Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XIII

Au Nord et au Sud

(suite)

Il allait incontinent inaugurer sa vie sacerdotale avec le titre de fondateur et directeur d'une nouvelle mission, celle de Pond Inlet, qu'on allait mettre sous la protection du Sacré-Cœur de Jésus.

Ce qu'on appelle Pond Inlet, ou la longue baie de Pond, n'est ni inlet ni baie, mais plutôt un canal naturel, ou passage par eau, entre l'île Bylot et la Terre de Baffin, au nord de cette dernière. C'est la mission la plus septentrionale du monde, située comme elle est par le 72° 40' de latitude et le 77° 43' de longitude. La gendarmerie canadienne y a un poste, ainsi que la compagnie de la baie d'Hudson.

Le pays est montagneux et pauvre en gibier terrestre, mais le détroit, ou canal, possède, en outre du phoque et du requin, un cétacé d'aspect original, le narval, espèce de baleine dont une des dents frontales se projette en avant chez le mâle, comme une défense d'ivoire, presque aussi longue que la moitié de son corps, qui est loin d'être court. Indépendamment de l'huile et de l'ivoire qu'il fournit, ce cétacé offre dans sa peau elle-même une ressource alimentaire recherchée, un mets des plus délicats. Il est vrai que cette peau n'a pas moins de deux centimètres, soit trois quarts de pouce, d'épaisseur.

A cause de sa situation géographique, bien avant sous le cercle polaire (9), ce pays est extrêmement froid et ses jours très longs, ou très courts, selon la saison. Dès la première moitié de septembre, la neige y recouvre le sol et y reste jusqu'en juillet, tandis que, pendant l'hiver, la nuit dure la valeur de 92 jours et nuits solaires ordinaires, alors qu'on voit les étoiles en plein midi, et qu'on ne peut guère sortir sans fanal.

La première idée d'y fonder une mission vint d'une…
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(9) Qui, comme chacun sait, coïncide avec le 67°.
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Louis Mc Duff
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Au Nord et au Sud

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La première idée d'y fonder une mission vint d'une lettre d'un agent de commerce, qui connaissait Mgr Turquetil pour avoir voyagé avec lui à bord du Nascopie. Ce protestant pensait que seule la religion pourrait faire des Esquimaux de bons chasseurs, des gens actifs et assez honnêtes pour payer leurs dettes.

Il en écrivit aux autorités de sa propre secte, qui refusèrent d'accéder à sa requête. Il s'adressa alors au Père Turquetil. C'était en 1923, alors que celui-ci était encore sous la juridiction de Mgr Charlebois. En 1927, le premier étant devenu indépendant de ce prélat, décida d'y faire une fondation, que le naufrage du Bay Ungava remit forcément à plus tard.

Le projet fut repris en 1929, et, au mois de juillet de cette année, les PP. Girard et Bazin prenaient le Nascopie à son passage à la Baie, pour atteindre Pond Inlet le 2 septembre suivant.

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Il n'était que temps. Quelques minutes avant qu'ils eussent pu mettre pied à terre, non seulement deux ministres anglicans (qui ne devaient pas vivre longtemps en bonne harmonie ensemble), mais l'un de leurs bishops, ou soi-disant évêques, venu l'on ne sait d'où et qui n'avait point autorité sur le pays, trouvèrent le moyen de débarquer parmi les Esquimaux. A l'aide d'un interprète, ce prétendu prélat s'empressa alors de donner aux indigènes les marques de la véritable Eglise de Jésus-Christ, selon sa théologie toute spéciale.

— Les vrais prêtres, assure-t-il, sont ceux qui sont habillés en hommes. N'ayez rien à faire avec ceux qui portent des robes comme les femmes — par allusion au port de la soutane. Ceux-là mènent le monde en enfer.

Et en moins d'un quart d'heure, les Esquimaux présents étaient baptisés ! ...

