Magnificat anima mea Dominum.

chartreux
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Laetitia a écrit :
Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VI. (suite)

(...) le ventre sacré de Marie, qui, par une admirable propriété, est appelé le milieu de la terre. Car il est regardé de tous côtés, comme dit saint Bernard, et par ceux qui sont dans le ciel, et par ceux qui sont dans l'enfer, c'est-à-dire qui sont dans le Purgatoire, et par ceux qui demeurent dans le monde. Les premiers le regardent pour être réparés; les seconds, pour être délivrés; les troisièmes, pour être réconciliés. (...)
Ceux qui sont dans le ciel ont besoin d'être réparés ?
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Laetitia
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Re: Magnificat anima mea Dominum.

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chartreux a écrit :
Laetitia a écrit :
Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VI. (suite)

(...) le ventre sacré de Marie, qui, par une admirable propriété, est appelé le milieu de la terre. Car il est regardé de tous côtés, comme dit saint Bernard, et par ceux qui sont dans le ciel, et par ceux qui sont dans l'enfer, c'est-à-dire qui sont dans le Purgatoire, et par ceux qui demeurent dans le monde. Les premiers le regardent pour être réparés; les seconds, pour être délivrés; les troisièmes, pour être réconciliés. (...)
Ceux qui sont dans le ciel ont besoin d'être réparés ?
Reprenons le passage tiré de Saint Jean Eudes :
Saint Jean Eudes a écrit :Entendons encore parler le saint cardinal Hugues (3) . Toutes les générations, dit-il, prêchent la Mère de Dieu bienheureuse; c'est-à-dire, toutes les nations des Juifs et des Gentils, des hommes et des femmes, des riches et des pauvres, des Anges et des hommes, parce que tous ont reçu par elle un salutaire bienfait : les hommes leur réconciliation avec Dieu, les Anges la réparation de la perte que le péché de Lucifer leur a causée. Car le Fils de Dieu a opéré le salut du monde au milieu de la terre, c'est-à-dire dans le ventre sacré de Marie, qui, par une admirable propriété, est appelé le milieu de la terre. Car il est regardé de tous côtés, comme dit saint Bernard, et par ceux qui sont dans le ciel, et par ceux qui sont dans l'enfer, c'est-à-dire qui sont dans le Purgatoire, et par ceux qui demeurent dans le monde. Les premiers le regardent pour être réparés; les seconds, pour être délivrés; les troisièmes, pour être réconciliés.
tous ont reçu par elle un salutaire bienfait… les Anges la réparation de la perte que le péché de Lucifer leur a causée … Quelle perte les Anges ont-ils pu subir par le péché de Lucifer ? Il s'agit évidemment de la défection qu'il se fit alors dans les rangs des Anges : des myriades d'anges déchus ont perdu leurs places parmi le chœur angélique endommageant ainsi l'Ouvrage Divin. Par le ventre Très Saint de Notre Dame et donc par l'Incarnation, Dieu a réparé le dommage qu'a subi le chœur des Anges, et les âmes des élus occupent désormais, au fur et à mesure, les places vides.

Il est intéressant de lire la partie du sermon de St Bernard contenant ce passage dans le IIe sermon sur la Pentecôte :
St Bernard-Oeuvres complètes (Patrologie latine tome 183, col. 327-328) a écrit :Christus ergo ibi primum medicinam apposuit, ubi primus vulneri patebat locus: et substantialiter utero Virginis illapsus, de Spiritu sancto conceptus est; ut conceptionem nostram mundaret, quam spiritus malus, si non fecerat, tamen infecerat: ut non esset etiam in utero vita ipsius otiosa, dum novem mensibus purgat vulnus antiquum, scrutans, ut dicitur, usque ad imum putredinem virulentam, ut sanitas sempiterna succederet. Et tunc jam operabatur salutem nostram in medio terrae, in utero videlicet Virginis Mariae, quae, mirabili proprietate, terrae medium appellatur. Ad illam enim, sicut ad medium, sicut ad arcam Dei, sicut ad rerum causam, sicut ad negotium saeculorum, respiciunt et qui in coelo habitant, et qui in inferno, et qui nos praecesserunt, et nos qui sumus, et qui sequentur, et nati natorum, et qui nascentur ab illis. Illi qui sunt in coelo, ut resarciantur; et qui in inferno, ut eripiantur; qui praecesserunt, ut prophetae fideles inveniantur; qui sequuntur, ut glorificentur. Eo beatam te dicent omnes generationes (Luc. I, 48), Genitrix Dei, domina mundi, regina coeli. Omnes, inquam, generationes. Sunt enim generationes coeli et terrae. Pater spirituum, ait Apostolus, ex quo omnis paternitas in coelo et in terra nominatur (Ephes. III, 15). Ex hoc ergo beatam te dicent omnes generationes, quae omnibus generationibus vitam et gloriam genuisti. In te enim angeli laetitiam, justi gratiam, peccatores veniam inveniunt [alias, invenerunt] in aeternum. Merito in te respiciunt oculi totius creaturae, quia in te, et per te, et de te benigna manus Omnipotentis quidquid creaverat recreavit.
Vous pouvez trouver sur internet la traduction de ce sermon et de ce passage dont la dernière phrase qui exprime très clairement l'Oeuvre de Dieu par la co-rédemption de Notre Dame :
DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE a écrit :Ainsi désormais toutes les générations, ô Vierge, vous proclameront bienheureuse, parce que vous avez enfanté pour elles toutes, la vie et la gloire. N'est-ce point en vous que les anges trouvent à jamais la joie, les justes, la grâce, et les pécheurs, le pardon ? C'est donc avec raison que toute créature a les yeux fixés sur vous, puisque ce n'est que par vous, en vous et, de vous que la main du Tout-Puissant a recréé ce qu'Il avait créé une première fois.
ou selon une autre traduction :
Oeuvres de St Bernard traduites par M. A. Ravelet, tome troisième a écrit :Et toutes les générations vous appelleront bienheureuse, parce qu'à toutes vous avez donné la vie et la gloire. C'est par vous en effet que les Anges ont trouvé la joie, les justes la grâce, et les pécheurs le pardon. Toute créature tourne justement vers vous ses regards, car c'est en vous, par vous, et par un bien sorti de vous que la main miséricordieuse du Tout Puissant a réparé ce qu'Elle avait créé.
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Re: Magnificat anima mea Dominum.

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Merci pour toutes ces précisions, chère Laetitia.
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Laetitia
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Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VII.

Explication du quatrième verset : Fecit mihi magna qui potens est, et sanctum Nomen ejus.

La bienheureuse Vierge ayant dit, dans le verset précédent, que toutes les générations la diront bienheureuse, elle en déclare les causes en celui-ci, qui sont les choses grandes que Dieu lui a faites.

