Sermon : Le zèle pour l'honneur de notre religion

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Laetitia
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Bourdaloue a écrit :
Scandales d'irréligion : ce sont ces livres contagieux et ces ouvrages où la foi est artificieusement corrompue, où la vertu est traduite en ridicule, où la crainte de l'enfer et des jugements de Dieu est représentée comme une faiblesse. Ouvrages reçus avec une estime générale, lus avec une avidité insatiable, récités dans tous les cercles, et proposés pour des modèles. En vérité, peut-on dire alors qu'il y ait de la religion dans le monde ? le peut-on penser ?

Scandales d'irréligion : ce sont ces liaisons avec des gens connus pour être des incrédules et des athées. Liaisons dont les plus vertueux, ou ceux qui passent pour tels, ne se font point de scrupule. Liaisons fondées sur cela seul que ce sont des esprits agréables, qu'ils divertissent et qu'ils plaisent, qu'ils brillent dans les conversations , et qu'on les écoute volontiers, sans se soucier du péril où l'on expose sa conscience et sa foi ; sans se mettre en peine de l'avantage qui en revient à l'impiété, quand on voit que pour n'avoir point de religion, on n'en est pas moins estimé ni moins recherché. Ah ! Chrétiens, où est ce zèle du Roi-Prophète, lorsqu'il protestait si hautement à Dieu qu'il n'aurait jamais de commerce avec les impies, et que jamais il ne leur donnerait le moindre accès auprès de sa personne, parce qu'il craignait de paraître en quelque sorte les approuver et les autoriser ? Odivi ecclesiam malignantium, et cum impiis non sedebo (2).

(2) Psalm., XXV, 5.
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Laetitia
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Bourdaloue a écrit :
Poursuivons, et ne nous lassons point d'un détail toujours abrégé, quelque étendu d'ailleurs qu'il puisse être. Scandales d'irréligion : ce sont ces entretiens où se débitent mille maximes formellement opposées à la morale de l’Évangile : par exemple, que rien n'est plus cher que l'honneur, et qu'il ne faut jamais souffrir une injure ; que chacun, par rapport aux biens temporels, doit penser à soi, et se pourvoir comme il peut ; qu'on n'est heureux qu’autant qu'on est riche, qu'autant qu'on est puissant et accrédité, qu'on jouit des commodités et des douceurs de la vie ; qu'il y a un âge pour la retraite, et un autre pour le plaisir; que certaines fautes ne sont point de si grands péchés ; qu'il n'est pas à croire que Dieu s'en tienne si grièvement offensé, ni qu'il les punisse si sévèrement. Maximes toutes mondaines, mais dont on se prévient, auxquelles on se conforme, que l'on répand, que l'on suit, malgré les anathèmes du Fils de Dieu qui les a tant de fois foudroyées et proscrites.

Enfin, scandales d'irréligion : ce sont ces nouveautés, ces erreurs qu'on veut introduire aux dépens de la saine doctrine. Erreurs qui n'éclatent pas tout à coup, mais qui se glissent secrètement et par degrés. On les couvre d'un voile de religion et de réforme ; on les insinue dans des discours publics, dans des conférences particulières, dans des libelles et des écrits; on leur donne un air de régularité, d'austérité, de pur christianisme, qui impose et qui engage. Elles ont bientôt leurs fauteurs, surtout parmi le sexe, plus facile à séduire et plus sujet à s'entêter. Elles ont bientôt leur parti ; et ce parti croît, s'avance, lève la tête, se soutient par ses intrigues, ses artifices, ses discours ; désole le champ du père de famille en y semant la zizanie, et cause dans le troupeau de Jésus-Christ les schismes et les divisions. Ce ne sont point là des fantômes ; et plût au ciel que tout ce que j'en pourrais dire ne fût qu'imaginaire et en idée !

