Plusieurs missions suivirent celle de Saint-Similien, et partout l'homme apostolique obtint le plus heureux succès.Des conversions éclatantes furent le fruit de ses prédications. Les paroisses de la Chevrollière, de Vertou, de Saint-Fiacre, de Cambon et de Crossac eurent le précieux avantage d'être évangélisés par lui. Il se livra quelquefois à ces travaux, quoiqu'il fût accablé de douleurs. Il semblait que son zèle les lui fît oublier.
Sans se rebuter par les obstacles qui se présentaient, il commença la mission de Pontchâteau, qui devait être suivie pour lui de si grandes humiliations ; il y obtint un succès complet, et les habitants lui parurent si bien disposés, qu'il résolut d'ériger près de cette ville un calvaire sur un plan qu'il avait précédemment conçu pour Montfort-la-Cane. Ayant donc un jour conduit le peuple pendant la durée des exercices jusqu'à une lande peu éloignée, il marqua lui-même la place que devait occuper ce calvaire dont il avait déjà entretenu ses auditeurs. L'espace n'avait pas moins de quatre cents pieds de circuit, et le travail, soit pour remuer les terres, soit pour élever la montagne au sommet de laquelle la croix devait être plantée, était immense ; mais l'ardeur de la population pour concourir au succès de cette pieuse entreprise n'était pas moins grande ; tout le monde y travaillait ; et les dames elles-mêmes mettaient la main à l'ouvrage. Les travaux durèrent pendant plus d'une année, durant laquelle le saint prêtre donna la mission en plusieurs paroisses, entre autres à Saint-Donatien, paroisse d'un faubourg de Nantes, et à Bouguenais. Dans les intervalles qu'il avait de libre, il venait sur les lieux visiter les travaux et encourager le peuple qui s'en occupait. Trois grandes croix avec les figures de Notre-Seigneur, du bon et du mauvais larron furent érigées. Les statues de la sainte Vierge, de saint Jean et de sainte Madeleine étaient au pied de la croix de Jésus-Christ; diverses chapelles, destinées aux stations de la Passion, avaient été construites ainsi qu'un saint sépulcre. Le Père de Montfort jouissait de la consolation de voir son projet accompli. Il avait obtenu de l'évêque de Nantes la permission nécessaire pour bénir le calvaire, et il avait fixé cette cérémonie au 14 septembre, fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix, lorsque la veille du jour indiqué, au moment même où les fidèles affluaient déjà de toutes parts, un ecclésiastique arriva de Nantes et défendit de la part de l'évêque de faire cette bénédiction. On conçoit aisément quelle fut, en apprenant cette nouvelle, la consternation de la multitude qui y était assemblée. Le serviteur de Dieu conserva seul sa tranquillité, tant il était maître des mouvements de son cœur. Il partit aussitôt pour Nantes, afin d'obtenir la révocation de la défense qui lui avait été faite ; mais ce fut en vain, et il se vit obligé de revenir à Pontchâteau sans avoir rien obtenu. Bien plus, ayant commencé quelques jours après une mission à Saint-Molf, il reçut un interdit de la part de l'évêque de Nantes, dans le diocèse duquel il travaillait. Des envieux, jaloux des efforts et des succès du saint prêtre, l'avaient desservi auprès du premier pasteur du diocèse de Nantes. On ne se borna pas à son égard à ce genre de persécution le calvaire offusquait certaines gens qui avaient fait tous leurs efforts pour arrêter cette pieuse entreprise. On écrivit à ce sujet au maréchal de Château-Renault, alors commandant en Bretagne, une lettre pleine de faussetés, dans laquelle on représentait le missionnaire comme un ambitieux qui traînait à sa suite des milliers de personnes et qui voulait faire de ce calvaire une forteresse, dont par la suite des ennemis pourraient s'emparer, et où ils auraient le moyen de se retrancher. Trompé par ces assertions mensongères, le maréchal obtint un ordre du roi pour faire détruire le calvaire, et Louis XIV n'était pas un monarque qui souffrit qu'on négligeât d'exécuter ses volontés.
Autant le Père de Montfort éprouva de peine dans cette circonstance, autant sa patience fut admirable. A la première nouvelle qu'il eut de cet ordre, qui lui procurait une humiliation publique, il se contenta de dire : « Dieu soit béni; je n'ai point cherché ma gloire, mais uniquement celle de Dieu j'espère en recevoir la même récompense que si j'avais réussi ».
Le ciel ne permit pas que les efforts de son serviteur pour faire honorer la croix restassent pour toujours inutiles. Les statues et les autres figures furent conservées avec soin par le saint prêtre, qui les fit transporter à Nantes et les déposa dans une chapelle. Un demi-siècle plus tard, M. de La Muzan-chère, évêque de cette ville, les rendit, avec la permission du gouvernement, à leur destination primitive ; le calvaire fut rétabli, et c'est encore aujourd'hui un lieu de dévotion très-fréquenté (1).
(1) En 1747, à la suite d'une autre mission donnée à Pontchâteau par les missionnaires de Saint-Laurent, enfants du Père de Montfort, le Calvaire fut rétabli en subsista jusqu'en 1793, époque à laquelle les troupes républicaines le détruisirent et brûlèrent toutes les statues qui s'y trouvaient. Ce lieu, qui était devenu célèbre, resta ainsi désolé jusqu'en l'année 1820, époque à laquelle M. Gouray, curé de Pontchâteau, entreprit de le rétablir, et y réussit. La croix fut bénite le 22 novembre 1821 ; depuis cette époque, de nombreux pèlerins visitent ce monument de la piété et du zèle du Père de Montfort ; mais le plus célèbre pèlerinage qui s'y fit eut lieu le 24 septembre 1873 ; on y comptait environ 70 000 personnes accourues de toutes parts pour implorer la miséricorde de Dieu en faveur de l’Église opprimée et de la France.