Quelles sont ces grandes choses ? Écoutons saint Augustin (1).« C'est une grande chose, dit-il, qu'une Vierge soit Mère sans père. C'est une grande chose qu'elle ait porté dans ses entrailles le Verbe de Dieu le Père, revêtu de sa chair. C'est une grande chose que celle qui ne s'attribue que la qualité de servante, devienne la Mère de son Créateur. »

«C'est une chose grande, dit saint Antonin (2), d'avoir créé le ciel et la terre de rien. C'est une chose grande d'avoir délivré le peuple d'Israël par tant de prodiges. C'est une chose grande d'avoir fait descendre la manne du ciel pour le nourrir dans les déserts l'espace de quarante ans. C'est une chose grande de l'avoir mis en possession de la terre promise, après avoir exterminé tous les rois et tous les peuples qui l'occupaient. Tous les miracles que notre Sauveur a faits dans la Judée, donnant la vue aux aveugles, chassant les démons des corps des possédés, guérissant les malades, ressuscitant les morts, sont choses grandes et merveilleuses. Mais le mystère de l'Incarnation, que la puissance infinie de Dieu a opéré dans la sacrée Vierge, surpasse incomparablement toutes ces choses. C'est ce qui lui fait dire : Fecit mihi magna qui potens est. »

Voici les grandes choses, dit saint Thomas de Villeneuve (3) , que Dieu a faites en la très sainte Vierge. Il l'a élevée à un si haut degré de grandeur, que tous les yeux humains et angéliques n'y peuvent atteindre. Car d'une petite fille d'Adam qu'elle était, il l'a faite la Mère de son Créateur, la Dame du monde, la Reine du ciel et l'Impératrice de toutes les créatures. Un prodige nouveau a paru dans le monde, au grand étonnement du ciel et de la terre: un Dieu-Homme, un Homme-Dieu; Dieu revêtu de l'homme, et l'homme uni à Dieu. Prodige des prodiges, miracle des miracles, après lequel il n'y a rien en la terre digne d'être admiré! Il est très vrai que toutes les merveilles qui ont jamais été faites en la terre, ne sont comme rien en comparaison de celle-ci. Nous admirons le miracle que Dieu a opéré, lorsqu'il a fait passer son peuple à pied sec au travers de la mer Rouge: cela est peu de chose; voici bien davantage: voici l'océan immense de la Divinité qui est renfermé dans le petit corps d'une Vierge.

Nous admirons un buisson qui brûle sans se consumer: cela est peu de chose; voici une Vierge qui enfante demeurant toujours Vierge. Nous admirons le prophète Moïse renfermé dans un petit berceau: cela est peu de chose; admirons plutôt le Roi du ciel gisant dans une crèche. Nous admirons une colonne de feu et une nuée qui conduisent le peuple de Dieu dans les déserts : cela n'est rien ; admirons plutôt le feu essentiel de la Divinité, qui s'est enclos dans une petite nue pour conduire et pour gouverner tout le monde. Nous admirons la manne qui descend du ciel: cela est peu de chose; admirons le Verbe du Père qui descend du ciel dans le sein d'une Vierge Mère. Nous admirons le soleil qui s'arrête à la voix de Josué, et qui retourne en arrière à la prière d'Ézéchias: cela n'est pas grande chose; admirons un Dieu qui s'anéantit soi-même. Nous admirons le prophète Élie qui ressuscite un enfant mort : c'est peu de chose; admirons le Fils de Dieu, coégal et coéternel à son Père, qui étant mort dans une croix, se ressuscite soi-même. Nous admirons le même prophète Élie qui monte dans le ciel: ce n'est pas grande chose; admirons l'homme qui monte dans le trône de la Divinité et qui devient Dieu. » C'est ce que saint Cyprien admire, s'écriant (4) : « O Seigneur, que votre Nom est admirable ! Véritablement vous êtes un Dieu qui faites des choses merveilleuses. Je n'admire plus maintenant la fabrique merveilleuse de ce monde, ni la stabilité de la terre, ni l'ordre et la disposition des jours, ni le cours et la clarté du soleil, etc; mais j'admire un Dieu fait enfant dans les entrailles d'une Vierge; j'admire le tout-Puissant réduit dans un berceau; j'admire le Verbe de Dieu uni personnellement au corps mortel et passible de l'homme.»

«C'est une chose merveilleuse, dit le saint Cardinal Hugues (5), que la femme ait été fait premièrement de l'homme seul; mais c'est une chose plus admirable qu'un homme ait été fait d'une femme seule: Novum fecit (6) . C'est une chose merveilleuse que Dieu ait fait l'homme à son image et semblance; mais la merveille est bien plus grande, qu'il se soit fait lui-même à l’image et à la semblance de l'homme. C'est une chose merveilleuse que la verge d'Aaron, étant sèche, ait produit des fleurs et des fruits; mais la merveille est bien plus grande qu'une Vierge ait enfanté un Fils, demeurant toujours Vierge. C'est une chose merveilleuse de voir qu'un serpent d'airain attaché à un bois, guérisse tous ceux qui le regardent étant mordus des serpents. C'est une chose merveilleuse que le prophète Élie ressuscite le fils d'une veuve, qui est mort; mais la merveille est bien plus grande que Dieu le Père redonne la vie à son Fils qui est mort sur une croix. C'est une chose merveilleuse que Samson mourant surmonte et fasse mourir les Philistins; mais c'est une plus grande merveille que notre Sauveur mourant fasse mourir la mort même, et triomphe du démon et de l'enfer. C'est une chose merveilleuse que Jonas sorte du ventre de la baleine qui l'a englouti; mais c'est une plus grande merveille que Notre-Seigneur sorte du sépulcre et de l'enfer même. Voilà pourquoi la bienheureuse Vierge chante : Fecit mihi magna qui potens est. »

(1) «Magnum fuit ut Virgo sine virili semine Filium conciperet. Magnum fuit ut Dei Patris Verbum carne sua indutum gestaret. Magnum fuit, dum se ancillam confessa esset, ut mater fieret sui Plasmatoris. » D. Aug. in Magnif.
(2) «Magnum fuit creare caelum et terrram ex nihilo; magnum in dilivio salvare in arca homines, et de omni genere animalium; magnum liberare populum de Aegypto tantis mirabilibus; magnum conducere populum illum in tanto numero per desertum quadraginta annis, de caelo manno praestito; magnum omnes gentes cum regibus suis de terra promissionis per Josue exterminare: et omissis aliis, magnum fuit Christum caecos illuminare, daemones effugare, informos sanare, mortuos suscitare. Sed omnia ista magnalia excedit mysterium Incarnationis et infinitae potentiae.» D. Antonin. Summa theolo. part. 4, titul. 15. cap. 22.
(3) «Unico namque volatu in tam sublime evecta es dignitatis fastigium, ut celsitudinem tuam neque humanus, neque Angelicus pertingere possit obtutus; subito namque ex Adae filia, humilique puella, Mater creatoris, Domina mundi, Regina caeli, et totius Imperatrix facta es creaturae...Prodigium novum, mirante natura, stupente caelo, in mundo comparuit, Deus homo, homo Deus; Deus homine velatus, homo Deo insertus. Prodigium prodigiorum, maximum miraculum super omnia mundi miracula, ad quod nihil est in orbe mirandum.» D. Thom. a Villan. Concio 2 in Annunt. B. V.
(4) « O Domine, quam admirabile est nomen tuum! Vere tu es Deus qui facis mirabilia. Non modo mundi hujus staturam admiror, non stabilitatem terrae, cum eam complectatur volubile firmamentum; non singulos dies, non lunae defectum et incrementum, non solem, semper integrum et laborem ejus perpetuum; non temporum vicissitudinem quibus quaedam arent, quaedam virent, et quae mortua modo videntur, deinceps reviviscunt. Miror Deum in utero Virginis miror Omnipotentem in cunabulis, miror quomodo Verbo Dei caro adhaeserit, quomodo incorporeus Deus corporis nostri tegumentum induerit. » D. Cyprian. Serm. de Nativ Christi.
(5) Le P. Eudes ne dit pas dans quelle partie des oeuvres d'Hugues de Saint-Cher se trouve ce texte; nous ne l'avons découvert ni dans ses commentaires sur le Magnificat, ni dans son explication du verset de Jérémie cité par lui.
(6) Jerem. XXXI, 22.VIII-44
à suivre.
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Laetitia
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Message par Laetitia »

Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VII.(suite)

Enfin Dieu a fait choses si grandes à cette divine Vierge, qu'il n'a pu lui en faire de plus grandes. Car il peut bien faire un monde plus grand que celui qu'il a fait, un ciel plus étendu, un soleil plus éclatant; mais il ne peut pas faire, dit saint Bonaventure, une Mère plus grande et plus noble qu'une Mère de Dieu. Car s'il pouvait en faire une plus grande, il faudrait lui donner un Fils plus excellent. Or peut-on trouver un plus digne Fils que le Fils de Dieu, dont la bienheureuse Vierge est la Mère ? Que dirai-je davantage ? Je vois un grand Prélat plein de science et de piété, qui est Rutilius Benzonius, évêque de Lorette, qui ne craint point de dire que Dieu a élevé si haut cette Vierge incomparable, et lui a donné des privilèges si extraordinaires, que l'on peut dire qu'elle a donné, s'il faut ainsi parler, des choses plus grandes en quelque manière à sa divine Majesté, que celles qu'elle a reçues. Car toutes les choses qu'elle a reçues sont finies et limitées, et n'excèdent point les bornes d'une chose créée; mais la Reine du ciel, donnant naissance au Fils de Dieu, l'a tellement engendré homme, qu'elle l'a aussi engendré Dieu, Créateur et souverain Seigneur, Sauveur et Rédempteur du monde. Elle a reçu de Dieu d'être sa créature, de lui être agréable, d'être pleine de grâce, d'être bénite par-dessus toutes les femmes, etc.

