Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste

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Laetitia
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Des témoins zélés, pour soutenir, en mille occasions qui se présentent, la cause de Jésus-Christ; et la soutenir, contre qui ? contre l'impiété, contre le libertinage, contre le vice, qui sont proprement ces races de vipères à la malignité desquelles la force et l'efficace de notre zèle doit s'opposer ; étant, comme nous devons l'être, bien persuadés que, parmi les mauvais chrétiens, cet Homme-Dieu n'a pas des ennemis moins dangereux qu'il en avait parmi les Juifs ; et que c'est à nous, comme héritiers du zèle de saint Jean-Baptiste, de combattre ses ennemis, de les réprimer et de les confondre. Que si en cela nous sommes lâches, si le respect humain nous ferme la bouche, si la crainte de déplaire au monde nous rend timides ; si, à force de vouloir être prudents, nous devenons prévaricateurs ; si, au lieu de nous élever contre le scandale, nous nous contentons d'en gémir ; si, par nos ménagements et nos tolérances, nous le fomentons ; si nous nous taisons où il faudrait parler, et si nous dissimulons où il faudrait agir ; dès là nous sommes indignes d'être à Jésus-Christ, et Jésus-Christ ne nous reconnaît plus.

Des témoins irréprochables, qui ne détruisions pas d'une part ce que nous prétendons établir de l'autre, qui soyons à l'épreuve de la censure, et qui, par certains endroits, n'affaiblissions pas le témoignage que Jésus-Christ d'ailleurs reçoit de nous, nous souvenant de l'avis de saint Bernard, que le monde est trop éclairé pour que nous puissions aisément lui imposer ; que, quelque soin que nous prenions de nous cacher, il découvrira notre faible, et qu'il ne manquera pas de nous l'objecter ; qu'un seul point qui le scandalisera dans nous, empêchera à son égard tout l'effet des vertus les plus exemplaires que nous  pourrions pratiquer ; et, qu'à moins d'être irrépréhensibles, dans le sens que l'entend saint Paul, nous sommes incapables d'être les témoins de Jésus-Christ.

Enfin, des témoins constants, pour tenir ferme et pour ne nous point relâcher dans les persécutions que l'enfer nous suscitera ; pour supporter avec patience les contradictions des hommes, pour résister à nos propres faiblesses et pour vivre et mourir, selon l'exemple de saint Jean, en rendant témoignage à ce Seigneur, qui veut spécialement être honoré par notre persévérance.

Voilà, mes chers auditeurs, ce que nous devons être. Mais c'est à vous, ô mon Dieu, de faire, par votre grâce toute-puissante, que nous soyons tels, comme c'est à nous de coopérer à cette grâce pour arriver à cette perfection : c'est à vous à nous imprimer ces caractères, et à nous de vous présenter des cœurs qui en soient susceptibles.

Vous avez vu, Chrétiens, le témoignage de saint Jean en faveur de Jésus-Christ; voyez le témoignage de Jésus-Christ en faveur de saint Jean : c'est le sujet de la seconde partie.
(à suivre)
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Laetitia
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DEUXIÈME  PARTIE.

C'est une question qui se présente naturellement à l'esprit, savoir lequel des deux fut plus avantageux à Jean-Baptiste, ou de ce qu'il servit de témoin au Fils de Dieu, ou de ce que le Fils de Dieu lui servit lui-même de témoin ; et je prétends qu'on peut bien appliquer ici ce que disait saint Augustin, lorsque, faisant le parallèle des deux apôtres de Jésus-Christ, saint Pierre et saint Jean l’évangéliste, il demandait qui des deux avait eu une destinée plus souhaitable et plus digne d'envie : ou saint Pierre, qui, selon le rapport de l’Évangile, semblait avoir aimé son maître plus ardemment ; ou saint Jean, qui, comme disciple favori, en avait été plus tendrement aimé : car ce saint docteur répondait qu'à juger de l'un et de l'autre par les règles de la religion, il y avait eu plus de mérite à aimer comme saint Pierre, mais qu'il y avait eu plus de bonheur et plus de faveur à être aimé comme saint Jean ; et qu'ainsi la comparaison ne pouvait être qu'à l'avantage des deux, parce que, si saint Jean avait eu au-dessus de saint Pierre la préférence de la tendresse et la prédilection de Jésus-Christ, saint Pierre l'avait emporté sur saint Jean par la ferveur et le zèle qu'il avait témoigné pour Jésus-Christ.