Or je vous demande, mes chers auditeurs, si tout cela et tout ce que je passe ne sont pas des scandales, et des scandales directement contraires à cette profession simple, soumise, droite et ouverte qui honore la religion ? Et combien d'autres encore aurais-je à vous reprocher ? Scandales indirects , je veux dire scandales d'indifférence, scandales de négligence, scandales de complaisances, scandales de respect humain et d'une servile dépendance ! Quelle matière à de nouvelles réflexions ! Elle est infinie, et je suis obligé de la renfermer en peu de paroles.
(à suivre)
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Bourdaloue a écrit :
J'appelle scandale d'indifférence une froideur mortelle et une malheureuse neutralité sur ce qui touche les intérêts de la religion. Qu'il s'élève quelques différends sur des questions importantes où la vraie foi est attaquée, des gens demeurent tranquillement à l'écart, et ils ne prennent point, disent-ils, de parti ; ils ne sont ni pour l'un ni pour l'autre, se flattant de suivre en cela l'avis du grand Apôtre, qui reprenait les chrétiens de Corinthe d'être les uns pour Paul, et les autres pour Apollo : mais ne faisant pas attention à ce qu'ajoutait le même apôtre, qu'ils devaient être pour Jésus-Christ, et par conséquent que si Paul soutenait la doctrine de Jésus-Christ, s'il combattait pour l’Église de Jésus-Christ, ils devaient nécessairement se tourner du côté de Paul, et le seconder. Cependant on se tient en paix ; on entend tout, et l'on ne s'attache à rien. Que la religion soit en danger, que l’Église de Jésus-Christ soit humiliée, qu'elle soit méprisée, qu'elle soit insultée, on n'en est nullement ému; et c'est, à ce qu'il semble, une sagesse, une discrétion, un esprit de dégagement ; comme si dans la cause de Dieu tout homme, selon le mot de Tertullien, n'était pas né soldat ; comme si jamais il était permis à des enfants de rester neutres entre leur mère et ses ennemis ; à des sujets, entre leur prince légitime et des peuples révoltés; à des chrétiens, à des catholiques, entre l’Église et des rebelles qui lui déchirent le sein.

J'appelle scandale de négligence une omission habituelle et presque universelle de tout ce qui est du culte de Dieu : et que peut-on, en effet, juger de la religion d'un homme à qui l'on ne voit jamais pratiquer nul exercice de religion ? Point de prière, ni en commun, ni en particulier ; point d'abstinences ni de jeûnes, quoique ordonnés par l’Église ; point de confessions, de communions, pas même souvent au temps de la pâque. Or vous savez combien cet état est fréquent ; et dites-moi quel vestige de christianisme on y peut reconnaître ? J'appelle scandale de complaisance une damnable facilité à prêter l'oreille aux paroles licencieuses de quelques amis d'une foi très-suspecte, et peut-être tout à fait perdue. Ce n'est pas qu'on se plaise à ces sortes de conversations ; mais, par une criminelle condescendance, on paraît s'y plaire. On voit assez ce qu'on aurait à répondre, mais on craindrait de se rendre fâcheux et critique ; on se persuade pouvoir tout accorder à la liberté et à l'enjouement de l'entretien ; on consent à tout, ou l'on semble y consentir dès qu'on n'y résiste pas ; et, tout fidèle qu'on peut être, on passe pour impie avec les impies. J'appelle scandale de respect humain et d'une servile dépendance, cette lâche timidité qui nous ferme la bouche en la présence d'un maître, d'un grand à qui l'on a vendu son âme et sa religion, ces vues de fortune par où l'on se laisse entraîner dans un parti que l'on sait être le parti de l'erreur ; ces ménagements au moins et ces réserves pour ne le pas choquer, et ne s'en attirer pas la disgrâce.
(à suivre)
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Bourdaloue a écrit :
Eh ! Seigneur, si dans la naissance de votre Église, et dans ces premiers temps où elle eut à livrer tant de combats et à essuyer tant de persécutions, elle n'avait point eu d'autres défenseurs, que serait-elle devenue ? Si les premiers chrétiens eussent été des indifférents, des négligents, de faux complaisants, des sages et des politiques mondains, auraient-ils sacrifié leurs biens et répandu leur sang pour l'honneur de la religion ? En combien d'occasions l'auraient-ils trahie, non pas toujours en se déclarant contre elle, mais en ne se déclarant pas pour elle, mais en dissimulant, mais en se taisant ! Car, dit saint Chrysostome, il ne faut pas seulement réputer pour traître à sa religion celui qui l'abandonne ouvertement en appuyant le mensonge, mais celui qui ne la confesse pas hautement en soutenant la vérité : Non enim solus ille proditor est veritatis, qui mendacium loquitur, sed qui veritatem, cum oportet, non confitetur. Soyons de bonne foi, mes Frères ; et puisque nous sommes chrétiens, soyons-le pleinement, en faisant gloire de l'être. C'est ne l'être qu'à demi que de ne le vouloir pas paraître. Appliquons-nous à nous-mêmes le juste reproche que faisait aux Juifs le prophète Elie : Usquequo claudicatis in duas partes (1) ? Que ne vous déterminez-vous à l'un ou à l'autre ? et comment, par un monstrueux assemblage de religion et d'infidélité, prétendez-vous être tout ensemble au Seigneur et à Baal ? Si le Seigneur est notre Dieu, que ne le reconnaissez-vous sans déguisement ; et s'il ne l'est pas, que ne le désavouez-vous absolument ? Si Dominus est Deus, sequimini, eum ; si autem Baal, sequimini illum (2). Telle est, mes chers auditeurs, la disjonctive que l’Église vous propose encore aujourd'hui, ou que je vous propose en son nom. Choisissez.

