Ne vous étonnez pas, Chrétiens, que le Sauveur du monde, par une espèce de reconnaissance, ait bien voulu rendre témoignage à saint Jean, et servir de témoin à son témoin même ; c'était, dit saint Chrysologue, pour vérifier dès lors, et pour accomplir par avance cette promesse si solennelle et si authentique : Qui confitebitur me coram hominibus, confitebor et ego eum coram Patre meo (1) : Quiconque me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai devant mon Père et devant les anges, au jour de mon dernier avènement ; ainsi l'assurait le Fils de Dieu, parlant des justes en général : mais à l'égard de Jean-Baptiste, il a encore plus fait ; car, sans attendre la fin des siècles, il lui a servi de témoin dès cette vie, il l'a reconnu, il l'a glorifié en toutes les manières. Je m'explique : qu'a fait le Sauveur du monde pour honorer son précurseur ? il a rendu témoignage à la grandeur de sa personne, il a rendu témoignage à la dignité de son ministère, il a rendu témoignage à l'excellence de sa prédication, il a rendu témoignage à l'efficace de son baptême, il a rendu témoignage à la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence : tout cela, autant d'éloges sortis de la bouche du Fils de Dieu même, en faveur de saint Jean : pesez-les, mes chers auditeurs, et admirez-les.
Non, jamais homme ne s'est attiré et n'a reçu tout à la fois tant d'honorables témoignages que saint Jean-Baptiste. C'est ce que nous apprend l'évangile de ce jour ; car nous y voyons les anges et les hommes, par une espèce de concert, occupés à l'exalter. Des hommes, au premier bruit de sa naissance, en sont déjà dans le ravissement, et manquent, ce semble, de termes pour exprimer les hautes idées qu'ils conçoivent de sa personne ; ils se demandent les uns aux autres : Quis, putas, puer iste erit (2) ? Que pensez-vous que sera un jour cet enfant ? comme s'ils disaient : Voici un enfant en qui la nature et la grâce ont déployé tous leurs trésors, un enfant de bénédiction, un enfant de prodiges et de miracles. Déjà, tout enfant qu'il est, la main du Seigneur, c'est-à-dire la puissance et la force de Dieu, est avec lui ; déjà il a délié la langue de son père Zacharie ; déjà il a rendu féconde la stérilité de sa mère Elisabeth : mais s'il a fait en naissant tant de merveilles, que fera-t-il dans le progrès de sa vie ? s'il est si grand dès son berceau, que sera-ce quand, avec l'âge, il aura atteint la perfection d'une vertu consommée ? c'est un secret, ajoutent-ils, que nous nous contentons de révérer, et qu'il ne nous est pas possible de pénétrer : Et posuerunt omnes qui audierunt, in corde suo, dicentes : Quis, putas, puer iste erit (3)?
Après avoir entendu toutes ces merveilles, ils les conservent dans leur cœur, et ils demeurent dans le silence, parce qu'ils ne croient pas pouvoir s'en expliquer assez dignement. Mais voici un ange, qui vient suppléer à leur défaut, un ange député de Dieu : c'est Gabriel qui vient résoudre leur doute, et leur apprendre clairement et distinctement ce qu'ils doivent penser de la personne de Jean. Vous êtes en peine de savoir ce que sera un jour cet enfant ; et moi, dit l'ange, je vous déclare qu'il sera grand devant le Seigneur : Erit magnus coram Domino (4). Témoignage, Chrétiens, qui suffisait pour canoniser le précurseur de Jésus-Christ : car être grand devant les hommes, ce n'est rien ; être grand devant les princes et les rois, qui sont les dieux de la terre, c'est peu, puisque ces dieux de la terre sont eux-mêmes très-petits ; mais être grand devant le Seigneur, comme Jean-Baptiste, c'est être vraiment grand, c'est être solidement grand, c'est être absolument grand, parce que c'est être grand devant Celui qui est non-seulement la grandeur même, mais la source et la mesure de toutes les grandeurs : Erit magnus coram Domino. En effet, tout est petit devant Dieu, et les plus hautes puissances de l'univers ne sont, en présence de cette majesté divine, que des atomes et des néants : Et substantia mea tanquam nihilum ante te (5). Mais pour saint Jean, il est quelque chose, et quelque chose de grand devant Dieu même : Magnus coram Domino. Concluez de là quel est donc le caractère de sa personne, et le degré de sa grandeur. Je me trompe, Chrétiens, ne le concluez pas encore de là ; c'est d'un autre témoin, c'est de Jésus-Christ qu'il faut que vous l'appreniez : car il n'appartenait qu'à lui de nous donner une juste idée de la personne de Jean-Baptiste.
Les hommes n'en ont pu rien dire ; l'ange, quoique ministre du Seigneur, n'en a pas dit assez ; mais le Fils de Dieu couronnera tout par son témoignage. Et que dira-t-il ? une parole qui renferme ou plutôt qui surpasse tous les éloges. Amen dico vobis, non surrexit inter natos mulierum major Joanne Baptista (6) : Oui, je vous dis en vérité, qu'entre tous les enfants des hommes, il n'y en a point de plus grand que Jean-Baptiste.
Voilà, mes chers auditeurs, le comble de la grandeur : car être grand même devant Dieu, c'était, après tout, une louange qui convenait à plusieurs autres saints ; mais être si grand qu'entre tous les enfants des hommes il n'y en ait point eu de plus grand, c'est la louange particulière et l'avantage de saint Jean. Sur cela les Pères et les interprètes sont partagés : les uns veulent que Jean n'ait été le plus grand qu'entre les saints de l'ancienne loi ; et les autres, qu'il n'y en ait point eu de plus grand que lui, même entre les saints de la loi de grâce. Quoi qu'il en soit, c'est de lui, et de lui seul, que le Sauveur a dit : Non surrexit inter natos mulierum major. Voilà l'oracle de la vérité, à quoi, sans rien examiner de plus, nous devons nous en tenir, et voilà le premier témoignage que le Fils de Dieu rendit à la personne de saint Jean.
(1) Matth., X, 32.
(2) Luc., I, 66.
(3) Ibid.
(4) Ibid., 15.
(5) Psal., XXXVIII, 6.
(6) Matth., XI, 11.