ce titre impersonnel, comme s'il avait encore peur de l'évoquer en le nommant... l'Esprit du Mal.

En l'absence de Moïse, les Hébreux, laissés à eux-mêmes quelques jours seulement, se fabriquèrent un veau d'or.

« — Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre, et l'on y adorera les bêtes » disait le Curé d'Ars.

En étudiant la rude physionomie des Esquimaux, en constatant l'état lamentable de leur moralité, une réflexion, qui est en même temps une excuse et un gémissement, s'impose à ma plume : ce peuple était sans Dieu.

Moins catégoriques pourtant que nos vantards qui prétendent ne craindre ni Dieu ni Satan, les Esquimaux ne se flattaient point de tenir pour rien le diable et ses satellites.

En certaines tribus, les missionnaires et les voyageurs ont trouvé trace de quelques vagues divinités qui recevaient d'elles, plus ou moins officiellement, un semblant d'hommages.
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Abbé Zins
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CHAPITRE PREMIER


DIEU OU... DEMON ?



Que dire de nos Esquimaux du Cuivre ?

Je les ai patiemment interrogés sur cette question.

Théoriquement tout au plus, ils reconnaissaient un Dieu : Attanek (le Chef) ; je me demande pourtant si ce Dieu n'est pas de date trop récente !

Par l'intermédiaire des premiers explorateurs de notre race ou de leurs congénères plus « évolués » de l'Alaska qu'ils eurent l'occasion d'approcher, les anciens Esquimaux du Cuivre entendirent sûrement parler de la nouvelle religion, celle que la totalité des Indiens avaient depuis longtemps adoptée : de la religion des Blancs.

Je suis porté à croire que c'est seulement alors que l'idée d'un Dieu à honorer s'est précisée dans leur tête ténébreuse, mêlée encore à leur fatras de légendes, dissipant leurs doutes et les rendant conscients de cette croyance à un Etre suprême innée dans tous les peuples de l'univers ; ce fut en quelque sorte pour eux la révélation de l'apôtre Paul à ces Athéniens qui dressèrent un autel au « Dieu inconnu », vénérant inconsciemment en Lui le Dieu véritable.

Par un phénomène curieux, à moins qu'il ne soit trop naturel, nos Esquimaux crurent alors y avoir toujours cru ; en fait, j'estime que c'est une influence étrangère qui donna un nom à ce qui n'existait que dans leur subconscient.

Je m'en veux pour preuve que le nom lui-même, adopté pour désigner Dieu et qui me paraît être un mot d'emprunt : Attanek signifiant aussi bien chef que roi, capitaine de bateau, chef de Mission ou traiteur de fourrures attitré.

Dieu n'avait pas dans leur langue d'appellation propre.
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Abbé Zins
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CHAPITRE PREMIER


DIEU OU... DÉMON ?



De plus, s'ils reconnaissaient un Dieu, où trouver trace d'un dogme, même simplifié, d'un culte, des prières faites à son adresse, des sacrifices qui lui étaient offerts ? II n'y a absolument rien !

Je me rétracte pourtant ; car, chaque fois qu'ils tuent quelque gibier, un petit morceau de sa viande ou de sa graisse est mis à part pour être jeté sur la glace, dans la mer ou sur le sol...

Idée de dîme et de sacrifice ? Offrande à la divinité ? Je me suis informé, mais personne n'a pu m'en fournir une explication : « — C'est une coutume, les anciens le faisaient ! » m'a-t-on répondu.

Ce dont ils sont persuadés, c'est que l'omission de cette pratique leur apporterait la déveine et fournirait au gibier une bonne excuse de ne jamais plus s'offrir à leur vue...

« —Tamadja natertaksaraluarnigidlanga ! (Voilà ! Et que cela veuille bien m'obtenir un autre phoque !) » disent-ils en prélevant leur portion de viande ou de gras.

En revanche, ils croyaient aux Esprits : Anges ?... Démons ?... Plutôt, à l'instar des Djins des Arabes, une sorte de lutins aux yeux étirés, dangereux pour le voyageur solitaire ; de curieux Génies invisibles et tracassiers, pareils au gendarme obtus qui cherche toujours noise aux citoyens paisibles et qui met ses délices à surprendre en défaut les plus honnêtes contribuables.