Mais que dis-je ! et y a-t-il là-dessus une autre résolution à prendre que de nous dévouer plus fortement que jamais à l'excellente et divine foi où nous avons été élevés, et de lui rendre tous les hommages qu'elle attend de nous? Respectons la religion, et tout ce qui a quelque rapport à la religion : car il n'y a rien pour nous de plus grand ni de plus sacré. Professons-la avec assurance, et ne rougissons jamais d'une si glorieuse confession. Dieu, dit saint Ambroise, ne nous a pas donné la honte et la pudeur pour un tel sujet ; et ce serait bien mal l'employer que de la faire servir contre lui-même. Notre foi est aveugle (c'est la pensée de Zénon de Vérone), elle doit donc être moins sujette à rougir ; et comme elle ne voit pas ce qu'elle croit, elle doit aussi nous fermer les yeux à toutes les considérations du monde quand il s'agit de repousser les scandales qui l'offensent. Ne nous contentons pas de l'honorer comme vraie, par une profession libre et publique : mais puisqu'elle est sainte, honorons-la par la pureté et la sainteté de nos mœurs. Autre devoir dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.


(1) 3 Reg., XVIII, 21.
(2) Ibid.
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Bourdaloue a écrit :
DEUXIÈME   PARTIE.

Que notre religion soit sainte, et même de toutes les religions la plus sainte, disons-mieux, et même de toutes les religions l'unique vraiment et parfaitement sainte, c'est un principe, Chrétiens, que j'ai déjà établi dans un discours exprès sur cette matière, et qui, selon mon dessein, ne demande point ici de nouvelles preuves pour vous en convaincre : elle est sainte dans son auteur, sainte dans ses maximes, sainte dans ses préceptes et ses conseils, sainte dans ses mystères, sainte en tout ; car c'est ainsi que le Saint-Esprit nous l’a représentée toute pure et sans tache, et voilà l'idée que je vous en ai donnée moi-même, et que vous en avez dû concevoir. Ceci donc posé, j'ajoute une autre vérité non moins certaine ni moins indubitable : que de toutes les qualités et de toutes les prérogatives qui relèvent la religion de Jésus-Christ que nous professons, il n'en est point de plus excellente, ni par conséquent de plus glorieuse que sa sainteté : pourquoi ? parce que c'est par sa sainteté qu'elle est digne de Dieu ; parce que c'est sa sainteté qui la rend agréable à Dieu ; parce qu'entre tous les témoignages, nul autre que sa sainteté ne montre plus infailliblement, ni même si infailliblement, qu'elle est de Dieu.

Dans cette religion Dieu a renfermé tous les dons : le don des miracles, le don des langues, le don de prophétie, le don de science, le don de sagesse, et les autres dont saint Paul nous fait le dénombrement ; mais avec ces dons, si ce n'était une religion sainte, dès là elle serait réprouvée de Dieu ; et indépendamment de ces dons, elle serait toujours selon le gré de Dieu, dès qu'elle serait sainte. D'où il s'ensuit que ce qui honore davantage la religion, c'est ce qui fait plus éclater sa sainteté, parce que c'est ce qui la rend plus vénérable.