Depuis lors, la grande tactique des révérends…
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Louis Mc Duff
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Au Nord et au Sud

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Depuis lors, la grande tactique des révérends, fut de réunir les Esquimaux au moment précis où le prêtre catholique aurait eu besoin d'eux : le soir, qu'il aurait voulu consacrer au catéchisme, et le matin, alors qu'il célébrait la sainte messe. Dans ce but, ils les attiraient et les retenaient fort tard dans la nuit, les occupant à des jeux, à des vues cinématographiques, à des thés avec biscuits, etc., en sorte que le lendemain matin ils ne pouvaient se lever assez tôt pour assister à la messe.

Les chasseurs y gagnèrent-ils, dans ce pays où les jours sont si courts? Qu'importe; ils avaient un bon repas chaque soir, et cela remplaçait peut-être les phoques et autre gibier qu'ils eussent pu prendre. Dans tous les cas, les ministres réussissaient de cette manière à en éloigner un certain nombre du prêtre qui « mène le monde en enfer ».

Malgré tout, le catholicisme devait finir par s'implanter sur ces plages lointaines et désolées. En dépit des différences dialectiques de la langue locale, le P. Girard put commencer ses instructions dès le mois de décembre 1929, pendant que son compagnon s'efforçait de pénétrer dans ses arcanes plus ou moins rebutantes. Le 12 février 1930, après leurs 92 jours d'obscurité, l'un et l'autre Pères étaient heureux de gravir une côte avoisinante pour saluer le soleil, qui faisait alors une très courte apparition après s'être caché si longtemps.

La population de Pond Inlet avait reçu dans son sein, et gardé une année entière, deux familles chrétiennes de Chesterfield — toujours le nomadisme ! — et en avait profité pour copier les livres du prêtre et apprendre ses cantiques. Les Esquimaux de la place n'avaient jamais vu de prêtre, mais désiraient ardemment sa venue parmi eux. Ce fut donc avec de véritables transports de joie que, en dépit des ministres, ils avaient reçu leurs deux messagers de Jésus-Christ, dans la personne des PP. Girard et Bazin.

Ces aborigènes étaient déjà chrétiens de cœur. Aussi, après leur avoir donné une quarantaine d'instructions sur le catéchisme, les deux Pères crurent-ils pouvoir en baptiser vingt-deux, vieillards et enfants pour la plupart, dont huit eurent bientôt après le bonheur d'être admis à la première communion.

Le 1er août 1930, le P. Bazin, heureux comme son supérieur, écrivait à son tour, s'extasiant sur la longueur des jours polaires: le soleil tournait sans cesse dans le ciel pour ne se coucher qu'au bout de 92 jours, disait-il. « C'est commode pour voyager », ajoutait-il; « et l'on fait à la maison des économies de luminaire » (10).

Les succès de nos missionnaires sur les différents points où ils s'étaient jusque-là établis…
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(10) Missions des O. M. I., 1930, p. 400.
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Louis Mc Duff
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Au Nord et au Sud

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Les succès de nos missionnaires sur les différents points où ils s'étaient jusque-là établis furent dus non seulement à leur zèle infatigable, mais encore et surtout à la merveilleuse assistance de leur grande protectrice, sainte Thérèse de Lisieux, qui ne cessait de veiller sur eux et de donner à leurs ouailles des preuves frappantes de sa toute-puissance sur le Cœur de Dieu.

C'est ainsi que l'automne précédent, 1929, Mgr Turquetil ayant appris par le directeur d'une mission où il arrivait que la femme d'un païen fort connu dans le pays se mourait, il se rendit chez elle, et constata que le médecin du fort de la Compagnie avait déclaré qu'elle achevait d'expectorer son deuxième poumon.

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Touché de son état pitoyable, non moins que de l'endurcissement de son mari, le prélat demanda à ce dernier :

— Si notre bonne sainte Thérèse guérit ta femme, embrasseras-tu notre religion?

— Grand Père, répondit-il, si ta sainte fait cela, je te promets d'aller me faire instruire à la Maison de la Prière.

— Entendu, fit Turquetil ; nous allons prier la petite sainte.

Et, de concert avec sa femme, qui était catholique, il commença une neuvaine.

