Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVIII

ENCORE LES IGLOULIKS

Le vicariat apostolique de la baie d'Hudson comptait dès lors huit missions en règle, à savoir, commençant par le sud, celles de Churchill, du cap Esquimau, de Chesterfield, de baie Repulse, d'Igloulik, de Pond Inlet, et, à l'ouest et à l'est de la mission centrale, le lac Baker et Southampton. En ce qui est des distances intermédiaires entre chacune, elles sont approximativement les suivantes:

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Puis viennent les missions de Southampton, à l'est de Chesterfield: 280 milles, et du lac Baker, 210 milles à l'ouest de la mission centrale.

En traîneau à chiens, il faut ajouter un tiers de la distance, à cause des détours forcés, pour éviter les mauvais pas, dans les pierres ou dans les buttes.

Mais chaque mission peut, au besoin, communiquer avec sa voisine, la distance moyenne entre chacune étant de 330 milles en traîneau à chiens. Cependant les communications entre l'île de Southampton et les autres points ne sont jamais sûres en hiver. Il faut que la glace prenne solidement entre l'île et le continent, ce qui n'arrive pas tous les ans.

Le lecteur n'en manquera pas moins de remarquer comme ces points géographiques ont été bien choisis. Et cette circonstance ne pourra que rehausser encore son opinion de l'habileté de l'organisateur auquel toutes ces fondations sont dues. Ses postes sont comme autant de points stratégiques, grâce auxquels les missionnaires des différentes stations peuvent s'entr'aider.

Quant à la mission la plus récente, en ce qui est de son établissement, un coup d'œil sur la carte révélera le fait que les îles Iglouliks sont au nombre de trois, situées juste au nord-est de la péninsule de Melville, sur le chemin entre Pond et Repulse, leur position géographique précise étant, pour l'une d'elles, la latitude 69° 21' et la longitude 81° 49'.

Mais ce n'est point sur elles que notre intrépide missionnaire, le P. Bazin, a élu domicile. Il réside sur une plus petite île appelée Abvajak, qui se trouve à l'ouest, entre le continent et l'île Igloulik du sud-est.

Et cela nous ramène à notre humble héros, dont nous n'avons encore cité que la première moitié du journal, partie qui n'était destinée qu'à nous donner une idée de son genre de vie plutôt pittoresque. Le démon semble avoir été furieux du bien qu'il y faisait à une population neuve et libre de toute contamination due au contact avec les blancs. Comme dans le cas du saint homme Job, il obtint apparemment la permission d'éprouver l'humble serviteur de Dieu. Il nous reste à voir comment celui-ci prit cette épreuve et quelles en furent les suites.

Le tout se trouve consigné dans des notes périodiques que la revue officielle des Oblats, a publié sous le titre de Journal d'un Apôtre, notes qui ont fait le tour d'une certaine presse, anglaise et allemande aussi bien française.

Ce journal avait été commencé le 25 juillet 1933, et, comme le premier, il était destiné à Mgr Turquetil. Mais il ne parvint au prélat que treize mois après le désastre par lequel il commence, c'est-à-dire au mois d'août 1934. Je me suis permis d'abréger quelque peu celui du chapitre précédent; je citerai celui-ci textuellement et sans aucune coupure. Le voici : …
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(suite)

Ce journal avait été commencé le 25 juillet 1933, et, comme le premier, il était destiné à Mgr Turquetil. Mais il ne parvint au prélat que treize mois après le désastre par lequel il commence, c'est-à-dire au mois d'août 1934. Je me suis permis d'abréger quelque peu celui du chapitre précédent; je citerai celui-ci textuellement et sans aucune coupure. Le voici :

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« Ile d'Abvajak, 25 juillet 1933. — Monseigneur et bien-aimé Père. — Une grande épreuve vient d'atteindre notre petite installation ici. Hier matin, je venais de finir ma messe, et quelques instants après, l'église a brûlé; il n'en reste plus rien. Un moment d'inattention de ma part, une bougie a mis le feu, et, en quelques minutes, tout a flambé comme une torche.

« Tout ce que j'ai pu sauver est la sainte Réserve, trois petites hosties dans une custode ; puis du dehors en cassant une vitre, j'ai pu sauver mon livre de prières en esquimau. J'ai versé des centaines de seaux d'eau sur le brasier — le petit lac est à quelques mètres de distance. Ainsi je puis vous écrire sur ce papier avarié, retrouvé dans les décombres, le lendemain.