Or, il est constant que ce qui fait plus paraître la sainteté de notre religion, c'est la sainte vie de ceux qui la professent. Car, pour appliquer ici la figure de l’Évangile, on juge de l'arbre par ses fruits : s'il produit de bons fruits, on connaît que c'est un bon arbre : Arbor bona facit fructus bonos. La sainteté des effets marque la sainteté du principe qui les opère ; et il faut qu'une religion soit sainte, pour avoir la vertu de sanctifier. Ce n'est pas après tout qu'elle ne puisse être sainte en elle-même, sans que ceux qui en portent le nom et qui s'en déclarent les sectateurs acquièrent la même sainteté. Car, bien qu'ils y soient attachés par un engagement de parole et de foi, la perversité de leur cœur peut les en détacher dans la pratique par une criminelle et volontaire corruption de mœurs. Ils peuvent croire ses vérités, ils peuvent admirer ses maximes, ils peuvent même désirer sa perfection d'un désir inefficace et de pure complaisance, tandis qu'entraînés par le poids de la nature, et emportés par l'ardeur des passions auxquelles ils se laissent gouverner, ils vivent tout autrement qu'ils ne croient, et suivent des maximes toutes contraires. Le désordre de leur vie vient de leur volonté qui se dérègle, et non point de leur religion, qui n'en est en soi pas moins parfaite ; et voilà la juste et solide réponse à ceux qui voudraient s'en prendre à la religion chrétienne des vices qui règnent parmi les chrétiens.

Tout cela est incontestable ; mais enfin il faut toujours avouer que ce qui donne plus de lustre à la sainteté d'une loi, c'est la sainteté de ceux qui l'ont embrassée. Être saint et paraître saint, ce sont deux choses toutes différentes. D'être sainte, c'est ce que la loi évangélique a de son fonds, ou ce qu'elle a reçu de Dieu ; mais de paraître sainte, d'être estimée sainte, d'être révérée comme sainte, c'est ce qu'elle peut recevoir de nous et de notre sainteté : comment ? parce que notre sainteté sera le témoignage visible et irréprochable de la sienne.
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Bourdaloue a écrit :
Si donc, mes chers auditeurs, nous voulons l'honorer sous cette précieuse qualité de sainte, qui lui est si légitimement acquise, et qui fait un de ses plus beaux ornements, nous ne le pouvons mieux qu'en travaillant à notre propre sanctification. Et c'est pour cela que saint Paul recommandait tant aux fidèles de se rendre irrépréhensibles dans toute leur conduite, et de faire en sorte que les païens et les idolâtres ne trouvassent rien à censurer en eux, persuadé qu'il était que rien ne relèverait davantage la gloire du christianisme, et ne contribuerait plus à le répandre dans toutes les parties du monde. C'est pour cela qu'il exhortait si expressément ces mêmes fidèles à pratiquer le bien, non-seulement devant Dieu, mais devant les hommes, afin que l'honneur en rejaillit sur la religion qui le leur enseignait, et qu'elle en devînt plus respectable. C'est pour cela que tous les Pères de l’Église se sont tant appliqués à entretenir dans ceux qu'ils instruisaient l'innocence et la pureté de la vie, et à n'y rien souffrir contre l'édification publique : ayant en vue, outre le salut de chaque particulier, l'avantage qu'en tirerait tout le corps de la religion, et le crédit où elle s'établirait. C'est pour cela que toutes les nouvelles sectes, toutes les hérésies, ont toujours affecté un air de réforme et un extérieur de régularité, par où elles se sont insinuées dans les esprits, et elles ont fait de si tristes progrès.