Tunrain et Tarain : les Esprits et les Ombres, qui ne sont pas absolument la même chose, mais qui ont cette particularité commune de n'avoir jamais vécu une vie normale comme les mortels et d'être pour autant redoutables.

L'admiration, la crainte, un sentiment d'impuissance personnelle en face de ces puissances supérieures, plutôt devinées et senties que crues et connues, fondent les mobiles les plus profonds de la religion de l'Esquimau primitif.

Il contemple méditativement ce qui l'entoure : — Quoi ?... Pourquoi ?... Quand ?... « Aucune réponse catégorique ne s'offre à son esprit qui, spéculativement parlant, ne s'est pas développé.

Tout n'est que doutes dans sa tête ; ses impressions sont comme des rêves imprécis et fuyants ; chaque objet (roche, animal...), même une notion telle que le sommeil, est pour lui un être vivant.

Il ressemble à l'enfant qui frappe, pour la punir, une chaise contre laquelle il a buté : lui est vivant, la chose doit être vivante, elle aussi, et ceci est décidé sans autre considération métaphysique...
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Abbé Zins
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DIEU OU... DÉMON ?



Un animal est tué : sa chair reste là, oui ; mais sa nature, son souffle, son « âme » émigre ailleurs et erre encore ; on lui doit le respect, et il est des conventions passées avec elle dont il faut tenir compte en disposant de son corps !

(Ame et souffle sont à peu près la même chose en langage esquimau qui les désigne par le même mot : Anernek.)

Par exemple : Ne dépecez pas un phoque dans l'iglu sans avoir recouvert le sol de neige propre et fraîche, ou alors son esprit ira dire aux autres qu'il a été bien mal traité... et toute la gent phoque se refusera au harpon de ce chasseur.

Ce trouble de leur esprit, cette peur instinctive et ce sentiment d'impuissance devaient fatalement engendrer des superstitions. Les Esquimaux en avaient ; ils en ont encore, même nos chrétiens.

De temps à autre, une nouvelle se fait jour, s'ajoutant à l'édition jamais corrigée, mais toujours augmentée, des inventions ridicules de l'esprit humain ! Montaigne n'a-t-il pas observé que, si « l'homme n'a jamais pu faire un seul ver de terre, il se fait des divinités tous les jours ? »
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Abbé Zins
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Les superstitions sont les signes palpables d'une foi qui baisse ou qui a disparu ; les « Esprits » de nos Esquimaux sont aussi des souvenirs de dieux évanouis, les dernières lueurs d'une religion éteinte, comme ces feux-follets qui s'échappent des cimetières et que nos enfants n'osent seuls affronter ; ici, à cause des « Esprits », aucun Esquimau n'aime voyager seul, où que ce soit !

Dieu ! Les Esprits !... Un vieillard essayait de m'expliquer :

« — Parmi les Esprits, on raconte qu'il y a les bons et les mauvais. Pourquoi prier les bons ? S'ils sont bons, ils ne nous nuiront pas ! Quant aux mauvais, dont la nature est de nous chercher querelle, il importe souverainement de nous les rendre propices ! » Religion de gendarmes, de douaniers.

C'est de l'arithmétique enfantine et de la haute politique, permettant à l'Esquimau de rester fidèle à lui-même et à son caractère égoïste et pratique ; cela nous donne une religion purement négative, sinon une religion à rebours. La sorcellerie va suivre.

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L'homme peut délaisser ou oublier son Dieu ; son âme faite de surnaturel et pour le surnaturel, l'inquiétude de son esprit devant des forces qui le dépassent, le besoin de s'appuyer sur plus puissant que lui, l'entraînent tôt ou tard à se refaire un autre monde pour la part spirituelle de son être qu'il ne peut étouffer.

Les athées se réfugient dans le spiritisme et l'occultisme nos Esquimaux se sont adressés à l'angalko, au sorcier, avec beaucoup plus d'excuse et de logique que ceux-ci, car, pour prouver sa pseudo-mission supranaturelle, l'angalko leur fournira parfois des faits merveilleux de magie noire ou leur fera des expériences de magie blanche déconcertantes, beaucoup plus déconcertantes pour ces ignorants qu'elles le seraient pour nos « civilisés » dont la crédulité égale souvent la fausse science.

Au demeurant, l'Esquimau ne demandait aucune preuve. J'ai déjà noté combien était influençable la pâte molle de l'esprit de ce primitif.