Mais elle a donné à Dieu d'être notre Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous; d'être Dieu et homme; d'être le Rédempteur des hommes par le précieux sang qu'il a reçu d'elle; d'avoir toute-puissance au ciel et en la terre, en tant qu'homme; d'être le Juge universel de tout le monde, en tant qu'homme; d'être assis à la droite de son Père, en tant qu'homme; d'être le chef de toute l'Église, en tant qu'homme; d'être le chef des Anges, en tant qu'homme; de pardonner les péchés, en tant qu'homme. Si notre Sauveur a donné la puissance à ses Apôtres de faire de plus grands miracles que ceux qu'il a faits lui-même, selon le témoignage de l'Évangile (1) , il ne faut pas s'étonner s'il a donné le pouvoir à sa très sainte Mère de lui donner des choses plus grandes que celle qu'elle a reçues de lui. Car ce pouvoir est une des choses grandes dont elle parle quand elle dit que le Tout-Puissant lui fait choses grandes.

Entendons ce que le saint Cardinal de Bérulle, fondateur de la Congrégation de l'Oratoire en France, a écrit sur ce sujet dans son livre merveilleux des Grandeurs de Jésus, approuvé d'un grand nombre de Prélats et de Docteurs. C'est au Discours onzième, en l'article douzième, là où, après avoir dit que la bienheureuse Vierge donne vie à Jésus et reçoit vie de Jésus, voici comme il parle: « Disons donc qu'en ce flux et reflux admirable de vie et d'amour qui est entre Jésus et Marie, entre ces deux personnes si nobles et si conjointes, et les plus nobles et les plus conjointes après les Personnes divines et éternelles, et conjointes divinement en l'état de l'humble et secrète naissance de Jésus en la bienheureuse Vierge: cette même Vierge, comme Mère, donne vie à Jésus, et l'engendrant et concevant, elle lui donne une vie reçue et fondée en l'existence et subsistance incréée. Vie incomparablement plus haute et plus divine que n'est pas celle qu'elle reçoit de Jésus même. Car elle intervient à l'union de la Divinité avec l'humanité; elle donne vie humainement divine à Jésus; elle donne vie nouvelle à Dieu; elle fait que Dieu est homme et que l'homme est Dieu; elle engendre un vivant, divinement vivant et divinement subsistant, qui est Dieu; elle produit au monde la vie d'un Homme Dieu, et de sa substance elle conçoit, elle nourrit, elle enfante Dieu en soi-même et en l'univers; et ainsi son opération se termine à un Homme-Dieu, puisqu'elle est Mère de Dieu. Au lieu que Jésus vivant et opérant en Marie, lui donne une vie très haute et très sublime à la vérité, mais vie de grâce, qui est une qualité et non pas une substance, et vie d'une personne sainte et très sainte, mais d'une personne humaine et non divine et incréée comme est son Fils unique. Et cette présence et opération de Jésus en Marie, se termine en elle à former l'état de Mère de Dieu, qui est un état bien inférieur et subordonné à l'état de l'Homme-Dieu, que la bienheureuse Vierge, élevée par l'opération du Saint-Esprit, établit et forme par cette naissance. Et par conséquent Jésus donne à Marie une vie moindre en la grâce et en la gloire, que n'est pas cette vie grande et admirable que Marie a produite, lorsqu'elle a conçu, incarné et enfanté le Fils de Dieu au monde.»

Après cela, qui est-ce qui n'admirera les choses grandes et merveilleuses que Dieu a faite à la glorieuse Vierge ? Et qui est-ce qui ne reconnaîtra que c'est le Saint-Esprit qui lui a fait prononcer ces paroles : Fecit mihi magna qui potens est ?

Oh ! qu'elles comprennent de prodiges et de miracles ! Oh ! que c'est chose grande d'être Vierge et Mère tout ensemble, et d'être Vierge et Mère d'un Dieu ! Oh ! Que c'est chose grande d'être associée avec le Père éternel dans sa divine paternité, pour être Mère sans père, en la plénitude des temps, du même Fils dont il est Père sans mère dans l'éternité ! Oh ! que c'est chose grande d'être revêtue de la vertu du Très-Haut, et d'être participante de son adorable fécondité pour produire un Dieu qui est consubstantiel, coégal et coéternel à Dieu son Père ! Oh ! que c'est chose grande de donner une naissance temporelle dans son sein virginal, à celui qui est né avant tous les siècles dans le sein du Père des miséricordes! Oh! que c'est chose grande à une créature mortelle de donner la vie à celui duquel elle l'a reçue ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Fille et la Mère de son Père, de son Créateur et son Dieu ! Oh ! que c'est chose grande d'être la digne Épouse du Saint-Esprit et d'être associée avec lui dans la production de son adorable chef-d'oeuvre, qui est l'Homme-Dieu ! Oh ! que c'est chose grande de renfermer en soi celui que les Cieux des cieux ne peuvent contenir ! Oh ! que c'est chose grande de porter en ses entrailles et entre ses bras celui qui porte toutes choses par sa divine parole ! Oh ! que c'est chose grande d'avoir un pouvoir et une autorité de Mère sur celui qui est le souverain Monarque de l'univers ! Oh ! que c'est chose grande d'être la nourrice, la gardienne et la gouvernante de celui qui conserve et qui gouverne tout le monde par son immense Providence ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Mère d'autant d'enfants qu'il y a eu et qu'il y aura jamais de chrétiens en la terre et au ciel ! Oh ! que c'est chose grande d'être la Reine des Anges, des Archanges, des Principautés, des Puissances, des Vertus, des Dominations, des Trônes, des Chérubins, des Séraphins et de tous les saints Patriarches, Prophètes, Apôtres, Martyrs, Confesseurs, Vierges et Bienheureux qui sont dans le paradis ! Oh ! Que c'est chose grande à une fille d'Adam, d'être si remplie de sainteté, depuis le premier moment de sa vie jusqu'au dernier, que jamais aucun péché, ni originel ni actuel, n'a eu de part en elle !

Oh ! que c'est chose grande d'être transportée et élevée en corps et en âme au plus haut du ciel, et d'être assise à la droite du Rois des rois ! Oh! que c'est chose grande d'être la Souveraine, l’Intendante et la Gouvernante de tous les états du souverain Monarque du ciel et de la terre ! Oh ! que c'est chose grande d'avoir une puissance absolue et souveraine sur le ciel, sur la terre, sur l'enfer, sur les Anges, sur les hommes et sur toutes les pures créatures ! Oh ! que ces deux paroles Gratia plena, sorties du Coeur adorable de la très sainte Trinité, et prononcées de la bouche d'un Dieu parlant par la bouche d'un Séraphin, contiennent encore des choses grandes et glorieuses pour vous, très sacrée Mère du Sauveur ! Oh ! que c'est chose grande d'être pleine de grâce, et de la grâce des grâces, qui est la grâce de Mère de Dieu, qui comprend et qui passe toutes les grâces, et même qui en est la source, puisqu'elle vous est donnée pour vous rendre digne d'être la Mère de celui qui est l'Auteur de toute grâce !