« A part la soutane que j'ai sur le dos, je n'ai plus rien, absolument rien. L'église, c'était la maison, c'était le grenier aux vivres, c'était tout, et tout est disparu.

« Lorsqu'il n'est plus resté que des charbons fumants, je n'ai pu que tomber à genoux, et faire un acte de soumission à la volonté du bon Dieu. Trois années d'efforts, de sacrifices, de souffrances, anéanties en quelques instants! Que le bon Dieu me pardonne au moins mes péchés, et sauve les Esquimaux! Je n'ai plus ni bréviaire, ni rien pour dire la messe. Je suis seul dans mon île pour le moment; les Esquimaux ne doivent venir que dans huit ou quinze jours, peut-être plus tard, quand la glace sera partie. Actuellement elle est dangereuse. Jusqu'à leur arrivée, je n'aurai qu'à mettre un cran à ma ceinture (1).

« Hier, au moment de l'incendie, il y avait un fort vent du nord-ouest; aujourd'hui calme plat. Il y en a des moustiques! Je n'ai pas de tente ni aucun abri. Je ne sais trop comment je m'installerai cet été et l'hiver prochain. Ce sera probablement chez une famille esquimaude. Après Noël je descendrai sans doute à Repulse Bay, chez le P. Clabaut, qui m'a invité; puis, si je n'ai pas de contre-ordre de vous, je reviendrai ici (2).

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« Pour revenir à la maison-chapelle qui n'est plus, vous avez su par le P. Girard que nous avions réussi à transporter ici une centaine de bouts de planches, avec lesquelles j'avais agrandi la chapelle, en la séparant de ma chambrette à coucher. Je venais de terminer le travail de peinture et de décoration (3). Les Esquimaux venus récemment étaient si contents d'avoir une vraie chapelle pour y prier le bon Dieu!

« C'est vrai que je ne suis pas plus pauvre aujourd'hui que je ne l'étais quand je vins ici pour la première fois…
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(1) C'est-à-dire qu'il devait souffrir de la faim : plus rien à manger, et personne pour lui en donner! — (2) Si je ne me trompe, son supérieur n'a encore pu communiquer avec lui! — (3) Disons ici que l'on possède à Churchill un tableau à la plume du P. Bazin, qui le révèle comme un dessinateur de mérite.
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Louis Mc Duff
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« C'est vrai que je ne suis pas plus pauvre aujourd'hui que je ne l'étais quand je vins ici pour la première fois; mais je suis bien plus malheureux, car je ne puis même pas dire la messe. Si longtemps sans messe ni bréviaire, c'est pénible. Je porte sur mon cœur la petite custode où sont les trois Hosties consacrées, et je la conserve ainsi. Je pourrai au moins faire ma visite au Saint-Sacrement, et me communier aux plus grandes fêtes. Si ce n'est pas liturgique, qu'y faire? J'en ai pour sept ou huit mois devant moi comme cela. M'enlèvera-t-on la consolation de communier quelquefois?

« Et avec cela, je me sens un grand désir de voir arriver les Esquimaux (4). Oh ! priez pour moi, Monseigneur, car je ne suis bon à rien.

« Comment le désastre s'est produit, le voici : Les planches que nous avions étaient de très mauvaise qualité : fendues en maints endroits, le vent s'y engouffrait et formait un gros courant d'air entre les deux cloisons de bois. On y remédiait de son mieux de temps en temps. Hier, c'était la tempête. Après ma messe et mon action de grâces, j'inspectai, à l'aide d'une chandelle, le dessous d'une petite fenêtre. A mon insu, la flamme fut violemment aspirée vers une fente mal bouchée, et le papier goudronnée entre les cloisons prit feu.

« J'essayai du dehors de soulever une planche du toit, pour envoyer un seau d'eau ; je n'en eus pas le temps : tout flambait déjà. Je voulus retirer et sauver au moins de quoi dire la sainte messe; je faillis y rester aveuglé et asphyxié par la fumée. Je ne pus sauver que les saintes Espèces. Du dehors, j'essayai de sauver quelque chose en cassant une vitre ; mais je ne pus attraper que mon livre de prières en esquimau, comme je vous l'ai dit.