Quelques jours plus tard, la jeune Esquimaude était en parfaite santé! La grande Patronne des missions lui avait obtenu une nouvelle paire de poumons ! ... En veut-on une preuve? Elle courut tout l'hiver devant les chiens de son mari, pendant les voyages, en vue de les encourager dans leur tâche de tirer le traîneau — l'exercice le plus dur pour les poumons qui se puisse imaginer (11) !

La chère petite sainte aidait encore nos missionnaires en aveuglant, pour ainsi dire, même les ministres protestants. Ainsi, tel révérend, installé avant nos missionnaires à telle et telle place, décidait de prendre des vacances dans la civilisation, puis de les prolonger. Heureuse absence, qui permettait au prêtre de travailler à sa place, en sorte que les Esquimaux le voyant à l'œuvre sans relâche, comparaient instinctivement les deux espèces de pasteurs, et se rangeaient du côté de celui qui n'abandonnait point ses ouailles.

L'année suivante, 1930…
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(11) Ibid., ibid., p. 435.
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CHAPITRE XIII

Au Nord et au Sud

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L'année suivante, 1930, celui qui était l'âme et l'esprit dirigeant de tous les développements jusqu'ici chroniques, Mgr Turquetil, allait faire une fondation dont l'importance, sous certains rapports, devait éclipser celle de toutes les autres.

Depuis longtemps, l'Ouest canadien, devenu comme le grenier d'abondance du monde, réclamait un débouché pour ses produits, son blé et ses bestiaux, considérablement plus proche que Fort-William et Montréal, dont l'éloignement des plaines occidentales entraînait des frais de transport exorbitants; sans compter que la traversée des côtes de la baie d'Hudson en Angleterre était notablement plus courte que celle de Fort-William à Liverpool.

Après des tiraillements sans fin, on s'était mis à construire une ligne de chemin de fer qui devait aboutir à Port-Nelson, sur cette mer intérieure. Puis, des examens topographiques ultérieurs avaient porté les autorités à s'arrêter sur un point où un poste de traite avec Indiens et Esquimaux était établi depuis les temps héroïques du commerce des fourrures. Par l'intermédiaire d'aventuriers aussi osés que belliqueux, la France disputait alors la suprématie à l'Angleterre sur ces plages sauvages.

Image 56.
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C'était Churchill, à l'embouchure du fleuve du même nom, par 58° 46' de latitude et 94° 10' de longitude ouest. Comme tête de ligne du chemin de fer de la baie d'Hudson, ce poste ne pouvait, en dépit de sa situation géographique en pays si froid et malgré le caractère rocailleux de son terrain (V. la gravure 56), que prendre une importance hors ligne au point de vue commercial.

Mgr Turquetil était trop perspicace pour ne pas le sentir; il s'était jusqu'alors montré trop actif, trop entreprenant pour ne pas prendre ses précautions en conséquence, et s'implanter fermement dans la métropole en herbe avant qu'il ne fût trop tard.

Aussi le voyons-nous, dès le 28 juin 1930, camper sous la tente au site de la future ville, après avoir passé de longues semaines en pourparlers avec les autorités du chemin de fer, avec le Gouvernement fédéral, ainsi que celui du Manitoba, dans les limites duquel se trouvait la nouvelle place, sans compter de fastidieuses négociations avec divers fournisseurs, des directeurs de messageries, etc., à propos d'expéditions à faire à ses missions. On n'en était plus aux jours du petit orphelin de Reviers!...

Il était alors en train de se construire un petit hangar de 6 mètres carrés, pour abriter ses marchandises — le chemin de fer et le nouveau port devant le libérer de la si longue et si dispendieuse route du Nascopie. Il bâtissait aussi une église provisoire de 9m,15 sur 9m,15.

En outre, l'entreprenant prélat…
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Au Nord et au Sud

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En outre, l'entreprenant prélat s'était procuré un bateau à moteur, qu'il avait baptisé le Thérèse, et qui venait d'arriver par le train après bien des hésitations et tergiversations, vu qu'il était plus large que les wagons, et qu'on avait dû le faire passer par des voies spéciales.