Ô pleine de grâce, qui êtes remplie de toutes les grâces, de tous les dons et de tous les fruits du Saint-Esprit ! Ô pleine de grâce, qui possédez parfaitement toutes les grâces des vertus chrétiennes et des béatitudes évangéliques ! Ô pleine de grâce, dont toutes les facultés, et spirituelles et corporelles, sont comblées de grâces et de sainteté ! Ô pleine de grâce, dans laquelle toutes les grâces des saints Patriarches, des saints Prophètes, des saints Apôtres, des saints Martyrs, des saints Prêtres, des saints Confesseurs, des saintes Vierges et de tous les autres Saints se trouvent en leur dernière perfection ! Ô pleine de grâce, qui êtes aussi pleine de gloire, de félicité, de puissance, de majesté et de toutes les grandeurs qui doivent accompagner la très haute dignité de Mère de Dieu !

Voilà bien des choses grandes et merveilleuses que Dieu a faites à la Reine du ciel; mais voici le miracle des miracles : C'est qu'étant aussi grande, aussi sainte et aussi admirable que vous êtes, ô Vierge Mère, vous vous êtes toujours regardée, traitée et abaissée, comme si vous eussiez été la plus petite et la dernière de toutes les créatures : Magnum, quia Virgo, dit un saint Père (2) ; magnum, quia Mater; majus, quia utrumque; maximum, quia Deiparens; sed majus, quia, cum tanta sit, putat se nihil esse : « C'est chose grande à la Reine des Anges, d'être Vierge; c'est chose grande d'être Mère; c'est chose plus grande d'être Mère et Vierge tout ensemble; c'est chose très grande d'être Vierge et Mère de Dieu; mais ce qui passe tout cela, c'est qu'étant si grande comme elle est, elle se regarde comme si elle n'était rien. »

Et de plus, c'est qu'elle emploie tous ces grands pouvoirs, tous ces grands privilèges, toutes ces grandes miséricordes, pour assister les petits, les misérables et même les plus perdus, s'ils ont recours à elle avec humilité et confiance. Toute puissance, dit le saint Cardinal Pierre Damien, vous est donnée au ciel et en la terre, et rien n'est impossible à celle qui a le pouvoir de rétablir les plus désespérés dans l'espérance de leur salut (3). Oui, dit saint Bonaventure, parce que le Seigneur tout-puissant est très puissamment avec vous; à raison de quoi vous êtes très puissante avec lui, très puissante par lui, très puissante chez lui : Dominus potentissimus potentissime tecum est; ideo et tu potentissima es secum, potentissima es per ipsum, potentissima apud ipsum (4).

Ô Vierge très puissante et très bénigne, c'est de tout mon coeur que je rends grâces infinies au Tout-Puissant de vous avoir faite si grande, si puissante et si admirable.
Et c'est de tout mon coeur aussi que je me donne, que je me livre et que je m'abandonne entièrement et irrévocablement à la grande puissance que Dieu vous a donnée, vous suppliant très humblement de l'employer sur moi, pour y détruire totalement tout ce qui y déplaît à Lui et à vous, et pour y établir parfaitement le règne de sa gloire et de son amour.

(1) « Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciet. » Joan. XIV, 12.
(2) Venerab. Beda.
(3) Serm. I, de Nativ. B. Virg.
(4) In Spec. Virg. Cap.8.
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Laetitia
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Re: Magnificat anima mea Dominum.

Message par Laetitia »

Saint Jean Eudes a écrit : SECTION UNIQUE.

Explication des dernières paroles du quatrième Verset : Et sanctum Nomen ejus.

La bienheureuse Vierge ayant dit que le Tout-Puissant lui a fait choses grandes, elle ajoute ensuite ces paroles: Et sanctum Nomen ejus: «Et son saint Nom. » Paroles qui contiennent six grands mystères :Le premier consiste en ce que le mystère de l'Incarnation, étant un mystère d'amour, est attribué au Saint-Esprit, qui est l'amour personnel, comme le chef-d'oeuvre de son amour et de sa bonté, conformément à ces paroles de l'Ange : Spiritus sanctus superveniet in te (1).

Le second mystère marqué par ces paroles : Et sanctum Nomen ejus, consiste en ce que, l'humanité sainte du divin Enfant, que la bienheureuse Vierge a conçu dans ses entrailles, est sanctifiée par l'union très intime en laquelle elle est entrée avec la Sainteté essentielle, qui est la Divinité; ce qui est encore désigné par ces paroles de saint Gabriel : Quod nascetur ex te sanctum vocabitur (2).

Le troisième mystère consiste en ce que cet Enfant-Dieu est ainsi sanctifié et fait le Saint des saints, afin de sanctifier et de glorifier le Nom du trois fois saint autant qu'il mérite de l'être; comme aussi afin de le faire sanctifier et glorifier dans la terre, dans le ciel et par tout l'univers, et d'accomplir par ce moyen ce qui est marqué dans ces paroles: Sanctificetur Nomen tuum (3).

Le quatrième mystère contenu en ces paroles : Et sanctum Nomen ejus, consiste en ce que le Sauveur du monde, que la très sainte Vierge porte dans son ventre sacré, est oint divinement de l'onction de la Divinité, c'est-à-dire, est sanctifié et consacré en qualité de Sauveur, pour exercer l'office de Jésus et de Sauveur, et de sanctificateur au regard de tous les hommes; ce qu'il commence de faire au regard de son Précurseur et de ses parents saint Zacharie et sainte Élisabeth.

Le cinquième mystère consiste en ce que le Saint- Esprit survenant en Marie, pour y accomplir le plus saint oeuvre qui fut ni qui sera jamais; et celui qui est le Saint des saint, la sainteté même, et la source de toute sainteté, étant conçu en elle, ils l'ont remplie et comblée d'une mer de grâce et de sainteté inconcevable.

Le sixième mystère désigné en ces paroles : Et sanctum Nomen ejus, consiste en ce que le mystère ineffable de l'Incarnation est une source inépuisable de toutes les grâces et saintetés qui ont jamais été, qui sont et qui seront en la terre et au ciel.

Voyez et admirez combien de merveilles sont contenues en ce peu de paroles, prononcées par la bouche sacrée de la Mère du Saint des saints, dont son saint Nom soit loué, sanctifié et glorifié éternellement.
Disons à cette intention avec les Séraphins, avec tout le paradis, et avec toute la sainte Église : Sanctus, sanctus, sanctus Dominus, Deus Sabaoth; pleni sunt caeli et terra majestatis, gloriae tuae.

(1) Luc. I, 35.
(2) Luc. I,35.
(3) Matth. VI, 9.
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Laetitia
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Re: Magnificat anima mea Dominum.

Message par Laetitia »

Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VIII.

Explication du cinquième verset : Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum.

Nous voici à la seconde partie de notre divin Cantique, qui est véritablement le Cantique du très saint Coeur de la Mère du bel amour, et une très précieuse relique de ce Coeur très sacré.

Après avoir magnifié Dieu des faveurs infinies dont il l'a comblée, et avoir fait cette prophétie admirable : Beatam me dicunt omnes generationes, qui comprend un monde de merveilles que le Tout-Puissant a opérées et qu'il opèrera dans tous les siècles et à toute éternité, pour rendre cette Vierge Mère glorieuse et vénérable à tout l'univers une autre, je veux dire une autre prophétie, qui est pleine de consolation pour tout le genre humain, spécialement pour ceux qui craignent Dieu, par laquelle cette divine Marie nous déclare que la miséricorde de Dieu s'étend de génération en génération sur ceux qui le craignent : Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum.