« Après midi, j'ai fait des fouilles dans les décombres. J'y ai trouvé le petit calice fondu, à côté la pierre d'autel intacte, le linge qui l'enveloppe est à peine brûlé. J'ai retrouvé aussi parmi les charbons et les cendres une image de Guy de Fontgalland (5), qui était épinglée au mur.

« Peut-être trouverai-je quelques vivres encore mangeables. J'espère. Pour le moment, je n'ai qu'à pratiquer mon vœu de pauvreté à la lettre ; une seule chose me coûte, c'est de ne pouvoir dire la messe.
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« Le 8 août. Au camp d'Anaoksak. — Les Esquimaux sont venus me chercher le surlendemain de l'incendie. L'un d'eux avait senti la fumée à quinze kilomètres de mon île (6).

Ils mirent un canot sur le traîneau, et risquèrent de traverser….
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(4) Qui devaient le sauver de la famine. — (5) Enfant mort en odeur de sainteté. Il paraît qu'une foule de miracles sont dus à son intercession. — (6) D'aucuns se montreront peut-être sceptiques; mais je sais moi-même par expérience à quel point les sens sont développés chez les primitifs.
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Louis Mc Duff
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(suite)

Ils mirent un canot sur le traîneau, et risquèrent de traverser. Avec eux je pus visiter deux camps; dans quelques jours, nous retournerons à Abvajak. J'ai élu domicile chez le vieux Joseph Ikperiak. L'an prochain, j'aurai une tente pour l'été, en hiver la neige, la mousse, les roches ne manquent pas pour se terrer contre le froid.

« 25 août. Abvajak. — Nous sommes revenus. La Providence m'a aidé. Avec quelques bouts de bois pas trop calcinés, j'ai reconstruit en miniature, et vous écris avec une encre de ma fabrication. La nouvelle maison est couverte en peau de morse, une partie des murs est aussi en peau de morse. L'année prochaine on agrandira.

« 7 septembre. — Je suis allé explorer l'endroit où le chef avait vu du soi-disant charbon. Il y a bien une poudre noire, qui ressemble plus à la mine de plomb qu'à du charbon. Nous sommes allés aussi à la pêche, sur une rivière où les Esquimaux ont construit, il y a longtemps, un barrage en pierre, pour « trapper » le saumon qui remonte le courant. En quelques jours, nous en avons harponné quelques milliers pour l'hiver.

« Il y a quelques jours, un schooner est passé dans les environs, et s'est même arrêté une journée à Igloulik. J'étais absent. Quelques Esquimaux sont allés à bord; ils ne connaissaient pas un mot d'anglais, les blancs ne parlaient pas un mot d'esquimau ; ils n'ont pu se comprendre, et le bateau n'est pas venu ici. C'est dommage; j'aurais peut-être eu l'occasion de vous envoyer un mot.

« Par suite de la nécessité où je suis de me servir des vêtements et des couvertures des Esquimaux, je donne généreusement asile à des bataillons de petits locataires, qui se nourrissent gratuitement à mes dépens, sans demander permission. Comme je n'ai aucun moyen de leur interdire l'entrée de ma cellule, et que j'en recueille quelques nouveaux, à chaque visite des Esquimaux, j'invoque saint Benoît Labre, pour qu'il me donne la patience de supporter ces hôtes intempestifs (7). Après tout, mieux vaut faire son purgatoire ici-bas; je dois avoir bien des dettes inscrites au grand cahier de saint Pierre.

« Nous avons retravaillé la nouvelle demeure. Le toit est en broussailles, herbes et mousse, les vitres en intestins de morse; c'est assez transparent et lumineux, mais trop appétissant pour les chiens, qui mangent la fenêtre pendant la nuit. Dans deux mois, j'espère avoir des habits de caribou neufs; alors j'irai visiter le camp des Akkunermiouts, où une famille est très bien disposée.

« Ma santé est excellente, mes pieds sont guéris. Ils avaient souffert du fait que mes bottes surchauffées, brûlées même pendant l'incendie, s'étaient si bien ratatinées qu'elles m'avaient blessé. Quant à la fatigue, je ne la connais pas, n'ayant encore réussi à rien faire depuis quatre ans que je suis dans le pays (8).

