Question sur une accusation contre l'index romain

chartreux
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Question sur une accusation contre l'index romain

Message par chartreux »

J'ai été un peu troublé par des accusations d'incompétence envers la congrégation romaine
de l'Index, formulées dans une conférence de l'historien Jean Dumont en 1995 (à partir de 52:04 sur la première audio,ici)

Jean Dumont a écrit : L'Index espagnol en effet ne prohibe ni ne soumet à expurgation les oeuvres de Giordano Bruno, Galilée, Descartes, brûlées et condamnées à Rome.
(...)
Quand il y a eu la condamnation de Galilée, l'Inquisition espagnole a dit : "Y a t-il eu un concile ? Y a t-il une déclaration du Pape parlant ex cathedra ? Non ? Alors, ça ne nous intéresse pas ... C'est l'opinion de quelques cardinaux romains"
(...)
Les indices de l'Inquisition espagnoles sont donc sur les points importants des monuments de compréhension qui, s'ils avaient été suivis à Rome, auraient épargné à J-P II de devoir dire ses regrets il y a 2 ans pour l'injustice commise, disait-il, à l'égard de Galilée, quelles qu'aient été d'ailleurs les provocations et prétentions indues de l'intéressé.
On m'objectera que certains des condamnés par Rome, notamment Descartes et Spinoza, étaient effectivement dangereux. J'en suis bien d'accord. Mais l'Inquisition espagnole, l'Église d'Espagne en général se sentaient assez fortes, avec S. Thérèse d'Avila, S. Jean de la Croix, Luis Molina (...) elles se sentaient assez fortes pour contrebattre l'influence d'un Gallilée, d'un Descartes, ou d'un Spinoza par l'éducation, sans avoir à recourir à une répression qui avait l'attrait d'un fruit défendu, et qui était d'ailleurs inopérante, les pays protestants (en particulier la Hollande) répandant les livres interdits partout.
La contre-offensive positive des Espagnols ne réussit pas si mal puisque les lycées de l'Allemagne luthérienne du XVIIème siècle choisirent pour enseignement de la philosophie, la philosophie catholique de l'espagnol Suarez. Et le mouvement sera inverse en France.
(...)
Descartes est interdit en France par l'Index romain, et en fait il domine. En Espagne c'est l'inverse : il n'est pas interdit mais il ne domine rien du tout ...
Toutes précisions bienvenues.
chartreux
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Re: Question sur une accusation contre l'index romain

Message par chartreux »

JCL a écrit : mar. 26 juin 2018 15:02 Que pensez vous de Jean Dumont ? Je le croyais franchement catholique intégrale mais j'ai été plutôt déçu par une conférence de lui sur l'inquisition espagnole ou il semble défendre l"inquisition espagnole au détriment de l'inquisition romaine, ou de sa discipline vis à vis des mises à l'index et donc, finalement ,et au fond, contribuant à la perte et au mépris ,m' a-t- il semblé de la véritable soumission/ vision /obéissance de la vraie , claire , franche et vraiment profonde foi en la vraie divinité réelle de l’Église (sans faire "d'angélisme" pour autant...)...autrement dit une défense de l'inquisition espagnole comme préfigurant le "faux traditionalisme" fier de "remettre le Pape à sa place"...???
Il y a peut-être ici une certaine "déformation professionnelle" des historiens, qui fait qu'ils sont un peu obnubilés par leur spécialité et oublient le reste du monde. M. Dumont semble ici marchander avec le consensus mondain actuel, il veut bien leur laisser la mauvaise réputation de l'Inquisition non-espagnole du moment qu'il obtient la réhabilitation de "son" Inquisition espagnole ...

Ce que M. Dumont oublie de dire, c'est que l'Inquisition non-espagnole fut à peine plus dure avec Galilée que l'Inquisition espagnole. Ceux qui connaissent les détails du procès savent bien les faveurs et exceptions extraordinaires dont Galilée a joui pendant la procédure, et le fait que le procès visait manifestement à nuire le moins possible à la personne et la réputation de Galilée. Sa seule punition fut d'abjurer le système héliocentriste (ce qui ne lui coûta sans doute pas un grand effort, vu qu'il avait professé le système géocentriste pendant des années tout en croyant à l'héliocentrisme dans son coeur, comme il l'explique dans une lettre à Kepler ; et il faisait cela non pas par crainte d'une inexistante intolérance de l'Église en matière scientifique, mais, disait-il, par crainte du "ridicule et de la dérision venant de l'infinie multitude, car tel est le nombre des imbéciles").
Et contrairement à certaines légendes répandues, Galilée n'a jamais passé un seul jour en prison, et a vécu jusqu'à la fin de sa vie dans le luxe, l'opulence et l'amitié des puissants.