Quelle est cette Miséricorde ? C'est notre très bon Sauveur, dit saint Augustin (1). C'est pourquoi le Père éternel est appelé le Père des miséricordes, parce qu'il est le Père du Verbe incarné, qui est la miséricorde même. C'est cette miséricorde dont le Prophète royal demandait à Dieu, au nom de tout le genre humain, la venue en ce monde par le mystère de l'Incarnation, lorsqu'il disait: Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et nous donnez votre Sauveur : Ostendi nobis, Domine, misericordiam tuam, et salutare tuum da nobis(2). Car, comme le Verbe incarné est tout amour et tout charité, il est aussi tout miséricorde. Dieu est tout miséricordieux naturellement et essentiellement, dit saint Jérôme, et toujours prêt à sauver par sa clémence ceux qu'ii ne peut sauver par sa justice. Mais nous sommes si malheureux et si ennemis de nous-mêmes, que quand la miséricorde se présente à nous pour nous sauver, nous lui tournons le dos et la méprisons.

C'est par son Incarnation que le Fils de Dieu a exercé sa miséricorde vers nous, et sa grande miséricorde, selon ces paroles du Prince des Apôtres: Secundum misericordiam suam magnam regeneravit nos (3). Car tous les effets de miséricorde que notre Sauveur a opérés sur les hommes, depuis le commencement du monde jusqu'à présent, et qu'il opérera à toute éternité, sont procédés et procèderont du mystère adorable de son Incarnation, comme de leur source et de leur premier principe. C'est pourquoi, lorsque David demande pardon de ses péchés, il prie en cette façon: O mon Dieu, ayez pitié de moi, selon votre grande miséricorde : Miserere mei Deus, secundum magnam mericordiam tuam (4).

Trois choses sont requises à la miséricorde : La première est qu'elle ait compassion de la misère d'autrui car celui-là est miséricordieux qui porte dans son coeur, par compassion, les misères des misérables. La seconde, qu'elle ait une grande volonté de les secourir dans leurs misères. La troisième, qu'elle passe de la volonté à l'effet.
Or notre très bénin Rédempteur s'est incarné pour exercer ainsi vers nous sa grande miséricorde. Car premièrement, s'étant fait homme et ayant pris un corps et un Coeur capable de souffrance et de douleur comme le nôtre, il a été rempli d'une telle compassion de nos misères, et les a portées dans son Coeur avec tant de douleur, qu'il n'y a point de paroles qui le puissent exprimer. Car d'un côté, ayant un amour infini pour nous, comme un très bon père pour ses enfants; et d'autre côté, ayant toujours devant les yeux tous les maux de corps et d'esprit, toutes les angoisses, toutes les tribulations, tous les martyres et tous les tourments que devaient endurer tous ses enfants jusqu'à la fin du monde, son Coeur très bénin a été navré de mille et mille douleurs très sensibles et très pénétrantes, qui lui auraient donné mille fois la mort, si son amour plus fort que la mort ne lui avait conservé la vie, afin de la sacrifier pour nous en la croix.

Secondement, comme toutes nos misères ont été présentes à ce très miséricordieux Sauveur, dès le premier instant de sa vie, il est entré dès lors dans une volonté si forte, si ardente et si constante de nous secourir et de nous en affranchir, et il a tellement conservé ce dessein dans son Coeur, depuis le premier moment de sa vie jusqu'au dernier, que toutes les cruautés et les supplices très atroces que les misérables hommes, pour lesquels il avait tant de bontés, lui ont fait souffrir pendant qu'il était en la terre, et toutes les prévoyances qu'il avait des ingratitudes, des outrages et des offenses que nous lui rendions pour toutes ses miséricordes, n'ont point été capables de refroidir tant soit peu l'ardeur et la force de cette volonté.

Troisièmement, qu'est-ce qu'il n'a point fait et qu'est-ce qu'il n'a point souffert pour nous délivrer effectivement de toutes les misères temporelles et éternelles dans lesquelles nos péchés nous avaient plongés ? Toutes les actions de sa vie, et d'une vie de trente-quatre ans, et d'une vie divinement humaine et humainement divine; toutes les vertus qu'il a pratiquées, tous les pas et tous les voyages qu'il a faits sur la terre, tous les travaux qu'il a essuyés, toutes les humiliations, privations et mortifications qu'il a portées; tous ses jeûnes, ses veilles, ses prières, ses prédications; toutes ses souffrances, ses plaies; ses douleurs, sa mort très cruelle et très honteuse, et son précieux sang répandu jusqu'à la dernière goutte; toutes ces choses dis-je, n'ont-elles pas été employées non seulement pour nous affranchir de toutes sortes de maux, mais aussi pour nous mettre en possession d'un empire éternel, rempli d'une immensité de gloires, de grandeurs, de joies, de félicités et de biens inconcevables et inénarrables ? O bonté ! ô amour ! ô excès ! ô miséricorde incompréhensible et inexplicable ! O mon Sauveur, que vous êtes bien appelé le Dieu des miséricordes ! O coeur humain, que ta dureté et ta stupidité est épouvantable, si tu n'aimes ce Dieu d'amour ! Oh ! qu'aimeras-tu, si tu n'aimes celui qui a tant de bonté et tant d'amour pour toi ?

(1) « Haec illa misericordia quam timentibus se exhibuit Deus, quia Verbum suum per assumptam carnem in hunc mundum misit, ut per ipsum aereas potestates potenti virtute debellaret, et genus humanum ab earum potestate redimeret. » D. Aug. in Exposit. sup. Magnif.
(2) Psal. LXXXIV, 8.
(3) I Pet. I, 3.
(4) Psal. L, 3.VIII-54
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Laetitia
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Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VIII. (suite)

Ce n'est pas tout : Considérons les qualités de la miséricorde de notre Sauveur.

Albert le Grand en remarque cinq principales, qui sont, qu'elle est grande, qu'elle est continuelle, que ses effets sont en très grand nombre, qu'elle est douce et bénigne, qu'elle est discrète. Elle est grande, parce qu'elle remet de grands péchés. Elle est continuelle. parce qu'elle n'a point de fin ni de bornes. Ses effets sont en très grand nombre, parce qu'elle pardonne une infinité de péchés à un nombre innombrable de pécheurs. Elle est douce et bénigne, traitant les pécheurs très doucement et avec une merveilleuse suavité. Elle est discrète, car si elle est obligée de châtier le pécheur en ce monde, c'est afin de ne le châtier pas en l'autre.

Nous pouvons dire encore que la miséricorde de Dieu est grande, et plus grande en quelque manière que les autres divins attributs. Car les effets de la miséricorde surpassent ceux de la puissance, de la sagesse, de la justice et de toutes les autres divines perfections que nous pouvons connaître en ce monde. Saint Bonaventure expliquant ces paroles du Psaume cinquantième : Secundum magnam misericordiam tuam, dit que Dieu est miséricordieux en pardonnant; plus miséricordieux en pardonnant plusieurs fois; et très miséricordieux en glorifiant (1) .

C'est une grande chose que la rémission du péché : Grande premièrement, de la part de Dieu, qui pardonne gratis le déshonneur infini qui est fait par le pécheur à sa divine Majesté. Grande secondement, de la part du pénitent, qui étant plongé par son péché dans un abîme de malheurs infiniment profond, en est retiré par la très douce main de la miséricorde de son Dieu. Grande en troisième lieu, de la part du don inestimable qui est fait au pécheur par la divine Bonté, laquelle, non contente de lui remettre ses crimes, le met au rang des amis et des enfants de Dieu. Grande en quatrième lieu, à raison de la manière en laquelle notre réconciliation se fait avec Dieu. C'est lui qui nous aime le premier, qui nous invite, nous exhorte et nous presse de le chercher et de nous convertir à lui. Ce Dieu d'amour et de miséricorde court après nous, dit saint Denys l'Aréopagite, lorsque nous le délaissons, nous poursuit avec un amour indicible, et nous prie de ne nous point séparer de celui qui nous recherche avec tant d'empressement : Aversos a se et resilientes amatorie sequitur, contendit, et deprecatur ne se deserant, quos tanta vi amoris inquirit (2). Grande en cinquième lieu, à raison de plusieurs autres effets de cette grande miséricorde; car elle délivre les pécheurs de la peine du dam, de la peine éternelle du sens, de la coulpe du péché et de tous les maux qui l'accompagnent, et elle l'achemine vers le ciel pour l'y faire régner éternellement avec Dieu.