Il m'a paru, dis-je, que cette décision de saint Augustin convenait parfaitement à la question que je me suis proposée touchant le divin précurseur saint Jean-Baptiste ; car en voici la juste application : avoir servi de témoin au Fils de Dieu, c'est ce qui a fait le mérite de ce grand Saint ; mais avoir eu pour témoin le Fils de Dieu même, c'est ce qui a fait son bonheur et sa gloire ; et je vais vous montrer que cette gloire a été la récompense et le couronnement de son mérite, comme il est vrai que son mérite a été le fondement et le principe de cette gloire. Ecoutez-moi ; il n'y aura rien en tout ceci qui ne vous instruise et qui ne vous édifie.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste

Message par Laetitia »

Ne vous étonnez pas, Chrétiens, que le Sauveur du monde, par une espèce de reconnaissance, ait bien voulu rendre témoignage à saint Jean, et servir de témoin à son témoin même ; c'était, dit saint Chrysologue, pour vérifier dès lors, et pour accomplir par avance cette promesse si solennelle et si authentique : Qui confitebitur me coram hominibus, confitebor et ego eum coram Patre meo (1) : Quiconque me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai devant mon Père et devant les anges, au jour de mon dernier avènement ; ainsi l'assurait le Fils de Dieu, parlant des justes en général : mais à l'égard de Jean-Baptiste, il a encore plus fait ; car, sans attendre la fin des siècles, il lui a servi de témoin dès cette vie, il l'a reconnu, il l'a glorifié en toutes les manières. Je m'explique : qu'a fait le Sauveur du monde pour honorer son précurseur ? il a rendu témoignage à la grandeur de sa personne, il a rendu témoignage à la dignité de son ministère, il a rendu témoignage à l'excellence de sa prédication, il a rendu témoignage à l'efficace de son baptême, il a rendu témoignage à la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence : tout cela, autant d'éloges sortis de la bouche du Fils de Dieu même, en faveur de saint Jean : pesez-les, mes chers auditeurs, et admirez-les.

Non, jamais homme ne s'est attiré et n'a reçu tout à la fois tant d'honorables témoignages que saint Jean-Baptiste. C'est ce que nous apprend l'évangile de ce jour ; car nous y voyons les anges et les hommes, par une espèce de concert, occupés à l'exalter. Des hommes, au premier bruit de sa naissance, en sont déjà dans le ravissement, et manquent, ce semble, de termes pour exprimer les hautes idées qu'ils conçoivent de sa personne ; ils se demandent les uns aux autres : Quis, putas, puer iste erit (2) ? Que pensez-vous que sera un jour cet enfant  ? comme s'ils disaient : Voici un enfant en qui la nature et la grâce ont déployé tous leurs trésors, un enfant de bénédiction, un enfant de prodiges et de miracles. Déjà, tout enfant qu'il est, la main du Seigneur, c'est-à-dire la puissance et la force de Dieu, est avec lui ; déjà il a délié la langue de son père Zacharie ; déjà il a rendu féconde la stérilité de sa mère Elisabeth : mais s'il a fait en naissant tant de merveilles, que fera-t-il dans le progrès de sa vie ? s'il est si grand dès son berceau, que sera-ce quand, avec l'âge, il aura atteint la perfection d'une vertu consommée ? c'est un secret, ajoutent-ils, que nous nous contentons de révérer, et qu'il ne nous est pas possible de pénétrer : Et posuerunt omnes qui audierunt, in corde suo, dicentes : Quis, putas, puer iste erit (3)?

Après avoir entendu toutes ces merveilles, ils les conservent dans leur cœur, et ils demeurent dans le silence, parce qu'ils ne croient pas pouvoir s'en expliquer assez dignement. Mais voici un ange, qui vient suppléer à leur défaut, un ange député de Dieu : c'est Gabriel qui vient résoudre leur doute, et leur apprendre clairement et distinctement ce qu'ils doivent penser de la personne de Jean. Vous êtes en peine de savoir ce que sera un jour cet enfant ; et moi, dit l'ange, je vous déclare qu'il sera grand devant le Seigneur : Erit magnus coram Domino (4). Témoignage, Chrétiens, qui suffisait pour canoniser le précurseur de Jésus-Christ : car être grand devant les hommes, ce n'est rien ; être grand devant les princes et les rois, qui sont les dieux de la terre, c'est peu, puisque ces dieux de la terre sont eux-mêmes très-petits ; mais être grand devant le Seigneur, comme Jean-Baptiste, c'est être vraiment grand, c'est être solidement grand, c'est être absolument grand, parce que c'est être grand devant Celui qui est non-seulement la grandeur même, mais la source et la mesure de toutes les grandeurs : Erit magnus coram Domino. En effet, tout est petit devant Dieu, et les plus hautes puissances de l'univers ne sont, en présence de cette majesté divine, que des atomes et des néants : Et substantia mea tanquam nihilum ante te (5). Mais pour saint Jean, il est quelque chose, et quelque chose de grand devant Dieu même : Magnus coram Domino. Concluez de là quel est donc le caractère de sa personne, et le degré de sa grandeur. Je me trompe, Chrétiens, ne le concluez pas encore de là ; c'est d'un autre témoin, c'est de Jésus-Christ qu'il faut que vous l'appreniez : car il n'appartenait qu'à lui de nous donner une juste idée de la personne de Jean-Baptiste.