Ce n'était pourtant pas un transatlantique, bien s'en faut, et il n'était destiné à faire concurrence à personne: 12 mètres 50, soit environ 42 pieds, de long, sur 3 mètres 75, ou 12 pieds et demi, de large. Son moteur avait une force de 50 à 70 chevaux-vapeur, et il était garanti pouvoir faire au moins douze milles à l'heure. Il pesait huit tonnes sans son moteur, avait trois voiles, et les ingénieurs du port, charmés de l'esprit d'initiative du prélat catholique, l'avaient eux-mêmes mis à la mer pour lui.

Ecoutons maintenant l'excellent administrateur et homme d'affaires qu'était le préfet apostolique, nous rappelant qu'il avait alors à Churchill pas moins de sept wagons de marchandises pour ses différentes missions, celle de cette place y comprise:

« Voici le but et l'avantage de ce petit bateau... D'abord je suis sûr de pouvoir aller visiter nos Pères de Southampton Island cette année ; je n'ai plus à dépendre des compagnies comme par le passé: cela seul justifierait l'entreprise. De plus, la Compagnie demande 45 dollars la tonne d'ici au cap Esquimau (180 milles) ; mettez en moyenne une douzaine de tonnes de marchandises pour cette mission (en comptant le charbon naturellement), et voilà 540 dollars.

« Même si nous n'allions jamais à la voile et toujours à toute vitesse, ce qui prend plus de gazoline, je puis faire le voyage, aller et retour, pour 175 dollars, gazoline, vivres, etc., tout compté. Avec un peu de bon vent, il est certain que j'épargne 400 dollars par voyage, car je puis mettre facilement de douze à quinze tonnes de marchandises dans le Thérèse .

« Du cap Esquimau à Chesterfield, j'épargne encore 300 dollars par voyage, et autant de Chesterfield à Baker Lake. Si je puis faire plusieurs voyages, je compte économiser 2.000 dollars sur les transports. L'an prochain, une fois mieux organisé et la première expérience faite, ce sera peut-être davantage. En trois ans au plus, le bateau aura payé ses frais de construction et de transport, et il sera peut-être temps de penser à en avoir un plus gros : tout dépendra des conditions de transport qui nous seront faites alors » (12).
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(12) Ibid., ibid., p. 394.
A suivre : Chapitre XIV. Progrès et Dangers.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XIV

PROGRÈS ET DANGERS

Le Thérèse ne fut pas longtemps sans être mis à l'essai. En quelque deux mois, il avait fait 3.200 milles sur mer, et il serait bien inutile d'ajouter que cette croisière était loin d'être une partie de plaisir.

Dès le 2 juillet 1930, Mgr Turquetil partait pour le nord à bord du petit bateau, en compagnie d'un Frère mécanicien, d'un Frère ouvrier et d'un jeune pilote esquimau emprunté au Cap Esquimau. A cette place, tout le monde était malade, même le vieux Pierre, l'homme de confiance du prêtre, qui connaissait à fond les récifs et les passages difficiles de la route à suivre. Il n'en monta pas moins à bord, dans le but de donner ses directives tout en restant couché à l'abri du vent.

On arriva ainsi à Chesterfield Inlet le 17 juillet, immédiatement après la débâcle des glaces.

Deux jours après, le Thérèse partait pour le lac Baker. Il trouva cette pièce d'eau encore endormie sous la glace de l'hiver. A peine y avait-il une lisière d'eau le long de la côte nord. Après une attente inutile, on rebroussa chemin, descendant à la course le courant doublé de la marée baissante, toutes les voiles en l'air et le moteur à pleine vitesse.

Soudain un choc : le bateau bondit, se couche sur le côté et, dans cette position, de par l'élan qu'il avait pris, passe au-dessus d'un écueil ! Ce n'était plus Pierre qui conduisait la barque, mais un jeune Esquimau. Heureusement que sainte Thérèse était là, et para à l'ignorance ou l'imprudence du pilote.