Écoutons parler saint Bernard (3) : « Je vois en moi, dit ce grand Saint, sept miséricordes du Seigneur, que vous trouverez aussi facilement en vous.
La première est qu'il m'a préservé de plusieurs péchés, lorsque j'étais encore dans le siècle. Car qui ne voit que, comme j'y ai commis beaucoup de péchés, j'en aurais fait beaucoup d'autres si sa toute-puissante miséricorde ne m'en avait gardé ?

Oui, je le confesse et je le confesserai toujours, que si mon Dieu ne m'avait soutenu, mon âme se serait abîmée en toutes sortes de péchés. Oh! quel excès de la divine Bonté, d'avoir ainsi conservé un ingrat et qui n'avait que du mépris pour ses grâces !

La seconde miséricorde de mon Seigneur sur moi est si excessive, que je ne trouve point de paroles pour l'expliquer. Je vous offensais, ô mon Créateur, et vous dissimuliez mes offenses. Je n'avais aucune retenue dans mes crimes, et vous m'épargniez les châtiments que je méritais. Je prolongeais mes iniquités durant un long temps, et vous prolongiez, mon Seigneur, votre patience et votre pitié. Mais de quoi m'aurait servi cette patience, si elle n'avait été suivie de ma pénitence, sinon pour faire le comble de ma damnation ?

La troisième miséricorde de mon Sauveur a été qu'il a daigné visiter mon coeur et l'a tellement changé, que les choses qui m'étaient douces auparavant me sont maintenant amères; et qu'au lieu que je mettais ma joie en des choses méchantes, les années de ma vie que j'ai passées dans le désordre sont maintenant l'amertume de mon âme. Et maintenant, Seigneur, vous avez ébranlé la terre de mon coeur, et elle en est troublée; guérissez ses plaies et ses douleurs, car plusieurs sont émus à pénitence, dont la pénitence est infructueuse et réprouvée.

C'est pourquoi votre quatrième miséricorde en mon endroit consiste en ce que vous avez reçu bénignement. ma pénitence, afin que je fusse du nombre de ceux desquels le Psalmiste a dit: Bienheureux ceux dont les iniquités sont pardonnées.

La cinquième miséricorde est celle que vous m'avez faite, en me donnant la grâce de me séparer désormais du péché, et de mener une meilleure vie, ne retombant pas dans mes péchés et dans un état plus déplorable qu'auparavant. Car c'est un effet, ô mon Sauveur, non pas de la faiblesse humaine, mais de votre divine vertu, d'être dégagé de la tyrannie du péché, d'autant que celui qui fait le péché tombe dans l'esclavage du péché, dont il ne peut pas être affranchi que par une main aussi forte que la vôtre.

La sixième et la septième miséricorde consistent en ce que, après m'avoir délivré du plus grand de tous les maux, qui est le péché, vous m'avez accordé la grâce d'une conversation chrétienne, et l'espérance de parvenir à la jouissance des biens que vous avez préparés à ceux qui vous aiment. »

On n'aurait jamais fait, si on voulait rapporter toutes les autres miséricordes de notre très aimable Sauveur au regard de nous, marquées en cette parole de sa divine Mère: Et misericordia ejus.

(1) « Deus est misericors in remittendo, multum misericors in remissionem iterando, maxime misericors in glorificando. » D. Bonav. in Ps.L.
(2) Epist. ad Demophil.
(3) « Septem ego video in me misericordias Domini, quas et vos ipsi, credo, facile invenietis in vobis.
Prima est quod a multis peccatis adbuc in saeculo positum custodivit me... Quis enim non vident quod, sicut in multa cecidi, sic et in alia cecidissem peccata nisi Omnipotentis pietas me conservasset ? Fateor et fatebor, nisi quia Dominus adjuvit me, paulo minus cecidisset in omne peccatum anima mea. Et haec quanta dignatio pietatis quod ingratum et parvipendentem sic gratia conservabat, quod in multis contrarium et contemnentem nihi hominus ab aliis benignissime protegebat !
« At secunda miseratio tua super me, Domine, quonam poterit explicari sermone quam benigna, quam liberalis, quamque gratuita fuerit ? Ego peccabam, et tu dissimulabus. Non continebam a sceleribus, et tu a verberibus abstinebas. Prolongabam ego multo tempore iniquitatem meam, et tu, Domine, pietatem tuam. Sed quid prodesset expectatio, nisi sequeretur poenitudo ? Cumulus esset damnationis, dicente Domino: Haec fecisti et tacui.
«Tertia proinde miseratio fuit, quod visitavit cor meum et immutavit, ut amara fierent quae male dulcia prius erant; et qui laetabar cum male facerem, et exultabam in rebus pessimis, inciperem demum recogitare ei annos meos in amaritudine animae meae. Et nunc, Domine, commovisti terram cordis mei, et conturbasti eam : sana contritiones ejus, quia commota est. Multi enim poenitentia ducti sunt, sed infructuosa, quonium ipsa quoque eorum poenitantia reprobata est, sicut et prior culpa. Itaque et haec miseratio quarta fuit, quod poenitentem misericorditer suscepisti, ut in numero eorum invenirer, de quibus Psalmista: Beati inquit, quorun remissisunt iniquitates, et quorum tecta sunt peccata. (PJ. XXXI, 1.).
Sequitur misericordia quinta, per quam mihi continendi deinceps, et emendatius vivendi praestitisti virtutem, ne recidivum paterer, et esset novissimus error pejor priore. Omnino enim manifeste tua est homine Deus, et non humanae virtutis, susceptum peccati jugum a cervicibus suis excutere : quoninm Omnis qui facit peccatum, servus est peccati (Joan. VIII, 34); nec est jam liberari nisi in manu forti «Jam vero postquam in his quinque miserationibus a malo liberaveris ut fiat quod scriptum est Declina a malo et fac bonum (Ps. XXXVI 25), in duabus aliis bona largiris. Hae autem duae sunt, gratia promerendi, qua videlicet munus bonae conversationis indulges; et spes obtinendi, qua donas homini indigno et peccatori de tua toties experta bonitate usque ad caelestia speranda praesumere.» D. Bern. Serm. de septem misericordiis.