Aussi quand saint Augustin, parlant aux infidèles, voulait exalter la religion chrétienne et leur en donner une haute idée, il leur faisait considérer les chrétiens : et voilà ce qui tant de fois a touché les plus grands ennemis de l’Évangile et ses plus cruels persécuteurs. Quand ils voyaient parmi le troupeau de Jésus-Christ tant d'équité et de droiture, tant de candeur et de bonne foi, tant de piété et de retenue, tant d'union et de charité, tant de force, de patience, de désintéressement, tant de vertus, ils ne pouvaient refuser à une religion qui formait de tels hommes les éloges qui lui étaient dus, et que leur arrachait, comme malgré eux, la vérité dont ils étaient témoins. Voilà par où tous les saints l'ont honorée, tant de saints ecclésiastiques, tant de saints religieux, tant de saints solitaires, tant de saints de tous les états et de toutes les conditions. Nous avons la même foi, nous en avons reçu les mêmes avantages, nous en attendons les mêmes récompenses : qui peut nous dispenser d'avoir pour elle le même zèle, et de lui procurer le même honneur ?
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Bourdaloue a écrit :
Mais qu'est-il arrivé dans le cours des siècles, et que voyons-nous dans le nôtre, plus qu'on ne le vit jamais ? C'est que nous avons dégénéré, et que nous dégénérons tous les jours de cette première sainteté qui faisait autrefois fleurir le christianisme, et dont ses défenseurs se servaient pour en inspirer l'estime et pour l'autoriser. Regardez, disait Tertullien pour sa justification et pour celle de ses frères attaqués de toutes parts, et exposés à toute la violence, des tyrans, regardez comment nous vivons, et vous ne mépriserez pas ce que nous croyons. Il n'y a entre nous ni fraude, ni injustice; il n'y a ni traîtres, ni scélérats. Vous avez dans vos prisons des chrétiens; mais leur seul crime, c'est le nom qu'ils portent et la profession qu'ils en font. Hors de là, que pouvez-vous dire contre eux, et de quoi les pouvez-vous accuser ? Nous nous assemblons, mais seulement pour invoquer notre Dieu ; et nos prières presque continuelles sont suivies des exercices d'une sainte pénitence. Du reste, quel tort faisons-nous à personne, et quelle charité même n'exerçons-nous pas envers tous ? à quels devoirs manquons-nous ? Jugez donc, concluait cet ardent apologiste, jugez par notre vie qui nous sommes ; et de ce que nous sommes, jugez quelle  doit être cette foi par qui nous le sommes. Telle était la règle qu'il  donnait pour bien connaître la religion chrétienne, et pour en faire voir l'excellence. Mais, à s'en tenir maintenant et précisément à cette règle, au lieu que c'était alors la gloire de la religion, n'en serait-ce pas, dans l'état présent du christianisme, la honte ?

Je l'ai dit, et je ne puis trop le répéter, ni trop fortement vous l'imprimer dans l'esprit : il y a, selon la belle remarque de Tertullien, et celle d'Arnobe après lui, il y a entre les fausses religions du paganisme et la religion chrétienne   cette   différence   essentielle, que dans le paganisme ceux qui étaient bons et vertueux ne l'étaient point par religion, puisque au contraire les religions païennes ne portaient qu'aux vices et en donnaient dans leurs prétendues divinités les exemples. De sorte que tous les désordres qui se commettaient parmi les païens, on pouvait les attribuer à leur religion, ou plutôt à leur superstition, sans lui pouvoir rien attribuer de toutes les vertus qui se pratiquaient. Mais, par un privilège directement opposé, tout ce qui se fait de bien dans le christianisme doit tourner à l'honneur de la religion chrétienne, puisque c'est elle qui l'ordonne et qui le persuade : et rien de tout ce  qui se fait de mal ne doit tourner à sa confusion, puisqu'elle est la première et la plus rigoureuse à le défendre et à  le condamner.
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Bourdaloue a écrit :
C'est ainsi, mes Frères, qu'il en devrait être ; mais nous savons néanmoins que par la malignité des esprits il en va tout autrement. On a toujours voulu, et l'on veut toujours, quoique injustement, que notre foi soit responsable de notre mauvaise conduite. Et quel avantage, en effet, pour les libertins, lorsqu'ils voient, au milieu du peuple chrétien, et parmi nous, les trahisons et les perfidies, les inimitiés et les vengeances, les débauches et les impudicités ? Je dis parmi nous ; car prenez garde, s'il vous plaît : qui sont ceux qui scandalisent la foi que nous professons, et qui la déshonorent par les excès et les dérèglements de leur vie ? Sont-ce les hérétiques ? Dès qu'ils se sont séparés de sa communion, elle n'entre plus en rien de tout ce qui vient de leur part, et n'y prend plus d'intérêt. Elle ne se glorifie point, dit Tertullien, de leurs bonnes œuvres et de leurs vertus apparentes ; mais aussi, depuis le grand scandale qu'ils lui ont causé en l'abandonnant, de quelque manière qu'ils se comportent, ils ne sont plus capables de lui en causer d'autres : Nec vitiis inquinatur, nec virtutibus coronatur. Il n'y a que nous, mes chers auditeurs, qui puissions dans l'opinion des hommes la relever ou la rabaisser, la couronner de gloire ou la charger de confusion. Soyons saints comme elle et selon elle, la voilà dans le plus haut point de son crédit. Mais si nous violons toutes ses règles, mais si nous traitons son culte avec de scandaleuses irrévérences, mais si nous allions, ou si nous prétendons allier la pureté de sa morale avec la contagion du siècle, avec les excès de la passion, avec les cupidités de la chair, avec le goût du plaisir et des voluptés sensuelles, c'est alors qu'elle tombe dans le mépris, et, si j'ose dire, dans l’ignominie.