Son embarcation n'en fut pas moins endommagée. A la Mission centrale, on répara de son mieux les dégâts, et le 30 on repartit, cette fois pour Southampton, qu'on atteignit sans encombre (1).

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Là, un vrai délire de joie…
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(1) Après avoir traversé le courant du pôle nord, qui est assez fort pour empêcher parfois l'eau de geler en hiver.
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PROGRÈS ET DANGERS

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Là, un vrai délire de joie, d'après le chroniqueur (2) . Il est dix heures et demie du soir, et le brouillard est épais ; tellement qu'on a entendu pendant trois heures le bruit de son moteur, sans rien voir arriver. En sorte qu'on en a conclu à tort que ce moteur doit être bien faible. Lorsque le bateau émerge enfin des profondeurs de la nuit, et qu'on aperçoit ses lumières blanches, rouges et vertes, on se précipite à sa rencontre. Les voyageurs du Thérèse sont reçus en triomphe, et l'effet moral de son arrivée doit être incalculable sur catholiques et protestants.

Le lendemain, vingt-trois Esquimaux recevaient le sacrement de confirmation, ce qui trahit un progrès appréciable pour la mission, en dépit des efforts des sectaires. Puis on alla en visiter d'autres qui demeuraient plus loin. Enfin, après une traversée de quarante-cinq heures sans arrêts ni accidents, on rentrait à N.-D. de la Délivrande, ou Chesterfield.

Après deux autres voyages au lac Baker et un repos relatif à la Mission centrale, on se remit en route pour Churchill, où l'on arrivait vers la fin de septembre, sain et sauf, mais non sans avoir couru de sérieux dangers, à cause de la saison : celle de l'équinoxe d'automne, fameuse pour les tempêtes qui l'accompagnent d'ordinaire.

L'une de ces tempêtes dura cinq jours et cinq nuits : des montagnes liquides, se poursuivant les unes les autres, et se brisant sur les écueils et les rochers du rivage. Pendant ce temps, deux ancres et un câble retenaient le Thérèse à l'abri d'une pointe rocheuse.

Le 3 octobre, fête de sa glorieuse patronne, le temps était de nouveau mauvais et menaçant, faisant danser le bateau comme une coque de noix sur l'eau. Mais la petite sainte y mit le holà, et tout se calma.

Comme pour mieux faire constater le danger couru et l'efficacité de la protection dont on avait bénéficié, on vit à moitié chemin les restes d'un bateau de mineurs échoué durant la tempête, et abandonné. Le vent l'avait juché jusque sur le haut des rochers, à plus de vingt pieds au-dessus de la marée haute, tandis que le lendemain on apprit, en abordant à Churchill, qu'une grosse goélette de la Compagnie, le York, avait subi le même sort : trois ancres n'avaient pu la retenir, et elle s'était brisée à plus d'un mille dans l'intérieur des terres (3).

L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas…
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(2) Missions des O. M. I. pour 1931, p. 90. — (3) Le terrain étant assez bas en ce point de la Côte.
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PROGRÈS ET DANGERS

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L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas encore ouvert au public, le Gouvernement voulant prévenir l'engouement des imprudents et ces spéculations à l'américaine qui enrichissent quelques-uns et appauvrissent le plus grand nombre. L'église catholique était bien debout, mais

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inachevée, ou plutôt mal achevée. Par exemple, le papier goudronné destiné à rendre murs et toit imperméables, n'ayant point été appliqué en des conditions propices, la pluie ou la neige qui s'est accumulée entre la voûte et le toit n'attend que le moment où un trou, une fissure s'y forme pour tomber en cataractes sur la tête des fidèles.

Regis ad instar, la demeure du préfet est pauvre et son aménagement incomplet. Elle n'a même pas de poêle, un gros bidon à essence (gazoline) le remplace. On l'a percé en dessus pour recevoir le tuyau, et en avant pour y installer une porte en tôle. Ce qui n'empêche pas un ministre du Gouvernement fédéral de rendre visite au prélat catholique, dont le lit sert alors de fauteuil au grand homme.