« Il me prend parfois envie d'avaler une bonne tasse de breuvage chaud. Je fais chauffer de l'eau, je pense fortement au thé ou au café, je ferme les yeux pour aider l'imagination, et j'avale tout d'un trait.

« D'autres fois, il me prend envie de faire un bon repas à la mode des gens civilisés. Alors je fais cuire une demi-douzaine de haricots calcinés, informes, recueillis un à un dans les charbons éteints, après le feu. Je ferme les yeux une seconde fois, et me dis que c'est bon pour expier les péchés de gourmandise de ma jeunesse.

« Les morses abondent…
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(7) Chacun sait que, par esprit de mortification, Labre conservait sur lui, pour en être incommodé, ces petits êtres qui répugnent à tout autre. — (8) Inutile de faire remarquer qu'en cela le cher Père est le seul de son opinion.
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Louis Mc Duff
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« Les morses abondent. Les chiens seront bien nourris l'hiver prochain. Nous voyons des centaines de morses dormant paresseusement sur la glace flottante. Nous les approchons, en tuons au fusil; le bruit ne leur fait rien, ils vous regardent dédaigneusement et c'est tout.

« Entre eux, ils se battent. J'ai assisté à bien des batailles: j'étais là tout près, ils ne s'occupaient pas plus de moi que si j'avais été de l'autre côté de la baie. L'an dernier, il y avait disette, et les Esquimaux avaient mangé des charognes vieilles de trois ans (9). Imaginez l'odeur de cette pourriture.

« Pour ce qui est de l'instruction et de la vie spirituelle des Esquimaux, ils persévèrent bien. Le dimanche, je leur fais des instructions ; malheureusement plus de messe maintenant. Les jeunes sont faciles à instruire, bien qu'ils soient doués d'une facilité d'oubli peu ordinaire. Les vieux sont plus difficiles ; non qu'ils manquent de bonne volonté, mais ils se sont formés tout seuls, et s'étaient fabriqué un drôle de christianisme avant notre arrivée.

« Je pense à l'avenir. Je me dis qu'au mois de février prochain, à Repulse Bay, j'apprendrai le nom de notre Révérendissime Père Général, élu en 1932 (10). Probablement, je serai le dernier à en être informé.

« Une petite radio ne serait pas de trop par ici. Puis, en juin 1934, je compte recevoir mon courrier de 1931-32, si je reviens ici. Si j'ai ordre de rester ailleurs, ce sera pour 1935 ou 1936 ; mais ce sera du nouveau quand même.

« Les dernières nouvelles que j'ai eues de ma famille étaient de l'année précédente; celles-là sont arrivées en retard. Elles m'annonçaient la mort de ma bonne mère, de mon oncle, le vicaire-général, que vous avez rencontré en 1929, et d'une de mes tantes. Le bon Dieu leur a donné leur récompense. Puissé-je les rejoindre, quand mon tour viendra !

« 24 septembre. — Mon admiration pour saint Benoît grandit toujours. C'était vraiment un grand saint.

« 8 décembre, fête des Oblats. — Je revois la chapelle du scolasticat, l'Immaculée est tout de même une bonne Mère, même pour moi."
Image 75.
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« 25 décembre. — Noël, Noël. Pas de messe de minuit, ni d'aurore, ni du jour! Mais Noël tout de même, avec le sourire de l'Enfant-Jésus; Noël avec quelques consolations de la part de mes fidèles, et quelques espoirs du côté des païens. Noël ! Je souris en pensant à la dinde ou à l'oie d'autrefois. Elle est bien loin...

« Je me suis communié encore une fois; c'est Noël! Je me suis dit que…
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(9) II paraît que notre missionnaire dut parfois lui-même se nourrir de choses à peu près innommables. — (10) Le R. P. Théodore Labouré allait être élu Général le lendemain même du jour où ces lignes étaient écrites, c'est-à-dire le 8 septembre 1932.
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« Je me suis communié encore une fois; c'est Noël! Je me suis dit que ce n'est peut-être pas bien liturgique de conserver ainsi si longtemps les saintes Espèces sur moi ; mais sans autel, sans tabernacle, sans ornements, que faire? Si la Sacrée Congrégation des Rites ne m'approuve pas, je ne le saurai que dans combien d'années? Tout sera chose du passé alors. Et si quelque liturgiste y trouve à redire, je l'invite à venir partager mon genre de vie (11).