Or, n'est-ce pas là que nous la réduisons, n'est-ce pas à quoi nous l'exposons ? et n'est-il pas à craindre qu'il en soit de l’Église de Jésus-Christ comme il en fut de Jérusalem, lorsque ses ennemis, la trouvant toute dépeuplée et déserte, lui faisaient les plus cruelles insultes : Hœccine est urbs perfecti decoris (1) ? Est-ce là cette Église jadis si florissante et si belle ; cette Église qui remplissait le monde de l'éclat de ses vertus et de l'odeur de sa sainteté; cette Église qui sanctifiait les villes, les provinces, les empires ; cette Église qui consacrait les solitudes et les déserts, qui formait les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges ? Hœccine est ? Est-ce là elle, et en quel état l'apercevons-nous ? Qui l'a ainsi défigurée, et quels traits y pouvons-nous découvrir de son ancienne splendeur? Facti sunt filii perditi (2): Ses enfants, qu'elle avait élevés dans son sein, qu'elle avait instruits à son école, qu'elle avait éclairés de toutes ses lumières et pourvus de ses secours les plus puissants, sont devenus des enfants de perdition : Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus (3) : Elle avait toujours combattu le péché comme son ennemi capital, elle l'avait tant de fois vaincu et banni des cœurs où il s'était établi : mais il a repris sur elle tout l'avantage qu'elle lui avait enlevé.

(1) Thren., II, 15.
(2) Ibid., I, 16.
(3) Ibid., 10.
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Bourdaloue a écrit :

Il a répandu  son venin sur tout ce qu'elle avait de plus cher, de plus sacré, et qu'elle conservait avec plus de soin. Il n'a pas même épargné les ministres de ses autels, et la dépravation est générale. Faut-il s'étonner qu'elle en ressente une si vive douleur, et qu'elle soit plongée dans l'amertume ? Et ipsa oppressa amaritudine (1). Elle adresse sur cela ses plaintes à son Dieu et à son époux ; elle lui représente sa peine : Voyez, Seigneur, lui dit-elle, considérez l'affliction où je suis, et le décri où m'ont mis ceux-là mêmes que je portais entre mes bras, et à qui j'avais communiqué vos dons les plus précieux pour en profiter : Vide, Domine, et considera quoniam facta sum vilis (2). Mais tandis qu'elle gémit et qu'elle se plaint, elle est toujours en butte aux railleries et aux sanglants outrages des impies, des athées, des partisans de l'hérésie, qui ne l'envisagent qu'avec dédain, et qui se jouent de ses plus pieuses observances : Viderunt eam, et deriserunt sabbata ejus : quoniam viderunt ignominiam ejus.