Les hommes n'en ont pu rien dire ; l'ange, quoique ministre du Seigneur, n'en a pas dit assez ; mais le Fils de Dieu couronnera tout par son témoignage. Et que dira-t-il ? une parole qui renferme ou plutôt qui surpasse tous les éloges. Amen dico vobis, non surrexit inter natos mulierum major Joanne Baptista (6) : Oui, je vous dis en vérité, qu'entre tous les enfants des hommes, il n'y en a point de plus grand que Jean-Baptiste.

Voilà, mes chers auditeurs, le comble de la grandeur : car être grand même devant Dieu, c'était, après tout, une louange qui convenait à plusieurs autres saints ; mais être si grand qu'entre tous les enfants des hommes il n'y en ait point eu de plus grand, c'est la louange particulière et l'avantage de saint Jean. Sur cela les Pères et les interprètes sont partagés : les uns veulent que Jean n'ait été le plus grand qu'entre les saints de l'ancienne loi ; et les autres, qu'il n'y en ait point eu de plus grand que lui, même entre les saints de la loi de grâce. Quoi qu'il en soit, c'est de lui, et de lui seul, que le Sauveur a dit : Non surrexit inter natos mulierum major. Voilà l'oracle de la vérité, à quoi, sans rien examiner de plus, nous devons nous en tenir, et voilà le premier témoignage que le Fils de Dieu rendit à la personne de saint Jean.

(1) Matth., X, 32.
(2) Luc., I, 66.
(3) Ibid.
(4) Ibid., 15.
(5) Psal., XXXVIII, 6.
(6) Matth., XI, 11.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste

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J'ai dit qu'il en avait rendu un autre à la dignité de son ministère : comment cela ? le voici. L'office important et le ministère essentiel de Jean-Baptiste, fut d'être le précurseur de Jésus-Christ ; mais cet office de précurseur était si relevé au-dessus de tous les autres ministères où les hommes jusque-là avaient été employés, que, sans le témoignage de Jésus-Christ nous ne l'aurions jamais compris. Prenez garde, s'il vous plaît. Les Juifs reconnaissaient saint Jean pour un prophète, et ils en jugeaient bien, car il l'était ; mais ils le croyaient simplement prophète, et en cela ils se trompaient, car il était quelque chose de plus : Etiam dico vobis, et plus quam prophetam (1). Oui, leur disait le Fils de Dieu, il est prophète, et plus bue prophète. Pourquoi, demande saint Jérôme, plus que prophète ? parce que les prophètes n'avaient annoncé le Messie que dans l'avenir, au lieu que Jean-Baptiste annonçait qu'il était venu ; parce que les prophètes n'avaient vu les choses que de loin et dans l'obscurité, au lieu que saint Jean les voyait clairement et en elles-mêmes. Sans autre raison que celle-là, on avait droit de le mettre au-dessus de tous les prophètes, et de l'appeler plus que prophète ; mais la prééminence de son ministère était fondée sur un titre encore plus digne de nos réflexions : Etiam dico vobis, et plus quam prophetam. Hic est enim de quo scriptum est ; Ecce ego mitto angelum meum qui prœparabit viam tuam ante te (2) ; Il est plus que prophète, ajoutait le Sauveur du monde, parce que c'est celui dont le Père éternel a dit à son Fils : Voici mon ange, que j'enverrai devant vous pour vous préparer la voie. En effet, préparer la voie à un Dieu et être le précurseur d'un Dieu, c'était faire l'office d'un ange, et les anges du premier ordre se seraient tenus honorés de cette commission ; mais cette commission est réservée à Jean, et il était proprement l'ange de Jésus-Christ. Or, être l'ange de Jésus-Christ, c'était quelque chose sans doute de plus honorable que d'être un ange du commun : car les anges du commun, quoique ambassadeurs de Dieu, n'ont point d'autre ministère que de veiller à la conduite des hommes ; mais le ministère de Jean-Baptiste regardait immédiatement la personne de Jésus-Christ, puisqu'il n'était envoyé au monde que pour Jésus-Christ : Ecce ego mitto angelum meum ante faciem tuam (3) Ah ! Chrétiens, est-il rien de plus sublime, et qui doive nous inspirer plus de vénération pour ce grand saint ? c'était l'ange de notre Dieu ; il a fait dans le mystère de l'incarnation le même office que l'ange envoyé à Marie de la part de Dieu ; et en vertu de sa mission, il a rendu à Jésus-Christ, comme précurseur, des services plus importants et plus nécessaires que jamais les anges n'en ont pu rendre à cet Homme-Dieu. Encore une fois, ministère tout angélique, ou plutôt ministère tout divin, que Jésus-Christ a voulu honorer de son témoignage.