La pensée indépendante est une fleur inconnue sous ces latitudes ; il en résulte cet aspect typique de leur caractère qui est une foi, pour ainsi dire illimitée, dans la parole de quiconque affirme une chose avec netteté.

Ayaligak me raconta qu'un sorcier avait la réputation de se planter un harpon dans le corps sans y laisser la moindre trace ; le doute à ce sujet serait mal venu ; pourquoi douter de ce que cet extraordinaire angalko avait dit et fait ?... Ayaligak en était si sûr qu'il l'a « vu » !

C'est ainsi qu'une fois posé par quelque prodige à l'esquimaude, le sorcier peut se payer tous les luxes., se contenter, par exemple, de faire un chien avec quelques loques en déclarant fermement qu'il a la possibilité de faire que cette caricature de chien hante son ennemi ; il sera cru ; bien mieux, en l'apprenant, ce dit ennemi se croira réellement hanté.

Pour tenter d'ébranler leurs convictions, je provoquai l'opérateur et lui demandai en public de servir de cobaye, d'être hanté ; évidemment je n'éprouvai rien, mais leur foi à eux n'en fut pas pour autant ébranlée.

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Je ne contredirai pas l'assertion de Rasmussen qui cite des cas de thanatomie, c'est-à-dire des cas de mort réelle survenant parce qu'un rêve ou un autre événement produisant la persuasion était intervenu.

Par le fait, cela n'est pas si rare, si l'on veut bien approfondir ce qui se passe durant certaines maladies. On appelle le sorcier, voire un quidam qui se dit connaisseur en la matière ; si son diagnostic est : « Ayornarman ! (On n'y peut rien !) » la cause est entendue, l'affaire réglée : quatre-vingt dix-neuf fois sur cent, le malade mourra !

Ces considérations n'entendent pas couvrir tous les cas ni écarter à priori toute possibilité de faits qui tiennent réelle-ment du mystère ou du prodige.

Lucifer doit bien avoir quelques petits intérêts à entretenir par ici ; pour ce qui est de ses capacités, il suffit de se rappeler qu'avant sa défection il était le premier des Anges !

Dans ces pseudo-miracles, phénomènes d'auto-suggestion et d'hypnotisme, faits réellement extraordinaires attribués aux angalko, tout s'embrouille sans qu'il soit désormais possible de démêler le factice du vrai.

Les vieux sorciers, les « capables » sont morts ; la sorcellerie est à peu près disparue avec l'apparition de la croix du Christ dans ce paganisme pur.
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Abbé Zins
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Saint Pierre, d'un simple signe de croix, ne fit-il pas s'abattre Simon le Magicien qui singeait l'ascension du Sauveur ? Il en fut de même ici.

J'ai entendu cet aveu :

« — Depuis que vous êtes venus, nous sommes finis ! »

— Depuis que j'ai reçu le baptême, je ne puis plus rien », m'avouait, avec un soulagement où perçait pourtant une pointe de regret, un puissant sorcier, à la suite d'une séance que lui avaient réclamée ses anciens clients.

« — Depuis qu'il y a des chrétiens chez nous, il n'y a plus d'agiortok (de mauvais Esprits) ; ils sont partis », me disait, et avec combien de joie, un bon vieillard. Jadis il n'en était pas ainsi.

Si l'on présentait les malades à ces sorciers, c'est qu'ils avaient opéré de superbes guérisons, quand bien même leur intervention s'était montrée cruelle, terrifiante et diabolique.

Si, dans les tempêtes et les intervalles de famine, on les priait de s'interposer, c'est que, grâce à certains pouvoirs supérieurs, ils étaient parvenus quelquefois à conjurer le péril ou que, par divination et extraordinaire habileté, ils en avaient prévu la fin.
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Quant aux exploits personnels des angalko, accomplis pour établir leur prestige et leur domination, encore une fois, il ne nous est plus possible de les analyser.

Pour tous les cas néanmoins, les Esquimaux, eux, n'admettent aucun doute et restent aussi affirmatifs. On le leur a affirmé ; ils le croient. L'Esquimau ne discutera jamais l'opinion d'autrui ; cette sympathie (au sens étymologique du mot) va même si loin que tous se mettent à rire si l'un d'entre eux rit, que tous partent en pleurs si l'un d'eux se prend à pleurer.

