Pascal - Les provinciales (et leur réfutation par l'abbé Ulysse Maynard). Paris, 1851. Tome I, p. 311-313 a écrit :
Peut-on souhaiter la mort de quelqu'un, ou s'en réjouir quand elle arrive ?
On ne peut souhaiter le mal de personne, en tant que son mal ; mais s'il est en même temps un bien, soit pour la personne qui l'éprouve ou à qui on le souhaite, soit pour l'Église, soit pour l'État, soit pour nous ou pour quelque autre que nous devions aimer davantage, selon l'ordre de charité, ce souhait est il licite ?
En général, ainsi que le disent expressément les théologiens, il faut écarter avec soin de pareils sentiments, parce qu'il y a toujours à craindre haine, vengeance, cupidité.
Mais si ce danger n'existe pas ou peut être évité, il est permis de souhaiter au prochain un mal qui serait en même temps un bien pour lui sous un rapport supérieur, par exemple, une infirmité qui devrait l'amener à résipiscence, sa mort en vue de son salut éternel. C'est ainsi que les siècles se sont transmis avec respect le mot de l'admirable mère de saint Louis: « Mon fils, j'aimerais mieux vous voir mort à mes pieds, que coupable jamais d'un péché mortel. »
Il est permis encore de souhaiter un mal qui devrait tourner au plus grand bien de l'Église ou de l'État ; comme la mort d'un persécuteur ou d'un monstre de tyrannie, d'un Néron ou d'un Marat, l'humiliation des ennemis de Dieu ou de la patrie ; et ces sortes de vœux sont consacrés par la prière catholique, la foi des chrétiens, et le patriotisme de tous les peuples.
Enfin le même souhait est licite, si le mal est pour nous ou pour d'autres plus chers un grand bien, en ce sens qu'il nous met à couvert d'un mal très-grand dont nous étions injustement menacés. Il n'y aurait aucun péché, par exemple, à souhaiter la mort de celui qui attente à nos jours, pourvu qu'il ne s'y mêlât aucun sentiment de haine ou de vengeance.
Toutes ces décisions sont conformes à la doctrine du prince des théologiens, dont voici les paroles : « Il est permis, sans blesser la charité, de souhaiter un mal temporel à quelqu'un, non en tant que son mal, mais en tant qu'il empêche le mal d'un autre que nous devons aimer davantage, ou de la communauté ou de l'Église. » (
In 3 lib. Sent., dist. 30, q. 1, art. 1 ad 4.) L'ordre de la charité est, en effet, alors parfaitement conservé.
Le cas le plus difficile est lorsqu'un événement a deux faces, et qu'il est à la fois avantageux pour nous et fâcheux pour un autre. C'est alors surtout qu'il est dangereux de se livrer à ces sortes de sentiments, tant il est difficile de les purifier, et d'en ôter tout ce qui peut blesser l'amour du prochain; car si la précision est possible dans l'esprit, elle ne l'est guère dans le cœur et dans la pratique.
Et c'est pourquoi Innocent XI a condamné trois propositions, les
13e, 14e et 15e de son décret de 1679, qui permettaient, la première, de s'attrister de la vie de quelqu'un, de se réjouir de sa mort naturelle, de la souhaiter d'un désir inefficace, pourvu qu'on le fit avec une juste modération, sans haine de la personne, mais pour quelque avantage temporel ; la seconde, de désirer absolument la mort d'un père pour son riche héritage ; la troisième, de se réjouir, pour le même motif, d'un parricide commis dans l'ivresse. Cette dernière proposition est monstrueuse, et digne de toute exécration. La première n'est condamnable qu'à cause de sa généralité; car, entendue dans le sens des paroles de saint Thomas tout à l'heure citées, elle serait tolérable. Pour la seconde, elle est repoussée par la piété filiale. Si cependant le désir était
conditionnel, par exemple subordonné à la volonté et aux desseins de la Providence, rigoureusement parlant, il ne serait pas coupable. Mais il est moralement impossible que la prétendue soumission à la volonté de Dieu ne soit pas fictive, que le désir ne se transforme pas de conditionnel en absolu, et qu'il n'ait pas pour unique but le bien temporel, qu'on préfère à la vie du prochain.