Ajoutez-y ce qui doit en être la conséquence naturelle, je veux dire le témoignage que le Sauveur du monde rendit à la prédication de saint Jean. Vous le savez : toute l'excellence de la prédication consiste en deux points, à éclairer et à toucher, à instruire et à émouvoir; mais il est rare de trouver l'un et l'autre ensemble : car il arrive tous les jours qu'entre ceux qui sont destinés, et qui ont même reçu des talents du ciel pour être les dispensateurs de la parole de Dieu, les plus fervents et les plus zélés ne sont pas les mieux pourvus de sciences et de lumières ; et que les plus intelligents et les plus habiles ne sont pas ordinairement ceux qui ont le plus de zèle et d'ardeur. Les uns éclairent, mais ne touchent pas ; les autres touchent, mais n'instruisent pas ; au lieu que Jean-Baptiste, selon le témoignage de Jésus-Christ, excellait également dans tous les deux : Ille erat lucerna ardens et lucens (4). Vous l'avez vu, disait aux Juifs ce Dieu Sauveur, et vous l'avez admiré. C'était un flambeau qui éclairait toute la Judée ; mais c'était un flambeau ardent et luisant : luisant, pour dissiper toutes les ténèbres de l'infidélité du siècle, et ardent, pour embraser tous les cœurs du divin amour. Il a prêché parmi vous avec tout l'esprit et toute la vertu d'Elie : In spiritu et virtute Eliæ (5). L'esprit sans la vertu, ou la vertu sans l'esprit, n'auraient pas suffi ; mais ayant possédé éminemment l'un et l'autre, ç'a été un prédicateur parfait. Que restait-il, Chrétiens, après des témoignages si illustres ? Encore un moment de votre attention ; je n'en abuserai pas.

(1) Matth., XI, 9.
(2) Ibid., 10.
(3) Ibid.
(4) Joan., V, 35.
(5) Luc, I, 17.
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Laetitia
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Re: Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste

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Il s'agissait d'autoriser le baptême de saint Jean ; et c'est ce qu'a fait Jésus-Christ, par un quatrième témoignage, qui ne mérite pas moins que les autres d'entrer dans l'éloge de ce glorieux précurseur. Jean baptisait dans le Jourdain tous ceux qui venaient à lui ; mais comme ce baptême était nouveau, les pharisiens et les partisans de la Synagogue en jugeaient diversement. Quelques-uns l'approuvaient, d'autres le blâmaient ; ceux-ci l'estimaient bon et profitable, ceux-là le rejetaient connue superstitieux et inutile. On demandait à saint Jean en vertu de quoi il s'attribuait la puissance de baptiser, puisqu'il n'était pas le Christ : Quid ergo baptizas, si tu non es Christus (1) ? Mais pour montrer que cette puissance lui convenait, le Sauveur des hommes rend hautement témoignage de la validité et de l'efficace du baptême de Jean : et quel témoignage ? le plus éclatant, mais aussi de la part d'un Dieu le plus surprenant ; car tout Dieu qu'il est, il reçoit ce baptême de la pénitence, qui disposait alors les hommes à la rémission des péchés et au baptême de la loi de grâce.