« Cette nuit, en chantant le cantique de Noël en esquimau, Merci, merci, Jésus est né, je me disais : Merci, merci, je suis aussi pauvre que lui à sa naissance; il doit m'aimer, et je me suis communié sans hésiter.

« Repulse Bay, 18 avril, 1934. — Venu faire une petite visite ici, un beau soir, j'ai surpris le P. Clabaut et le P. Henry, après cinq semaines de voyage. Leur mission nouvelle est déjà bien florissante. J'ai reçu un mot du P. Girard ; il m'annonce que vous avez bien voulu reconnaître ma pauvre mission d'Abvajak, et la nommer Saint-Etienne. Vous ne sauriez croire combien cette délicate attention de votre part m'a touché. Je vous en suis profondément reconnaissant.

« Mon grand espoir maintenant est de voir le « Pie XI » à Abvajak; la mission serait ravitaillée au moins une fois tous les deux ou trois ans, mais surtout nos gens seraient si heureux d'avoir une chapelle, et moi si content de voir le bateau du Pape des Missions, au 70° à Abvajak, affermir la conversion des néophytes et assurer celle des païens.

« Je termine, Monseigneur et bien-aimé Père, en vous disant toute ma reconnaissance et tout mon dévouement, mais en vous demandant aussi le secours de vos prières et de votre bénédiction.

Etienne BAZIN, O. M. I. »


Et maintenant il nous faut laisser nos héros modernes à leur grand silence blanc…
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(11) Une revue hebdomadaire de Vienne, en Autriche, le Schœnere Zukunft, après avoir résumé les tribulations du P. Bazin, dont la vie est simplement héroïque, assure-t-il, y remarque surtout « le Dieu de l'Eucharistie dans les glaces éternelles », s'il faut en juger par le titre de son article.

« Dans son total dénûment », écrit-il, « le missionnaire garde sa bonne humeur, comme il sied à un chrétien de cette trempe, qui sait avec certitude que Dieu permet tout ceci pour le plus grand bien. Même dans les glaces du pôle, un homme de prière n'est pas abandonné; il sait que son ange gardien se tient tout près de lui. Ce que le Père de Foucault, avec sa séraphique ferveur, a entrepris au nom du Christ dans le Sahara, le P. Bazin le réalise dans les glaces éternelles » (Ap. Missions des O. M. I., 1935, p. 198).
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(suite)

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Et maintenant il nous faut laisser nos héros modernes à leur grand silence blanc, qui s'allie si bien, nous l'avons vu, à une activité du meilleur aloi. Nous avons, dans le cours de ces pages, omis maint fait, surtout parmi ceux qui sont relatifs à ces derniers temps (12), qui auraient pu intéresser. Mais il fallait nous borner. Du reste, je crois en avoir fourni assez pour donner une idée adéquate de la vie et des travaux qui ont eu pour résultat de transformer les solitudes de la baie d'Hudson, en de florissantes chrétientés.

Fervet opus ! La ruche bruit et déborde d'entrain : l'exemple venu du Chef est fidèlement suivi par les subalternes ; l'élan imprimé par le fondateur de ces missions est devenu irrésistible. Rien qu'à prendre le poste central, Notre-Dame de la Délivrande, on s'en assure facilement. Trois vieux Esquimaux restaient qui, encroûtés dans leurs vieilles superstitions, s'étaient attardés dans les ornières traditionnelles : ils viennent de se rendre à l'appel du missionnaire, et se sont joints à la troupe des néophytes, qui habitent cette place.

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Tout le monde est désormais chrétien, et généralement chrétien exemplaire, au centre du vicariat ; grâce à une persévérance surhumaine, ceux qu'on regardait comme inconvertissables sont maintenant tous convertis à cette première station.

Le pasteur, à bord de son Pie XI, fait, comme je termine, la visite régulière de ses huit missions, pour les ravitailler matériellement aussi bien que spirituellement. Espérons qu'il aura plus de succès, avec son propre bateau, qu'il en eut, en 1933, alors que, passager d'un steamer où il n'était pas maître (13), il ne put voir qu'un de ses Pères (14), et pas un seul fidèle, malgré les 16.000 kilomètres de sa croisière (15). De fait, j'en suis convaincu, puisqu'il est maintenant libre de ses mouvements, autant que je suis sûr qu'une réception enthousiaste l'attend partout.