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Laetitia
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Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE VIII. (suite)

Mais que veulent dire les paroles suivantes : A progenie in progenies, timentibus eum : « Sa miséricorde s'étend de génération en génération sur ceux qui le craignent ? »

Cela veut dire, selon l'explication des saints Docteurs, que, comme notre Sauveur s'est incarné et est mort pour tous les hommes, il répand aussi les trésors de ses miséricordes sur tous ceux qui n'y apportent point d'obstacles, mais qui le craignent. De sorte que, comme il est une fontaine inépuisable de grâce et de miséricorde, il prend aussi un souverain plaisir à les communiquer à ses enfants continuellement, en tout lieu et en tout temps. Car quoique, selon saint Bernard, la divine Miséricorde appartienne également aux trois Personnes divines, ainsi que
tous les autres divins attributs, elle est attribuée néanmoins spécialement à la personne du Fils, comme la puissance au Père et la bonté au Saint-Esprit. Car c'est le Verbe incarné particulièrement qui, par sa grande miséricorde, nous a délivrés de la tyrannie du péché, de la puissance du démon, de la mort éternelle, des tourments de l'enfer et d'une infinité de maux et de misères; et qui nous a acquis, par son sang et par sa mort, le même empire éternel que son Père lui a donné.
Mais il n'a pas voulu faire ce grand ouvrage tout seul. Car, outre qu'il fait toutes choses avec son Père et avec son divin Esprit, il a voulu encore associer sa très sainte Mère avec lui dans les grands oeuvres de sa miséricorde. Il n'est pas bon que l'homme soit seul, dit Dieu, lorsqu'il voulut donner la première femme au premier homme; faisons-lui un aide qui lui soit semblable (1). Ainsi le nouvel homme, qui est Jésus, veut avoir une aide qui est Marie, et son Père éternel la lui donne pour être sa coadjutrice et sa coopératrice dans le grand oeuvre du salut du monde, qui est l'oeuvre de sa grande miséricorde.
Écoutons parler là-dessus saint Anastase Synaïte (2) : «J'exhorte, dit-il, tous les Juifs, tous les Grecs et tous les Gentils d'avoir recours à cette bienheureuse Vierge, que Dieu a établie pour être l'aide et le secours de tout le genre humain: aide bien différent de celui qui a été donné au premier homme. C'est un aide de salut, conservant, protégeant, illuminant, qui n'a jamais su ce que c'est que de pécher, qui ne chasse pas les hommes du paradis comme la première femme, mais qui les introduit dans le royaume de Dieu. C'est un aide qui est la Mère des enfants de vie et des héritiers de la vie éternelle. C'est un aide qui des magiciens en fait des Apôtres, qui change les publicains en Évangélistes, et les femmes pécheresses en des miroirs de pureté et d'honnêteté. » Oui, parce que toutes les conversions qui se font par la miséricorde du Fils de la Vierge, sont attribuées aux intercessions de sa divine Mère.

Entre plusieurs saints éloges que sainte Catherine de Sienne, étant à Rome, en l'année 1379, en la fête de l'Annonciation, prononça par un mouvement et une inspiration particulière du Saint-Esprit à l'honneur de la Mèrede Dieu, en voici quatre bien considérables: O Maria, portatrix ignis ! O Maria, mare pacificum ! O Maria, currus ignis ! O Maria, administratrix misericordiae !
Elle est appelée Portatrix ignis, parce qu'elle a porté dans ses entrailles virginales celui qui est tout feu d'amour et de charité vers nous, et qui a dit qu'il est venu apporter le feu dans la terre, et que son plus grand désir est qu'il embrase tous les coeurs (3).
Elle est appelée Mer pacifique, parce que c'est un abîme immense de toute sortes de grâces, de vertus et de perfections. Mais c'est une mer toujours tranquille et pacifique, et par le moyen de laquelle on arrive au port du salut éternel sans aucun trouble ni difficulté.
C'est un Chariot de feu tout embrasé d'amour, de charité, de bonté, de douceur pour les vrais Israélites, Currus Israel, c'est-à-dire pour les vrais enfants; mais qui est aussi terrible à tous les démons, qu'elle est douce et bénigne aux hommes.
Quiconque honore, aime, sert et invoque Marie avec humilité et confiance, monte en paradis dans un chariot de feu.
C'est l'Administratrice de la miséricorde, parce que Dieu l'a toute remplie d'une bonté, d'une douceur, d'une libéralité et d'une bénignité extraordinaire, et d'une puissance nonpareille, afin qu'elle veuille et qu'elle puisse assister, protéger, soutenir et consoler tous les affligés, tous les misérables, et tous ceux qui ont recours à elle dans leurs besoins et nécessités.
C'est ce qu'elle fait continuellement au regard des particuliers, des royaumes, des provinces, des villes, des maisons, et même de tout le monde, selon ces paroles de l'un des plus saints et des plus savants Pères de l'Église, saint Fulgence, qui vivait il y a près de douze cents ans. Caelum et terra, dit-il, jamdudum ruissent, si Maria precibus non sustentasset : « Il y a longtemps que le ciel et la terre seraient réduits au néant, duquel ils ont été tirés, si les prières de Marie ne les avaient soutenus. » Ce qui se doit entendre, non pas du ciel empyrée. mais des autres cieux qui portent le soleil, les étoiles et la lune. (4)

Combien y a-t-il de royaumes, de provinces, de villes, de maisons et de personnes particulières auxquelles on peut adresser ces paroles: O royaume, qu'il y a longtemps que tu ne serais plus, à raison des impiétés, des athéismes, des blasphèmes, des hérésies, et de toutes les abominations dont tu es rempli, si les prières de Marie ne t'avaient conserve ! O province, de quels crimes n'es- tu pas infectée ? 11 y a longtemps que les feux du ciel t'auraient réduite en cendres, si Marie n'intercédait sans cesse pour toi. O ville, ô cité, combien lances-tu tous les jours de flèches empoisonnées contre le ciel et contre le Dieu du ciel, par tes crimes innombrables ? Il y a longtemps que la terre se serait ouverte pour t'engloutir, si les grandes miséricordes de Marie ne t'avaient protégée. O maison, ô famille, combien d'injustices, de rapines, d'usures, de larcins, de haines, de vengeances de médisances, de parjures, d'impudicités et d'autres forfaits se commettent en toi !
Il y a longtemps que tu serais entièrement exterminée, si les prières de Marie ne s'y étaient opposées. O hommes, ô femmes, combien de fois avez-vous mérité par vos péchés énormes que le ciel lançât ses foudres sur vos têtes ? Il y a longtemps que vous seriez à brûler dans l'enfer, si les intercessions de Marie ne vous avaient retenus en la terre pour y faire pénitence de votre vie méchante et détestable.
Reconnaissons donc et honorons la Mère du Sauveur comme la Mère de miséricorde, à laquelle son Fils bien-aimé a voulu communiquer sa grande miséricorde, afin de l'associer avec lui dans les oeuvres de sa clémence et de sa bénignité. Grâces infinies et éternelles vous en soient rendues, ô mon Sauveur ! O Mère de miséricorde, que tous les Anges, tous les Saints et toutes les créatures chantent à jamais les miséricordes de votre Fils Jésus et de sa divine Mère ! Misericordias Domini et Dominae in aeternum cantabo: « Je chanterai éternellement les miséricordes de mon Roi et de ma Reine. » Confiteantur Jesu et Maria misericordia eorum, et mirabilia eorum filiis hominum : « Que toutes les miséricordes du Fils unique de Marie et de la très sainte Mère de Jésus, et tous les miracles de bonté et de clémence qu'ils ont faits pour les enfants des hommes, les bénissent et les glorifient éternellement ! ».


(1) «Dixit quoque Dominus Deus: non est bonum esse hominem solum: faciamus ei adjutorium simile sibi. » Gen. II, 18.
(2) « Adhortor Judaeum, et Graecum seu gentilem, ut quaerat et possideat illum adjutricem, quam Deus fecit ad ferendam opem toti generi hominum: adjutricem non carnis et voluptatis, non seminis et sanguinis; adjutricem et conjugem, et quae nequaquam fuit insidiatrix, sed salutaris, sed conservatrix, sed illuminans, sed benevola; peccata purgans, non faciens; in regnum Dei introducens, non es eo expellens; adjutricem quae parit filios vitae, et haeredes vitae aeternae; adjutricem quae magnos efficit Apostolos, et facit publicanos Evangelistas theologos, redditque meretrices virginibus honestiores. » In Hexameron. Lib.9.
(3) « Ignem veni mittere in terram: et quid volo nisi ut accendatur ? » Luc, XII, 49 .
(4)Mythologia, lib. 4.
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Laetitia
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Re: Magnificat anima mea Dominum.

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Saint Jean Eudes a écrit : CHAPITRE IX.

Explication du sixième verset : Fecit potentiam in brachio suo: dispersit superbos mente cordis sui.