C'est dans ce dessein qu'il vient de la Galilée au Jourdain, et qu'il se présente à saint Jean pour être baptisé ; c'est, dis-je, afin de convaincre par là tous les esprits que le baptême de Jean est donc un baptême salutaire ; qu'il est saint, et qu'il est de Dieu, puisque lui, qui est Fils de Dieu, en veut bien user. Mais, Seigneur, que faites-vous ? s'écrie Jean-Baptiste, touché et confus d'une humilité si profonde ; que faites-vous, et avez-vous oublié ce que vous êtes et ce que je suis ? c'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! Ne craignez-vous point, en vous abaissant jusque-là, d'obscurcir votre gloire, et qu'on n'en tire des conséquences au préjudice de votre sainteté ? Sine modo, lui répond le Fils de Dieu, sic enim decet nos implere omnem justitiam (2) ; Laissez-moi faire pour cette heure, car c'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice. Vous m'avez rendu témoignage, je vais vous le rendre à mon tour ; et pour apprendre à tout le monde que votre baptême vient du ciel, moi qui suis descendu du ciel, j'en veux bien faire l'épreuve dans ma personne. Quoique ce soit le baptême de la pénitence, moi qui suis l'innocence même, je veux bien m'y soumettre ; et quoiqu'en m'y soumettant je paraisse inférieur à vous sans l'être, je ne dédaigne point de le paraître, pourvu que je persuade aux hommes que la pénitence à laquelle ce baptême les engage, est la seule voie qui peut les conduire au salut et à la véritable rédemption. N'est-il pas vrai, mes chers auditeurs, qu'il n'appartient qu'à Dieu de savoir honorer ses saints  ?

Finissons par le dernier, mais le plus essentiel de tous les témoignages que Jésus-Christ ait rendus à son précurseur, en publiant la sainteté de Jean, l'innocence de ses mœurs et l'austérité de sa pénitence. Où le trouvons-nous, ce témoignage ? Au chapitre onzième de saint Matthieu. Car c'est là qu'il est dit que notre adorable Sauveur s'entretenant avec le peuple, et instruisant les Juifs qui l'écoutaient, leur parlait ainsi : Qu'êtes-vous allés voir dans Je désert  ? Quid existis in desertum videre (3) ? Vous y avez vu Jean-Baptiste ; hé bien ! qu'en dites-vous ? avez-vous cru voir en lui un roseau agité du vent, c'est-à-dire un esprit léger et sans consistance, qui suit le mouvement de ses passions, qui plie sous l'adversité, qui s'évanouit dans la prospérité, qui succombe à la crainte, que la vue de plaire, ou que l'intérêt ébranle ; qui cède à tout et qui ne résiste à rien : Arundinem vento agitatam (4) ? Non, Jean n'est point un homme de cette trempe, c'est un cœur ferme et inébranlable dans le parti de Dieu ; c'est une âme solide et à l'épreuve de toutes les tentations du monde ; c'est un esprit supérieur à tout ce que la faiblesse humaine peut former d'obstacles dans l'accomplissement des devoirs les plus difficiles, et qui demandent une vertu plus héroïque : en voilà le caractère. Mais encore, qu'avez-vous vu dans le désert ? y avez-vous trouvé un homme vêtu avec mollesse, un homme voluptueux, attaché à ses commodités, aimant les douceurs de la vie, esclave de son corps et de ses sens : Sed quid existis videre ? hominem mollibus vestitum (5) ? Au contraire, vous avez vu un homme crucifié pour le monde, un homme mort à tous les plaisirs du monde, un homme ennemi de son corps, un homme épuisé d'abstinences et de jeûnes, un homme couvert d'un rude cilice : telle est la forme de vie dont Jean-Baptiste est venu servir de modèle. Qui parle ainsi, Chrétiens ? le Fils de Dieu, lequel rend témoignage de la sainteté de son précurseur, et qui n'allègue pour cela ni les révélations, ni les extases, ni le don des miracles et des guérisons, ni l'esprit de prophétie, ni toutes les autres grâces éclatantes dont saint Jean était rempli ; mais qui fait consister cette sainteté dans une vie pénitente et mortifiée, dans la haine de soi-même, dans le crucifiement de la chair, surtout dans la constance et la fermeté.