En ce qui concerne Descartes et la France, je ne vois pas d'indice que la non-interdiction de Descartes aurait arrangé les choses ?
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Louis Mc Duff
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Re: Question sur une accusation contre l'index romain

Message par Louis Mc Duff »

chartreux a écrit : jeu. 28 juin 2018 15:47 J'ai été un peu troublé par des accusations d'incompétence envers la congrégation romaine
de l'Index...
(...)
Toutes précisions bienvenues.
Voici quelques précisions tirées du lien mis par Si vis pacem au sujet d'un excellent article de M. Jean Guiraud au sujet du Saint-Office :

http://larchange.org/viewtopic.php?f=13 ... 5006#p6877
En 1545, par une bulle datée du 1er avril, Paul III, voulant enrayer, dans la chrétienté tout entière, les progrès menaçants de l'hérésie, institua la Congrégation générale du Saint-Office (voir plus loin), chargée de veiller, dans le monde entier, aux intérêts de l'orthodoxie. Parmi les cardinaux qui la composaient, il eut soin de nommer deux Espagnols de l'Ordre des Prêcheurs, Jean Alvarez de Tolède, évêque de Burgos, fils du duc d'Albe, et Thomas Badia, maître du Sacré-Palais. Malgré cette précaution, le Saint-Office espagnol prit ombrage de cette création, qui menaçait l'autonomie de plus en plus grande qu'il s'était donnée, et fit faire au pape des représentations par l'empereur. Paul III dut déclarer formellement qu'il n'avait pas eu l'intention de rien changer à ce qui avait été établi, et que l'institution de l'Inquisition romaine était sans préjudice des droits dont jouissaient les autres inquisiteurs, existant déjà ou pouvant être ultérieurement établis en dehors des Etats de l'Eglise (LLORENTE, II, p. 78)

Llorente reconnaît plus loin que le Saint-Office espagnol se considérait comme à peu près indépendant du Saint-Siège. « Les inquisiteurs d'Espagne, écrit-il, sont opposés de fait à l'infaillibilité du Souverain pontife (qu'ils prônent théoriquement), et refusent de se soumettre aux décrets du pape, lorsqu’ils sont contraires à ce qu'ils ont résolu ou à l'intérêt de leur système particulier... Le parti que l'Inquisition a osé prendre, tantôt injustement tantôt avec raison, de soutenir son autorité contre tout autre pouvoir..., a été la principale cause des démêlés continuels qui ont divisé les deux puissances (spirituelle et temporelle). » (II, p 81-82). Llorente oublie d'ajouter que ce qui donnait à l'Inquisition l'audace de tenir tête au pape, c'était la direction que lui imprimait le chef nommé par le roi, mais surtout ce Conseil suprême sans lequel le grand Inquisiteur lui-même ne pouvait rien, et dont les membres ne tenaient leur nomination et leur pouvoir que du roi et du pouvoir civil.
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Source

Dans son œuvre, devenue classique, sur les hétérodoxes espagnols, M. Menendez y Pelayo, professeur à l'Université de Madrid, s'est demandé si le Saint-Office s'était montré fort rigoureux contre les livres et si son Index avait gêné sérieusement le développement de la pensée espagnole, des lettres et des sciences, dans les trois siècles où il fonctionna ; et il constate que, si un certain nombre d'écrits littéraires s'y trouvent, c'est souvent parce qu'ils étaient grossièrement immoraux. Plusieurs n'y figuraient que jusqu'à correction de certains passages ou expressions contraires à la vérité et même à l'élégance du style.

Si des humanistes du XVIe et du XVIIe siècle, dont les œuvres étaient fortement entachées de protestantisme, Erasme, Scaliger, Henri Estienne, Vossius s'y rencontrent, ce n'est pas le plus souvent, pour l'ensemble de leurs œuvres, mais pour telles d'entre elles, dont on souhaite la correction.

Enfin M. Menendez y Pelayo fait remarquer que l'Index espagnol ne porte pas mention d'un certain nombre de philosophes et savants qui furent cependant suspectés d'opinions téméraires ou erronées, en d'autres pays : Giordano Bruno, Descartes, Leibnitz, Hobbes, Spinoza, Copernic, Galilée et Newton.

L'Inquisition se montra plus sévère pour les écrits, qui traitaient plus particulièrement de sujets religieux, théologiques et mystiques ; et voilà pourquoi dans son Index nous trouvons, à côté de toutes les traductions de la Bible en langue vulgaire, les noms de grands théologiens, comme ceux de Carranza, du jésuite Mariana, de mystiques tels que Tauler, et même de saints tels que saint François Borgia, pour son Œuvre du chrétien suspectée d'illuminisme !

Pour expliquer cette contradiction entre la tolérance accordée aux uns et la sévérité exercée envers les autres, il ne faut jamais perdre de vue le caractère particulier de l'Inquisition espagnole. Avant tout politique et pratique, elle accorde une faible attention aux débats purement intellectuels comme ceux que provoquèrent les systèmes de Descartes, Hobbes, Leibnitz et Spinoza, et aux systèmes purement scientifiques, tels que ceux de Newton et de Galilée. Ce qui l'inquiétait surtout, c'étaient les écrits qui pouvaient troubler les âmes, comme les œuvres de certains mystiques, ou introduire en Espagne des hérésies qui déchiraient déjà par des factions politiques ou même des guerres civiles les pays étrangers.

Contre ceux-là, elle était impitoyable, parce que son protecteur et vrai chef, le roi, ses directeurs, ses conseillers et ses agents, désireux de maintenir l'unité politique de l'Espagne par l'unité religieuse, enfin l'opinion publique, considérant les hétérodoxes comme des étrangers et même des ennemis, tenaient pour un devoir national autant que religieux, de prévenir des schismes religieux pouvant facilement devenir des factions politiques.
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chartreux
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Re: Question sur une accusation contre l'index romain

Message par chartreux »

Merci pour cet utile rappel, cher Louis.
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