La bienheureuse Vierge ayant loué et glorifié, dans le verset précédent, les effets de la divine Miséricorde, qui prennent leur origine de l'Incarnation du Sauveur, et qui s'étendent de génération en génération sur ceux qui craignent Dieu, elle magnifie et exalte dans celui-ci les prodiges de la divine Puissance, qui éclatent dans ce même mystère d'une manière admirable.

Le grand Dieu, dit-elle, a déployé la puissance de son bras. Quel est ce bras ? Saint Augustin, saint Fulgence, saint Bonaventure disent que c'est le Verbe incarné, conformément à ces paroles du prophète Isaïe : Et brachium Domini cui revelatum est (1), que saint Jean applique au Fils de Dieu (2) . Car, comme c'est par son bras que l'homme fait ses actions, c'est aussi par son Fils que Dieu fait toutes choses. Comme le bras de l'homme, dit Albert le Grand, prend son origine du corps; et la main, du corps et du bras: ainsi le Fils de Dieu prend sa naissance de son Père, et le Saint-esprit procède du Père et du Fils.

Mais que veulent dire ces paroles, Fecit potentiam ? C'est-à-dire que Dieu a opéré puissamment, et qu'il a produit des effets admirables de sa puissance, in brachio suo, par son Fils unique et son Verbe incarné, qui est son bras. C'est par lui que son Père a créé toutes choses; c'est par lui qu'il a racheté tout le monde; c'est par lui qu'il a vaincu le diable; c'est par lui qu'il a triomphé de l'enfer; c'est par lui qu'il nous a ouvert le ciel; c'est par lui qu'il a fait une infinité d'autres miracles. Je ne fais rien de moi-même , dit le Fils de Dieu, mais c'est mon Père qui, demeurant en moi, fait tout ce que je fais (3). Oh ! que de merveilles la divine Puissance opère dans ce mystère ineffable de l'Incarnation ! Quel miracle de voir deux natures infiniment distantes l'une de l'autre la nature divine et la nature humaine, unies ensemble si étroitement qu'elles ne font qu'une seule personne ! Quel miracle de voir le Verbe incarné sortir des entrailles sacrées d'une Vierge, sans intéresser son intégrité ! Que de miracles dans l'institution du très saint Sacrement de l'autel ! Quel miracle enfin de la divine Puissance d'avoir élevé une petite fille d'Adam à la dignité infinie de Mère de Dieu, et de l'avoir établie Reine de tous les Anges et de tout l'univers !

Entre les oeuvres de Dieu, quelques-uns sont attribués à ses mains et à ses doigts, comme les cieux : Opera manuum tuarum sunt caeli. (4)Videbo caelos tuos, opera digitorum tuorum (5); quelques-uns à un de ses doigts, Digitus Dei est hic (6), comme les prodiges qu'il a opérés par Moïse dans l'Égypte. Mais l'oeuvre incomparable de l'Incarnation n'est point attribué aux mains de Dieu, ni à ses doigts; c'est au bras de sa divine puissance qu'il est approprié, parce qu'il surpasse incomparablement tous les autres ouvrages de son adorable Majesté.
« Chose admirable, dit saint Jean Damascène (7) , celui qui était Dieu parfait, devient homme parfait; et cet Homme-Dieu est la chose la plus nouvelle de toutes les choses nouvelles; voire c'est l'unique chose nouvelle qui a été et qui peut être sous le soleil, et dans laquelle la puissance infinie de Dieu se manifeste beaucoup plus que dans tout ce qui est renfermé dans l'univers. Car qu'y a-t-il de plus grand et de plus admirable que de voir Dieu fait homme ?
« La toute puissante majesté de Dieu, dit saint Bernard (8) , a fait trois choses si excellemment admirables et si admirablement excellentes qu'il ne s'en est jamais fait ni ne s'en fera jamais de semblables sur la terre. Car Dieu et l'homme, être Mère et Vierge, la foi et le coeur humain, sont joints et unis ensemble de la plus intime union qui puisse être; union admirable et qui passe tous les autres miracles. Comment est-ce que des choses si différentes et si éloignées les unes des autres ont pu être unies si étroitement ?
« La divine Majesté s'est raccourcie, afin de joindre ce qu'elle avait de plus noble avec la boue et la fange de notre nature, et que Dieu et la boue de la nature humaine fussent joints ensemble en une seule personne, la majesté et l'infirmité, la bassesse et la sublimité, le néant et le tout. Car il n'y a rien de plus sublime que Dieu, ni rien de plus vil que la boue; et néanmoins Dieu est descendu avec tant de bonté dans la boue, et la boue a été élevée en Dieu si hautement, que tout ce que Dieu a fait dans la boue est attribué à la boue, et tout ce que la boue a fait et produit est attribué à Dieu, par un secret ineffable et incompréhensible.
Outre cela considérez que, comme dans la Divinité, il y a trinité en trois personnes et unité en substance, ainsi, dans ce mystère merveilleux, il y a trinité en trois substances et unité en une seule personne. Et comme dans la même Divinité, les trois personnes ne divisent point l'unité, et l'unité ne diminue point la trinité : de même, en ce mystère de l'Incarnation, l'unité de la personne ne confond point la pluralité des substances, et la pluralité des substances ne détruit point l'unité de la personne. C'est la souveraine et éternelle Trinité qui nous a donné cette autre merveilleuse trinité; oeuvre admirable, oeuvre singulier entre tous et par-dessus tous les oeuvres de la divine puissance. Car le Verbe, et l'âme, et la chair ne font qu'une seule personne, et ces trois sont un, et cet un sont trois, non point par la confusion de la substance, mais par l'unité de la personne. Voilà les paroles de saint Bernard.

(1) Isa. LIII, 1.
(2) Joan. XII, 38.
(3) « Verba quae ego loquor vobis, a meipso non loquor. Pater autem in me manens, ipse facit opera.»Joan. XIV, 10.
(4) Psal. CI, 26.
(5) Psal. VIII, 4.
(6) Exod. VIII, 19.
(7) L'auteur n'indique pas de quelle partie des oeuvres de saint Jean Damascène il a tiré ce texte.
(8) «Tria opera, tres mixturas fecit omnipotens illa Majestas in asssumptione nostra carnis, ita singulariter mirabilia et mirabiliter singularia, ut talia nec facta sint, nec facienda sint amplius super terram. Conjuncta quippe sunt ad invicem Deus et homo, Mater et Virgo, fides et cor humanum. Admirabiles ista mixturae, et omni miraculo mirabilius, quomodo tam diversa, tamque divisa ab invicem, invicem potuere conjungi ?... «Contraxit se Majestas, ut quod melius habebat, videlicet seipsum, limo nostro conjungeret, et in persona una sibi invicem unirentur Deus et limus, majestas et infirmitas, tanta vilitas et sublimitas tanta. Nihil enim Deo sublimius, nil vilius limo: et tamen tanta dignatione Deus descendit in limum, tantaque dignitate limus ascendit ad Deum, ut quidquid in eo Deus fecit, limus fecisse credatur; quidquid limus pertulit, Deus in illo pertulisse credatur, tum ineffabili quam incomprehensibili sacramento.
« Et attende quia, sicut in illa singulari Divinitate, Trinitas est in personis, unitas in substantia : sic in ista speciali commixtione trinitas est in substantiis, in persona unitas. Et sicut ibi personae non scindunt unitatem, unitas non minuit Trinitatem, ita et hic persona non confundit substantias, nec substantiae ipsa personae dissipant unitatem. Summa illa Trinitas; hanc nobis exhibuit trinitatem, opus mirabile, opus singulare inter omnia et super omnia opera sua. Verbum enim, et anima, et caro in unam convenere personam; et haec tria unum, et hoc unum tria, non confusione substantiae, sed unitate personae. » S. Bern. Serm. 3 in Vigil. Nat. Dom.
à suivre.
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