(1) Joan., I, 25.
(2) Matth., III, 4
(3) Ibid., XI, 7.
(4) Matth., XI, 7.
(5) Ibid., 7.
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Re: Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste

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Arrêtons-nous là, mes chers auditeurs ; voilà ce que je vous laisse à méditer, et ce qui doit être pour vous et pour moi le fruit de ce discours. Je vous l'ai dit, et je vous le dis encore, que si Jésus-Christ ne nous reconnaît devant son Père, et ne rend témoignage en notre faveur, comme il l'a rendu en faveur de Jean-Baptiste, nous ne serons jamais du nombre de ses prédestinés et de ses élus. Il faut, pour être justes dans cette vie, que nous ayons le témoignage de Dieu en nous : Qui credit, habet testimonium Dei in se (1); et j'ajoute que, pour être glorifiés dans l'autre, il faut que nous ayons le témoignage de Jésus-Christ pour nous. Or, jamais Jésus-Christ ne nous rendra ce témoignage favorable dont dépend notre salut éternel, si nous ne sommes fermes comme saint Jean dans l'observation de la loi de Dieu, et si nous n'entrons dans cette sainte voie de la pénitence et de la mortification où a marché le saint précurseur. Pourquoi cela ? parce que Jésus-Christ ne rendra témoignage qu'en faveur de ceux qui auront eu soin de se conformer à lui. Or, nous ne pouvons nous conformer à Jésus-Christ, que par cet esprit de pénitence, accompagné et soutenu d'une inviolable persévérance ; par conséquent le témoignage de cet Homme-Dieu nous est indispensablement nécessaire. Il le donne aujourd'hui au plus saint des hommes, qui est Jean-Baptiste ; mais il ne le donne que fondé sur ces deux chefs, de l'austérité de sa vie, et de la solidité de sa vertu. Il n'est pas croyable que nous l'obtenions à des conditions plus douces, ni qu'il ait pour nous des lois de providence moins sévères et plus commodes.

Savez-vous donc, Chrétiens, ce que nous avons à craindre ? c'est que Jésus-Christ, dans le jugement dernier, au lieu de rendre témoignage pour nous, ne le rende contre nous ; et qu'au lieu que son témoignage, s'il nous était favorable, mettrait le sceau à notre justification et à notre prédestination, il ne fasse notre condamnation et notre réprobation. Si jamais cet affreux malheur nous arrivait, par où Jésus-Christ fortifiera-t-il son témoignage contre nous ? par l'exemple de saint Jean, par la pénitence de saint Jean, par la retraite de saint Jean, en un mot par l'énorme et monstrueuse opposition qui paraîtra entre la conduite de la plupart des chrétiens et celle de saint Jean.

Car comment nous sauverons-nous de cette contradiction, et qu'aurons-nous à y répondre ? Jean, rempli du Saint-Esprit et sanctifié même avant sa naissance, n'a pas laissé d'embrasser une vie austère et pénitente ; et moi qui suis pécheur, chargé devant Dieu du poids de mes iniquités, je veux mener une vie aisée et douce. Jean, dans la plus parfaite innocence, n'a pas laissé de mater sa chair par le jeûne et le cilice ; et moi j'épargne la mienne, qui est une chair de péché. Jean, à l'épreuve de toutes les tentations du monde, n'a pas laissé de fuir le monde ; et moi qui suis la faiblesse même, je m'expose à tous les dangers du monde. Voila, dis-je, mes chers auditeurs, ce que saint Jean nous reprochera au tribunal de Dieu : car, après avoir été le témoin de Jésus-Christ dans le premier avènement de ce Dieu Sauveur, il viendra encore dans le second, et sera appelé en témoignage contre les lâches chrétiens : Hic venit in testimonium (2). Oui, il viendra, non plus pour servir de témoin à la lumière, mais pour servir de témoin contre l'iniquité. Ce sacré chef que vous conservez comme un précieux dépôt ; ce chef dont la vue confondit l’impie Hérode, et le fit trembler jusque sur le trône ; ce chef muet maintenant, depuis qu'une mort sanglante lui a ôté l'usage de la voix, mais alors rappelé à la vie et plus éloquent que jamais, fera sortir de sa bouche des paroles foudroyantes qui altéreront les pécheurs. Ah! grand saint, parlerez-vous donc contre ce peuple qui vous est spécialement dévoué ? il vous honore et il vous invoque comme son protecteur : en deviendrez-vous l'accusateur et le juge ? Obtenez-lui ces grâces de conversion, ces grâces de sanctification qui le remettront dans la voie du salut que vous nous avez enseignée ; surtout faites-lui bien comprendre ce fameux oracle, que depuis le temps où vous avez vécu sur la terre, le royaume du ciel ne s'emporte que par violence : A diebus Joannis Baptistæ regnum cælorum vim patitur (3)...

(1) Joan., V, 10.
(2) Joan., I, 7.
(3) Matth., XI, 12.
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