Il reste toutefois certaines prouesses, d'anciens sorciers, qui échappent à toute explication.

Nipalariuk était un angalko de grande classe. Il volait comme un ange (il volait aussi... comme un voleur !), voyait à distance, devinait les secrets ; c'était un fameux médecin, qui tuait cependant autant de gens bien portants qu'il guérissait de malades ; il prodiguait les faveurs, mais se ménageait surtout celles des femmes de son prochain...

Bref, il avait vraiment fini par devenir une calamité publique ; on décida de s'en débarrasser.

Par trois fois, il fut ou poignardé ou étranglé et par trois fois sa femme, obéissant à ses instructions prévoyantes, le ramena à la vie ; elle-même fut alors abattue pour permettre de frapper enfin le sorcier sans rémission.

Le nom abhorré de Nipalariuk fut néanmoins donné à l'un de ses petits neveux qui, du fait même, suivant leurs croyances, hérita de son esprit ; cet avorton qu'était Nipalariuk II prouva cependant qu'il en tenait.

Quelqu'un lui ayant accidentellement lâché, à bout portant, une double décharge de plomb dans le dos, ses vêtements furent troués et brûlés, mais son corps n'eut pas une éraflure !

Du moment que plusieurs affirmaient avoir été témoins du prodige, tous y croyaient dur comme fer.

Je demandai à « Nipalariuk » lui-même si c'était vrai :

« — Oh ! oui, me répondit-il, mais cela vient de l'autre Nipalariuk, « l'intuable ! » — Pourrais-je essayer pour voir ? » continuai-je malicieusement.

« — Non ! plus maintenant, j'ai perdu son esprit ! »... Et il m'expliqua adroitement qu'il avait subi une contre-initiation qui l'avait dépossédé... sans le bonifier hélas !

J'ai parfaitement connu le sorcier Komagak. Pour me permettre d'obtenir à huis-clos et à voix basse l'un ou l'autre récit de ses prouesses, il fallait le savoir parti en voyage, car le gaillard avait, paraît-il, fine oreille.
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DIEU OU... DÉMON ?



Voici une merveille que beaucoup avaient vue de leurs yeux, ce qui s'appelle vu : Komayak en veine pouvait faire jaillir un geyser au beau mitan d'un iglu ; ensuite, après consultation
de « ses docteurs » et quelques douzaines de gestes cabalistiques, il s'amputait au genou la jambe qu'il jetait dans la tige d'eau bouillante ; nouvelles consultations, nouvelles passes mystérieuses, il repêchait sa jambe pour la remettre en place en faisant constater à tous qu'il se portait le mieux du monde...

De mon temps, il avait vieilli ; sa virtuosité était en baisse, mais étonnait encore ; c'est ainsi qu'en pleine démonstration il devinait que j'étais aux écoutes au dehors sans avoir la moindre possibilité d'en être averti...

C'était par une de ces nuits opaques d'automne ; le vent furibond secouait les tentes, les vagues s'écrasaient lourdement sur la grève.

Deux jeunes filles entrèrent chez moi, apeurées, comme pour chercher refuge ; je les questionnai ; elles étaient épouvantées : Komayak faisait encore de la sorcellerie, là, à quelques mètres de la Mission ! J'accours, m'approche à pas feutrés de la tente de peaux, prête l'oreille...

Cela ne tarde pas ; j'entend dans une suffocation : « — Krablunak, manitok ! (Un Blanc est là !) » Je veux entrer aussitôt, mais tout est barré. Je les oblige à ouvrir et m'installe debout au milieu de l'assemblée.

Accroupis dans la pénombre tout autour de la tente, catholiques, protestants et païens dardaient leurs yeux vers le lit où, sur les peaux, assis en Bouddha, se tenait un homme que je ne reconnaissais pas : une face blême, des yeux dilatés qui ne voyaient plus, des mains qui remuaient convulsivement des osselets.

Toujours debout, j'attendis devant Komayak qui ne semblait pas m'apercevoir ; ses lèvres prononçaient des moitiés de mots qui n'avaient pas de sens et des syllabes incompréhensibles.

Je crus finalement deviner qu'il parlait à quelqu'un ou de quelqu'un qui n'était pas là. Après quelques instants, je l'appelai : « — Komayak ! »... Un silence ! Lentement sa figure redevint normale, ses yeux reprirent leur forme naturelle...
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