Laissons-le donc à sa tournée apostolique, tout en partageant en secret les joies qu'il va causer et celles dont il va jouir lui-même, et mettons fin à ces pages en remerciant Dieu de son infinie miséricorde, qui a suscité un homme selon son Cœur pour la conversion de ces pauvres abandonnés qu'on appelle les Esquimaux. Glorifions en même temps sa servante de Lisieux, qu'il a choisie pour seconder si efficacement l'action de celui qui est devenu le père et le soutien de ces ouailles primitives, qui pourraient désormais rendre des points à bien des chrétiens civilisés.
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(12) Par exemple, la récente disparition et la mort certaine du P. Pigeon, perdu en retournant à sa mission de Chesterfield. Pour éviter du mauvais temps sur mer, il était abordé dans le but de faire le reste du trajet à pied. On ne l'a jamais revu, et malgré plusieurs expéditions fort soigneuses, on n'a point encore retrouvé ses restes. S'il se noya en traversant quelque petite anse à marée basse, il est probable qu'on ne les retrouvera jamais.

Un bruit fort injuste qui courut les journaux était à l'effet que sa mort était arrivée à l'occasion d'une expédition de chasse. Rien de plus faux. D'abord le P. Pigeon n'avait point de goût pour la chasse comme telle. Ensuite il revenait d'une tournée de ministère à Rankin Inlet, où il avait passé plus d'une semaine à faire le catéchisme à quelques païens, à raffermir les chrétiens, offrant le Saint-Sacrifice non seulement au camp des Esquimaux, mais même en voyage, dans le campement éphémère d'une nuit passée sous la tente (D'après Mgr Turquetil, à la presse, août 1935). — (13) Le Nascopie. — (14) Le P. Girard. — (15) C'était lors de sa première visite à la mission de Pond Inlet, que les chrétiens avaient quittée pour leurs quartiers d'hiver, mesure qui devait les empêcher de mourir de faim pendant la saison froide.
A suivre : Épilogue.
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ÉPILOGUE

Pour terminer par l'objet même de nos premières pages, je me trouvais récemment sous le toit hospitalier de Mgr Turquetil, à Churchill, où sa gracieuseté m'avait fait venir après la préparation de ce qui précède, lorsque, le matin du 7 août dernier, je vis de mon bureau un individu qui se dirigeait vers celui de Sa Grandeur. L'Anglais reparti, Monseigneur entrait chez moi, un papier jaune à la main.

— Tenez, Père Morice, fit le prélat, voilà quelque chose qui vous intéressera peut-être.

Je pris le papier et lus:

Montréal, Que., 7 août 1935.


Monseigneur Turquetil, Churchill.

Reçois des Affaires Etrangères avis votre nomination Chevalier Légion d'Honneur. Veuillez accepter, avec mes meilleurs souvenirs, félicitations pour distinction si méritée, qui honore notre colonie française.

TURCK, Consul Général

Le vrai mérite était donc reconnu même par le gouvernement de la République française! Autrefois il expulsait les religieux; aujourd'hui il ne peut s'empêcher de les décorer. Que voulez-vous? Les hauts faits sont parfois si patents et les services à l'humanité si exceptionnels qu'il n'est pas toujours possible de les négliger.

La merveilleuse épopée des vingt-cinq dernières années de la vie d'un de ces missionnaires était arrivée jusqu'aux oreilles des gouvernants de la France. Mgr Arsène Turquetil, évêque de Ptolémaïs et vicaire apostolique de la baie d'Hudson, avait bien mérité de la patrie en convertissant les Esquimaux et en en faisant, avec des chrétiens exemplaires pour l'Eglise, des citoyens honnêtes et honorables pour une nation amie.

Quel est le mécréant qui, en pareil cas, trouverait à redire à l'action du Gouvernement français?

Naturellement les yeux de la foi font entrevoir une bien autre récompense au hérault de la Croix. Néanmoins la perspective de cette récompense n'est pas de nature à exclure ces petites marques d'estime que l'homme au pouvoir tient en réserve pour manifester son approbation de ce qui, pour lui, n'est trop souvent que de la philanthropie. Mgr Turquetil a amplement gagné celle qui est venue le trouver sur le gravier de Churchill.
A suivre : Appendices.
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