Voilà, dis-je, ce que nous attirons à l’Église du Dieu vivant, et voilà à quoi nous ne donnons que trop d'occasion. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore des âmes fidèles dont la piété, dont la vie régulière et sainte peut faire honneur à la religion ; et à Dieu ne plaise que je leur refuse les justes éloges qui leur sont dus ! Il y en a dans le clergé, il y en a dans le cloître ; il y en a même parmi les grands et parmi les petits : car il a été de la bonté de Dieu de ne pas laisser prendre au vice un empire si universel que la ruine de son peuple fût entière ; et il a été de sa sagesse et de son adorable providence, pour la conviction des uns et pour leur condamnation , de conserver toujours dans le christianisme, et dans tous les ordres, dans tous les rangs du christianisme, certains exemples. C'est la consolation de l’Église, et là-dessus nous pouvons lui dire comme le Prophète disait à Jérusalem : Consolamini, consolamini (3) ; Sainte mère, soutenez-vous dans votre affliction, et consolez-vous ; malgré vos pertes, voici encore de dignes enfants qui vous restent, et qui peuvent en quelque sorte vous dédommager : Consolamini. Mais que dis-je, Chrétiens ! et qu'est-ce que cette consolation, si nous observons bien deux choses : premièrement, la multitude presque infinie de pécheurs qui déshonorent leur foi, et qui, sans la renoncer peut-être d'esprit et de cœur, la renoncent dans la pratique, et par leurs actions criminelles; secondement, l'injustice des hommes, surtout des ennemis de la vraie religion, qui ferment les yeux à tout ce qu'il y a d'édifiant pour n'en être point touchés, parce qu'ils ne le veulent pas être, et qui ne les tiennent ouverts qu'aux scandales, dont ils font le sujet de leurs discours injurieux, et où ils appliquent toute leur réflexion ?

(1) Thren., I, 4.
(2) Ibid., 11.
(3) Isai., XL, 1.
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Bourdaloue a écrit :
Car ne dois-je pas aujourd'hui reconnaître dans le christianisme ce que le Prophète royal avait déjà depuis si longtemps reconnu dans le judaïsme; et faut-il qu'un prédicateur de l’Évangile en soit réduit à faire publiquement cet aveu : Omnes declinaverunt (1) ! Tous se sont égarés ; ils ont tous quitté les voies de la sainteté qu'on leur avait tracées et où ils étaient appelés, pour s'engager dans leurs voies propres, dans la voie de leur ambition, dans la voie de leur intérêt, dans la voie de la passion qui les domine. Oui, tous ils se sont ainsi livrés au péché : Omnes ; c'est-à-dire qu'entre eux le plus grand nombre est celui des pécheurs ; c'est-à-dire que pour un juste qui se sépare de la multitude, nous pouvons compter mille pécheurs ; c'est-à-dire que partout et quelque part que nous portions la vue, rien presque ne se présente à nous que des pécheurs : pécheurs de tout âge, de tout sexe, de tout caractère et de toute espèce ; pécheurs superbes et orgueilleux, pécheurs mercenaires et avares, pécheurs dissimulés et vindicatifs, pécheurs violents et emportés, pécheurs malins et médisants ; ainsi des autres : Omnes declinaverunt. Encore s'ils savaient, dans leur iniquité, se prescrire de certaines bornes, et demeurer dans les limites d'une certaine pudeur : mais y a-t-il rien dans les plus sales passions de si infect et de si honteux où ils ne se laissent entraîner ? N'est-ce pas là même de tous les vices celui qui leur est devenu le plus commun, celui où ils se plongent plus promptement, celui où ils vivent plus habituellement, celui dont ils reviennent plus rarement, celui dont ils rougissent moins, dont ils se font moins de scrupule et moins de peine, dont ils se glorifient quelquefois plus hautement ? Corrupti sunt (2). Je n'oserais m'expliquer davantage, et je les renvoie au témoignage de leur conscience, pour penser en eux-mêmes (si cependant il n'est pas plus à propos qu'ils effacent absolument de leur esprit ces infâmes idées, à moins que ce ne soit un sentiment de pénitence qui leur en retrace un souvenir général), pour penser, dis-je, en eux-mêmes, et pour se dire à eux-mêmes en quels abîmes de corruption et à quelles abominations la sensualité qui les gouverne les a conduits : Abominabiles facti sunt (3).

Ah ! mes Frères, Jésus-Christ, notre législateur et notre maître, fut moqué, fut insulté, fut outragé dans sa passion : mais, comme nous la renouvelons par le péché, cette passion si ignominieuse, je puis bien conclure avec l'éloquent Salvien que nous en renouvelons tous les opprobres, et qu'ils retombent sur la sainte loi que ce divin Sauveur est venu nous enseigner : In nobis opprobrium patitur Christus. (Salv.)

(1) Psal., XIII, 3.
(2) Psal., XIII, 3.
(3) Psal., XIII, 1.
(à suivre)
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