L'hiver étant arrivé, les travaux de la future ville sont suspendus, et les 250 catholiques blancs de Mgr Turquetil partis et dispersés aux quatre coins du ciel.

Ailleurs on s'ingénue à compléter ou améliorer les premières installations. Ainsi l'église du cap Esquimau, la plus grande de la préfecture, se termine. Une allonge s'ajoute maintenant à la maison des Pères de Southampton. A Pond Inlet, on a expédié du bois pour remédier au mauvais état de la première construction. Au lac Baker, la Mission se trouvant, par suite de certains développements, en dehors du village, le préfet apostolique a acheté deux bâtisses de mineurs qui ont abandonné la place.

Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles…
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CHAPITRE XIV

PROGRÈS ET DANGERS

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Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles, est l'établissement d'un hôpital à Chesterfield. Avec un esprit d'initiative et une sainte audace dont on trouve peu d'exemples dans l'histoire des missions, étant données les conditions tout à fait spéciales de celles de Mgr Turquetil, ce prélat en avait justement fait construire le bâtiment, à l'érection duquel il avait travaillé, ainsi que ses compagnons, pendant ce « repos relatif » qu'il avait pris là au cours de la croisière qui lui avait permis de visiter quatre de ses postes.

Cet hôpital, de beaucoup la plus grande bâtisse du pays, avait 40 pieds sur 60, trois étages, y compris le rez-de-chaussée ou soubassement, et reposait sur des fondations en ciment. Dans l'automne de 1930, la toiture en était terminée, et deux tempêtes successives, avec vent de 48 à 50 milles à l'heure selon les instruments du Gouvernement, ne purent l'ébranler. Les PP. Ducharme et Rio, aidés du Fr. Volant qui, paraît-il, y travaillait avec tant d'ardeur qu'il en oubliait ses marmites, en avaient été les ouvriers constructeurs, ou entrepreneurs.

Des Sœurs Grises de Nicolet, qui ne voulaient pas rester en arrière en fait d'esprit de sacrifice, devaient venir l'année suivante prendre charge de la nouvelle institution, et prodiguer les marques de leur dévouement aux membres souffrants de Jésus-Christ sur ces plages désolées.

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Au moment même où nous en sommes dans notre récit, pareille institution de charité aurait rendu les plus grands services en deux autres missions, celle du cap Esquimau et celle de l'île Southampton, sans compter Churchill lui-même, qui se dégarnissait pourtant à l'approche de l'hiver.

Ce n'était ni plus ni moins qu'une épidémie de pneumonie, qui fit alors de grands ravages parmi les Esquimaux. Puis, à Chesterfield, ce fût la mort de Pierre, l'un des premiers convertis de 1917. Ce n'est pas la pneumonie qui l'emporta, mais il quitta ce monde après six années de souffrances, supportées avec une patience qui faisait l'admiration de tous.

— Celui-là est un vrai chrétien, disaient les infidèles; autrement il y a longtemps qu'il se serait suicidé.

Le docteur lui ayant fait une piqûre de morphine, il resta six jours sans connaissance. Quand il revint à lui, il parla longuement de son bonheur d'être chrétien, suppliant tous ceux qui venaient le voir d'être fermes dans leur foi, de se montrer chrétiens de fait et non pas seulement en paroles.

— Pour moi, ajoutait-il, je vais m'éteindre comme une pipe à bout de tabac; mais c'est Jésus qui est le maître de ma vie : il fera de moi ce qu'il voudra.

Il mourut des suites d'un accident, dû à l'intrusion de la civilisation dans son humble foyer. Il avait une lampe à pétrole, que sa femme, aveugle, crut baisser avant de s'endormir le soir. Malheureusement elle fit tout le contraire; elle la haussa démesurément, en sorte que le lendemain matin, le P. Ducharme, appelé en toute hâte, ne trouva chez le bon vieux qu'un nuage d'épaisse fumée. Il parvint à sortir les quatre personnes qui habitaient son gîte ; mais le pauvre Pierre, sans connaissance, en mourut quatre jours plus tard.

Au cap Esquimau…
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